Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

VII. SUFFIT-IL DE RECOMMANDER LE PATRIOTISME?

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 Ce n'est pas nous qui chercherons à contester ce que le patriotisme a de nécessaire et de beau. Nous aussi nous voudrions unir notre faible voix au concert des citoyens qui s'efforcent de réveiller l'amour du pays, de nourrir le dévouement individuel à la chose publique. Nous aussi nous verrions avec joie les particuliers donner une riche part de soins, de temps et d'argent, à cette cause commune, à cet intérêt général, qui doit émouvoir et occuper chaque membre de la société, puisque chacun souffre de ses revers ou jouit de ses succès en une certaine mesure. Oui, c'est une tâche obligatoire, c'est un devoir certain autant qu'honorable, pour chacun de nous, de payer de toutes façons un tribut généreux à l'État, à la patrie, à la société. La société peut-elle fleurir, peut-elle vivre, si les éléments qui la composent, c'est-à-dire les citoyens, prétendent s'en détacher et s'y soustraire, habiles et ardents à se réfugier dans un étroit et honteux égoïsme? On se souvient de la fable sur l'estomac et les membres: les membres avaient refusé de travailler pour l'estomac, et pour prix de leur opposition ils se sont desséchés et perdus avec l'estomac. Ainsi en arrive-t-il aux citoyens qui s'isolent les uns des autres, et tous de leur mère, la patrie.

Joignons-nous donc à quiconque s'applique avec sincérité à raviver l'esprit public, à réchauffer le désintéressement civil, toutes les vertus qui constituent le civisme et le patriotisme. Encourageons-nous sans cesse les uns les autres à servir le pays et le peuple, non-seulement avec probité, avec intégrité, mais avec générosité; à concourir spontanément et libéralement aux charges, aux devoirs qui pèsent sur les citoyens naturellement ou extraordinairement; à secourir ceux surtout de nos concitoyens qui réclament à juste titre l'assistance de l'État, sa protection, sa judicieuse et tutélaire intervention. Rivalisons d'empressement à débarrasser la route vers l'avenir de tous les obstacles que notre patrie pourrait y rencontrer. Gardons-nous enfin de vouloir vivre aux dépens du pays, aux frais des contribuables; de nous disputer les fonctions et les places, de les changer en sinécures, ou de les remplir indignement.

Mais, alors même que nous serions parvenus à ranimer le vrai patriotisme, à le répandre et à l'affermir; parvenus à détruire beaucoup d'abus et à corriger beaucoup d'esprits, beaucoup de consciences et de coeurs: aurions-nous réussi à sauver la société? Cette grande réforme suffirait-elle?
Nous n'hésitons pas à penser le contraire, nous qui mettons le civisme à un si haut prix, Nous le nions, parce que la société actuelle souffre par d'autres endroits encore que l'esprit public et la vertu civile.

Notre société souffre aussi du côté de l'esprit de famille, par le défaut des vertus domestiques, des vertus paternelles et filiales. Or, tout le patriotisme du monde serait impuissant pour relever, pour régénérer la famille, pour faire respecter ses devoirs. et ses affections.

Regardez-y de près, et vous verrez qu'un même ver, un même vice ronge notre société dans ses rapports de famille et dans ses rapports de cité, ait foyer domestique et au milieu de la commune. Ce vice, c'est la répugnance au dévouement, c'est l'impuissance du sacrifice. On donne, on se donne, il est vrai, plus volontiers à sa famille qu'à son pays; parce que l'on jouit plus rapidement du bien que l'on fait aux siens, que des services que l'on rend à la patrie. Mais dans l'enceinte de la famille, chacun pense encore trop à soi, beaucoup plus à soi qu'aux siens; de même qu'en consacrant au pays une partie de ses facultés ou de sa fortune, chacun songé infiniment plus à sa position personnelle qu'à la grandeur publique. Des deux côtés donc, même maladie!

Mais aussi même remède! Si c'est par la renaissance de la piété que l'on peut espérer de réformer la famille, c'est par le retour de l'esprit religieux que l'on doit chercher à réveiller et à ennoblir le patriotisme. Il ne suffit pas, tant s'en faut, de vanter, de pratiquer même la vertu civique; il faut faire intervenir Dieu dans nos relations publiques. il faut que les citoyens, ceux mêmes qui aiment le plus leur pays, se souviennent sans cesse qu'il est au-dessus de leur cité une cité divine, au-dessus de la patrie terrestre une céleste patrie. Il faut qu'ils sachent que ceux-là servent le mieux les hommes qui regardent Dieu comme leur maître et leur souverain. Ceux-là sont capables, en effet, non-seulement d'accomplir tous leurs devoirs avec fidélité, mais de se sacrifier eux-mêmes sans regret.

Contempler la cité divine, la patrie céleste, du sein de notre existence présente, voilà le moyen d'être à la fois bon patriote et digne membre de famille. Voilà le moyen aussi d'éviter les égarements où se perdent parfois de sincères amis du pays, soit en négligeant leurs obligations domestiques, en abandonnant femme et enfants, soit en se remplissant d'une aveugle antipathie contre les autres nations, contre les autres portions du genre humain.


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VIII. SUFFIT-IL D'ÉTENDRE L'ÉDUCATION PUBLIQUE ?


Ceux-là font un excellent raisonnement qui disent : L'avenir d'un pays dépend de la jeunesse et de l'enfance; pour rendre le pays plus heureux un jour, élevons les enfants et les jeunes gens de manière à ce que tous, une fois arrivés à l'âge d'homme fait, ils se plaisent à servir leur patrie avec un dévouement joyeux. Ils concluent qu'il importe d'étendre et de fortifier l'éducation publique; ils veulent que tous les citoyens, s'ils ne reçoivent pas la même dose d'instruction, y puissent du moins prétendre; ils espèrent amener ainsi le règne définitif, non-seulement de l'égalité, mais d'une concorde fraternelle.

Dans ce désir il y a plus d'une pensée raisonnable et généreuse. Oui, c'est le voeu des plus nobles âmes que de généraliser et de populariser la saine instruction et la bonne éducation. C'est pour l'État, pour ceux qui le gouvernent, un devoir impérieux que de mettre les lumières et le savoir à la portée de toutes les intelligences. Une dette des plus sacrées, que notre temps s'attache visiblement à payer aux classes inférieures de la société, c'est de répandre de toutes parts les éléments d'une connaissance utile et solide, d'une science vivante et réelle; c'est de donner à chacun ce qui convient à sa condition, à sa vocation, ce qui l'éclaire suffisamment et l'améliore assez pour qu'il s'acquitte honorablement de sa profession et devienne un membre honnête de la cité où il vit.

Sur cet article si important, quel dissentiment sérieux pourrait-il s'élever? Et néanmoins nous devons dire que ce n'est point assez de généraliser l'instruction populaire et d'organiser l'éducation publique.

Ce n'est point assez, parce qu'il y a instruction et instruction, parce qu'il y a éducation et éducation : en d'autres termes, parce que tous les genres d'éducation ou d'instruction ne sont pas bons.

Que veut-on obtenir, en définitive, par la multiplication des lumières et par la réforme de l'éducation ? Évidemment, on veut obtenir des citoyens plus désintéressés; on veut obtenir une plus grande somme de dévouement. Mais si les lumières que l'on s'efforce de multiplier portent à l'égoïsme, et si l'éducation, que l'on regarde comme la meilleure, dispose à l'intérêt personnel, aura-t-on fait un pas décisif vers le but proposé? Nullement, on sera retombé par une autre pente dans le même abîme.

Or, il est aisé de montrer que l'instruction et l'éducation., telles qu'on les conçoit et répand d'ordinaire, ne développent pas l'esprit de sacrifice dans l'âme des jeunes générations.

il est aisé de voir que l'unique mobile, excité dans leur âme, est un mobile personnel, un principe d'action plus ou moins intéressé. On les pousse, on les exhorte à se distinguer, à s'élever les uns au-dessus des autres, à écraser leurs rivaux sous l'éclat de leurs triomphes, à briller et à jouir de leurs succès, à paraître avec une satisfaction glorieuse sur la scène du monde. N'est-ce pas là nourrir l'amour-propre aux dépens de tout autre amour? Et faut-il s'étonner que des êtres qui ont appris à se préférer à tout le reste, ne songent pas plus tard et ne parviennent jamais à se dévouer à leurs frères? Tel on sort de l'école, tel on vivra dans la grande société. Égoïste sur les bancs de l'école, on ne pourra guère être désintéressé dans les rangs de la société.

Habitué à ne penser qu'à soi, qu'à son bien-être, et à son contentement personnel, on aura d'infinies peines à se préoccuper d'autrui, à se consacrer au bien et à la félicité des autres hommes.

Tout cela est incontestable et, nous l'espérons, ne sera pas contesté. Nous nous hâterons cependant d'ajouter que nous sommes loin de confondre une pure et généreuse émulation avec la rivalité vulgaire. Nous savons que le Créateur a déposé en nous cette semence de l'émulation, ce germe de l'honneur. Ce germe, cette semence, fécondée exclusivement, peut produire beaucoup de mal, et il importe d'en Modérer le développement par l'influence d'autres mobiles, d'autres éléments de vie et de progrès. C'est dire qu'il faut diriger l'honneur vers ce qui est vraiment honorable, vers le désintéressement, et encourager l'émulation par ce qui exige et donne à la fois le plus de courage, par le dévouement. C'est dire encore qu'il faut appuyer et contre-balancer l'éducation publique par l'éducation intérieure.

Par éducation intérieure, nous entendons non-seulement celle que l'enfant reçoit dans une famille pieuse et unie, mais celle qu'il reçoit de Dieu même dans son propre coeur, par la prière, par la réflexion, par l'énergie secrète de la puissance religieuse : non-seulement l'éducation domestique, mais aussi l'éducation religieuse.

Complétons l'instruction populaire et l'éducation publique par cette éducation domestique et religieuse, par cette instruction intérieure; et nos voeux et nos espérances s'accompliront merveilleusement. Négligerons-nous, au contraire, comme surannée, comme inutile, comme dangereuse peut-être, cette force qui s'acquiert sous la discipline de la famille et de la religion , sous l'oeil des parents et de Dieu; dédaignerons-nous cette puissance qui apprend à respecter et à obéir, à se soumettre et à se renoncer, à s'abstenir et à se donner soi-même : alors cessons de faire des voeux stériles et d'espérer un avenir meilleur pour notre chère patrie.

L'avenir sera meilleur, mais à cette condition unique que l'âme de nos enfants, un jour adultes, aura été solidement améliorée. Cependant vous rejetez ce qui seul peut l'améliorer véritablement! Cependant vous vous moquez de ce qui peut seul leur communiquer l'habitude et le goût du bien, l'habitude de la bienfaisance et le goût du désintéressement!

Votre but est excellent, je le répète : vos moyens le sont-ils aussi ? ou plutôt ne sont-ils pas opposés à votre but, en contradiction manifeste avec leur fin ? Vous désirez la concorde et l'union, et en même temps vous poussez la jeunesse aux passions qui engendrent et enveniment les divisions et la guerre. Vous déplorez l'égoïsme, ou , comme vous dites, l'individualisme; en même temps que vous enflammez l'amour-propre, ou que vous attisez la vanité. Vous voudriez rapprocher tous les citoyens autour du drapeau de la liberté, à l'ombre d'une pacifique égalité ; en même temps que vous asservissez les coeurs au joug de la vanité et de la fausse ambition!

Il faut tout dire, amis. Vous demandez avec raison que chacun soit élevé selon sa vocation; mais vous vous méprenez à tel point sur la véritable vocation des hommes, que parfois vous n'hésitez pas à vouloir élever de la même manière les deux sexes, comme si leurs destinées n'étaient pas essentiellement distinctes. Vous songez à faire de la femme tout ce que peut devenir l'homme, jusqu'à un personnage public.

Élever ne signifie rien, si ce n'est faire faire à l'être humain des progrès continus dans la voie tracée par Dieu même. Or, Dieu n'a pas assigné la même voie à tous les hommes.

instruire, primitivement, veut dire armer et munir. Or, de quelles armes avons-nous besoin surtout? De celles qui nous peuvent défendre contre nos convoitises, contre nos passions mauvaises. Votre plan d'éducation fournit-il de pareilles armes? Songez-y bien, car le repos de la patrie, votre propre repos en dépend.

Une seule chose est nécessaire à l'avenir du pays, dites-vous : une bonne éducation publique. D'accord : mais quand est-elle bonne ? Est-ce quand elle exclut, tantôt l'éducation de la famille, tantôt l'éducation religieuse? Est-ce quand elle veut donner les mêmes éléments de savoir et de croyance, les mêmes destinées extérieures et intérieures, aux hommes et aux femmes, à toutes les classes, à tous les âges? Encore une fois, c'est là le noeud dû la question ; et selon que vous le délierez, vous aurez ou raison ou tort de soutenir que, pour régénérer la société, il suffit d'étendre l'éducation et de populariser l'instruction. Quelque parti que vous preniez, souvenez-vous du moins qu'étendre n'est pas encore améliorer, que populariser n'est pas encore perfectionner.


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IX. SUFFIT-IL DE RÉCLAMER L'ORGANISATION DU TRAVAIL?


Ce terme d'organisation du travail est terriblement vague. Supposons qu'il signifie ceci : faire en sorte que tout ouvrier, quelle que soit sa profession, ait toujours une occupation qui suffise à l'entretenir, lui et les siens. En ce cas, qui sera chargé de fournir constamment cette mesure de travail et de salaire ? L'État, la cité, la commune, ou telle autre association... Mais l'État a-t-il le pouvoir de faire cela toujours? Par quels moyens, par quelles institutions, le pourra-t-il, non promettre seulement, mais accomplir? Les particuliers, les travailleurs de tons états, travailleurs de l'esprit ou du corps, intellectuels ou manuels, ont-ils d'ailleurs le droit d'exiger que la commune les occupe à leur gré, et les rétribue suivant le mérite qu'ils se reconnaissent eux-mêmes? Comment la cité se procurera-t-elle les fonds nécessaires pour occuper et salarier tout le monde? Où placera-t-elle, où fera-t-elle consommer tout ce qui aura été produit et exécuté à ses frais? L'État est-il capable d'être à la fois entrepreneur et ordonnateur de tous les travaux possibles, propriétaire et commerçant pour tous les produits imaginables ? Et alors même qu'il en fût capable , réussirait-il à contenter tous les ouvriers ensemble et tous les consommateurs? parviendrait-il à fonder la paix sociale, dont cette organisation du travail passe pour l'unique source, pour la seule condition et le seul instrument?

On le voit, rien de plus compliqué, rien de plus obscur et de plus difficile qu'un pareil problème.
Essayons d'indiquer brièvement ce qu'il présente de clair à nos yeux et de légitime.

C'est une très juste prétention, d'abord, que tous les hommes publics s'intéressent activement et cordialement au sort des classes laborieuses. Ce sort, il faut l'améliorer sans retard; et il n'y a que deux manières de le faire, mais deux manières qu'il faut employer ensemble. Premièrement, il est nécessaire de donner de l'occupation, et, par elle, le pain quotidien; en second lieu, d'éclairer et de purifier l'âme et les moeurs, et, par conséquent, de donner le pain de la vie spirituelle : voilà la double oeuvre de l'amélioration populaire. Nourrir l'esprit, quand la volonté individuelle ne s'y oppose pas, est plus facile que de nourrir le corps : les biens de l'esprit, la vérité et la justice, sont infinis et inépuisables, tandis que les biens matériels, les fruits de la terre et de l'industrie humaine, sont bornés et s'épuisent aisément. Comment donc, supposé que le bon vouloir n'y manque pas, pourra-t-on assurer à chacun de quoi l'occuper et de quoi satisfaire à ses plus pressants besoins?

À cette question, partout on cherche quelque réponse. soyons certains que l'on trouvera des solutions satisfaisantes : la nécessité est mère de l'industrie, et Dieu, qui manifeste sa volonté par la nécessité, éclaire ceux qui cherchent sincèrement. Déjà l'on examine avec sollicitude ce que peuvent faire les départements et les communes, ce que doivent tenter les associations particulières. Des travaux agricoles et industriels, des ateliers, des ouvroirs, plus d'une autorité municipale en a su former, pour soutenir les travailleurs en chômage, pour secourir les citoyens nécessiteux; et d'autres magistrats sauront, suivre cet exemple en bien d'autres endroits.

Nous voyons agiter aussi, avec la même sollicitude, les questions qui se rattachent aux banques de prêt et de crédit, aux institutions propres à faciliter les emprunts que les ouvriers pauvres sont forcés de faire pour se livrer à l'exercice de leur profession. On discute ardemment les moyens capables de favoriser la circulation de plus en plus abondante du capital, cet élément indispensable de l'industrie. Il s'établit de tous côtés des caisses d'épargne, de prévoyance, de retraite, de secours, de ressources enfin, qui aident l'ouvrier dans les situations diverses où les chances du travail et de l'âge le peuvent placer. L'effet de ces efforts réunis sera nécessairement que les bons travailleurs auront chaque jour moins de peine à se procurer les instruments de leur travail, et ses fruits légitimes ; qu'ils arriveront au capital et à la propriété, au bien-être et à la prospérité; ou qu'ils sauront du moins se dérober à la misère et à ses suites lamentables.
Est-ce à dire que tant de changements puissent s'opérer en un jour ? Mille obstacles divers sont encore à surmonter; mais Dieu veut qu'ils soient surmontés, et ils le seront.
Mais quand même ils auront été vaincus, la paix régnera-t-elle? Le crédit et le bonheur fleuriront-ils ?
N'évitons pas cette demande, car elle touche à la cause principale du désordre actuel, à celle qui, plus que toute autre., empêche cette organisation tant souhaitée du travail.

Il ne suffirait pas, en effet, d'entreprendre partout autant de travaux qu'il en faudrait pour occuper et nourrir quiconque veut et peut travailler. Il faudrait de plus organiser ceux qui sont appelés à travailler; et voilà l'essentiel! Non-seulement il est beaucoup de travailleurs qui, tout en devisant sans se lasser du droit au travail, voudraient vivre agréablement sans jamais travailler; mais il en est un plus grand nombre encore qui font un mauvais usage du salaire gagné à la sueur de leur front. Combien d'ouvriers qui, loin d'économiser ou seulement d'employer au profit de leur femme et de leurs enfants , courent tout dépenser au cabaret, au jeu, et qui, revenus au logis, se bornent à battre femme et enfants, lorsque ceux-ci demandent du pain! Ainsi, à côté des travailleurs paresseux, se trouvent les travailleurs dépravés. Pour les uns comme pour les autres, il est donc plus urgent d'organiser l'ouvrier que d'organiser l'ouvrage. il faudrait donc se hâter de reformer leur esprit et leur coeur, en les adressant à l'ouvrier céleste, à celui qui créa les mondes, au père de celui qui daigna être le fils d'un charpentier.

Celui-là leur apprendrait à bien travailler, à se laisser travailler au dedans par l'amour du bien, à regarder leur profession comme une mission imposée par Dieu, à regarder Dieu comme l'assidu témoin de leur activité, et presque comme leur compagnon d'oeuvre. Celui-là leur montrerait comment le travail humain peut attirer la bénédiction et les solides succès; car il leur enseignerait, non-seulement à travailler, mais à prier; non-seulement à rechercher le gain et le bien-être, mais à se reposer, mais à employer le jour du repos, les heures de délassement, au progrès de leur intelligence et de leur conscience, au progrès et au salut de leur âme.

Un travailleur de l'esprit a dit que le génie est la patience. Oui, la patience est la meilleure partie du génie, le vrai génie du travail; et c'est elle surtout qui manque à notre temps. Nous ne savons pas attendre, nous sommes pressés de réussir, il nous en coûte incroyablement de nous confier dans le temps, sans lequel néanmoins rien de durable ne se peut élever, puisque sans lui nul fruit ne saurait mûrir.

Aussitôt que l'élément de la patience, de l'espérance, serait rentré dans le coeur de l'ouvrier, l'organisation véritable des travaux commencerait. Dès ce moment la confiance renaîtrait à tous les étages de la société, et avec elle une abondance de demandes et d'offres de travail, une abondance de capitaux et de marchés. Le riche, le propriétaire, le patron ne verraient plus un ennemi acharné dans le pauvre, dans le prolétaire, dans le travailleur : ils se rapprocheraient de lui comme d'un frère, prêt à l'assister et à le secourir, à le changer à son tour en patron, en propriétaire, en riche. L'argent cesserait de se resserrer ou de s'enfuir; le crédit l'appellerait sur tous les points de l'activité et de la circulation financière. La haine et la colère, l'envie et la jalousie, la peur et la terreur, la vengeance et l'antipathie, toutes ces passions si indignes d'une créature de Dieu, auraient fait place à toutes les formes de la sympathie, à toutes les démonstrations d'estime et de bienveillance mutuelle.

Telles seraient les merveilles d'une saine organisation des travailleurs. Mais, répétons-le, celle-là commence par le dedans, et non par le dehors; par le coeur et non par les bras. Celle-là regarde l'ouvrier, non pas comme une machine, mais comme un être intelligent et moral, comme un instrument entre les mains de Dieu, un instrument destiné à faire le bonheur de là société, autant que le sien propre, destiné surtout à louer et à bénir le nom et la puissance du patron de cet immense atelier qui s'appelle tantôt univers ou humanité, tantôt royaume des cieux ou éternité, mais qui, partout et toujours, est un laboratoire de bonté et de perfection, un champ de lumière et de charité.

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