DANIEL,
chap. XII
Dieu, dans sa volonté sainte,
se sert d'un homme politique pour en faire son
prophète. Daniel est homme d'État des
pieds à la tête. Il n'a pas davantage
choisi sa vocation divine de prophète que sa
vocation terrestre. Tout jeune, sa vie a
été orientée dans
l'activité politique. Dès le jour
où il vit sa ville natale
assiégée et prise d'assaut par les
armées étrangères et fut
emmené avec d'autres otages de choix
à Babylone, il mit ses capacités de
travail au service d'un roi étranger,
d'abord en qualité de page, et plus tard
comme ministre. Il est le bras droit de
différents tyrans. Il est à tel point
homme d'État que sa pensée est
constamment préoccupée par les grands
problèmes de politique mondiale. Aussi
peut-il dire après les grandes heures de sa
prophétie : «Puis je me levai, et je
m'occupai des affaires du roi»
(DANIEL
VIII, 27).
Il n'est pas surprenant que le
livre
entier dont nous avons
médité la parole vivante, chapitre
après chapitre, ne traite que de politique
et d'histoire mondiale. Toujours à nouveau,
des rois et leurs peuples, des peuples et leurs
rois, se rangent en bataille. Nous entendons parler
d'intrigues de cour et d'abdications, de guerres et
de défaites, de victoires et d'ivresse de la
victoire. Nous nous trouvons tantôt au
banquet royal, tantôt dans la chambre du roi
et nous jetons un coup d'oeil sur ses affaires
privées et ses pensées les plus
secrètes. Ce n'est nullement surprenant si,
au cours de cette série de
prédications durant laquelle il n'a
été question que de Daniel, l'un on
l'autre de nos auditeurs se soit retiré,
tenu à distance, ou se soit douloureusement
posé la question : « La politique
ressort-elle du domaine de la chaire ? »
« Parler politique, méchant parler.
» Qui veut oublier derrière les murs de
l'église les réalités de ce
monde, les voiler derrière des nuages
d'encens et se noyer dans des paroles onctueuses
interprète mal la Bible et
spécialement le prophète Daniel. Car
cet homme se tient les deux pieds campés sur
terre et se charge de voir les choses en face et de
les interpréter.
Daniel est un enfant du monde,
un
homme du monde dans le meilleur sens du terme. Il
exerce sa charge là où la politique
est la plus vile et la plus sanglante. Il a
certainement été toujours à
nouveau tenté de résilier ses
fonctions et de s'enfuir là où la
résistance contre Dieu
serait moins grande et où il eût
été plus facile d'être pieux.
Mais Dieu n'a pas permis qu'il y parvînt.
Ainsi, il a rempli la fonction qui lui était
assignée, non en soutane, ni sous le manteau
du prophète, mais en simple civil. Il s'est
tenu à la cour du roi étranger dans
un état de faiblesse et de grande
impuissance, mais sans céder. Dieu soit
loué, cet homme a résisté aux
conflits surhumains provoqués par les
problèmes qui, aujourd'hui, commencent
à nous étreindre, les rapports entre
l'Église et l'État, l'Église
et le monde, le royaume de Dieu et les royaumes
humains! Dieu soit loué, Daniel a
traversé les périls de son temps, du
nôtre et de tous les temps - jusque dans la
fournaise et jusque dans la fosse aux lions - dans
la présence de Dieu! Dieu soit loué,
le Maître des peuples et des souverains nous
a montré cet homme qui se tient les deux
pieds sur la terre et en même temps les deux
mains élevées vers le ciel et qui
écrit, avec des lettres de feu, la
volonté sainte de Dieu dans la conscience
des peuples et des souverains!
Ce qui se passe, maintenant,
dans ce
dernier chapitre du prophète Daniel, nous
apparaît comme si Dieu voulait accorder une
sorte de récompense pour sa conduite
à cet homme qui est resté,
jusqu'à la fin, si passionnément
attaché au monde. Dieu lui
révèle ce qu'il adviendra de cette
terre, à la fin des temps. Il est
accordé au prophète de contempler
encore la dernière
période de l'histoire du monde, dont le
cours l'a toujours préoccupé. C'est
pourquoi il plane sur ce dernier chapitre, qui
semble cependant banal, comme un lustre solennel.
Il s'y passe quelque chose de semblable à la
sonnerie des cloches du samedi soir, après
une dure semaine de travail.
Le sabbat n'est pas encore venu,
le
jour du repos n'est pas encore là. Une
longue nuit sépare encore ce soir du dernier
matin. Ce que Daniel voit de la dernière
période de l'histoire du monde est une nuit
profonde. * Ce sera un temps de détresse,
tel qu'on n'en aura jamais vu de pareil depuis
qu'il existe des nations jusqu'à ces
jours-là» (1). C'est comme si une
dernière fois la terre voulait bien
être encore la vieille terre; comme si elle
voulait jouir et profiter du temps qui lui est
accordé avant de céder la place
à la nouvelle terre. Toutes les puissances
des ténèbres pressent le pas et
redoublent d'efforts, comme si elles tentaient
d'échapper à leur perte imminente.
À la fin des temps, le monde se parera des
teintes les plus riches comme la nature en automne.
Lorsque l'enfer bat la générale il le
fait par peur devant celui qui est plus fort que
lui. « Les démons croient en lui, et
ils tremblent.» Lorsque le mal sera
déchaîné et que les hommes
vivront une époque de détresse
«telle qu'il n'y en eut point depuis que les
nations existent », le dernier assaut de
l'enfer sera sur le point de se
déchaîner. Il nous est dit: «En ce
temps-là, ceux de ton peuple qui seront
trouvés inscrits dans le livre seront
sauvés»
(1).
La première
caractéristique des derniers temps est une
détresse telle qu'il n'y en eut jamais de
mémoire d'homme. Plus loin, il est dit que:
«Plusieurs de ceux qui dorment dans la
poussière de la terre se réveilleront
»
(2).
La mort sera supprimée,
deuxième caractéristique des derniers
temps. La mort est la marque de ce monde. Nous
marchons tous sous sa bannière
internationale. La dernière chose à
laquelle nous pouvons penser est la mort. Mais
cette puissance majestueuse sera entravée et
affaiblie dans son oeuvre. Les morts entendront de
la part de Dieu un appel à la vie, et les
sépulcres qui, de par sa volonté,
étaient tenus scellés sous la
puissance de la mort, s'ouvriront. Ainsi viendra la
délivrance après la grande
tribulation. C'est une révélation
inouïe qui est faite au prophète. Il
peut entendre et voir ce que personne avant lui
n'avait vu et entendu avec une pareille
clarté. Pouvons-nous nous étonner de
ce que Daniel reconnaisse humblement : «
J'entendis mais je ne compris pas»
(8)
? Comprenons-nous mieux ceci,
nous qui pourtant connaissons Jésus-Christ,
« prémices de ceux qui sont morts»
? Cette résurrection des morts ne
surgit-elle pas comme un dernier miracle devant
lequel nous devons nous incliner ?
La troisième
caractéristique des derniers temps est qu'ils
n'apporteront
pas
l'harmonie universelle, l'apaisement de toutes les
oppositions. Les contrastes et les
différences subsisteront: «Plusieurs
seront affinés, purifiés,
passés au creuset; mais les impies agiront
avec méchanceté, et aucun d'eux
n'aura la sagesse de comprendre»
(10).
L'iniquité contre Dieu
ne cessera pas, elle augmentera plutôt,
«l'holocauste perpétuel cessera et le
culte abominable du dévastateur sera
établi »
(11).
Mais il y aura une
séparation, un triage et un choix des plus
mystérieux. Le triage révélera
ceux qui sont «inscrits dans le livre» et
ceux qui ne le sont pas. Dieu lui-même
n'unira pas ce qui est séparé, mais
séparera ce qui est uni. «Plusieurs de
ceux qui dorment dans la poussière de la
terre se réveilleront. » Plusieurs !
Mais parmi ceux qui se réveilleront, «
les uns se réveilleront pour la vie
éternelle, et les autres pour l'opprobre,
pour la honte éternelle »
(2).
Cette séparation qui aura
lieu à la fin des temps n'est pas moins
mystérieuse que la résurrection des
morts. Qui peut comprendre ces choses ?
Il en est un qui a parfaitement
compris la signification de ce chapitre :
Jésus-Christ, le Seigneur. D'après
tout ce que nous savons sur les derniers
événements, d'après les
révélations de Christ, nous pouvons
affirmer que les yeux de notre Seigneur se
posèrent souvent sur ce dernier chapitre du
livre de Daniel. Ce qu'il nous dit sur les derniers
temps correspond dans les
grandes lignes - souvent même mot à
mot - à ce que Daniel voit ici. Les
Évangiles, eux aussi, parlent de « ceux
qui sont bénis de Dieu et des maudits»,
d'une grande séparation et d'un jugement,
d'une résurrection des morts, de
persécutions, de guerres, de
soulèvements et d'époques de
détresse qui précéderont les
derniers temps. Jésus aussi dit aux siens :
«Réjouissez-vous de ce que vos noms
sont écrits dans les cieux».
Un détail du tableau des
derniers temps qui fut montré à
Daniel nous frappe. C'est que les docteurs de
l'Église soient mentionnés;
«ceux qui auront été
intelligents resplendiront comme l'éclat du
firmament, et ceux qui en auront amené
plusieurs à la justice brilleront comme les
étoiles, à toujours et à
perpétuité»
(3).
Comment faut-il comprendre ceci
? Jésus dit un jour à la multitude :
« Alors les justes resplendiront comme le
soleil dans la maison de mon Père».
Cette parole étrange de Daniel, relative aux
docteurs de l'Église, est
éclairée par les paroles que
Jésus répète à maintes
reprises : dans les derniers temps, le danger de
séduction, de fausses doctrines et
d'apostasie sera particulièrement grand. De
faux prophètes se présenteront en
vêtements de brebis, mais ce seront des loups
ravisseurs qui en séduiront beaucoup. Le
ministère de docteurs de l'Église
prend par là une signification
spéciale. Ne méprisez pas la doctrine
!
N'exposez pas votre salut en
jouant
avec elle, c'est dangereux! Dans les derniers
temps, la doctrine sera une protection contre
l'erreur. Ne mésestimez pas les docteurs qui
établissent, par des veilles et par la
prière, la pureté de la doctrine et
s'appliquent à des problèmes
théologiques ! 0 Dieu, donne à ton
Église, en ces temps de détresse, des
docteurs responsables ! Allume toi-même les
flambeaux qui éclaireront la voie à
travers les troubles et les égarements de
ces jours ! «Et ceux qui auront
été intelligents resplendiront comme
l'éclat du firmament, et ceux qui en auront
amené plusieurs à la justice
brilleront comme les étoiles, à
toujours et à perpétuité.
»
Après cette vision du
prophète sur la dernière
période de l'Église, Daniel se rend
compte que c'est sa dernière vision et que
sa fin approche. Nous voyons une inquiétude
étrange le saisir
(6,
8).
C'est l'homme d'État qui
s'agite une fois encore et se demande avec
inquiétude si les documents sont en ordre,
au moment où il abandonne son poste et va
entrer dans le dernier repos. Ce ne sont pas des
soucis personnels qui le préoccupent, mais
ce sont, jusqu'à la fin, des soucis positifs
pour ce monde. Le premier problème qui se
présente à lui est de savoir ce qu'il
adviendra des visions qui lui furent
accordées. Il a, certes, bien
réglé et classé ses actes,
mais nulle archive ne peut être
prémunie contre la teigne et assurée
contre le feu et l'humidité.
Qu'adviendra-t-il du message qu'il a
délivré pour toutes les nations ?
À l'égard de son message, il est
comme un père qui, tenant son enfant dans
les bras, sent qu'il trébuche et dit:
«Pourvu qu'il n'arrive pas de mal à
l'enfant! » Dieu accorde encore à
Daniel une vision sur l'avenir de son message. Il
peut confier son message de prophète au
cours rapide du temps, comme la mère de
Moïse abandonna son enfant au courant du Nil.
Dieu fera aborder ce message en temps voulu
à bon port: «Toi, Daniel, tiens
secrètes ces paroles, et scelle le livre
jusqu'au temps marqué. Beaucoup de gens
l'étudieront, et leur connaissance en sera
augmentée»
(4).
Nous nous sommes
pénétrés du message
éternel que Daniel adressa aux peuples. Nous
avons attendu pendant des jours et des semaines,
parfois même pendant des mois, dans la
prière et l'intercession jusqu'à ce
qu'un des sceaux se descellât
légèrement et qu'une partie infime de
son mystère nous fût
révélée. Nous avons
reçu, ici et là, quelque
clarté. Nous devons reconnaître, avec
humiliation, combien peu nous en avons reçu.
À la fin de notre essai
d'interprétation, nous savons que nous ne
sommes qu'au début et que, dans les
années et décades à venir,
nous devrons ouvrir souvent ces pages pour recevoir
l'intelligence de ce qui nous paraît,
aujourd'hui, incompréhensible.
Mais une question tourmente
encore
le prophète «Mon Seigneur, quelle sera
l'issue de ces événements ?
(8).
Comme s'il voulait demander: Ce
que j'ai vu des derniers temps, cette parole
mystérieuse, « ce réveil pour la
vie éternelle et pour l'opprobre et la honte
éternelle » sera-ce réellement
ton dernier mot ? Dieu lui répond : «
Va, Daniel, car ces paroles demeureront
cachées et scellées jusqu'au temps
marqué»
(9).
De même qu'une mère
serre doucement contre elle son petit enfant, qui
pose encore bien des questions, en lui disant
gentiment pour conclure: «Dors, maintenant,
mon enfant ! » - de même, il est dit
à Daniel, dors, maintenant; va, c'est le
moment de dormir. Ensuite quelques chiffres
mystérieux - qui voilent le problème
plus qu'ils ne l'éclairent - sont
indiqués à Daniel: «Et l'ange
leva vers le ciel sa main droite et sa main gauche;
et il jura, au nom de Celui qui vit
éternellement, que ce serait dans un temps,
des temps, et la moitié d'un temps»
(7).
Finalement les chiffres 1290 et
1335 sont indiqués. Nous ne comprenons pas
ces chiffres et ne les devons pas mieux comprendre
que Daniel lui-même. L'intelligence de ces
choses nous sera donnée lorsque notre
connaissance ne sera plus partielle, mais que nous
verrons face à face. Alors le dernier sceau
de ce livre scellé sera enlevé.
Jusqu'à ce moment, l'Église doit se
contenter de cette réponse paternelle fut,
à la fin, qui donnée à Daniel, en
réponse à ses questions: «Quant
à toi, Daniel, marche vers ta fin; tu
prendras du repos, puis tu te lèveras pour
recevoir ton héritage à la fin des
jours»
(13).
Ainsi la nuit est venue pour le
prophète. Samedi soir. Si grande et profonde
que soit la nuit qui précède le jour
de fête, il reste au prophète le jour
éternel et l'héritage promis. Par
cette dernière parole, le jour du repos est
déjà annoncé à l'homme
mourant et l'éternel sabbat
resplendit.
Le prophète meurt. Il meurt
en exil. Il meurt comme «l'un des prisonniers
de Juda ». Mais il meurt en prophète.
C'est-à-dire qu'il peut jeter un coup d'oeil
sur la Terre promise, même si son pied n'a
pas la permission d'en fouler le sol. «Sa vue
n'était point affaiblie, et sa vigueur
n'était point passée.» Les
voyants de Dieu ne deviennent pas myopes et dans la
vieillesse, leur horizon ne se restreint pas. Au
contraire! La vue la plus perçante est
accordée à un Daniel jusqu'à
l'heure de la mort. Maintenant son regard peut se
porter au delà de l'horizon
rétréci où point la
dernière aube, avant que n'apparaisse le
jour éternel. «Quant à toi,
Daniel, marche vers ta fin; tu prendras du repos,
puis tu te lèveras pour recevoir ton
héritage à la fin des jours »
(13).
«Pourquoi nous tenons-nous ici
et regardons-nous vers le ciel ?» L'heure du
repos n'a pas encore sonné pour nous. Peut-être ne
sommes-nous pas encore en route pour Babylone, et
peut-être tout ce qu'a vécu Daniel
est-il encore devant nous. « Nous nous
trouvons jour et nuit dans le combat »,
l'époque de détresse se place devant
plutôt que derrière nous. Daniel nous
demande si nous voulons appartenir corps et
âme à la vie et à la mort, au
royaume de Dieu et à sa cause.
Désirons-nous l'héritage
éternel ? Cherchons-nous la perle de grand
prix et soupirons-nous après le royaume de
Dieu et sa justice ? En un mot,
désirons-nous être inscrits dans le
livre de ceux qui seront sauvés ? Daniel
à qui est promis l'héritage
éternel n'est pas celui qui suit de loin. Il
est «membre inscrit».
Où se fait-on « inscrire
membre» ?
À la croix et nulle part
ailleurs.
Ton nom est inscrit, avec du
sang,
dans les livres éternels. Celui qui aura
été inscrit entendra, un jour, ces
paroles, à la fin des temps :
«Venez, vous qui êtes
bénis de mon Père; prenez possession
du royaume qui vous a été
préparé dès la fondation du
monde! »
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