DANIEL,
chap. VII
Qu'adviendra-t-il de notre pays,
des
autres, des divers continents ? Qu'adviendra-t-il
du peuple juif, de l'Église
évangélique, de l'Église
catholique, de l'islam ? Qu'adviendra-t-il du
monde, de nous-mêmes et de nos enfants ? Ce
serait folie de chercher une réponse
à ce flot de questions ailleurs que dans la
Bible. Il serait présomptueux, d'autre part,
de nous représenter la situation de ce monde
comme moins mystérieuse et moins
insaisissable qu'elle n'est apparue au
prophète Daniel - et cela
spécialement dans ce chapitre.
Daniel voit d'abord une mer
agitée
(2).
Un mouvement se produit
aujourd'hui au travers de tous les peuples du
monde. C'est une première constatation
à faire. Où va ce grand courant et
comment l'interpréter ? Ce courant
monte-t-il ou descend-il, avance-t-il ou
recule-t-il, va-t-il à droite ou à
gauche ? Est-il un réveil
ou peut-être un commencement de sommeil ?
Cette lutte entre les peuples signifie-t-elle les
douleurs de l'enfantement ou l'agonie ? Les
tempêtes déchaînées sur
la terre sont-elles les tempêtes d'automne ou
celles du printemps ? Nous ne le savons pas, et
nous ne devons probablement pas le savoir: «
Malheur à celui qui pense savoir! »
Nous constatons simplement qu'il ne se trouve pas
de parole se rapportant mieux à
l'état actuel du monde que celle du
prophète : « Les quatre vents des cieux
se précipitaient sur la grande mer»
(2).
De la mer agitée des peuples,
nous voyons émerger des formes et des
figures. Nous ne savons ni ce qu'elles signifient,
ni ce que nous devons en attendre. Ce sont des
formes étranges et curieuses, des formes
fantastiques. Jusqu'ici nous n'en avons pas vu de
semblables et nous pensions, lorsque nous lisions
les poèmes des races primitives, qu'il
s'agissait de «contes et de légendes de
l'antiquité, ou de superstitions du moyen
âge dès longtemps disparues».
Nous voyons, aujourd'hui, apparaître des
figures qui n'existaient pas dans notre conception
du monde : Figures étranges de lions et de
léopards avec des ailes ou figures d'animaux
à dix cornes. Nous voyons ce que nous,
hommes cultivés du XXme siècle,
n'aurions jamais cru voir. Nous avons vu une guerre
mondiale, un bolchévisme mondial et un
capitalisme mondial, nous avons vu une crise
mondiale,
paroxysme de
la folie, provenant à la fois de la
surproduction et du chômage.
Le mouvement mondial des
sans-dieu
s'est répandu, aujourd'hui, sur la surface
de la terre et nous voyons se dessiner toujours
plus nets les contours de l'État totalitaire
moderne, qui se met à la place de Dieu. Les
bêtes, à mesure qu'elles
émergeaient de la mer mugissante, ont
dressé la tête l'une après
l'autre. Elles se sont approchées, comme des
fantômes; les voici toutes proches. Nous ne
savons qu'en penser. La description de Daniel nous
fait dresser l'oreille lorsqu'il parle de l'ours:
« Il avait trois côtes dans la gueule
entre ses dents, et on lui disait: Lève-toi,
dévore beaucoup de chair»
(5).
Il est dit du léopard:
«Cet animal avait quatre têtes »
(6).
Ces têtes
caractérisent vraisemblablement notre race;
elles sont devenues notre orgueil et notre gloire,
le symbole de nos peuples. Ce ne sont plus des
têtes isolées; elles sont au nombre de
quatre. Elles agissent en collaboration. Ce qui ne
vient pas à l'esprit de l'une vient à
l'esprit de l'autre. Quant aux gueules, elles
appartiennent à chaque tête. Ce n'est
pas par hasard qu'il est dit de la quatrième
bête qu' « elle était redoutable,
effrayante et extraordinairement vigoureuse »
(7).
Dans ce chapitre, il est
question deux fois de cet animal qui « avait
une bouche et parlait avec arrogance». Ces
termes ne sont-ils pas transparents pour notre
génération qui a vu
se développer la presse mondiale, les
possibilités insoupçonnées de
la publicité, et la propagande de la radio
?
Ces interprétations
particulières peuvent se
révéler justes ou fausses, mais il
est certain que la vue d'ensemble donnée par
Daniel sur la situation actuelle du monde provient
d'une révélation qui domine
l'histoire : le monde est une mer houleuse hors de
laquelle des monstres hérissent leur
crinière.
Ce n'est pas là toute la
vision de Daniel. Le prophète voit au
delà de cette sombre réalité
une perspective plus douce. Au-dessus de la mer et
des bêtes apparaît un trône
« duquel sortait un torrent de feu, et dont
les roues étaient comme un feu ardent »
(9.)
Et sur ce trône
environné de feu, Daniel voit un être
qu'il nomme mystérieusement «l'Ancien
des jours » : « Son vêtement
était blanc comme la neige, et les cheveux
de sa tête comme de la laine pure »
(9).
Cette scène
étrange prend pou à peu figure d'une
audience de tribunal. Autour du trône
apparaissent «les dix mille milliers de
serviteurs» et, devant « l'Ancien »,
des myriades de myriades se tiennent debout. «
Alors, les juges s'assirent et les livres furent
ouverts »
(10).
Prêtons l'oreille ! Dieu nous
parle comme un Père qui s'adresse avec amour
à son fils dans l'épreuve, lui
donnant l'assurance qu'il vit encore. N'est-ce pas
pour nous effrayer que les
bêtes qui surgissent de l'abîme se
présentent à nous avec un aspect
divin et avec la prétention de s'asseoir sur
le trône de Dieu lui-même ? Le
prophète arrive et nous dit alors : «Je
regardais, à cause des paroles arrogantes
proférées par la corne; et je vis que
l'animal fut tué, que son corps fut
livré au feu pour être
brûlé. Quant aux autres animaux, toute
puissance leur fut aussi enlevée, mais une
prolongation de vie leur fut accordée
jusqu'à un temps déterminé
»
(11
et 12).
« Une prolongation de vie est
accordée aux bêtes» et cela
uniquement jusqu'au temps fixé par «
l'Ancien qui est assis sur le trône ».
Le trône de Dieu est dressé sur les
peuples et sur les chefs d'État. Ce n'est
pas aux peuples, mais à Dieu de
décider de la victoire de telle ou telle des
bêtes. À la fin des temps, aucune des
bêtes ne vaincra, si puissant et si long que
soit son règne; le dernier triomphateur sera
celui «qui est assis sur le trône».
Toutes les bêtes seront à ses pieds
«mais une prolongation de vie leur fut
accordée jusqu'à un temps
déterminé». Seule cette parole
de «l'Ancien assis sur le trône»,
au-dessus des événements du monde,
rendra l'Église triomphante.
Tant que nous demeurons en ce
temps
et en ce monde, le trône de Dieu,
dressé au-dessus de la mer et des
bêtes, restera un mystère pour nous.
Ce que le prophète dit du trône
«dressé éternellement » ne saute pas aux yeux. Il
n'est
pas
surprenant que Daniel trouve à peine les
mots pour le dire et conclue ainsi ce chapitre :
«Quant à moi, Daniel, mes
pensées me troublèrent beaucoup. Je
changeai de couleur et je conservai le souvenir de
ces faits dans mon coeur »
(28).
Lorsque nous parlons ici de
l'Église triomphante, nous ne devons pas
oublier un seul instant que c'est Dieu qui
triomphe, non pas les hommes.
L'Église triomphante vit,
ici-bas, parla foi et non par la vue. Il s'agit ici
des mystères insondables que seule saisit la
foi, la foi de ceux qui demandent quotidiennement:
« Seigneur, fortifie notre foi
».
Le mystère le plus douloureux
que nous révèle ce chapitre sur
l'Église triomphante est le fait que Dieu
tolère la mer en furie et qu'il permet que
mainte petite embarcation, sortie du port pleine
d'espoir, soit engloutie. Nous voyons
également qu'une prolongation de vie est
accordée « aux bêtes », un
temps déterminé pour prononcer des
paroles arrogantes, pour dévorer, pour
fouler aux pieds et, par-dessus tout, pour se
glorifier de leurs succès. Dieu permet le
triomphe momentané du mal dans le
gouvernement du monde. Dieu conduit souvent les
bêtes hors de l'abîme, brides abattues,
comme si elles n'étaient tenues par aucune
main. C'est uniquement au croyant que s'adressent
ces paroles du prophète que la foi seule
peut saisir : «une prolongation de vie leur
fut accordée jusqu'à un temps
déterminé». C'est uniquement
parce que l'Église a cette foi qu'elle est
triomphante.
Sous quelque aspect que nous
considérions le monde, nous ne voyons que la
mer et les bêtes. Mais, dans
l'Écriture sainte, dans la Parole de Dieu,
le mystère divin nous est
révélé que Dieu est au
pouvoir, lors même que tous les diables
triompheraient ici-bas. Il y a une candeur qui
n'est pas permise au chrétien, celle de
fermer les yeux devant les signes des temps. La
lecture des journaux est certes aussi un devoir
chrétien. Mais nous savons que les journaux
ne peuvent jamais nous montrer autre chose que la
mer et les bêtes. La Bible, par contre, nous
montre de la première à la
dernière page «l'Esprit qui se meut
au-dessus des eaux», le trône
dressé au-dessus de la mer et la main
mystérieuse qui tient à la fois
toutes les rênes, non seulement celles des
grandes bêtes, mais aussi les fils
ténus de nos destinées
personnelles.
La vision du prophète
contient encore un troisième trait. Daniel
voit, au milieu de ce monde chaotique, une
multitude qui croit réellement au Dieu
Tout-Puissant. Il voit cette multitude
livrée à la plus féroce des
bêtes, la quatrième, dont il est dit:
« Elle proférera des paroles contre le
Très-Haut, elle opprimera les saints du
Très-Haut, et elle formera le dessein de
changer les temps et la loi»
(25).
Nous
connaissons l'esprit qui
« change les temps et la loi ».
C'est non seulement l'esprit
bolchévique, mais le nôtre, c'est, en
un mot, l'esprit du siècle. Nous vivons dans
un temps où la femme se transforme en homme,
l'enfant en adulte, l'adulte en enfant,
l'été en hiver, le jour en nuit et la
nuit en jour. Nous changeons à notre
gré les rythmes fixés par le
Créateur.
L'Église sera livrée
entre les mains de cette bête pendant
«un temps, des temps, et la moitié d'un
temps »
(25).
La
volonté sainte de
Dieu nous apparaît ici sombre et
incompréhensible. Il a souvent semblé
que Dieu fût impuissant à venir au
secours de son Église. Mais une mère
oublierait plutôt son enfant que Dieu
n'oublierait les saints. Dieu connaît
l'épreuve des croyants à qui l'on dit
dans le monde : «Où est ton Dieu ?
» Le temps est fixé pendant lequel la
bête ose établir son triomphe sur
l'Église, comme l'Écriture nous le
dit « jusqu'au moment où l'Ancien des
jours étant venu, le pouvoir de juger fut
donné aux saints du Très-Haut qui
entreront en possession du royaume»
(22).
Le
prince de ce monde est
déjà jugé, un seul mot peut le
faire tomber.
Cette vision du triomphe
définitif de Dieu sur toutes les bêtes
se condense dans l'apparition soudaine d'un
être qui se trouve aux côtés de
l'Ancien assis sur le trône. « Je
regardais pendant cette vision nocturne et voici,
je vis quelqu'un de semblable à un fils
d'homme; il s'avança sur les nues des cieux,
arriva jusqu'à l'Ancien
des jours, et on le fit approcher de lui»
(13).
L'Ancien des jours rend le
gouvernement à ce fils de l'homme: «Il
lui donna la puissance, la gloire et la
royauté; et tous les peuples, nations et
tribus de toutes langues se mirent à le
servir. Sa puissance est éternelle, elle ne
passera point, et son règne ne sera jamais
détruit »
(14).
Ici,
l'oeil du prophète
s'ouvre sur Jésus-Christ, le Chef de
l'Église. Il n'y a qu'un trône
éternel, celui dont parle le Christ, dans le
chapitre XXV
de Matthieu. «Le soir et la
nuit vont venir, mais le matin aura le dernier
mot.» Lorsqu'au matin du dernier jour «
le Fils de l'Homme » viendra sur les
nuées du ciel, il marquera la fin de toutes
les nuits et de toutes les obscurités.
« Toutes les nations seront assemblées
devant lui. » Les douleurs qui accablent
aujourd'hui l'Église et qui fondent sur la
communauté sont les douleurs de
l'enfantement du dernier jour où «les
justes brilleront comme le soleil dans la maison de
mon Père ». Les tempêtes se sont
élevées comme les tempêtes de
l'arrière-saison, mais, pour le Christ et
pour ceux de son royaume, elles signifient les
orages du printemps. Notre regard ne voit pas, dans
la Parole de Dieu, «le déclin de
l'occident», mais l'aube du Royaume de Dieu.
«Instruisez-vous d'une comparaison
tirée du figuier. Dès que ses
branches deviennent tendres et qu'il pousse des
feuilles, vous savez. que
l'été est proche. Vous aussi, de
même, quand vous verrez tout cela, sachez que
le Fils de l'Homme est proche, qu'il est à
la porte»
(MATTH.
XXIV). L'Église
triomphante est en même temps l'Église
qui vient, celle qui « descendra du ciel comme
une épouse qui s'est parée pour son
époux»
(AP.
XXI, 2).
Parce que l'Église croit au
triomphe de son Seigneur de gloire qui descendra
sur les nuées, elle est taxée
aujourd'hui de folie et de présomption. Elle
envoie ses messagers annoncer la venue du Royaume
de Dieu et la venue du Fils de l'Homme, à
qui est remise la puissance sur les monstres qui
sortent de la mer en furie. L'Église entend
les mugissements de la mer démontée.
Elle voit l'embarcation danser comme une coquille
de noix sur les flots, au péril d'être
engloutie et dévorée par les monstres
marins; mais elle sait que la victoire finale
appartient au Fils de l'Homme. C'est pourquoi elle
est triomphante. Il est vrai que la voix du monde
retentit avec tant d'arrogance qu'elle couvre le
témoignage de l'Église. Mais celle-ci
sait que la petite voix qui vient de la
crèche de Bethléem, que le râle
qui vient de la croix et le cri de victoire du
Ressuscité réduiront au silence
«la bouche qui parle avec arrogance»,
«car sa domination est une domination
éternelle, qui ne passera pas et son
règne ne sera jamais détruit»
(14).
C'est la grande vision autour de
laquelle gravite le message du
prophète Daniel. Elle nous montre trois
choses :
1) la mer tumultueuse des
peuples et
les bêtes qui émergent de la
mer;
2) le trône du
Très-Haut qui exerce le jugement et le Fils
de l'Homme à qui le pouvoir est
donné;
3) l'Église
persécutée, mais triomphante par la
foi.
Ce dernier point pourrait nous
donner de l'inquiétude. Mais nous savons que
le Fils de l'Homme est en même temps le Chef
et le Berger de l'Église. Le berger voit
venir le lion, l'ours, le léopard et la
quatrième bête, mais il ne fuit pas,
«Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa
vie pour ses brebis. J'ai encore d'autres brebis
qui ne sont pas de cette bergerie;
celles-là, il faut que je les amène;
elles entendront ma voix, et il y aura un seul
troupeau et un seul berger »
(JEAN
X).
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |