Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'Église en exil

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DANIEL, chap. XI

Ce chapitre est comme un miroir de Dieu placé devant les peuples et les souverains. Il n'est ni réjouissant ni édifiant, mais il est salutaire et nécessaire. La première figure que nous ayons en vue est un des quatre rois dont il est dit : « Il amassera plus de richesses que tous les autres; et quand il sera puissant par ses richesses... » (2), il déclarera la guerre à son voisin. Surviendra un second roi, dont la fortune sera plus grande encore et il emploiera ses richesses pour s'armer, puis viendront un troisième et un quatrième roi, qui agiront de même, et ainsi se poursuit ce long, très long chapitre.

Lorsque l'argent et la puissance ne suffiront pas pour atteindre leur but, ils recourront à la ruse. Les moyens les plus condamnables et les plus pervers ne leur suffiront pas. L'un d'entre eux prostituera sa propre fille avec son ennemi «afin de rétablir la concorde » (6). D'un autre il est dit: «Il se proposera d'arriver avec toutes les forces de son royaume, et de conclure la paix avec le toi du midi; il lui donnera sa fille pour femme, dans l'intention d'amener sa ruine; mais cela n'aura pas lieu et ne lui réussira pas » (17). Puis vient un roi qui n'aura pas de succès. C'est celui qui, immédiatement après son couronnement, « fera venir un percepteur des impôts dans la plus belle partie du royaume; mais en quelques jours il sera brisé, et ce fait ne se produira ni dans un mouvement de colère, ni dans une bataille» (20). Son successeur a plus de succès: «Un homme méprisé, à qui la dignité royale n'était pas destinée » (21). Il sortira inopinément de la masse du peuple et montera sur le trône. Sa principale arme sera la parole: « Il paraîtra en pleine paix, et s'emparera du royaume par l'intrigue» (21). Sa puissance ira grandissant et, «à la tête d'une grande armée, il dépensera sa force et son ardeur contre le roi du midi » (25). Ce mot terriblement actuel retentit avant la déclaration de guerre et avant l'ouverture des hostilités : «Les deux rois, au fond de leur coeur, ne songeront qu'à se nuire et à la même table ils se parleront avec fausseté. Mais cela ne réussira pas » (27).
Le dernier roi qui apparaît dans ce miroir des peuples modernes et des souverains présente cette particularité qu'il fera ce qu'il voudra; «il s'élèvera, il se glorifiera au-dessus de tous les dieux, il dira des choses incroyables contre le Dieu des dieux» (36). Il n'aura égard à personne, pas même aux lois de la nature: «Il n'aura égard ni à la divinité favorite des femmes ni à aucun dieu, car il se glorifiera au-dessus de tous» (37). Mais, il choisira un dieu étranger qu'il mettra à la place de Dieu, (de dieu des forteresses» (38). « Avec l'aide de ce dieu étranger, il attaquera les remparts des forteresses ; il comblera d'honneurs ceux qui l'adoreront, il les fera dominer sur plusieurs et il leur partagera le pays comme récompense» (39).

Ainsi, l'ange de l'Éternel fait défiler sous les yeux de Daniel, dans une vision étonnante, quelques siècles de l'histoire du monde. On pense involontairement à cette parole des Psaumes : «Tu les mènes comme un fleuve». Ces rois avec leurs peuples montent et descendent comme les flots de la mer. L'un renverse l'autre. Comme une vague succède à une autre, ils se ressemblent tous. Argent - pouvoir - ruse, ruse - pouvoir - argent, c'est le vieux chant toujours actuel, déclamé avec une monotonie mortelle.

Une seule question ressort de cette vision : Où est la Parole de Dieu? N'y a-t-il vraiment, dans toutes ces cours, aucune bouche qui s'ouvre de la part de Dieu ? N'y a-t-il aucun doigt dirigé vers le Très-Haut ? Où est un Abraham qui, sous le ciel étoilé, joint les mains devant Dieu en faveur de Sodome et de Gomorrhe? Où est un Moïse qui monte sur la montagne et confesse devant Dieu: « Ce peuple a commis un grand péché.

Ils se sont fait des veaux d'or. Pardonne maintenant leur péché I Sinon, efface-moi de ton livre que tu as écrit»? N'y a-t-il donc nulle part un Nathan qui s'élève contre l'abomination du roi et lui dise en face : « Tu es cet homme-là » ? Et où est ici Daniel qui montre à ces rois leurs limites ? N'y eut-il point de Jean-Baptiste qui dit à Hérode: «Il ne t'est pas permis d'avoir la femme de ton frère » ? Pourquoi n'y a-t-il pas d'Amos qui dise : «À cause de trois crimes, même de quatre, je ne révoque pas mon arrêt»? Non. Ce sont les siècles pendant lesquels «la parole de Dieu est rare dans le pays ». Cependant il y a une Église. Mais elle remplit trop mollement sa mission sainte de sentinelle. Elle s'est comme éclipsée de la terre et le malin agit sans être contrecarré. Ces longs versets parlent puissamment de ce qu'ils taisent (ils rappellent en cela le chapitre V). Le silence parle aussi. De même que le désert soupire après la rosée du ciel, ces versets exhalent une soif ardente de l'Église, porteuse de la Parole de Dieu.

Vers la fin de ce chapitre se passe quelque chose comme lorsque dans le lit d'un ruisseau desséché, l'eau qui coulait sous terre reparaît soudain, à la surface. Un de ces rois, le dernier et le plus violent de tous, rencontre une résistance nouvelle. Les rois précédents ont eu, comme adversaires, leurs pareils, et ils en sont venus à bout, jusqu'au moment où un plus fort est survenu qui les vainquit tous. Le dernier roi rencontre une résistance d'une tout autre nature. Soudain et sans avertissement il est question d'une « alliance ». A différentes reprises il est fait allusion à cette «alliance sainte » (28, 30, 32) contre laquelle le roi « sera hostile dans son coeur » (28).

Nous arrivons ici à ce mystère plein de consolation qui demeure, au travers des temps les plus sanglants et les plus pervers, et qui est le fait de l'alliance de Dieu avec les hommes. Il y a eu dès les jours de Noé, perpétuellement, jusqu'à nous, un arc tendu entre le ciel et la terre pour servir de signe. Dieu n'a jamais entièrement abandonné la terre, même lorsqu'il y eut des temps où sa parole parut s'être tue à jamais et où il ne donna aucun «signe de vie ». Même si le lumignon ne jette qu'une lueur si faible que l'oeil puisse à peine la discerner, Dieu ne l'a jamais éteint. Dieu n'a jamais tranché le dernier cordage qui relie l'embarcation terrestre au rivage de l'éternité. Ceci est le mystère admirable de l'Église sur la terre. Souvent, il est vrai, il n'y eut plus qu'un seul homme à qui Dieu jeta, tel un lasso, la corde de l'alliance. Souvent, il y eut des périodes pendant lesquelles aucun homme ne sut qui était cet élu, ni comment il s'appelait. Mais Dieu relia cet élu au monde d'en-haut.

Cet homme unique qui incarnait l'alliance avec Dieu appartenait à un peuple mis à part, que Dieu s'est choisi parmi les autres peuples. Un petit peuple seulement, peut-être le plus petit et le plus inutile de tous. Mais déjà dans l'alliance que Dieu conclut avec l'Hébreu Abraham, il a en vue « l'alliance éternelle » avec tous les peuples : «Toutes les nations de la terre seront bénies en toi ». Toutes les nations! Dieu veut adresser sa parole à toutes les nations : «Allez par tout le monde, faites de toutes les nations des disciples ». Ainsi retentit l'ordre de marche du Seigneur de l'Église. Le même Seigneur reviendra à la fin des temps «et toutes les nations seront assemblées devant lui». Les peuples, comme peuples, ne lui sont pas indifférents. Le salut des nations lui tient à coeur autant que celui d'une seule âme.

Il n'y a aucun peuple sur terre avec lequel Dieu n'ait conclu «l'alliance sainte » en Jésus-Christ. L'Église chrétienne, depuis son origine, est pour ainsi dire une Église nationale, parce qu'elle est une Église des nations. Mais prenons garde! L'Église de Christ n'est une Église nationale que dans ce sens restreint que Christ a établi son Église dans chaque nation. Jamais elle ne peut être l'Église du peuple dans ce sens fatal qu'un peuple comme tel serait l'Église, et que, par là, l'Église et le peuple se confondraient comme une feuille se confond avec une autre feuille. Jamais un peuple ne pourra, comme tel, représenter l'Église de Christ. Le Christ seul est le fondement et la pierre angulaire de son Église, jamais un peuple, même pas le «peuple de l'Église ». Jamais l'Église ne peut recevoir sa mission de la part d'un peuple, ni même d'un pouvoir d'État, mais uniquement de son Seigneur, le Christ, et par Sa Parole. L'Église de Christ est dans le peuple, mais elle n'est pas le peuple.

L'Église n'est pas simplement un élément essentiel d'un peuple ou d'une alliance internationale; mais, par le fait qu'elle vient du ciel, elle demeure au milieu du peuple et du monde comme un corps étranger. Le simple fait qu'il doive y avoir une Église offense le sentiment national du peuple. Le peuple n'aime pas à reconnaître qu'il est un peuple perdu - certificat de pauvreté spirituelle - si Dieu ne le lie pas à lui par le ministère des intercesseurs sacerdotaux, de sentinelles et de missionnaires sans lesquels il sombrerait sans espoir dans les ténèbres. C'est pourquoi, partout où l'Église de Dieu sur cette terre reconnaît sa tâche et exerce sans la trahir sa mission voulue de Dieu, elle est une Église étrangère qui ne vit pas en bons termes avec le peuple. Normalement, elle devrait être en relations tendues avec lui.

Cette tension entre l'Église et le peuple, dont Daniel témoigne spécialement dans le chapitre xi, peut se transformer en une persécution ouverte. Tout ce qui, en temps paisible, s'est gangrené dans une Église du peuple devient alors manifeste. Le plus curieux, dans cette persécution de l'Église, consiste en ce fait qu'elle se passe, au début, sans répandre de sang, d'une façon paisible pour ainsi dire. « Le roi portera ses regards sur ceux qui auront abandonné l'alliance sainte » (30). Il se comportera d'abord avec prudence et circonspection contre « l'alliance sainte». À la suite des promesses royales, les masses déserteront «l'alliance sainte ». L'Église se verra réduite à un petit noyau. Le danger des promesses, les subventions de l'État furent de tout temps pour l'Église un danger plus grand que celui des menaces (dépossession des biens de l'Église). Daniel ne se lasse pas de démontrer les dangers et les tentations vraiment diaboliques qui peuvent devenir un piège pour l'Église de Dieu dans tous les peuples : «Il séduira par des flatteries les traîtres de l'alliance » (32).

La tentation par menaces et recours à la force suit la tentation par les bonnes paroles. Qui résiste aux flatteries du roi « succombera à l'épée et à la flamme, à la captivité et au pillage » (33). Un temps plein de danger commencera pour l'Église. Ce sera le temps où les enfants trahiront leurs parents, le temps de la délation et de la dénonciation au sein des familles. «Et plusieurs se joindront à eux par hypocrisie » (34).

«Mais le peuple de ceux qui connaissent leur Dieu prendra courage et il agira. » Ce petit troupeau sera à nouveau et magnifiquement consolé pour sa mission divine; il accomplira l'oeuvre qui lui est assignée et demeurera auprès du peuple. «Et les plus sages parmi eux instruiront la multitude » (33). En ces temps de grandes afflictions, l'Église elle-même sera passée au crible et purifiée: «Quelques-uns des hommes sages succomberont, afin qu'ils soient passés au creuset, affinés et purifiés jusqu'au temps de la fin » (35).

Ici nous arrivons à nous rendre compte de toute la portée du fait que Dieu a établi une Église au sein du peuple suisse auquel nous appartenons, selon le conseil de sa volonté. Au centre de notre pacte fédéral - alliance offensive et défensive que nos ancêtres ont jurée entre eux dans la détresse de leur temps - Dieu a placé la « Sainte alliance », qui n'a pas été conclue par les hommes, parce que les hommes n'auraient jamais pu la conclure. Beaucoup de belles et bonnes choses ont été dites, à tort ou à raison, dans le monde entier, à la louange de notre patrie, mais ce qu'on peut dire de plus beau et de meilleur à son sujet c'est que notre peuple est au nombre des nations auxquelles le Christ pensait lorsqu'il confia aux disciples cette mission : «Allez et faites de toutes les nations des disciples ».

Dieu, dans sa grâce, a jeté un coup d'oeil miséricordieux sur notre petit pays et l'a saisi avec l'ancre de « l'alliance sainte » afin qu'il ne sombre pas dans l'éphémère. On appelle dans nos livres d'histoire l'alliance des vieux confédérés une «alliance éternelle». Comme tout ce qui est humain, ce pacte ne peut être éternel. Mais une alliance éternelle est offerte à notre peuple par un appel d'en-haut. Et, même si notre peuple venait à disparaître - ce ne serait pas le premier qui viendrait à disparaître - ce ne serait pas pour toujours : Notre peuple devra comparaître devant Dieu lors du jugement dernier, puisque Dieu a édifié son Église au sein de notre peuple. Le Seigneur de tous les peuples dit: « Toutes les nations seront assemblées devant moi ». Dieu, dans sa condescendance, a donné une Église à notre peuple, c'est l'alliance de grâce, l'alliance sainte et éternelle.

Le plus grand bien, dont nous devrions rendre grâce au seul Seigneur de tous les peuples, est qu'il envoya un saint Paul aux païens, et, plus tard, des moines irlandais pour apporter son joyeux message dans nos vallées païennes, et pour établir une Église de Dieu dans nos forêts nordiques. C'est là en un sens le plus grand bienfait auquel nul autre n'est comparable. Tous les autres biens sont passagers, mais celui-ci est éternel. Que serait la liberté, notre plus grand bien terrestre - que nous apprenons d'année en année à apprécier davantage - sans cette autre liberté mystérieuse, qui s'appelle « la liberté des enfants de Dieu » ? Nous considérons comme notre bien terrestre le plus précieux la nationalité suisse que nous recevons en venant au monde. Mais que, par le baptême, nous soyons appelés et inscrits dans la bourgeoisie éternelle du ciel; ceci est le bien suprême. Nous avons à rendre grâces pour cette lettre de bourgeoisie et ce certificat d'origine éternels. Le Jeûne fédéral célébré d'année en année, témoigne de notre reconnaissance.

Mais nous devons reconnaître que l'Église, qui fut établie et instituée par Dieu sur les peuples d'Europe, a vendu son droit d'aînesse contre un plat de lentilles, en échange de la faveur de l'État. Elle a ainsi vendu, à vil prix, sa liberté et sa mission éternelle envers le peuple. Elle s'est rendue semblable au monde, en se libérant du lien qui la rattachait à Dieu, par sa Parole. Elle a laissé glisser l'alliance de ses mains et a perdu ainsi son armure et ses pleins pouvoirs. En abandonnant la Parole de Dieu, elle est devenue toujours moins dans le peuple un corps étranger d'origine divine; le lien entre le ciel et la terre s'est relâché, puis dissous. Nous sommes souvent pris d'un sentiment d'inquiétude parce que le peuple n'écoute plus la Parole de Dieu, parce qu'il ne voit plus en elle la «Parole de Dieu » et ne la considère plus que comme le bavardage d'une propagande et d'une opinion humaine. Il n'y a plus même de protestation contre l'Église. C'est pourquoi, comme membres de l'Église, nous avons à faire pénitence et à nous convertir, à revenir radicalement et sans retour à la mission première que Dieu confia à l'Église, lorsqu'il l'envoya à notre peuple. Le plus grand service que l'Église puisse rendre au peuple est, non pas de prêcher la repentance, mais de se repentir elle-même. Tant que l'Église n'est pas redevenue l'Église et tant qu'elle ne se souvient pas de « l'alliance sainte », le peuple ne peut plus l'écouter.

Mais peut-être que l'Église ne peut plus même faire cela. Elle ne peut plus, par elle-même, faire pénitence. Il ne semble pas que l'Église de notre peuple soit prête à la repentance, cependant elle a manifestement besoin de se repentir « afin qu'elle soit épurée, purifiée et blanchie » (35).

L'Église, qui parle vraiment au peuple, ne peut être que l'Église souffrante. Christ le veut ainsi; il veut souffrir dans les peuples et pour les peuples. Il veut souffrir également pour notre peuple. Les peuples doivent avoir - nous le voyons dans tous les journaux qui se répandent en accusations réciproques, dans la politique intérieure comme dans la politique extérieure - un bouc émissaire. Tous cherchent un dos qui s'offre à eux pour qu'ils puissent le flageller. Le Christ a rendu ce service au monde et aux peuples. Et il veut continuer à le rendre, afin que son Église puisse souffrir parmi les peuples «en tant que sel et que lumière». « Vous serez haïs de toutes les nations » (Matthieu XXIV). Ceci est l'exil de l'Église.

Souffrir, se repentir, jeûner pour le péché du peuple est le plus noble et le meilleur service que l'Église de Christ puisse lui rendre et qui lui soit prescrit. Le fait que Dieu, pendant quelque temps, n'a plus demandé cela à l'Église, mais en a chargé d'autres, les athées et les Juifs, ne doit-il pas nous alarmer grandement ? Mais, par le réveil, l'Église marchera à nouveau, par la grâce de Dieu, sur les traces de Christ; elle souffrira comme un bouc émissaire pour le péché non pardonné du peuple. L'Église est appelée la première à souffrir parmi les nations.

Je n'ose pas poser la question de savoir qui veut appartenir à cette Église pour le salut de notre peuple suisse. Les pleins pouvoirs pour poser cette question me manquent. Mais le Christ, le Seigneur de l'Église, peut apparaître un jour à tel ou tel d'entre nous et lui poser cette question. Devant cet appel, on ne peut que prier et supplier. Un Suisse ne peut aller au-devant de ce jour, où il devra choisir entre « le dieu des forteresses» et le Crucifié, que dans la prière et les supplications.

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