Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

INTRODUCTION

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Ce que nous cherchons tous, n'est-ce pas un Sauveur? il faut à la société un Sauveur, il faut un Sauveur au peuple : voilà ce que l'on dit, ce que l'on publie partout, là cette heure. Bien des personnes ne se contentent pas de chercher un Sauveur, elles se présentent comme tel à leur pays et même à l'humanité entière. Et leur pays, et l'humanité, et vous et moi, devons-nous les en croire sur parole?

C'est là une question très grave, que je voudrais tenter de résoudre avec vous, en causant plutôt qu'en discutant. Je voudrais essayer, en effet, ce que tant d'autres font en ce moment; c'est-à-dire, entretenir le peuple de ses plus grands intérêts. Je voudrais, de plus, ce que tant d'autres oublient de faire, traiter de ces hauts intérêts dans un esprit d'affection et de fraternelle union.
Je voudrais, avant que d'en traiter, vous convaincre que le plus ardent et le plus sincère amour des hommes est l'unique mobile de ma démarche, et que la cause des souffrances populaires m'est chère autant que sacrée.
Ce n'est point un sermon philanthropique, ce n'est pas une harangue politique non plus, que je désire vous adresser, mes chers amis : non, c'est quelque chose de bien plus simple, et quelque chose aussi de bien plus vrai. Je désire examiner avec vous, tranquillement, sans autre passion que celle de la vérité ou de l'humanité, cette importante question, cette question suprême du salut social, qui nous tourmente en sens divers. Je désire l'examiner, comme on examine entre frères une affaire à laquelle chacun s'intéresse par sympathie pour tous les autres. Oui, la sympathie préside à une semblable discussion, autant que le respect du vrai; la sympathie, cette vertu que Dieu nous donne pour que nous vivions, non-seulement en société entre nous, mais avec lui, notre céleste auteur et notre Père commun. Si c'est par pure sympathie que je veux vous dire tout ce que je pense, c'est que l'on ne cache pas ses intimes pensées à ceux que l'on aime; c'est qu'on leur doit toute la vérité en même temps que toute sa tendresse. Honte à ceux qui abusent, en les flattant, ou les rois ou les peuples; honte aux courtisans, soit de la faveur princière, soit de la popularité ! Les rois les méprisent justement, et les nations finissent par les maudire. La seule manière de bien servir ceux que l'on estime, n'est-ce pas de les traiter avec estime? En enfants chéris, si vous voulez, jamais en enfants gâtés! Je vous parlerai donc ainsi, parce que je voudrais entendre de votre part le même langage. La franchise seule sied à l'affection. Puisque nous nous aimons, soyons francs!

Or, avons-nous besoin d'être sauvés? Nous faut-il un Sauveur? La société et le peuple réclament-ils un Sauveur ?... Ce n'est pas là une question; et personne n'en est plus à se demander pareille chose. Regardons autour de nous : partout des mécontents! En haut et en bas, vous n'entendez que plaintes, que récriminations, qu'accusations mutuelles : en haut, vous entendez crier à l'ingratitude et à la rébellion; en bas, à la dureté et à l'oppression. Ceux que le peuple appelle aristocrates, bourgeois, ou les riches, les grands, ceux qu'il qualifie d'heureux de ce monde, sont-ils heureux véritablement? Non, car ils ont plus de craintes que d'espérances, plus de tribulations, connues ou secrètes, que de joies et de repos. Ceux que les classes supérieures nomment le peuple, les petits, les malheureux, seraient-ils vraiment contents, alors qu'ils seraient à leur aise, ou même opulents et puissants? Qu'ils le demandent à ceux qui sont puissants et opulents ! N'importe, ils se plaignent; et, assurément, ce n'est pas toujours à tort.
Ce mécontentement, qui d'ailleurs a paru de tout temps, pourquoi le voyons-nous éclater parmi nous avec une si terrible impétuosité? C'est que nous voulons tous être égaux, non-seulement en droits civils et politiques, non-seulement devant les lois de notre pays, mais en moyens, en fortune, en jouissances. Autrefois, le pauvre pardonnait au riche d'être riche; maintenant il dit, tantôt en lui-même, tantôt tout haut : A quel titre celui-là est-il mieux partagé que moi? Je suis citoyen comme lui ; il n'est pas plus homme que moi. Pourquoi ce privilège, pourquoi cette préférence?... Le riche, à son tour, s'irrite des prétentions du pauvre : Ce que je possède, s'écrie-t-il, je l'ai légitimement acquis, j'ai droit de le posséder, et nul n'est autorisé à me l'arracher, à m'en dépouiller! Si l'un invoque les droits naturels, les droits primitifs de l'homme, l'autre en appelle à la loi, à ces droits écrits qu'il considère comme une application des droits primitifs. Des deux côtés on prétend s'appuyer sur la justice, quelquefois avec modération, le plus souvent avec indignation ; mais des deux côtés on est mécontent.

On est mécontent de la situation générale de la société. « Cela ne peut pas continuer ainsi, dit-on de toutes parts ! L'ordre n'est plus protégé, n'est plus maintenu ; les fondements, les éléments conservateurs de la société sont renversés, sont épuisés! La liberté est violemment attaquée, ou lâchement trahie; le progrès nécessaire à toute créature humaine, ce progrès promis à tous les citoyens, est méconnu, contesté, diversement entravé. Il n'y a plus de confiance mutuelle, plus de foi civile, par conséquent plus de crédit; par conséquent plus d'affaires sûres en aucun genre ! Non, non, cela ne peut plus continuer ainsi. »

Voilà ce que vous entendez dire et redire à chaque instant. Et puis vous voyez accourir une foule de médecins se jugeant capables de guérir cette société malade, l'un avec tel remède, l'autre par un procédé contraire. Les recettes ne font certes pas défaut : nous en passerons les principales en revue. Pour le moment, qu'il nous suffise de constater que le mécontentement est presque universel, que la société parait à tous, sinon mourante, du moins très malade. Constatons que le nombre des réformateurs, des sauveurs est presque innombrable, et qu'il nous importe donc de savoir lequel d'entre eux mérite d'être consulté ou suivi. Nous connaissons le mal; tâchons de découvrir le remède et le médecin.

Que demanderons-nous à celui qui veut devenir notre Sauveur? Puisque nous sommes malades, particulièrement au moral, nous lui demanderons la santé morale, la santé de l'âme. Puisque nous sommes mécontents, nous lui demanderons de nous rendre contents. Puisque nos coeurs sont dans l'état de guerre, nous lui demanderons de leur procurer la paix. Ainsi, le signe auquel nous reconnaîtrons notre libérateur, notre bienfaiteur, notre rédempteur, c'est qu'il nous procure une triple paix : la paix avec nous-mêmes, la paix avec les hommes, nos frères, la paix avec Dieu, notre Père !

Convenez-vous que c'est là ce qu'il vous faut, ce qu'il faut à la société, au peuple, à tout homme? Vous ne le sauriez nier, si vous êtes sincère avec vous-même. En ce cas, nous sommes d'accord dès le début ; et nous allons voir si nous pouvons nous entendre de même avec les réformateurs actuels du monde. Nous croyons sans difficulté qu'ils veulent tous nous faire du bien, améliorer notre sort, nous conduire même de progrès en progrès : nous respectons leurs intentions, et nous y applaudissons de grand coeur ; mais les meilleures intentions ne sont pas tout, si elles ne sont accompagnées d'un heureux choix de moyens parfaitement convenables. C'est aux moyens, c'est aux voies qu'il s'agit surtout de regarder. or, les moyens se font reconnaître aux effets, aux fruits. Si les effets sont salutaires, si les fruits sont bons, il est clair que les moyens le sont aussi. Si les fruits des réformes, des changements que vous proposez, nous donnent la paix, cette triple et durable paix dont nous venons de parler, oh! alors, nous les embrasserons avec confiance, avec reconnaissance; alors nous vous saluerons vous-mêmes du titre de sauveur!

Toutefois, en examinant ces divers projets de régénération sociale, n'êtes-vous pas frappés d'abord que les uns sont bons par un côté, mais insuffisants et incomplets ; tandis que les autres, mauvais de tous points, ne sont ni praticables ni désirables? Ainsi, suffit-il de proclamer les droits de l'homme et du citoyen? de décréter la liberté, l'égalité, la fraternité? de déclarer que le droit au bonheur, au progrès, appartient à tous? que la souveraineté du peuple est l'unique chose nécessaire? que la vertu civile et civique, le patriotisme, est le principal? que l'éducation publique est la grande ressource d'un état florissant et d'un avenir prospère ? que l'organisation du travail ferme à jamais l'abîme des révolutions?

Ainsi, pouvez-vous approuver ceux qui, pour réformer nos sociétés, pour établir, disent-ils, le règne de Dieu sur la terre, demandent d'emblée qu'il n'y ait plus de propriété, plus de famille, plus de religion?
Sans doute, entre ceux qui proposent des remèdes insuffisants et ceux qui conseillent l'usage du poison, il existe une différence profonde que nous aurons soin de mettre en lumière ; mais, les premiers même méritent-ils ce titre de Sauveur, qu'il faut absolument refuser aux autres? C'est là ce que nous avons intérêt à rechercher, car nous avons besoin de paix; car, encore une fois, nous obéirons avec gratitude à celui qui nous donnera la paix avec nous-mêmes, avec nos frères, avec Dieu; à celui dont les bienfaits nous feront dire, comme à l'armée des anges: Gloire soit à Dieu au plus haut des cieux, paix sur la terre, bonne volonté envers les hommes! (Saint Luc Il, 14.)

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