Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'Église qui prie

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DANIEL, chap. X

On sent quelque chose dans l'air. Personne ne saurait dire au juste quoi. Cela sent le brûlé. C'est troublant, car le foyer pourrait bien être au grenier ou dans la grange. On remarque aussi cette odeur là où l'on parle avec les hommes, dans la salle d'attente du médecin, sur le banc dans le parc public, au café - tous se comportent comme s'ils avaient senti quelque chose. Nous respirons aujourd'hui un air lourd, chargé et comme imprégné de matières inflammables. Une parole, un nom qui tombe peut agir comme une allumette qu'on frotte dans une cave pleine de gaz. Un homme est subitement mis en évidence, un événement quelconque peut prendre, à certain moment, des proportions insoupçonnées. Tout cela à cause de ce quelque chose qui est dans l'air.

Chacun respire ce quelque chose d'indéterminé parce que nous vivons des jours où des bruits circulent, tantôt à Moscou, tantôt à Paris ou à Rome; la rumeur est aujourd'hui en Espagne, demain, peut-être, à Genève ou à Washington, mais toujours ce sont des bruits qui courent. Personne ne sait d'où ils viennent, ni qui les propage. Le fait est que, d'année en année, le bruit est devenu une puissance pour quiconque sait le capter au service de ses intérêts.

Les décisions se prennent, aujourd'hui, dans les airs. Celui qui se sert de l'air est intelligent. Les discours de propagande, les conférences pour la paix, les fausses nouvelles, le mensonge et l'armée des diplomates, tous se servent des ondes. Et, derrière les discours de propagande, derrière les conférences pour la paix, derrière les fausses nouvelles et derrière les diplomates arriveront un jour les escadrilles de bombardiers. Chacun est convaincu que les derniers conflits entre les peuples auront heu dans les airs. Nous commençons à respirer une odeur de brûlé qui vient de la guerre aérienne de l'enfer ; l'enfer avec son armée féroce de démons qui volent à travers les airs.

Il n'y a plus d'anges dans les airs. Notre génération a cru pouvoir s'en passer. Elle a cru faire tomber les anges du. ciel sous les traits acérés de sa raison. Mais le chapitre X de Daniel aurait à nous révéler des choses importantes si nous prêtions l'oreille. Ce chapitre dit qu'il n'y a pas seulement des démons mais aussi des anges dans les airs. Dieu a permis que nous ayons connu comme un avant-goût de l'enfer et de ses démons, afin que nous soyons rendus sensibles à la bonne nouvelle de la présence des anges dans le ciel. Martin Luther a dit : «La première chose dont nous devions être conscients est que nous ne sommes pas assis dans un jardin de plaisance. Un chrétien doit savoir qu'il est assis parmi les démons et que le diable est plus proche de lui que son habit, sa chemise et même que sa propre peau. Si l'on ne sait pas que le diable est si proche, on perd la notion du bienfait que Dieu nous accorde par ses anges. Il s'ensuit qu'un chrétien ne doit pas douter de l'existence des anges ».

Et maintenant examinons plus attentivement ce chapitre : « En ce temps-là, moi, Daniel, je fus dans le deuil pendant trois semaines entières» (2). Pendant ce deuil, le prophète ne. mangea aucun mets délicat, il n'entra dans sa bouche ni viande, ni vin, il ne s'oignit pas d'huile, jusqu'à ce que ce temps de retraite fût accompli (3). Il se montre seulement au petit cercle de ses intimes, « aux hommes qui étaient avec moi» (7). Pendant vingt et un jours le prophète fut, aux yeux du peuple, plongé dans le deuil. Ici nous avons l'intuition qu'il pourrait y avoir un jour de Jeûne fédéral qui pourrait se prolonger au delà des vingt-quatre heures décrétées par le Conseil fédéral.

Un ange se présente à Daniel. Rencontrer un ange n'est pas un plaisir pour un simple mortel. En présence de ce texte biblique - et de beaucoup d'autres - nous nous prenons la tête entre les mains et nous demandons comment nous avons pu rabaisser le rôle des anges au rôle de simples figurines. Le diable a intérêt à ce que nous ne prenions pas au sérieux l'existence des anges. C'est ainsi qu'il procède : il commence par rendre les choses inoffensives, pour les jeter ensuite sous la table.

L'ange qui apparaît au prophète est tout autre. Il n'est pas un de ces petits anges ailés et doucereux tels qu'une fantaisie effrénée a coutume de les peindre. « Je vis soudain un homme vêtu de fin lin, qui avait autour des reins une ceinture d'or d'Ouphaz. Son corps était comme de chrysolithe, son visage brillait comme un éclair, et ses yeux comme des flambeaux ardents; ses bras et ses pieds avaient l'aspect de l'airain poli, et le son de sa voix retentissait comme le bruit d'une multitude» (5, 6). « Les hommes qui étaient avec Daniel ne virent point l'apparition, mais ils furent saisis d'une grande frayeur et s'enfuirent pour se cacher » (7); ceci nous rappelle l'apparition des anges relatée par l'Évangile de Noël et de Pâques.

L'entretien entre l'ange et le prophète rapporte une vision si surprenante de la signification du monde des anges, que nous préférerions à l'exemple de ces hommes « prendre la fuite pour nous cacher». Nous n'osons pas lever les yeux sur l'au-delà où l'oeil humain ne peut rien percevoir. Et, si nous nous hasardons cependant à le faire, ce n'est qu'à la condition d'observer, ici plus encore qu'ailleurs, la plus grande réserve.

L'ange Gabriel informe le prophète que, dès le premier jour où Daniel a commencé de prier pour son peuple, ses supplications ont été exaucées. Là-dessus l'ange a reçu l'ordre du Très-Haut de se rendre en Perse où se trouve le peuple de Dieu, depuis la chute de Jérusalem. Mais arrivé là, (4 le prince du royaume de Perse lui a résisté vingt et un jours » (13). Alors, Micaël, l'ange protecteur du peuple de Dieu, est envoyé à l'aide de Gabriel qui a remporté la victoire à la cour du roi de Perse. Avant de prendre congé de Daniel, l'ange Gabriel l'informe qu'il «s'en retourne à la cour du roi de Perse afin de poursuivre le combat pour la cause de Dieu», et l'assure que «l'ange Micaël continuera à se tenir à son côté ». «Et moi, la première année de Darius, le Mède, j'étais auprès de lui pour l'aider et le soutenir » (chap. XI, 1).

Il nous est permis d'entrevoir ici comment les prières sont exaucées dans le ciel. Daniel prie Dieu d'incliner le coeur du roi de Perse, afin qu'il soit favorable au peuple de Dieu. Et Dieu permet que le coeur du roi soit influencé par des circonstances adverses. Je crois qu'aucune référence dans l'Écriture sainte ne nous montre aussi manifestement que celle-ci ce qu'est une vraie intercession. Tout homme dont le coeur est brûlant d'amour pour sa patrie et à qui le bien des peuples tient à coeur, peut s'appuyer sur ce passage. Il présente ses requêtes devant le trône du Très-Haut; là où «les pensées des peuples sont transformées », transformées par le service des anges qui se tiennent à la disposition du Seigneur et qui «le servent nuit et jour prosternés devant lui ». Ceci nous montre de quelle manière et dans quel sens l'Église a la permission de prier pour son peuple et pour les peuples.

En vérité, là où l'Église prie, l'air n'est plus saturé par l'odeur de brûlé de l'enfer. Là où l'Église prie, les messagers célestes vont et viennent, les anges montent et descendent sur l'ordre du Très-Haut, et purifient l'air vicié que nous respirons. Là où deux ou trois prient ensemble, la rumeur des peuples n'est plus la seule puissance, mais une puissance descend du ciel qui nous rappelle l'existence «des myriades de myriades d'anges » qui servent Dieu.

La vision du monde transcendant est d'une telle gloire qu'elle pourrait nuire au coeur de l'homme et faire naître en lui la présomption et l'orgueil. L'intercesseur qui découvre quelle puissance extraordinaire est placée dans ses mains jointes et ses genoux ployés pourrait en tirer gloire et regarder à lui-même au lieu de porter son regard sur le seul Seigneur de toutes les légions d'anges.

Dieu connaît ce danger. C'est pourquoi il ne se lasse pas de nous montrer tout au travers de ce chapitre que la puissance qui est entre les mains du pieux intercesseur Daniel ne provient pas de lui et ne lui appartient pas. C'est pourquoi ce chapitre est un des plus révélateurs de la personnalité de Daniel. Regardons cet homme de Dieu, son attitude, sa conduite, au moment où son triomphe s'élève jusqu'aux étoiles ! Il est dit - au début de ce chapitre - qu'il «fût trois semaines entières dans le deuil». «Il s'effondre, sous nos yeux, frappé d'étourdissement, la face contre terre» (9). Ce n'est que lorsque la main d'en-haut le touche qu'il lui est possible de reprendre connaissance et de se lever à demi (10). Au cours de l'entretien avec l'ange, il est épuisé à tel point qu'il n'a plus même la force de parler. Il ressemble à un mourant dont le souffle se retire graduellement : «Comment le serviteur de mon Seigneur pourrait-il, parler à mon Seigneur ? Il n'y a maintenant plus aucune force en moi et il ne me reste plus de souffle » (17). «Lorsqu'il m'eut ainsi parlé, je me tins debout tout tremblant» (11). «Mon Seigneur, cette vision m'a profondément troublé et j'ai perdu toute vigueur» (16). Constamment, pendant le discours, l'ange doit le toucher et le fortifier, comme s'il avait devant lui un homme gravement malade à qui on doit sans cesse faire de nouvelles injections pour prévenir de nouvelles faiblesses du coeur. Nous entendons Daniel soupirer à plusieurs reprises, pas moins de quatre fois : « Il n'y a aucune force en moi. » Nous connaissons un autre homme qui «fut ravi jusqu'au troisième ciel» et qui disait : «C'est pourquoi, de peur que je ne fusse enflé d'orgueil par l'extraordinaire grandeur de ces révélations, il m'a été mis une écharde dans la chair» (2 Corinthiens XII). Lorsque Dieu accorde de pareilles visions au prophète Daniel et à l'apôtre Paul, il ne peut le faire sans danger pour eux qu'à condition de les rendre vides et impuissants. La puissance de Dieu doit s'accomplir dans la faiblesse.

Ce chapitre nous montre clairement non seulement l'efficacité des anges, mais encore l'action efficace des puissances déchues de Dieu, qui résistent à son oeuvre. Là où un intercesseur est à genoux, se rassemblent non seulement les anges mais aussi les démons. De sombres puissances assaillent le palais du roi de Perse. Combien troublante est la pensée du siège d'un gouvernement occupé par les puissances des ténèbres ! Mais l'ange Gabriel combat avec Micaël pour se frayer une voie, parmi ces assiégeants, jusqu'au coeur du roi. Selon la volonté de Dieu, les anges obtiennent la victoire. En d'autres termes, un combat est ordonné à l'Église dans ce monde. «Nous n'avons pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les puissances, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits mauvais qui sont dans les régions célestes.» Mais qui veut résister aux puissances déchaînées de l'abîme ne peut le faire qu'avec les armes de l'Esprit. Pas avec les armes de notre propre esprit, pas avec les armes qu'on tient au poing, mais avec les armes que seules peuvent tenir des mains jointes et désarmées.

Un combat fait rage dans les airs dont aucun individu et aucun peuple ne sortira victorieux «par les armes ou par la force». Oui, ce que les railleurs crient sur les toits est vrai : la décision dans la lutte future entre les peuples se tranchera dans les airs, mais, grâce à Dieu, non pas selon les prévisions des ministres de l'air et des directeurs de radio. La décision se prendra là où un Daniel est tombé, chancelant, sur ses genoux, là où les légions de Dieu sont mobilisées pour le combat et pour la victoire. Daniel à genoux n'est en définitive pas un autre Daniel que celui qui est placé au-dessus de tous les intercesseurs et au-dessus des légions d'anges, le seul médiateur entre Dieu et les hommes qui, « dans les jours de sa chair, a présenté, avec de grands cris et avec larmes, des prières et des supplications» (Hébreux V). Là est l'Église qui prie, là, entre des mains jointes, se tranchera l'issue du combat suprême! Faisons un pas de plus et disons - que celui qui peut le saisir le saisisse ! - : la décision dans ce combat des esprits est prise. La victoire décisive de Dieu est remportée. La victoire est acquise, même si, d'après le conseil insondable de Dieu, cette victoire est voilée à nos yeux depuis Pâques, et la communauté doit encore se tenir au milieu du combat et de la mort. Le vainqueur des vainqueurs à qui est remise toute puissance, dans le ciel et sur la terre, à qui le Père pourrait remettre douze légions d'anges sur un signe de sa part, a vu Satan tomber du ciel (chapitre VIII). À la croix, une décision est remportée dans les airs. À la croix, règne un air si lourd que le soleil perd son éclat en plein jour. Mais, telle une épée de flammes, cette parole transperce l'air le plus vicié qui fût jamais : «Tout est accompli ». À la croix, la victoire est remportée. Là, Christ est déclaré prince et chef de l'Armée céleste par le Dieu des armées. Le Christ s'est élevé, de cet abîme, à la droite de Dieu, d'où il reviendra « dans sa gloire et tous les saints anges avec lui, et il s'assiéra sur le trône de sa gloire et toutes les nations seront assemblées devant lui ».

Ceci n'est pas un bruit dans l'air. C'est un joyeux message et une promesse évidente, ce sont les arrhes accordées à l'Église qui prie, en ce monde, aussi longtemps que Dieu lui ordonne de persévérer, derrière son Chef, dans le combat. Mais ce combat doit être livré à genoux, les articulations disjointes, la respiration défaillante et dans un état d'impuissance extrême. Par le souverain sacrificateur devant lequel tous les anges de la lumière et des ténèbres ne sont que « des esprits au service de Dieu» (Hébreux I), ce grand combat a été livré une fois pour toutes. Il est dit : « Après être sorti, il alla, selon sa coutume, à la montagne des oliviers. Ses disciples le suivirent. Quand il fut arrivé dans ce heu, il leur dit : Priez, afin que vous ne tombiez pas en tentation. Puis il s'éloigna d'eux à la distance d'un jet de pierre environ et, s'étant mis à genoux, il pria, disant: Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe ! Toutefois, que ta volonté soit faite et non la mienne. Et un ange lui apparut du ciel, pour le fortifier. Étant en agonie, il priait plus instamment, et sa sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre. Après avoir prié, il se leva, et revint vers les disciples qu'il trouva endormis de tristesse, et il leur dit : Pourquoi dormez-vous ? Levez-vous et priez, afin que vous ne tombiez pas en tentation» (Luc XXII). C'est là l'Église qui prie.

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