DANIEL,
chap. X
On sent quelque chose dans
l'air.
Personne ne saurait dire au juste quoi. Cela sent
le brûlé. C'est troublant, car le
foyer pourrait bien être au grenier ou dans
la grange. On remarque aussi cette odeur là
où l'on parle avec les hommes, dans la salle
d'attente du médecin, sur le banc dans le
parc public, au café - tous se comportent
comme s'ils avaient senti quelque chose. Nous
respirons aujourd'hui un air lourd, chargé
et comme imprégné de matières
inflammables. Une parole, un nom qui tombe peut
agir comme une allumette qu'on frotte dans une cave
pleine de gaz. Un homme est subitement mis en
évidence, un événement
quelconque peut prendre, à certain moment,
des proportions insoupçonnées. Tout
cela à cause de ce quelque chose qui est
dans l'air.
Chacun respire ce quelque chose
d'indéterminé parce que nous vivons
des jours où des bruits circulent, tantôt à
Moscou, tantôt à Paris ou à
Rome; la rumeur est aujourd'hui en Espagne, demain,
peut-être, à Genève ou à
Washington, mais toujours ce sont des bruits qui
courent. Personne ne sait d'où ils viennent,
ni qui les propage. Le fait est que, d'année
en année, le bruit est devenu une puissance
pour quiconque sait le capter au service de ses
intérêts.
Les décisions se prennent,
aujourd'hui, dans les airs. Celui qui se sert de
l'air est intelligent. Les discours de propagande,
les conférences pour la paix, les fausses
nouvelles, le mensonge et l'armée des
diplomates, tous se servent des ondes. Et,
derrière les discours de propagande,
derrière les conférences pour la
paix, derrière les fausses nouvelles et
derrière les diplomates arriveront un jour
les escadrilles de bombardiers. Chacun est
convaincu que les derniers conflits entre les
peuples auront heu dans les airs. Nous
commençons à respirer une odeur de
brûlé qui vient de la guerre
aérienne de l'enfer ; l'enfer avec son
armée féroce de démons qui
volent à travers les airs.
Il n'y a plus d'anges dans les
airs.
Notre génération a cru pouvoir s'en
passer. Elle a cru faire tomber les anges du. ciel
sous les traits acérés de sa raison.
Mais le chapitre X de Daniel aurait à nous
révéler des choses importantes si
nous prêtions l'oreille. Ce chapitre dit
qu'il n'y a pas seulement des démons mais aussi
des anges dans les
airs.
Dieu a permis que nous ayons connu comme un
avant-goût de l'enfer et de ses
démons, afin que nous soyons rendus
sensibles à la bonne nouvelle de la
présence des anges dans le ciel. Martin
Luther a dit : «La première chose dont
nous devions être conscients est que nous ne
sommes pas assis dans un jardin de plaisance. Un
chrétien doit savoir qu'il est assis parmi
les démons et que le diable est plus proche
de lui que son habit, sa chemise et même que
sa propre peau. Si l'on ne sait pas que le diable
est si proche, on perd la notion du bienfait que
Dieu nous accorde par ses anges. Il s'ensuit qu'un
chrétien ne doit pas douter de l'existence
des anges ».
Et maintenant examinons plus
attentivement ce chapitre : « En ce
temps-là, moi, Daniel, je fus dans le deuil
pendant trois semaines entières»
(2).
Pendant ce deuil, le
prophète ne. mangea aucun mets
délicat, il n'entra dans sa bouche ni
viande, ni vin, il ne s'oignit pas d'huile,
jusqu'à ce que ce temps de retraite
fût accompli
(3).
Il se montre seulement au petit
cercle de ses intimes, « aux hommes qui
étaient avec moi»
(7).
Pendant vingt et un jours le
prophète fut, aux yeux du peuple,
plongé dans le deuil. Ici nous avons
l'intuition qu'il pourrait y avoir un jour de
Jeûne fédéral qui pourrait se
prolonger au delà des vingt-quatre heures
décrétées par le Conseil
fédéral.
Un ange se présente à
Daniel. Rencontrer un ange n'est
pas un plaisir pour un simple mortel. En
présence de ce texte biblique - et de
beaucoup d'autres - nous nous prenons la tête
entre les mains et nous demandons comment nous
avons pu rabaisser le rôle des anges au
rôle de simples figurines. Le diable a
intérêt à ce que nous ne
prenions pas au sérieux l'existence des
anges. C'est ainsi qu'il procède : il
commence par rendre les choses inoffensives, pour
les jeter ensuite sous la table.
L'ange qui apparaît au
prophète est tout autre. Il n'est pas un de
ces petits anges ailés et doucereux tels
qu'une fantaisie effrénée a coutume
de les peindre. « Je vis soudain un homme
vêtu de fin lin, qui avait autour des reins
une ceinture d'or d'Ouphaz. Son corps était
comme de chrysolithe, son visage brillait comme un
éclair, et ses yeux comme des flambeaux
ardents; ses bras et ses pieds avaient l'aspect de
l'airain poli, et le son de sa voix retentissait
comme le bruit d'une multitude»
(5,
6). « Les hommes qui
étaient avec Daniel ne virent point
l'apparition, mais ils furent saisis d'une grande
frayeur et s'enfuirent pour se cacher »
(7);
ceci nous rappelle l'apparition
des anges relatée par l'Évangile de
Noël et de Pâques.
L'entretien entre l'ange et le
prophète rapporte une vision si surprenante
de la signification du monde des anges, que nous
préférerions à l'exemple de
ces hommes « prendre la
fuite pour nous cacher». Nous n'osons pas
lever les yeux sur l'au-delà où
l'oeil humain ne peut rien percevoir. Et, si nous
nous hasardons cependant à le faire, ce
n'est qu'à la condition d'observer, ici plus
encore qu'ailleurs, la plus grande
réserve.
L'ange Gabriel informe le
prophète que, dès le premier jour
où Daniel a commencé de prier pour
son peuple, ses supplications ont été
exaucées. Là-dessus l'ange a
reçu l'ordre du Très-Haut de se
rendre en Perse où se trouve le peuple de
Dieu, depuis la chute de Jérusalem. Mais
arrivé là, (4 le prince du royaume de
Perse lui a résisté vingt et un jours
»
(13).
Alors, Micaël, l'ange
protecteur du peuple de Dieu, est envoyé
à l'aide de Gabriel qui a remporté la
victoire à la cour du roi de Perse. Avant de
prendre congé de Daniel, l'ange Gabriel
l'informe qu'il «s'en retourne à la
cour du roi de Perse afin de poursuivre le combat
pour la cause de Dieu», et l'assure que
«l'ange Micaël continuera à se
tenir à son côté ».
«Et moi, la première année de
Darius, le Mède, j'étais
auprès de lui pour l'aider et le soutenir
»
(chap.
XI, 1).
Il nous est permis d'entrevoir
ici
comment les prières sont exaucées
dans le ciel. Daniel prie Dieu d'incliner le coeur
du roi de Perse, afin qu'il soit favorable au
peuple de Dieu. Et Dieu permet que le coeur du roi
soit influencé par des circonstances
adverses. Je crois qu'aucune
référence dans l'Écriture
sainte ne nous montre aussi manifestement que
celle-ci ce qu'est une vraie intercession. Tout
homme dont le coeur est brûlant d'amour pour
sa patrie et à qui le bien des peuples tient
à coeur, peut s'appuyer sur ce passage. Il
présente ses requêtes devant le
trône du Très-Haut; là
où «les pensées des peuples sont
transformées », transformées par
le service des anges qui se tiennent à la
disposition du Seigneur et qui «le servent
nuit et jour prosternés devant lui ».
Ceci nous montre de quelle manière et dans
quel sens l'Église a la permission de prier
pour son peuple et pour les peuples.
En vérité, là
où l'Église prie, l'air n'est plus
saturé par l'odeur de brûlé de
l'enfer. Là où l'Église prie,
les messagers célestes vont et viennent, les
anges montent et descendent sur l'ordre du
Très-Haut, et purifient l'air vicié
que nous respirons. Là où deux ou
trois prient ensemble, la rumeur des peuples n'est
plus la seule puissance, mais une puissance descend
du ciel qui nous rappelle l'existence «des
myriades de myriades d'anges » qui servent
Dieu.
La vision du monde transcendant
est
d'une telle gloire qu'elle pourrait nuire au coeur
de l'homme et faire naître en lui la
présomption et l'orgueil. L'intercesseur qui
découvre quelle puissance extraordinaire est
placée dans ses mains jointes et ses genoux
ployés pourrait en tirer gloire et regarder à
lui-même au lieu
de porter son regard sur le seul Seigneur de toutes
les légions d'anges.
Dieu connaît ce danger. C'est
pourquoi il ne se lasse pas de nous montrer tout au
travers de ce chapitre que la puissance qui est
entre les mains du pieux intercesseur Daniel ne
provient pas de lui et ne lui appartient pas. C'est
pourquoi ce chapitre est un des plus
révélateurs de la personnalité
de Daniel. Regardons cet homme de Dieu, son
attitude, sa conduite, au moment où son
triomphe s'élève jusqu'aux
étoiles ! Il est dit - au début de ce
chapitre - qu'il «fût trois semaines
entières dans le deuil». «Il
s'effondre, sous nos yeux, frappé
d'étourdissement, la face contre terre»
(9).
Ce n'est que lorsque la main
d'en-haut le touche qu'il lui est possible de
reprendre connaissance et de se lever à demi
(10).
Au cours de l'entretien avec
l'ange, il est épuisé à tel
point qu'il n'a plus même la force de parler.
Il ressemble à un mourant dont le souffle se
retire graduellement : «Comment le serviteur
de mon Seigneur pourrait-il, parler à mon
Seigneur ? Il n'y a maintenant plus aucune force en
moi et il ne me reste plus de souffle »
(17).
«Lorsqu'il m'eut ainsi
parlé, je me tins debout tout
tremblant»
(11).
«Mon Seigneur, cette
vision m'a profondément troublé et
j'ai perdu toute vigueur»
(16).
Constamment, pendant le
discours, l'ange doit le toucher et le fortifier,
comme s'il avait devant lui un
homme gravement malade à qui on doit sans
cesse faire de nouvelles injections pour
prévenir de nouvelles faiblesses du coeur.
Nous entendons Daniel soupirer à plusieurs
reprises, pas moins de quatre fois : « Il n'y
a aucune force en moi. » Nous connaissons un
autre homme qui «fut ravi jusqu'au
troisième ciel» et qui disait :
«C'est pourquoi, de peur que je ne fusse
enflé d'orgueil par l'extraordinaire
grandeur de ces révélations, il m'a
été mis une écharde dans la
chair»
(2
Corinthiens XII). Lorsque Dieu
accorde de pareilles visions au prophète
Daniel et à l'apôtre Paul, il ne peut
le faire sans danger pour eux qu'à condition
de les rendre vides et impuissants. La puissance de
Dieu doit s'accomplir dans la faiblesse.
Ce chapitre nous montre
clairement
non seulement l'efficacité des anges, mais
encore l'action efficace des puissances
déchues de Dieu, qui résistent
à son oeuvre. Là où un
intercesseur est à genoux, se rassemblent
non seulement les anges mais aussi les
démons. De sombres puissances assaillent le
palais du roi de Perse. Combien troublante est la
pensée du siège d'un gouvernement
occupé par les puissances des
ténèbres ! Mais l'ange Gabriel combat
avec Micaël pour se frayer une voie, parmi ces
assiégeants, jusqu'au coeur du roi. Selon la
volonté de Dieu, les anges obtiennent la
victoire. En d'autres termes, un combat est
ordonné à l'Église dans ce
monde. «Nous n'avons pas à combattre contre la
chair et le sang,
mais
contre les dominations, contre les puissances,
contre les princes de ce monde de
ténèbres, contre les esprits mauvais
qui sont dans les régions
célestes.» Mais qui veut
résister aux puissances
déchaînées de l'abîme ne
peut le faire qu'avec les armes de l'Esprit. Pas
avec les armes de notre propre esprit, pas avec les
armes qu'on tient au poing, mais avec les armes que
seules peuvent tenir des mains jointes et
désarmées.
Un combat fait rage dans les
airs
dont aucun individu et aucun peuple ne sortira
victorieux «par les armes ou par la
force». Oui, ce que les railleurs crient sur
les toits est vrai : la décision dans la
lutte future entre les peuples se tranchera dans
les airs, mais, grâce à Dieu, non pas
selon les prévisions des ministres de l'air
et des directeurs de radio. La décision se
prendra là où un Daniel est
tombé, chancelant, sur ses genoux, là
où les légions de Dieu sont
mobilisées pour le combat et pour la
victoire. Daniel à genoux n'est en
définitive pas un autre Daniel que celui qui
est placé au-dessus de tous les
intercesseurs et au-dessus des légions
d'anges, le seul médiateur entre Dieu et les
hommes qui, « dans les jours de sa chair, a
présenté, avec de grands cris et avec
larmes, des prières et des
supplications»
(Hébreux
V). Là est
l'Église qui prie, là, entre des
mains jointes, se tranchera l'issue du combat
suprême! Faisons un pas de plus et disons -
que celui qui peut le saisir le
saisisse ! - : la décision dans ce combat
des esprits est prise. La victoire décisive
de Dieu est remportée. La victoire est
acquise, même si, d'après le conseil
insondable de Dieu, cette victoire est
voilée à nos yeux depuis
Pâques, et la communauté doit encore
se tenir au milieu du combat et de la mort. Le
vainqueur des vainqueurs à qui est remise
toute puissance, dans le ciel et sur la terre,
à qui le Père pourrait remettre douze
légions d'anges sur un signe de sa part, a
vu Satan tomber du ciel (chapitre VIII). À
la croix, une décision est remportée
dans les airs. À la croix, règne un
air si lourd que le soleil perd son éclat en
plein jour. Mais, telle une épée de
flammes, cette parole transperce l'air le plus
vicié qui fût jamais : «Tout est
accompli ». À la croix, la victoire est
remportée. Là, Christ est
déclaré prince et chef de
l'Armée céleste par le Dieu des
armées. Le Christ s'est élevé,
de cet abîme, à la droite de Dieu,
d'où il reviendra « dans sa gloire et
tous les saints anges avec lui, et il
s'assiéra sur le trône de sa gloire et
toutes les nations seront assemblées devant
lui ».
Ceci n'est pas un bruit dans
l'air.
C'est un joyeux message et une promesse
évidente, ce sont les arrhes
accordées à l'Église qui prie,
en ce monde, aussi longtemps que Dieu lui ordonne
de persévérer, derrière son
Chef, dans le combat. Mais ce combat doit
être livré à genoux, les
articulations disjointes, la respiration
défaillante
et dans un état d'impuissance extrême.
Par le souverain sacrificateur devant lequel tous
les anges de la lumière et des
ténèbres ne sont que « des
esprits au service de Dieu» (Hébreux
I), ce grand combat a été
livré une fois pour toutes. Il est dit :
« Après être sorti, il alla,
selon sa coutume, à la montagne des
oliviers. Ses disciples le suivirent. Quand il fut
arrivé dans ce heu, il leur dit : Priez,
afin que vous ne tombiez pas en tentation. Puis il
s'éloigna d'eux à la distance d'un
jet de pierre environ et, s'étant mis
à genoux, il pria, disant: Père, si
tu voulais éloigner de moi cette coupe !
Toutefois, que ta volonté soit faite et non
la mienne. Et un ange lui apparut du ciel, pour le
fortifier. Étant en agonie, il priait plus
instamment, et sa sueur devint comme des grumeaux
de sang, qui tombaient à terre. Après
avoir prié, il se leva, et revint vers les
disciples qu'il trouva endormis de tristesse, et il
leur dit : Pourquoi dormez-vous ? Levez-vous et
priez, afin que vous ne tombiez pas en
tentation»
(Luc
XXII). C'est là
l'Église qui prie.
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