Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'Église persécutée

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DANIEL, chap. VI

«Daniel se faisait remarquer parmi les ministres et les satrapes, parce qu'il y avait en lui un esprit supérieur; et le roi pensait à l'établir sur tout le royaume» (3).

Il y a quelque chose de singulier chez Daniel, quelque chose qui se retrouve de chapitre en chapitre. Daniel a « une saveur particulière», pourrait-on dire. Ce qui le distingue de tous les autres est appelé mystérieusement « un esprit supérieur». Il ne s'agit pas des dons exceptionnels qu'il a reçus, mais du mystère de son élection divine. Daniel est placé par Dieu à la cour et il exerce la mission de prophète et de sentinelle. Il l'exerce à la cour de Nébucadnetsar, puis à la table de Belsatsar et maintenant à la cour de Darius. Les rois se succèdent. Les trônes s'élèvent et sont renversés. Daniel subsiste : «car la Parole de notre Dieu demeure éternellement».

Darius est assez avisé pour employer cet homme mystérieux, qui obéit à un esprit supérieur, à l'édification et à l'affermissement de son royaume. Il y a eu, en tout temps, des rois et des régents qui non seulement toléraient à leur cour les membres de l'Église, mais les estimaient et les honoraient. En raison de l'esprit supérieur qui est en Daniel, le roi lui accorde une confiance illimitée. Oui, Daniel paraît être, parmi les cent vingt satrapes, le seul en qui le roi mette toute sa confiance. Le cours des événements montre comment Darius place pour ainsi dire son bonheur et son malheur entre les mains de ce «prisonnier de Juda ».

Mais lorsqu'un Daniel est à la cour d'un roi et reçoit les honneurs, le danger le guette. Daniel peut contrister l'esprit supérieur, qui est en lui, mais qui ne lui appartient pas. La faveur des rois s'accorde mal avec celle du seul Seigneur. Le danger de se conformer à leur entourage et d'adopter les courants d'idées qui passent est le malheur de toutes les Églises officielles et des Églises nationales, depuis Constantin le Grand. Cette conformité, avec le monde - établie aussi dans notre démocratie, comme au temps de Daniel - est telle que la grande masse ouvrière considère avec raison l'Église comme l'instrument des puissants et des classes dirigeantes. Daniel est devenu un personnage officiel. Malheur à lui s'il se conforme à son entourage, car il cessera alors d'être lui-même.

Si, au début de ce chapitre intitulé : «Daniel dans la fosse aux lions», nous voyons Daniel non pas dans la fosse, mais sain et sauf à la cour du roi, nous n'avons pas moins à trembler pour lui, autant que s'il était aux prises avec les fauves. La cour du roi est beaucoup plus dangereuse pour Daniel que la fosse aux lions. Mais voyez! À la cour du roi, où Daniel a reçu les plus hautes dignités qui puissent lui être conférées, se produit un miracle : Daniel demeure ce qu'il est. Il reste « un des prisonniers de Juda». Il reste soumis avant tout à son Dieu. Trois fois le jour, il se met à genoux, comme les membres de la communauté à laquelle il appartient ont coutume de le faire. En vérité, il y a en cet homme un esprit supérieur qui le préserve de toute chute et de toute trahison. Celui qui s'imagine qu'il s'agit ici de fermeté et de vertus humaines n'a pas encore compris Daniel. Car il est écrit: «Le diable - même hors de la fosse aux lions - rôde comme un lion rugissant, cherchant qui il dévorera». Daniel est d'abord préservé du diable sous la forme «d'un lion de salon» à la cour du roi.

Dieu étend sa main sur cet homme, longtemps avant de le sauver de la fosse aux lions. Si Dieu n'avait pas placé sur lui son bouclier protecteur, il se serait enlisé dans le faste de la cour et aurait occupé un poste tel que celui de premier prédicateur de la cour! Si nous comparions Daniel à nous chrétiens, nous qui sommes tolérés, estimés, honorés dans la société, nous pourrions craindre que Daniel ne s'amollisse et ne puisse supporter l'épreuve de la fosse aux lions.

Il est encore temps pour l'Église de s'armer. La fosse aux lions ne s'est pas encore ouverte, chez nous, comme ailleurs. Il nous semble souvent que de minces planches la recouvrent, que d'année en année elles s'affaiblissent et qu'un jour elles céderont sous nos pas. Le temps qui nous est donné devrait nous servir à nous libérer de cette pourriture spirituelle insidieuse, qui nous pousse à éviter l'obstacle et le scandale, qui cède devant l'opposition et qui oriente la Parole de Dieu dans la direction de la moindre résistance. Puisse bientôt un souffle passer dans les rangs de l'Église évangélique de notre pays. Un souffle de cet « esprit supérieur », qui maintient l'Église dans la fidélité, à la cour, afin que le monde sache que Dieu est Dieu et qu'il a une Église dans ce monde. La différence entre ce chapitre et le chapitre III - qui nous montre également l'Église persécutée - consiste en ce que là (chap. III), c'est le roi qui, de son propre chef, déclenche la persécution ; tandis qu'ici (chap. V) la persécution n'est pas dans la volonté du roi, ni dans celle de l'Église; l'Église, même pendant la persécution, continue à jouir de l'estime et de la sympathie du chef supérieur de l'État.

Nous voyons ici le rôle que joue l'entourage des souverains du monde. Ce n'est pas le roi qui ordonne qu'on l'adore pendant trente jours. C'est une manoeuvre de ses courtisans qui lui suggèrent cette pensée: «Tous les ministres du royaume, les préfets, les satrapes, les conseillers, et les gouverneurs sont d'avis que le roi proclame un édit et qu'il publie une défense expresse » (7). Lorsqu'un chef d'État se laisse adorer, son entourage y trouve son intérêt immédiat. Plus les chefs d'État sont puissants, plus ils sont en danger de devenir dépendants de leurs conseillers.

Ici intervient une puissance impersonnelle qui prend le pas sur le roi lui-même. Cette puissance est maintes fois mentionnée, «la Loi des Mèdes et des Perses» (8, 12, 15). Cette «Loi», encore une fois, n'est pas évoquée par le roi, mais par son entourage intrigant.

Darius appose lui-même son sceau sans avoir le moindre soupçon qu'un de ses sujets les plus sûrs et les plus fidèles puisse être atteint par là. Derrière cette Loi des Mèdes et des Perses, sont tapies des puissances occultes. Cette Loi devient une puissance spirituelle qui crée la mort; le roi lui-même est impuissant à l'arrêter. Pour finir, ce n'est plus le roi qui est assis sur le trône, mais une Loi exsangue et sanguinaire à la fois; comme un maléfice elle terrorise tout homme, elle se répand sournoisement sur le pays tout entier et s'asservit le roi lui-même. Dans ce sixième chapitre, le vrai visage de la tyrannie absolue est dévoilé en Darius.

Et maintenant que fait Daniel à l'égard de son ennemi personnel et impersonnel, à la cour du roi ? «Quand Daniel eut appris que le décret était rédigé, il entra dans sa maison où se trouvait une chambre haute dont les fenêtres étaient ouvertes dans la direction de Jérusalem. Là il se mettait trois fois par jour à genoux et il priait, et louait Dieu, comme il le faisait auparavant» (10). Il convient de remarquer que Daniel ne procède pas à une prise de position ou à une attaque. Ce qui est décrit ici est plutôt une retraite qu'une offensive.

« Il entra dans sa maison. » Il y eut, dès le commencement de l'histoire de l'Église, des temps où se sachant mise de côté, l'Église dut se retirer «dans sa maison» pour annoncer l'Évangile secrètement, et en paraboles au sens voilé, au lieu de le proclamer « sur les toits ». Ce passage est peut-être un avertissement divin pour l'Église persécutée. Il la met en garde contre toute action irréfléchie qui pourrait déclencher la pierre de la persécution avant le temps marqué, ou, ce qui serait pire, lui donner un caractère trop officiel qui entraînerait un Évangile édulcoré.

Dans notre pays, nous avons encore la permission de proclamer l'Évangile librement et ouvertement.
Nous pouvons encore commenter le livre de Daniel.
Nous pouvons encore sonner les cloches et nous rendre à l'église en plein jour, dans nos habits du dimanche. Ce ne sont plus des choses qui vont de soi. Le temps pourrait venir où nous aussi devrions nous enfuir «dans la maison » avec l'Évangile ou encore dans des lieux plus secrets. L'histoire de l'Église sait quelque chose des grottes, des fentes de rochers et des catacombes ! « Lorsque Daniel sut que le décret était écrit, il se retira dans sa maison. »

La retraite dans sa maison ne fut pas un reniement. À la maison, il reste ce qu'il est. Daniel sait que «la Loi des Mèdes et des Perses » a des yeux et des oreilles qui s'étendent jusqu'au lieu où se tient celui qui prie à genoux. Daniel sait que trois fois le jour «le lion rugissant», sous la forme des espions et des sbires, rôde autour de la maison. Mais «l'esprit supérieur » qui demeure en lui ne tolère pas que la louange de Dieu se taise devant «la Loi des Mèdes et des Perses ». «L'esprit supérieur» obtient que l'angoisse de la fosse aux lions soit enlevée à Daniel, même si la crainte et le tremblement subsistent. C'est le deuxième miracle de protection qui paraît à nos yeux. Daniel « dans sa maison», où la tentation est particulièrement grande et proche, est préservé de trahir. En vérité, seul un «esprit supérieur», le Saint-Esprit, peut accomplir ce miracle.

Et alors survient le troisième miracle, le miracle de la protection dans la fosse aux lions, que nous relate ce chapitre : «Alors on le jeta dans la fosse aux lions. Le roi, ayant pris la parole, dit à Daniel : Puisse ton Dieu, que tu sers avec persévérance, te délivrer lui-même !... Le roi rentra ensuite dans son palais et il passa la nuit sans manger, il ne put pas dormir » (16, 18). La pieuse invocation que le roi adresse à Daniel, comme une phrase prononcée sans foi, pour cacher son embarras, s'accomplit d'une manière inattendue. Lorsque nous pensons à l'image, grandeur naturelle, d'un des innombrables fions reproduits sur les murs extérieurs du palais de Babylone, lions sculptés en bas-relief et reproduits en émail étincelant, destinés à inspirer soit du respect à l'étranger paisible, soit de la crainte à l'ennemi; quand on contemple cette gueule grande ouverte, armée de dents, on ne peut que dire : Vraiment, il s'est passé un miracle. «Dieu a fermé la gueule des lions. » Chercher une autre explication serait une folie. Pour notre raison - mais non pas pour la toute-puissance de Dieu - ce miracle dans la fosse aux lions est plus grand que les deux autres miracles de préservation.

Nous sommes frappés, en lisant ce chapitre, de voir à quel point les résonances de l'histoire de la Passion transparaissent ici - confusément il est vrai - mais d'une façon continue, et, par endroit, comme nous allons le voir, presque mot pour mot :
«Alors les ministres et les satrapes cherchèrent un motif d'accusation contre Daniel au sujet des affaires du royaume. Mais ils ne purent trouver aucun motif, ni aucun grief contre lui, car il était fidèle, de sorte qu'on ne pouvait surprendre en lui ni faute, ni défaillance » (3). Il nous est dit, dans l'histoire de la Passion : «Les principaux sacrificateurs et tout le sanhédrin cherchaient un témoignage contre Jésus, pour le faire mourir, et ils n'en trouvaient point... » Lorsqu'il est dit, au sujet du roi Darius : «Il prit à coeur de délivrer Daniel, et jusqu'au coucher du soleil il fit des efforts pour le sauver, et pendant la nuit il ne put pas dormir», ceci nous fait penser à Ponce Pilate et à sa femme. Lorsque Daniel fut libéré de cette cruelle épreuve, il nous est dit que : «Ses persécuteurs, leurs enfants et leurs femmes périrent misérablement dans la fosse aux lions». N'entendons-nous pas ici le Christ en marche vers le lieu de l'exécution s'écrier, en présence de la multitude : «Ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous et sur vos enfants !»

La similitude avec le récit de la Passion est surprenante : « On apporta une pierre qui fut mise sur l'ouverture de la fosse et le roi la scella de son anneau et de l'anneau des seigneurs, afin que rien ne fût changé à l'égard de Daniel » (18). Lorsque Darius s'écrie à l'ouverture de la fosse: «Puisse ton Dieu, que tu sers avec persévérance, te délivrer lui-même», n'entendons-nous pas le cri moqueur des passants à Golgotha: « Sauve-toi toi-même, il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même». On croit entendre les paroles qui annoncent l'Évangile de Pâques, lorsqu'il est dit du roi Darius : « Le roi se leva au point du jour, dès l'aurore, et il se rendit en toute hâte à la fosse aux lions. Comme il approchait de la fosse, il appela Daniel d'une voix triste... » (19, 20).

Cet accord surprenant avec Vendredi-Saint et Pâques est-il pure incidence ? Ne pourrait-on pas déduire qu'ici encore le doigt du prophète désigne Jésus-Christ ?

Et maintenant, si nous regardons à Jésus-Christ, nous constatons en quoi il ne fut pas donné à Daniel de pénétrer toute la profondeur du mystère de Christ, le regard du Christ se porte infiniment au delà de ce qui fut montré à Daniel. Le Christ ne put pas dire ce que Daniel répondit au roi après avoir passé la nuit dans la fosse aux lions: «Mon Dieu a envoyé son ange, il a fermé la gueule des lions qui ne m'ont fait aucun mal, parce que j'ai été reconnu innocent devant Dieu» (22). Le Christ dut mourir pour les péchés du monde bien qu'il « fût trouvé innocent devant Dieu», précisément parce qu'il l'était. Tel était le décret de Dieu. Dans le jardin de Gethsémané, «un ange lui apparut du ciel, pour le fortifier», mais la coupe ne lui fut pas ôtée. Il dut la boire jusqu'à la lie. Lors de son arrestation, Christ pouvait invoquer son Père qui lui eût donné, à l'instant même, plus de douze légions d'anges. Mais il ne le fit pas, laissant advenir ce qui devait advenir. Il laissa briser son corps et verser son sang. Le bon Berger voit venir le loup et ne s'enfuit pas.
Combien ce châtiment est étrange, «le bon Berger donne sa vie pour ses brebis », «Le maître, le juste, paye la dette pour ses serviteurs ».

Daniel reste en vie dans la fosse aux lions. Ceci est un miracle. Le Christ, et avec lui son Église qui doit parfois être exposée aux lions, ne reste pas en vie. Jésus-Christ meurt et son cadavre est déposé dans la tombe. Mais le Maître de la vie et de la mort rend la vie au cadavre. Il est pour ainsi dire ressorti vivant des entrailles du lion. Une lumière tombe sur le récit du prophète Jonas qui, après avoir passé trois jours dans le ventre d'une baleine, revient à la vie. C'est pourquoi au matin de Pâques, un ange de Dieu se trouve sur le sépulcre vide et prononce une parole beaucoup plus insaisissable que celle de Daniel, après qu'il eut passé la nuit dans la fosse aux lions. Cet ange annonce un miracle au monde, miracle sans lequel aucun autre miracle n'aurait pu être accompli, le miracle des miracles : « Je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié, Il n'est point ici; Il est ressuscité, comme il l'avait dit. Venez, voyez le lieu où Il était couché, et allez promptement dire à ses disciples qu'Il est ressuscité des morts».

Nous pouvons ajouter, comme conclusion à ce chapitre, un édit du roi Darius, dont les paroles s'accordent étonnamment à celles du Ressuscité, qui nous sont rapportées de la période entre Pâques et l'Ascension : « Alors le roi Darius écrivit à tous les peuples, aux nations et tribus de toutes langues qui habitent sur toute la terre : « Que la paix vous soit donnée en abondance ! Par moi il est ordonné que, dans toute l'étendue de mon royaume, on s'incline avec crainte et respect devant le Dieu de Daniel. Car il est le Dieu vivant, et il subsiste éternellement; son règne ne sera jamais détruit, et sa domination n'aura pas de fin. Il sauve et il délivre, il accomplit des miracles et des prodiges dans les cieux et sur la terre. C'est lui qui a délivré Daniel de la griffe des lions. »

« Daniel prospéra sous le règne de Darius, et sous le règne de Cyrus, roi de Perse » (25-28).

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