Commençons par honorer ceux de nos pères qui ont proclamé ces droits
immortels! Rendons hommage à leur mémoire ! Ils ont élevé une solide
barrière contre le despotisme, de quelque prestige qu'il puisse
s'entourer; contre le règne des privilèges, contre le régime des
grâces, c'est-à-dire des injustices! Désormais il ne sera plus
possible de méconnaître et d'outrager les libertés dont Dieu fait
présent à tout homme, la dignité naturelle du citoyen, le droit commun
à tous les enfants de la même patrie, l'autorité de la justice
originaire et l'empire de la loi primitive. L'individu est pleinement
assuré de sa vie morale et politique, en possession de ses titres à
l'indépendance de la conscience et au respect de l'honneur. L'égalité
devant la patrie, si elle n'est pas encore réalisée partout et en tous
sens, est du moins reconnue comme un droit inaliénable, comme une
propriété imprescriptible, comme là qualité propre et sacrée du
citoyen.
La déclaration de ces droits était nécessaire, et
reste acquise aux nations. Mais suffit-elle au bonheur d'un peuple, au
bonheur des citoyens? Vous allez voir qu'elle demande un complément
indispensable.
En effet, que faut-il pour qu'un droit puisse
s'exercer? Ne faut-il pas, du côté de ceux sur qui il doit être
exercé, l'accomplissement d'un devoir?
Si vous ne respectez pas mon droit, si vous
cherchez à en gêner l'usage, mon droit devient nul. Si je ne songe pas
à vous aider dans l'usage de votre droit, si je me moque de vos justes
prétentions, si je vous empêche d'aller et de venir à votre gré, de
faire une franche profession de vos opinions et de vos croyances, si
je néglige ou m'abstiens d'accomplir le devoir qui
correspond à votre droit, ce droit, si légitime qu'il soit, devient
illusoire et vain. Ainsi, ne faut-il pas accompagner la déclaration
des droits d'une déclaration des devoirs? Oui, il le faut pour bien
des raisons, et je n'en citerai qu'une seule.
Nous sommes tous, cela est incontestable, beaucoup
plus disposés à appliquer nos droits qu'à remplir nos devoirs, à faire
valoir nos titres personnels qu'à respecter les titres d'autrui. Cette
disposition tient à notre égoïsme naturel, égoïsme que nul homme de
bon sens ne songe à nier. Qu'arriverait-il donc, si les membres d'une
société étaient tous uniquement occupés d'exercer leurs droits? si,
loin de se faire de mutuelles concessions, ils ne pensaient qu'à se
montrer impérieux et exigeants les tins envers les autres? En
naîtrait-il cette paix, privée et publique, le but à la fois et le
signe d'une bonne constitution sociale? Non, c'est la guerre qui en
résulterait infailliblement, et de toutes les guerres la plus horrible
et la plus odieuse!
Que si chacun de nous est naturellement porté à
proclamer, à imposer ses droits, il est nécessaire de rappeler chacun
à ses devoirs, c'est-à-dire, au respect des droits d'autrui. oui, nous
avons tous besoin d'un contrepoids et d'un appui, dans la pratique de
nos libertés : d'un contrepoids, sans lequel nous tombons du côté où
nous penchons ordinairement, du côté de nos exigences personnelles;
d'un appui, sans lequel nous inclinons à mépriser
les légitimes prétentions des autres, le droit du prochain, Sans cet
appui, sans ce contrepoids, nulle garantie solide, nulle durée, ni
pour nos droits, ni pour les droits d'autrui. Nul ordre durable :
puisque, si je ne rougis pas d'abuser de mes droits, mon voisin ne
craindra pas d'outrepasser les siens : je le blesse, il me blessera,
et personne ne sera plus protégé, et rien ne sera plus respecté.
Aujourd'hui donc, comme nous n'avons plus à
redouter que la tyrannie d'un seul ou de plusieurs nous ravisse nos
droits naturels, ce qu'il importe, c'est de faire en sorte qu'une
déclaration des devoirs contre-balance et soutienne en même temps la
déclaration des droits. Je dis contre-balance : car, dès qu'il n'y
aura plus d'équilibre, ou plutôt, dès que les devoirs ne l'emporteront
plus, en nous et dans la patrie, sur les droits; dès lors, soyons-en
certains, il n'y aura plus qu'une suite de calamités civiles. Je dis
soutienne ensuite, parce; que tout ce qui n'est pas mesuré et limité,
en fait d'oeuvres et d'institutions humaines, manque de fondement et
de force.
Ce qui importe aujourd'hui, c'est de nous souvenir
de nos devoirs! Les droits se souviendront d'eux-mêmes et très
spontanément : notre coeur les oubliera d'autant moins qu'il est plus
disposé à oublier ses obligations.
Évidemment, pour guérir, pour sauver la société,
c'est cette déclaration des devoirs qu'il est urgent de répandre.
Or, qui la répandra le plus promptement et le
mieux? De celui qui nous parlera au nom des hommes, ou de celui qui
nous parlera au nom de Dieu ?
Puisque tous les hommes sont plus ou moins
égoïstes, ils semblent mal reçus et peu fondés à nous prêcher le
devoir. Cette prédication, pour être persuasive et efficace, doit être
faite par un Être infiniment dévoué, c'est-à-dire par Dieu même. C'est
Dieu qui nous a conféré nos droits, c'est donc Dieu qui est
particulièrement autorisé à nous prescrire des devoirs. Comme il nous
a tout donné, il est aussi en droit de nous demander quelque chose. Et
ce qu'il nous demande, n'est-ce pas de respecter les justes
prétentions de nos semblables, d'aimer le prochain ? C'est lui qui
vient nous prescrire nos devoirs, de par son sublime privilège
d'autour du monde et de créateur des hommes.
De sorte que cette déclaration de devoirs n'est, en
réalité, qu'une déclaration des droits de Dieu.
Compléter la déclaration des droits de l'homme par
la déclaration des droits de Dieu, voilà ce qui suffit. Au contraire,
proclamer les droits de l'homme, à l'exclusion des droits de Dieu,
voilà ce qui ne suffit pas. Cette dernière proclamation, au lieu de
ramener la paix en nous et hors de nous, n'aurait visiblement d'autre
effet que l'anarchie des âmes et des États, que la haine sociale et un
bouleversement universel. Aussi celui-là seul sera notre bienfaiteur,
notre sauveur, qui saura faire revivre le culte du
devoir, le respect des droits de Dieu' qui saura faire triompher, dans
la vie des individus et dans la vie publique, le sentiment
d'obligation et de reconnaissance sur la passion de jouir et de
commander, ou le désintéressement sur l'égoïsme. Une constitution
purement politique pourra-t-elle opérer ce miracle et nous procurer un
tel bienfait? Un législateur purement humain sera-t-il capable de nous
rendre un service pareil?
Rien de plus précieux, rien de plus séduisant que la liberté. Toutes
les nations qui ont paru avec éclat sur la scène de l'histoire, tous
les individus qui ont cherché à vivre honorablement, plaçaient la
liberté au premier rang des biens terrestres. Ils ne voulaient
dépendre que d'eux-mêmes, ne se gouverner que par eux-mêmes, ne
grandir que pour eux-mêmes. Être aux pieds d'un tyran, aux ordres
d'une caste, à la merci d'un privilège quelconque, être dans la
servitude enfin, voilà ce qui répugne le plus à tout coeur noble, à
tout esprit élevé; et voilà pourquoi nous devons garder avec vigilance
le dépôt de la liberté civile et politique.
Il y a plus : puisque la liberté est chose si
précieuse, ne faut-il pas faire en sorte que chacun la possède? Sans
doute. Mais, pour que chacun la possède, suffit-il
que nos législateurs la décrètent? Suffit-il qu'ils déclarent à la
face du public, par les voies les plus solennelles. Chaque homme,
quelle que soit sa condition, est libre, et chaque citoyen doit être
son propre maître ? Ce décret suffit-il? Parce que tous sont libres,
en théorie et en droit, sur le papier, tous le sont-ils en réalité et
de fait, en chair et os?
Non, évidemment : car nous sommes organisés de
telle façon que nous pouvons être à la fois libres comme citoyens, et
esclaves comme hommes !
Nous sommes esclaves comme hommes, quand nous
servons, non pas la justice, non pas la sainte volonté de Dieu, mais
nos passions personnelles et notre égoïsme. Nous sommes non-libres,
nous sommes de misérables serfs, lorsque nous obéissons aux caprices
d'un penchant, aux convoitises des sens, aux calculs de la cupidité,
aux emportements de l'orgueil, et de la haine, de la vengeance ou de
la colère; lorsque nous nous livrons complaisamment aux impulsions
fatales d'un désir coupable ou d'un vice grossier. Nous sommes
esclaves, lorsque nous ne savons ni nous contenir, ni nous abstenir,
ni nous posséder, ni nous gouverner. Nous sommes esclaves, quand nous
sommes incapables de suivre les bonnes inspirations, celles qui mènent
au désintéressement et au dévouement, à l'amour et à la charité, à la
paix et à l'inaltérable sérénité du coeur.
Sommes-nous libres, chaque fois que nous prétendons
dominer et tyranniser les autres, les forcer de
penser et d'agir absolument comme nous pensons et agissons; chaque
fois que nous refusons de nous soumettre aux lois reconnues par nos
concitoyens et peut-être votées ou faites par nous-mêmes; chaque fois
que nous insultons les autorités de notre pays, élues ou sanctionnées
par notre propre suffrage? Sommes-nous libres, alors que nous nous
refusons à respecter, à protéger la liberté de nos concitoyens; ou que
nous nous efforçons de la confisquer à notre profit, sous prétexte de
la défendre et de la mieux assurer ? En tous ces cas si fréquents,
nous ne sommes qu'instruments dociles des plus aveugles passions. Loin
de commander, de résister à nos mauvais désirs, nous avons subi, et
peut-être célébré avec joie leur funeste et pesant empire. Nous nous
appelons fièrement des hommes libres, mais nous sommes réellement le
contraire, nous sommes des esclaves.
L'histoire de l'humanité en fait foi : plus un
homme est vraiment libre, mieux il respecte la liberté d'autrui, la
loi qui protège les libertés générales et le droit commun! Moins une
âme haute veut dépendre du monde et des hommes, plus elle se plaît à
dépendre volontairement de Dieu et de sa conscience, de son meilleur
moi! indépendance d'un côté, soumission de l'autre. Qui refuse de
servir Dieu, servira nécessairement les passions qui préparent des
souffrances, le mal qui engendre des malheurs ! Telle est la condition
de notre nature. Il faut obéir à quelqu'un, relever de quelqu'un,
car nul n'est tout-puissant, nul n'est souverain absolu. La vraie
liberté consiste à choisir le bon maître à servir la bonne cause, à
s'incliner avec amour devant le créateur des cieux et de la terre. Il
ne peut y avoir aucune honte à suivre un pareil chef. Il y a bonheur
et bénédiction, pour les individus et les peuples, dans une voie si
sage et si simple, dans une voie si féconde en oeuvres de charité et
d'utilité.
Concluons-en que décréter la liberté à elle seule,
au lieu d'affranchir d'abord ceux que l'on appelle à sa jouissance, ne
suffit point pour sauver une société. C'est allumer de nouvelles
passions, tandis qu'il fallait éteindre auparavant les anciennes
passions, en les remplaçant par l'amour dévoué de Dieu et des hommes.
Concluons que le véritable libérateur du monde, qui commence par
améliorer ceux qu'il veut affranchir, procède mieux, et sait mieux
émanciper. Mettre un instrument de cette importance entre des mains
qui ignorent quel usage il en faut faire, ne vaut pas l'enseignement
préalable de l'usage même de la liberté. Si nous voulons, par
conséquent, que chaque citoyen soit aussi une personne libre,
montrons-lui que l'on ne le peut devenir qu'à la condition d'être
moral et religieux, respectueux envers les bonnes lois et les bonnes
moeurs, soumis à la bienfaisante volonté du Législateur invisible.
Apprenons-lui à aimer la liberté légale, sage, progressive, celle qui
ne prétend pas s'imposer aux autres, mais qui veut les servir avec
désintéressement, avec sympathie. Habituons-le à regarder ses
passions, son égoïsme, comme un tombeau, non seulement pour sa propre
liberté, mais pour le repos de sa patrie; à considérer l'obéissance
aux éternels desseins du Tout-Puissant, la piété, comme l'unique
élément et l'indispensable condition de la liberté! Si une liberté
sans piété est insuffisante et même malfaisante, une liberté réglée et
soutenue par la piété peut seule suffire et devenir salutaire.
Ainsi que la liberté, l'égalité est une des plus brillantes conquêtes
du monde moderne, et une conquête dont rien désormais ne nous pourra
dépouiller. Une seule et même loi, un seul et même droit pour tous les
citoyens, pauvres ou riches, célèbres ou inconnus : voilà ce qui
domine les codes des sociétés nouvelles, ou sert de base à leurs
institutions. Cette égalité-là, il est juste de la proclamer et de
l'appliquer de plus en plus ; car elle est la justice même, l'équité
même.
Mais de même que la véritable liberté n'est pas la
faculté de faire tout ce qu'on veut et comme on veut, ainsi l'égalité
véritable n'est pas un brutal nivellement de tous les genres
d'inégalités et de diversités. Le bon sens qui ne diffère pas de la
justice, le bon sens que Dieu nous a donné pour nous diriger
dans les affaires de la vie, n'exige-t-il pas que l'on distingue les
inégalités illégitimes et pernicieuses des inégalités légitimes,
naturelles ou personnelles, de ces inégalités impossibles à détruire,
parce qu'elles ont été établies par l'auteur même de la nature?
Reconnaissons donc deux sortes d'égalité : l'une, chimérique et
subversive, c'est l'égalité qui repousse toute autre différence que
celles de l'âge et du sexe, et qui voudrait prescrire à chacun la même
portion d'aliments, le même genre d'existence ou de travail, peut-être
le même costume et la même taille; - l'autre, réelle, désirable et
bienfaisante, c'est-à-dire celle qui 'accepte, à côté de l'unité de
loi et de l'identité de droit, la diversité des individus et des
familles, la variété des forces et des moyens, la dissemblance des
carrières et des travaux, la disproportion des biens et des fortunes.
Pourquoi faut-il maintenir cette seconde espèce
d'égalité, autant qu'il faut condamner la première? Parce qu'il est
impossible qu'une société subsiste sans certaines inégalités; parce
que Dieu, en remplissant le monde et l'humanité de variétés et de
contrastes, a voulu manifestement que l'inégalité fût un des éléments
de la création.
Quelques exemples feront presque toucher au doigt
cette importante, mais simple vérité.
Pour qu'une nation soit gouvernée, et il n'y a
point de société sans gouvernement, ne faut-il pas des magistrats, des
administrateurs, des fonctionnaires de plusieurs
ordres? Ces magistrats ne doivent-ils pas être investis d'une autorité
déterminée, dit droit d'ordonner, de commander à ceux d'entre leurs
concitoyens qui ne sont pas revêtus des mêmes fonctions? Voilà donc
une longue série de supériorités ou d'inégalités. Que si nous
déclarons qu'en vertu du principe d'égalité nous n'obéirons pas à ces
magistrats; qu'étant nos égaux, ils n'ont point de privilège, point
d'empire sur nous; qu'enfin tous les hommes Sont également capables,
et de se gouverner, et de régir l'État : où en sera la patrie ? ou en
sera la paix qu'elle désire si ardemment? que deviendra la société?
Dans une famille, il y a le père et la mère; Dieu
et la nature veulent qu'ils disposent du sort des enfants mineurs. Si
ces enfants, entendant mal le principe d'égalité, se rient des ordres
de leurs parents et s'estiment aussi habiles qu'eux, et aussi sages :
qu'en arrivera-t-il de cette famille?
Partout vous rencontrez des hommes mieux doués,
plus adroits, plus savants que beaucoup de leurs semblables; partout
aussi quelques hommes qui s'élèvent au-dessus des autres par leurs
vertus, leurs mérites, leur zèle pour Dieu et pour l'humanité, par
leur désintéressement ou par leur piété.
Ces hommes-là, peut-être malgré eux, se distinguent
de tout ce qui les entoure, et exercent une heureuse influence sur
leurs voisins. Vous appuyant sur un faux principe d'égalité; vous
venez les attaquer et les repousser. Nous ne voulons plus de ces distinctions-là,
dites-vous. Ces hommes se retirent; mais en mettant un terme à leur
influence, vous privez la patrie de ce qui faisait sa lumière et sa
prospérité, son repos et sa gloire. Où donc conduirez-vous, la patrie?
En méconnaissant les services rendus, en méprisant les titres
justement acquis, en condamnant l'action légitime de la bienfaisance
et du génie, de l'expérience et du dévouement, vous croyiez mettre en
pratique le principe de l'égalité : vous vous trompiez, vous cédiez à
un déplorable mouvement de jalousie ou d'envie, vous vous rendiez
coupables d'une ingratitude puérile ou révoltante.
Vous le voyez donc, il ne suffit pas de décréter
l'égalité civile et politique: il importe d'y joindre l'ambition d'une
égalité plus haute, de l'égalité devant Dieu.
Qu'entendons-nous par cet amour de l'égalité devant
Dieu? Rien autre chose que le besoin d'être, autant qu'il se peut,
agréable à Dieu; par conséquent, le besoin de rivaliser dans
l'accomplissement du devoir.
Or, comment pouvons-nous aspirer à cette égalité
spirituelle? Dieu lui-même ne cesse de nous le dire : par la modestie
et l'humilité, par la justice et la charité.
Celui-là sera le premier devant Dieu, qui aura
voulu être le dernier devant le monde. Celui-là régnera qui n'aura
cherché qu'à servir. Celui-là sera couronné de gloire, qui se sera
abaissé volontairement et joyeusement renoncé.
Ne faisons pas aux autres ce que nous désirons
qu'ils ne nous fassent pas! Dans ce conseil réside aussi le secret de
la vraie égalité: le pratiquer, c'est nécessairement respecter tout ce
qui est respectable; c'est regarder comme instituées par Dieu les
autorités et les supériorités, soit naturelles, soit sociales. En
effet, si vous étiez du nombre de ces autorités, de ces supériorités,
vous ne voudriez pas qu'on vous méconnût et qu'on vous empêchât de
remplir vos fonctions.
Alors nus ne serons pas équitables et justes
seulement envers les inégalités avouées par la justice, envers la
personne et le bien des autres, envers leur dignité, leur mérite ,
leur vocation; nous ne serons pas moins charitables et dévoués. Dieu
ne veut-il pas que nous aidions nos supérieurs à s'acquitter clé leur
devoir, ceux-ci à exercer la magistrature, ceux-là à diriger les
diverses branches de l'administration, d'autres à se livrer à des
professions utiles ou honorables, à édifier leurs semblables, à les
guérir, à les secourir, à les servir de telle ou telle façon ? Dieu ne
veut-il pas que nous ayons pour ces inégalités, non-seulement de la
tolérance, mais de la bienveillance; non de l'indulgence uniquement,
mais une sympathie agissante ? Notre bonheur, le bonheur public,
dépend de ce concours fraternel et de cette touchante harmonie.
C'est donc l'acquisition de cette vertu-là qui
importe aux citoyens libres. Là où elle ne domine pas, soyez-en
persuadés, l'égalité n'est plus qu'une exigence
appuyée sur un droit, à la vérité, mais toujours près de dégénérer en
un principe de trouble et de discorde, et de plus en plus incompatible
avec les meilleurs éléments d'union et de progrès.
Oh ! si nous pouvions nous pénétrer de cette vérité
que l'on n'est l'égal d'un homme libre qu'en s'efforçant d'être
l'homme le plus vertueux, un fidèle observateur des lois divines, le
disciple le plus obéissant de la conscience droite et de la justice
éternelle; si nous parvenions tous à comprendre que la vraie et
durable égalité consiste d'abord à se tenir tous agenouillés devant un
seul maître, à s'incliner tous volontairement devant ceux que ce
maître invisible a chargés de le représenter, qu'il a choisis
naturellement ou civilement pour nous commander : oh! alors, nous
n'aurions qu'un coeur et qu'une âme, qu'une volonté et qu'une
conscience ; alors, nous aurions concorde, paix et félicité!
Mais ce sentiment peut-il être allumé en nous et
nourri par la simple proclamation de l'égalité civile et politique ?
Il faut pour cela une autre influence, bien autrement pénétrante. Il
faut la vive conviction de notre commune faiblesse, et celle du besoin
universel de la miséricorde divine.
Celui qui saura nous donner cette conviction
sérieusement , nous rendra un service inestimable : il. complétera
l'oeuvre inachevée de nos constitutions sociales; il nous portera,
nous poussera à la conquête de l'égalité morale et spirituelle, de
l'union devant la justice divine, conquête nécessaire à
l'utile influence de l'égalité devant la loi humaine, de l'unité du
droit civil.
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