Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IV. SUFFIT-IL DE DÉCRÉTER LA FRATERNITÉ ?

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Si, pour régénérer les peuples, ce n'est point assez de décréter la liberté et l'égalité, il suffit bien moins encore de décréter la fraternité. La fraternité n'est pas, d'abord, comme la liberté et l'égalité, un droit, une faculté appartenant à, tout homme, c'est un devoir intérieur, auquel ne peut correspondre aucun droit extérieur; c'est un devoir que Dieu prescrit à ma conscience, mais que Dieu seul est fondé à lui prescrire, un devoir que nul individu, nul gouvernement, nulle puissance humaine ne saurait lui imposer. Personne, en effet, n'est assez fort pour me contraindre à vous aimer comme un frère. L'affection n'est pas susceptible d'être ordonnée et imposée : elle s'inspire, elle se gagne, elle se donne librement et spontanément. Voulez-vous, que je vous aime, que je vous estime, montrez-vous aimable et estimable; sachez captiver et enchaîner ma sympathie, en me témoignant de la bienveillance; c'est à force d'être intéressant et bon que vous vous emparerez de mon intérêt et de ma confiance.
On ne peut donc, à vrai dire, décréter la fraternité, parce qu'elle est un sentiment d'amour et une obligation purement religieuse. Mais, en même temps, on doit s'efforcer de l'inspirer à tous les membres d'une société.

Je sais que bien. des gens vous disent : Les hommes sont naturellement bons et affectueux, naturellement sociables, naturellement disposés à une sympathie fraternelle; et il n'est pas nécessaire de les changer et de les modifier pour les porter à pratiquer entre eux l'aimable fraternité!... À cette assertion, sans cesse répétée, je ne répondrai que ceci: Aurait-on besoin de recommander la fraternité, de la prescrire officiellement, de l'inscrire en caractères gigantesques sur les murs de la cité, sur nos édifices publics, si nous étions tous naturellement disposés à nous aimer les uns les autres, comme autant de membres d'une famille étroitement unie? Non, certes. Si ce dévouement réciproque était gravé dans nos coeurs et y vécût avec force, personne ne s'aviserait de le commander aux citoyens, de l'ériger en dogme politique. C'est parce que notre moi penche infiniment plus vers l'égoïsme que vers le dévouement, qu'il faut l'incliner du côté du dévouement, qu'il faut le détourner de sa pente naturelle, qu'il faut le retourner et le redresser.

Qui le redressera? qui le retournera, ce coeur rempli d'amour-propre, mais en même temps appelé à pratiquer l'amour fraternel ? Qui le saura disposer à aimer le prochain autant que lui-même? Voilà toute la question, et notre sauveur sera celui qui saura nous plier à une constante soumission au doux et fécond empire de la fraternité.

Des esprits généreux essayent aujourd'hui, par des moyens divers, de faire revivre cette inclination dans nos âmes engourdies. Ils peignent de couleurs séduisantes tantôt la solidarité, tantôt la bienfaisance ou l'assistance. Leurs efforts, cependant, sont rarement suivis d'un succès durable : d'où cela vient-il ?
C'est qu'apparemment ils n'entendent bien ni la solidarité ni la bienfaisance.
Ils n'appuient pas la solidarité sur le profond et sérieux sentiment de la responsabilité.
Ils n'asseyent pas la bienfaisance sur la profonde et sérieuse obligation de la charité.
Leur fraternité ne repose pas avant tout sur ce fortifiant devoir de la reconnaissance envers Dieu.

L'esprit de famille, dont ils voudraient remplir les individus, les peuples, l'humanité entière, est privé du plus puissant mobile de l'union de famille, du désir de plaire et d'obéir au chef de la famille; ils voient des frères partout, mais nulle part un père; ou, s'ils n'osent pas nier l'existence du père des hommes, du moins ne travaillent-ils guère en son nom, sous son regard et pour sa gloire.
Or, c'est une marche tout opposée qu'il convient de suivre.
Si nous souhaitons que l'on s'aime fraternellement, hâtons-nous de nous ressouvenir que nous avons tous le même père, le même juge et le même bienfaiteur.

Si nous désirons que les riches assistent généreusement les pauvres, que les pauvres témoignent de la gratitude et de la confiance à ceux qui les ont assistés, hâtons-nous de nous rappeler quelle reconnaissance nous devons à celui qui nous assista le premier, et sans le secours permanent duquel nous n'aurions ni le mouvement ni l'être.

Si nous voulons que les hommes se soutiennent les tins les autres et se supportent amicalement, que les petits ne vouent plus de haine aux grands, que les grands ne prodiguent plus le mépris aux petits; si nous voulons que l'envie et la jalousie, la morgue et le dédain, et tant d'autres passions disparaissent, pour faire place à une sympathie réciproque; hâtons-nous de nous souvenir que chacun est responsable, non-seulement pour soi-même, mais pour autrui, mais pour quiconque il rencontre sur le chemin de sa vie.

Recommandons la fraternité et surtout pratiquons-la. Recommandons celle qui est véritable, et pratiquons bien celle qui est la bonne. La bonne, la véritable, la praticable, c'est celle qui part de la responsabilité individuelle; c'est celle qui sait ce qu'elle doit à Dieu, ce que Dieu veut dans les relations communes des hommes; c'est celle qui s'adresse avec prédilection aux coeurs et aux âmes, et non pas seulement aux souffrances des corps, aux détresses physiques; c'est, enfin, celle qui s'inspire et s'alimente de l'amour de Dieu.

On aura beau faire de magnifiques discours sur la solidarité des citoyens et des nations; on ne produira qu'un vain bruit, tant que l'on ne songera pas en même temps à réveiller la responsabilité, à ranimer la charité spirituelle, à retracer la paternité divine. On aura beau discuter des plans sur l'organisation de la fraternité, de l'assistance, de la bienfaisance; on ne fera qu'une besogne honorable, mais vaine, si l'on ne réussit pas en même temps à remuer, à préparer les coeurs, de manière à les faire concourir spontanément à ces oeuvres de secours et de prévoyance publique.

Il est ici-bas une foule innombrable de misères, pour le corps comme pour l'esprit : il faut donc ouvrir à la miséricorde les coeurs qui doivent tour à tour soulager ou être soulagés. La passion souveraine de nos âmes, l'égoïsme, sous telle ou telle forme, il faut donc la remplacer par la compassion ; l'antipathie, il faut la remplacer par la sympathie; et l'indifférence, par l'amitié. Est-ce en décrétant la fraternité du haut d'une tribune, que l'on touchera ce but si élevé, si difficile à atteindre?


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V. SUFFIT-IL D'ACCORDER À TOUS LE DROIT AU BONHEUR ET AU PROGRÈS?


Il est incontestable que ce droit appartient à tout être humain, parce qu'il est évident que Dieu, c'est-à-dire, la bonté sans bornes et la perfection sans limites, veut que chacune de ses créatures devienne véritablement heureuse, c'est-à-dire avance dans une voie infinie de progrès et de félicité. Il est donc juste que ceux qui marchent à la tête de la société, soit par leur génie, soit par leurs vertus, soit même par leur fortune, reconnaissent chez lès moindres citoyens ce droit naturel, ce droit de céleste origine.
Mais cette reconnaissance, à elle seule, est-elle propre à nous rendre tous heureux et à nous placer sur la route de la perfection humaine?
Que faut-il encore, après cette simple déclaration de droit?
Il faut deux choses : d'abord, savoir ce que c'est que le bonheur et le progrès; s'aider ensuite mutuellement à réaliser le progrès, à trouver le bonheur.

Savoir en quoi consiste le bonheur, où réside le progrès, voilà la première nécessité, et celle aussi que l'on néglige tant de mieux éclaircir.

Le bonheur! Tous nous en sommes avides, et cependant si peu d'entre nous le possèdent. Ne serait-ce pas parce que nous le mettons ordinairement où Dieu ne l'a pas placé? Nous le cherchons dans les jouissances matérielles et dans les satisfactions de la vanité, nous le mettons à rassembler des biens temporels, à ajouter un champ à un autre, un écu à un autre, à étaler nos richesses, à faire parade de nos honneurs et de nos mérites, le notre esprit et de nos connaissances, de notre valeur et de notre réputation; nous le mettons même à nous perdre dans une mer de distractions et de plaisirs purement sensuels et trop souvent semblables aux jouissances grossières des animaux les plus immondes. Telles sont les sources, les choses auxquelles nous demandons d'enchanter ou d'embellir notre existence.

Au contraire, Dieu nous crée pour que nous demandions le bonheur à une autre sorte de biens, aux biens de l'âme, aux choses du ciel, aux forces impérissables de l'esprit et du coeur, de l'esprit éclairé et du coeur purifié par la lumière même de Dieu. Non que l'usage des biens de la terre et des honnêtes plaisirs du monde nous soit interdit, non: ces biens, ces plaisirs viennent aussi de Dieu. Mais ce qu'il nous défend, c'est de préférer les satisfactions du corps aux joies de l'âme, c'est de négliger, d'abandonner, de mépriser peut-être, les satisfactions de la conscience, les délices du dévouement pour celles de la chair. Ce que Dieu nous déconseille et nous interdit, comme contraire à notre nature, à notre destination véritable, c'est de subordonner tellement les joies spirituelles aux jouissances matérielles, que les biens spirituels deviennent pour nous l'accessoire, et les biens matériels le principal. Dieu, puisqu'il nous aime, ne peut pas vouloir que notre coeur s'attache essentiellement et uniquement aux tristes contentements de l'égoïsme, aux choses passagères ou mensongères de cette vie. Dieu, parce qu'il nous aime divinement, doit vouloir que notre coeur, libre et affranchi des misères terrestres, se donne et se dévoue aux objets dignes de lui.

Il en résulte que, si tant d'hommes sont malheureux, c'est pour avoir cherché le bonheur où Dieu ne l'avait pas mis. Il en résulte aussi que le droit au bonheur ne peut se réaliser ici-bas que dans les conditions où Dieu l'a renfermé. Il en résulte enfin que l'on ne sera heureux qu'en jouissant des biens matériels et temporels avec reconnaissance, avec tempérance, et qu'en plaçant au-dessus d'eux, à une distance considérable, les biens spirituels et éternels, les douceurs de l'âme, les trésors de la conscience, la paix de Dieu.

Le vrai bonheur, nous l'avons dit, c'est la triple paix avec Dieu, avec les hommes, avec soi-même. Or, c'est l'âme, et non le corps, qui procure cette incomparable paix.
Il en est de même du progrès. Que d'idées fausses et trompeuses règnent aussi là-dessus! Combien on discute dans le vide sur le but du progrès, sur ses moyens et ses résultats! Combien de personnes s'imaginent que le progrès social et individuel consiste principalement, et peut-être exclusivement, dans l'accroissement du bien-être matériel, dans l'augmentation rapide et la diffusion générale du bien-vivre, de la prospérité et du luxe, d'une instruction superficielle, superficielle en tout, excepté en ce qui concerne les sources de jouissance physique. Le développement de l'aisance, de la richesse, la popularisation de la vie. agréable et frivole, tel serait le progrès, si l'on en croit ceux qui font résider le bonheur dans le plaisir.

L'auteur de l'humanité pouvait-il regarder cela comme le vrai progrès, comme un progrès digne de ses créatures? Dieu, sans doute, porte l'homme et l'aide même à s'entourer graduellement de tout ce qui rend l'existence plus sûre, plus aisée, plus riante; à goûter les avantages de l'industrie et du commerce, de la propriété et de la société. Dieu veut que nous ayons soin du corps, que nous le préservions des maladies, que nous combattions ses souffrances. Dieu veut que nous travaillions à assainir la terre, à la féconder, à l'embellir, à la transformer à notre image, à l'image de ce créateur même, qui a déposé en nous l'idée de l'utile et du beau. Mais avoir souci du corps uniquement, mais se préoccuper avec une sorte de fureur des satisfactions sensuelles, des appétits physiques, du boire et du manger; mais oublier que l'âme doit passer avant le corps, que le bien-être de l'âme ne tient pas au bien-vivre du corps, que le perfectionnement de notre véritable être consiste souvent à savoir dédaigner les plaisirs de la chair, à les fuir, à les remplacer même par des douleurs; mais tout ceci est-ce avancer, ou comme on dit à présent, progresser? Non; c'est là renverser l'ordre éternel des choses; car c'est donner au progrès matériel la place qui appartient au progrès moral. Le premier rang, en effet, doit être accordé au progrès de l'âme et du coeur, au progrès dans la vérité et dans la charité. Le premier rang est dû au bien-faire, le second seulement au bien-être. Le bien-faire n'exclut pas le bien-être; tandis qu'il arrive ordinairement à ceux qui recherchent le seul bien-être de ne plus s'inquiéter du bien-faire : ils songent avec sollicitude à l'avenir, mais ils oublient l'éternité ; et, chose consolante, à force de perdre l'éternité de vue, souvent ils n'aperçoivent plus même le présent le plus rapproché. C'est qu'ils voient toutes choses d'en bas et parfois à l'envers.

Mais ce n'est pas encore assez que de bien savoir en quoi consistent le vrai bonheur et le vrai progrès; il faut de plus que nous nous entr'aidions pour devenir tous, et plus heureux, et plus parfaits. S'entr'aider, s'entre-soutenir, s'assister réciproquement, par un continuel échange de services mutuels et de bonne intelligence, par la charité enfin, voilà ce qu'il importe d'ajouter à la promulgation de ce vague droit au bonheur et au progrès.

Si, loin de songer sans cesse à l'exercice de son droit personnel, chacun de nous considérait bien plutôt le devoir de contribuer au bonheur des autres, de concourir à leur perfectionnement physique et moral, aurions-nous encore besoin de promulguer un pareil droit? Quand, d'un autre côté, la plupart des citoyens oublient le devoir de rendre heureux leurs concitoyens, vous aurez beau promulguer ce même droit ; vous aurez mille peines inutiles pour le mettre en vigueur : partout il rencontrera, dans l'égoïsme particulier, d'insurmontables obstacles. Les intérêts individuels, l'égoïsme isolé, tel est l'ennemi; et qui de nous, plus ou moins, n'a pas passé du côté de ce puissant ennemi?
Le désintéressement, le dévouement, dans la sphère des individus et dans les régions du pouvoir, telle est l'arme avec laquelle il est possible de le combattre, de nous combattre nous-mêmes. Dans les régions du pouvoir : que l'on s'efforce là de gouverner et d'administrer au meilleur marché possible, afin que les citoyens pauvres aient moins d'impôts à payer, et puissent employer le fruit de leur travail à l'amélioration de leur vie matérielle, à s'instruire eux et leurs enfants, à s'élever par l'aisance une vue plus exacte et plus haute sur le monde, sur Dieu, sur la destinée humaine. Dans la sphère des individus : que l'on y tende à diminuer les misères du corps et de l'âme, les maladies et l'ignorance, la famine et la superstition ou l'impiété, la nudité et les vices, les passions brutales et les hontes secrètes du coeur. Là surtout il faut s'associer, comme il faut travailler à part, s'associer pour prévenir les souffrances, à l'aide de la prévoyance et de l'économie, à l'aide surtout du travail, le plus fructueux des dons; s'associer pour secourir et soulager les souffrances qui n'ont pas été prévenues, au moyen d'établissements appropriés aux divers genres d'épreuves et de malheurs.
Chaque individu peut ici, et doit même payer son tribut; tous, jusqu'aux plus indigents, sont en état de donner quelque chose, et de contribuer en quelque manière au bonheur commun et au progrès public. Le plus pauvre ne peut-il pas donner l'exemple d'une résignation courageuse, d'une patience héroïque autant que modeste; et par cet exemple, ne peut-il pas relever l'âme d'autres nécessiteux, et en même temps inviter et obliger les personnes mieux partagées à le secourir et à le consoler? Ce n'est pas en menaçant, ce n'est pas en grondant, en jurant, en maudissant; c'est en bénissant, c'est en persuadant, en priant, en conseillant, que l'infortuné touche et intéresse ceux qui sont plus heureux; et c'est de la sorte qu'il sert aussi son pays. Son pays n'a-t-il pas besoin de paix avant tout? Et cette paix pourrait-elle naître et fleurir où la colère ne règne d'un côté, que pour provoquer de l'autre, tantôt la peur, tantôt la vengeance ?

Des deux côtés, ramenons donc la justice et la bienveillance, l'équité et la bienfaisance. Le sentiment de la responsabilité, et celui de la reconnaissance envers Dieu, sont donc également nécessaires. Il est donc indispensable que chacun, pauvre ou riche, savant ou ignorant, sente combien il est responsable du bonheur et du progrès des autres hommes, ses frères, et comprenne qu'il ne mérite pas d'être heureux, s'il néglige de contribuer à la félicité de ses frères. Il est indispensable enfin que nous nous rappelions tous que Dieu ne nous a donné la vie et promis le bonheur qu'à la condition de nous consacrer à l'existence et au repos de tous ceux qui nous entourent.


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VI. SUFFIT-IL DE PROMULGUER LA SOUVERAINETÉ Du PEUPLE?


Nous ne ferons certes pas difficulté de reconnaître que toute nation, arrivée à l'âge de majorité politique, à la juste possession des libertés civiles comme des droits naturels, que toute nation, investie de sa pleine et propre souveraineté, n'a pas d'autre souverain au-dessus d'elle. Une telle nation, ne dépendant que d'elle-même, se gouverne, se juge, s'administre elle-même et par elle-même; elle règne, non-seulement par elle-même, mais pour elle-même, pour son bien, pour le bien commun et public, pour le bonheur et le progrès de tous ses membres.

Rien de plus inviolable, de plus inattaquable que cette simple et claire vérité. Suffit-il, cependant, pour rendre le peuple vraiment souverain, de proclamer, de sanctionner sa souveraineté ? Suffit-il d'organiser dans toute son extension cette même souveraineté, pour donner au peuple paix et prospérité?

D'abord, il faut pouvoir l'organiser; et si on le veut pouvoir, que convient-il de faire?
Comme tous les citoyens ensemble ne peuvent pas être gouvernants, juges, administrateurs, représentants de la nation, il faut élire, choisir et préférer, c'est-à-dire désigner par voie de suffrage les plus dignes et les plus capables. Or, le droit d'élection impose deux sortes de devoir.

Le premier de ces devoirs se rapporte à l'esprit et à l'instruction; le second regarde la conscience et le coeur. Le premier exige que tout électeur soit assez éclairé, pour savoir au juste à qui il accorde sa confiance, à qui il délègue sa part de souveraineté, qui il charge de le représenter et de le gouverner: il exige donc que tout électeur, non-seulement sache lire, écrire, compter, mais possède bon nombre d'autres connaissances sur les personnes aptes à ces fonctions, sur les choses propres à occuper le pouvoir. Le second demande que tout électeur, en déposant son bulletin dans l'urne électorale, consulte l'intérêt général du pays, le bien public, et non son avantage privé et caché; il demande que l'élection ne soit pas un marché, une transaction individuelle entre le citoyen qui élit et le citoyen qui désire être élu; qu'elle ne devienne pas, pour l'un un moyen d'obtenir telle faveur, pour l'autre un instrument d'ambition ou de cupidité; il demande donc que l'élection s'accomplisse au grand jour et comme en présence de Dieu, avec un double désintéressement, avec un commun patriotisme.

La présence de Dieu, au milieu de toutes les opérations auxquelles le suffrage universel donne naissance; en d'autres termes, l'invisible souveraineté de Dieu, voilà ce que nous devons regarder comme le complément nécessaire de la souveraineté deu peuple.

La voix du peuple est la voix de Dieu, dit-on. Oui, elle l'est toutes les fois que c'est Dieu qui inspire le peuple, le dirige et le soutient. Mais l'était-elle, quand les Juifs attachaient à la croix le Juste de Nazareth? Le peuple en lui-même, par cela seul qu'il 'se compose d'individus faillibles, n'est pas infaillible. Dieu seul n'est pas sujet à se tromper. Lors donc que le peuple se laisse animer et conduire par Dieu, il s'approche de l'infaillibilité divine et semble en participer. Or, quand se laisse-t-il, conduire ainsi? Quand il prend pour règle de ses actions, pour mobile de ses volontés, la justice, l'éternelle et immuable justice de Dieu. Cette parfaite et indéfectible justice, telle est donc la souveraine absolue d'une nation vraiment libre et sage!

Mais si chaque citoyen doit devenir, non-seulement un homme libre, mais un homme juste, ne faut-il pas que la responsabilité de son rôle public soit constamment présente à son esprit? Devant la patrie et surtout devant Dieu, il aura à répondre de la manière dont il aura voté, jugé, administré, gouverné. Dieu lui a conféré le droit d'intervenir dans les destinées du pays: qu'à son tour il fasse intervenir sans cesse le nom et la loi de Dieu dans les mouvements de sa conscience et de son coeur. Qu'il ouvre l'oreille et l'âme, non aux meneurs égoïstes, de la foule, mais à l'équitable et bon conducteur d'une nation, au conducteur spirituel et charitable de l'humanité, au céleste souverain du monde.

C'est par la souveraineté de Dieu qu'il importe de limiter et de soutenir, d'appuyer et de contenir la souveraineté du peuple.

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