Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

XV
LA SORCIÈRE

 Dieu seul pouvait connaître la solitude absolue d'Adoniram Judson en Birmanie!
Aux semaines chaudes et humides de la saison des pluies succédèrent de radieuses journées d'automne. Le figuier donna de nouveau asile à d'innombrables pigeons verts, le rossignol bâtit son nid. Adoniram vivait dans ce monde-là. Les lointaines rumeurs de guerre ne l'atteignaient pas. Même il cessa de redouter des représailles et se mit ouvertement à baptiser ses convertis dans le lac des lotus, jusqu'à ce que sa petite église comptât dix âmes. Il ne voyait jamais de blancs. Il oublia qu'il existait autre chose que des visages jaunes. Malgré toutes ses occupations, il se sentait désespérément seul, d'une solitude totale, universelle.

Il cherchait une réponse. Peut-être ne savait-il pas apprécier assez son privilège et sa responsabilité, quand il traduisait la Bible pour les Birmans ; lui, Adoniram Judson, choisi parmi tous les vivants et les morts pour ce travail ! Chacun de ces mots de Dieu, il l'approchait avec une infinie délicatesse. Néanmoins, après de longues heures de réflexion, il se persuada qu'en toute honnêteté, son tourment venait de ce perpétuel sentiment de Dieu inconnaissable, qui ne lui laissait aucune paix. Pourquoi alors ne pas chercher le secours là où il était certain de le trouver ?

Une nuit, à minuit, il se leva, alluma la lampe à huile, et chercha la boîte de santal. Il ne l'avait pas ouverte depuis le jour où Anne lui avait enlevé l'Autobiographie. Il la trouva donc dans le haut d'une armoire, à l'abri des fourmis blanches, et s'installa pour lire.

« Je m'aperçus alors d'un effet que me faisaient les Sermons de ce Père, disait Mme Guyon. Ils m'absorbaient si fort en Dieu que je ne pouvais ni ouvrir les yeux, ni entendre ce qui se disait. Entendre nommer votre Nom, ô mon Dieu, ou votre amour, était capable de me mettre dans une profonde oraison, et j'éprouvais que votre parole faisait une impression sur mon coeur directement, et qu'elle faisait tout son effet sans l'entremise de la réflexion et de l'esprit, et j'ai toujours éprouvé cela depuis, quoique d'une manière différente, selon les différents degrés et états par où j'ai passé ! Cela m'était alors plus sensible. Je ne pouvais presque plus prononcer des prières vocales. Je restai plus de cinq heures de suite à l'Eglise sans rien avancer. Je fus pénétrée d'un trait de pur amour si vif, que je ne pouvais pas me résoudre d'abréger les peines dues à mes péchés par les indulgences : si elles avaient donné, des peines et des croix, je les aurais gagnées. Je vous disais, ô mon Amour : « Je veux souffrir pour vous, n'abrégez point « mes peines : ce serait abréger mes plaisirs ; je n'en « trouve qu'en souffrant pour vous. » Je quittai toutes les compagnies : je renonçai pour jamais aux jeux et aux divertissements, à la danse, aux promenades inutiles. Mon unique divertissement était de dérober des moments pour être, seule avec vous, ô mon unique Amour ! »

Il lut jusqu'à l'aube, puis se leva pour faire sa promenade matinale. Il valait mieux réfléchir de jour, sans la passion de la nuit, dans l'immobilité de son lit. Vraiment, cette Française avait cherché Dieu comme lui-même. Elle l'avait trouve en supprimant tous les liens terrestres, sauf ceux de la discipline.

Mais Dieu voulait-il vraiment des créatures oisives, inutiles socialement, échos des désirs célestes, mais sans aucun rôle actif ? Son esprit positif refusait d'admettre cette pensée. Peut-être l'opinion d'Anne sur Madame Guyon était-elle la bonne ? Pourtant, il ne pouvait abandonner cette lecture. Plusieurs nuits durant, il rechercha moins la méthode de culture spirituelle de l'auteur que le secret de sa victoire finale. Mais le résultat restait décevant : cette femme avait usé sa vie en futilités hystériques.
Il parvint à cette conclusion par une aube dorée. Il ferma alors le livre, le remit dans sa boîte et dit, à haute voix : Voilà, Anne chérie, je sais que tu te sens mieux.
Puis, il sortit faire sa promenade matinale.

Le même jour, il baptisa Ma Baïk. Et, ce soir-là, dans l'ombre solitaire de son bureau, il formula pour lui-même de nouvelles règles de vie :

1. Être fidèle dans la prière de chaque jour, matin et soir.

2. Ne jamais perdre un instant dans l'oisiveté.

3. Contenir tous les appétits naturels dans les limites de la tempérance et de la pureté : « Garde-toi pur. »

4. Supprimer toute colère et mauvaise volonté.

5. Ne rien entreprendre par ambition ou goût de la célébrité.
(Note : Ne pas écrire pour l'éditeur Blackwood une traduction du « Béni avec le berger Dhanyia, »).

6. Ne jamais entreprendre quelque chose qui paraît ne pas devoir plaire à Dieu (sujet de méditation),

7. M'efforcer de me réjouir de chaque souffrance et de chaque perte subies pour l'amour de Christ et de l'Évangile, en me souvenant que, comme pour la mort, il ne faut pas s'y exposer volontairement, quoique, comme la mort, elles soient un grand gain.

8. Me lever avec le soleil.

9. Supprimer toute pensée, tout regard impurs.

Il relut ces commandements avec soin. Il pensait qu'Anne décèlerait en eux la double influence de Bouddha et de Mme Guyon. Mais il lui répondrait avec les paroles mêmes du Gautama : « Un homme est le résultat de toutes ses pensées. » En tous cas, ce programme concret l'aiderait à vaincre son tourment.

Anne était absente depuis six mois quand Maung Shway-gnong revint. Il n'avait assisté à aucun combat, car il était resté à Prome comme officier de recrutement ; il relevait d'une grave maladie et se trouvait en congé de convalescence, avant d'être envoyé en Assam. Dès qu'il eut raconté ses aventures, il supplia Adoniram de bien vouloir le baptiser
- J'ai vaincu tous mes doutes, ô mon Maître. Je suis prêt à affirmer devant le Maître des Éléphants blancs que je suis chrétien.
- Quelle bonne nouvelle, mon ami! lui dit le missionnaire avec gravité. Êtes-vous prêt à subir la période d'épreuve que j'exige de tous ceux qui me demandent le baptême: voulez-vous vivre, un mois durant, exactement comme le Christ aimerait que vous viviez? Demeurez près de moi pendant ce temps.

Le professeur sourit avec réticence
- Jésus n'est pas à son aise dans une maison birmane, mon Maître.
- Il est chez lui partout où on désire l'accueillir.
- Alors, je veux bien essayer.

Par un retour inattendu, ce mois d'épreuve sembla ôter à Maung Shway-gnong toute la confiance en lui, même et le courage qu'il avait pu avoir. Il semblait redouter le moindre mouvement qui eût pu mécontenter le Tout-Puissant et s'accrochait à Adoniram comme un petit enfant. Pour le missionnaire, cette présence dans sa solitude était réconfortante. Le professeur, complètement dépendant, partageait toutes ses promenades et, le soir, s'installait dans son bureau.

La période d'épreuve durait depuis quinze jours environ quand, lors d'une promenade vespérale, ils furent témoins d'une scène étrange, sur les rives du lac des lotus. Les rayons horizontaux du soleil doraient le Gautama, ainsi qu'une femme qui contemplait les traits impassibles de la statue. Elle pleurait. En s'approchant, Adoniram et Maung Shway-gnong constatèrent qu'elle avait les mains et les pieds liés. Un moine, plusieurs soldats et un fonctionnaire en robe blanche, se tenaient derrière elle.
- Que font-ils ? questionna le missionnaire.
- Jugement par l'eau. Si elle coule, c'est qu'elle est coupable.
- Mais elle s'enfoncera sûrement. Elle ne peut nager avec ses entraves.

Adoniram allait s'élancer vers le groupe,
- Attendez ! Ne bougez pas ! cria le professeur. Il ne faut pas intervenir dans son karma. C'est une épreuve véritable. J'y ai assisté bien souvent.
- Que fait le moine ?
- Il lit la formule sacrée, murmura Maung Shway-gnong l'air très gêné ; puis il éclata avec colère : Jésus ne nous a jamais dit d'intervenir pour contrarier l'application de la loi !

Adoniram avait le coeur battant. Il tremblait à la pensée de ce qu'il savait devoir faire. Il boutonna sa veste de toile et s'élança à grandes enjambées vers la femme que les soldats poussaient maintenant à l'eau. Maung Shway-gnong grogna sourdement :
- Mon Maître, ils vont vous tuer!
- Que ferait le Christ ? lui lança Adoniram sans se retourner.

Le professeur ne répondit pas. Tout en courant, Adoniram calculait son affaire. Il ne fallait à aucun prix toucher la personne sacrée du moine. Pas davantage la femme. Mais pourtant les soldats la poussaient : il pourrait donc la prendre par la taille. Maung Shway-gnong le dépassa alors, comme un éclair, en criant : « Jésus, Jésus ! » Ses longs cheveux et son paso rouge flottaient derrière lui.
Adoniram continuait de courir. Les deux hommes n'étaient plus qu'à cinq pas de la femme, lorsqu'on la jeta à l'eau, hurlante. Maung Shway-gnong sauta derrière elle. Il mit un certain temps à la tirer sur le rivage. Adoniram l'aidait à la hâler. Elle demeura étendue, gémissante.
Le moine et les soldats restaient pétrifiés. Mais quand le missionnaire se baissa pour couper les liens qui entravaient la femme, le fonctionnaire cria :
- Qu'on les jette tous deux en prison.

Maung Shway-gnong se redressa avec un regard de lion :
- Pas le maître étranger, ô juge. C'est moi, et moi seul ; il m'a seulement aidé.
- C'est faux, rectifia Adoniram. Le premier, j'ai voulu la secourir. Ma religion m'interdit d'assister à un pareil spectacle sans intervenir, ô juge !
- La mienne aussi, dit très haut le professeur.

Le moine prit la parole. Il paraissait jeune et effrayé.
- On nous a dit que la Présence Dorée avait refusé sa protection au Maître étranger et que celui-ci ne cherchait plus à propager sa religion. Mais voici un converti !
- Il faut aller au fond de tout ceci, reprit le juge. Qu'on les emprisonne !
- Que ferez-vous de la femme ? demanda Adoniram tandis que les soldats s'approchaient.
- Que vous importe cette meurtrière qui a même avoué son crime ?
- Je ne crois pas à cet aveu. De toutes façons, je vous offre dix roupies pour sa vie.
- Elle n'en vaut pas la peine, grogna le Juge. Peut-être que j'examinerai votre offre, mais cela ne vous sauvera pas, vous, vous irez en prison.

Il faisait nuit quand ils parvinrent dans la rue principale, si bien que peu de gens virent passer le petit cortège. Le missionnaire fut tout de même soulagé d'arriver dans l'enceinte vide du tribunal.
Un des soldats alluma une lampe et la posa sur un trépied, près de l'estrade où le juge venait de s'installer.

Adoniram, accroupi, demanda une fois encore
- Que je sois seul puni, Ô juge.
- Pourquoi?
- Parce que c'est moi qui ai propagé la religion qui a fait agir mon ami comme il l'a fait.
- Entendez-vous par là que vous êtes prêt à subir le maillet de fer à sa place ?

Adoniram sentit ses cheveux se dresser sur sa tête, mils il parvint à répondre, avec un calme apparent :
- Oui, c'est bien là ce que je veux dire. Ceci est en plein accord avec la religion du Christ. Par moi-même, je suis sans force.

Maung Shway-gnong gémissait et se tordait par terre.
Le juge se pencha vers le missionnaire et le regarda dans les yeux : ce visage était plus attachant que jamais, marqué par les luttes et les sacrifices.
- Je vous ai déjà entendu appeler l'homme de Jésus-Christ. Que dit-il votre Christ au sujet du supplice?
- Il n'a pas parlé expressément du maillet de fer. Il n'a connu que la croix. Mais il a dit : « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. »

Adoniram souriait au juge qui continuait à le fixer avec une lourde insistance. Le vent traversait les palmiers et apportait dans la salle les odeurs fétides de Rangoon. La sentinelle, à la porte, se penchait aussi pour écouter.
- Christ a-t-il fait cela ou l'a-t-il dit seulement ?
- Il s'est laissé crucifier pour ses amis.
- Et vous subiriez le maillet de fer pour ce misérable chacal ? demanda le juge en désignant Maung Shway-gnong.
- Le chacal a été héroïque, ce soir. Plus courageux que moi, puisqu'il a rejeté toutes ses traditions, alors que je n'ai fait qu'obéir aux miennes.

Le juge tourna son regard avec mépris vers le professeur, puis il sourit.
- Ce ne peut être qu'une très grande foi qui a transformé ce ver en un taureau de combat. Mais, répétez-moi les mots que vous avez cités.

Adoniram redit la phrase incomparable et les lèvres du juge s'appliquaient à en suivre les mots.

Des moustiques en nuages se posaient sur le visage et les mains du missionnaire. Le juge tiraillait sa lèvre inférieure.
- Une foi qui a fait un taureau d'un pauvre chacal ! - Il sourit. - Le Maître de la vie ferait bien d'en nourrir ses armées. - Garde, cria-t-il à la sentinelle, allez vous enquérir de l'endroit où l'on a mis la sorcière.
- J'y vais, ô juge.

On entendit s'éloigner le bruit mat des pieds nus.
Des chauves-souris voletaient dans la salle et chassaient le brouillard des moustiques autour de la lampe. Sous le plancher, les porcs ronflaient dans leur lourd sommeil. Au loin, un tigre miaulait. Le juge prépara avec soin une chique de bétel, se leva, et disparut sans un mot, par une petite porte, derrière l'estrade.

Plus de cinq minutes s'écoulèrent sans qu'il réapparut. Maung Shway-gnong souleva prudemment sa tête, puis ses épaules. Dix minutes. Il s'accroupit. Adoniram le surveillait. Vingt minutes. Le professeur se leva et remit son turban.
- Nous pouvons retourner à notre traduction, dit-il, d'un air détaché.

Adoniram, tout raide, se redressa.
- Qu'est-ce que cela signifie, mon ami?
- Cela veut dire que l'homme de Jésus-Christ a procuré au juge un grand sujet de réflexion. Nous sommes libres.

Le Birman plongeait son regard dans celui du missionnaire. Pour la seconde fois depuis le début de leur étrange amitié, il se prosterna devant lui.
- Non, mon frère, dit Adoniram, je ne mérite pas cela. Mes péchés sont nombreux, et vous ne les connaissez pas.
- Vous êtes sage. Cette religion est grande qui ne se borne pas à attirer des ennuis à ses fidèles, mais qui encore, les en délivre. Venez, Maître.

Il prit Adoniram par le bras. Comme deux enfants indiciblement heureux d'avoir échappé au fouet, ils sortirent dans la nuit.
En traversant le bazar, ils se heurtèrent au soldat qui reconnut immédiatement le missionnaire à ses vêtements blancs.
- Comment, vous êtes sortis? Qu'est-ce que cela veut dire, homme de Jésus-Christ?
- Le juge nous a autorisés à partir. Qu'en est-il de la sorcière ?
- Pendant que nous parlementions au bord du lac, elle a rampé jusqu'à la jungle. Le moine qui l'a poursuivie croit qu'un tigre l'a enlevée. Maître, peut-on maintenant aller librement au zayat ?
- Venez et vous verrez par vous-même, répondit Adoniram qui continua sa route dans la nuit, méditant sur les voies impénétrables de Dieu...


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