DANIEL,
chap. V
Ici, nous sommes en pleine nuit.
La
lueur lointaine d'une étoile brillait encore
sur le roi Nébucadnetsar. Sur son fils
Belsatsar, c'est la nuit sans étoile,
irrémédiablement noire. Mais sur ces
ténèbres, l'appel d'En-Haut retentit
: « Lève-toi, sois
éclairé, car la lumière arrive
et la gloire de l'Éternel se lève sur
toi».
Dans ce cinquième chapitre du
livre de Daniel, nous sommes non seulement dans la
nuit, mais dans les ténèbres.
L'obscurité est telle que nous pouvons nous
demander si nous reverrons jamais le jour. Mais
nous ne pouvons l'affirmer sans ajouter
aussitôt : «Voici, les
ténèbres couvrent la terre et
l'obscurité le peuple, mais sur toi
l'Éternel se lève, sur toi sa gloire
apparaît ».
N'oubliez pas la lumière !
«La lumière luit dans les
ténèbres. » Mais «les
ténèbres ne l'ont point reçue
». Il y a des ténèbres, qui
«ne reçoivent pas ». Et il s'agit
ici de ces ténèbres-là. Ces
ténèbres sont si profondes que seule
l'Écriture peut en révéler de
pareilles. Mais, pour l'Église, cela
signifie qu'au delà de toutes les
impossibilités humaines, quelqu'un habite
une lumière inaccessible ! Parce qu'ici
règnent la nuit et les
ténèbres, l'Église doit
croire. Là où une telle perdition se
manifeste, la main de l'homme ne peut que chercher,
en tâtonnant, la main du Sauveur.
Voilà pourquoi il est impossible de lire ce
chapitre sans regarder continuellement à
Jésus-Christ. Chaque mot et chaque syllabe
vont au-devant du Sauveur, au-devant de Noël,
de Vendredi-Saint et de Pâques, de
l'Ascension et de Pentecôte.
Le Christ est annoncé
ici.
Dès le début du
chapitre, nous sommes plongés dans la nuit,
et un tableau de dépravation profonde se
déroule à nos yeux. « Le roi
Belsatsar, un dernier rejeton de la dynastie de
Nébucadnetsar, donna un festin à ses
grands, au nombre de mille, et il but du vin en
leur présence»
(1).
Avec Belsatsar et ses mille
grands, s'enivrent également leurs «
femmes et leurs concubines». À travers
cette cour royale, nous jetons un coup d'oeil sur
le monde, tel qu'il était au moment
suprême qui précède le
déclin. Le mal s'est développé
cyniquement. Il n'y a plus de retenue. Le
péché est au point où la
maturité offre des signes de
putréfaction. Et maintenant, il suffira d'un
rien pour qu'arrive le saut dans le vide. Pendant
ce festin de Belsatsar -
qui
n'est pas un personnage quelconque, mais le
représentant d'un peuple, qui, comme lui,
est mûr pour le jugement - il règne
une atmosphère d'orage, comme aux jours de
Sodome et Gomorrhe, comme au temps de Noé,
où «ils mangeaient, buvaient, se
mariaient et mariaient leurs enfants jusqu'à
ce que le déluge vînt et les
emportât tous». Nous avons souvent
l'impression qu'un vent pestilentiel souffle de nos
jours. À l'époque de Belsatsar, le
déluge fit irruption. À la mort de
Nébucadnetsar, nous voyons les constructions
érigées par lui pendant
quarante-trois années, puissance et gloire
de Babylone, qui commencent à
s'écrouler. «Le sable du désert
s'étend comme un linceul sur les ruines.
»
Mais nous n'en sommes pas encore
là. La longanimité et la patience de
Dieu retiennent encore ce monde de mort. Il est
suspendu comme à des fils ténus.
C'est encore pour Belsatsar l'heure du salut. Il
lui reste la promesse faite aux péagers et
aux pécheurs. L'appel à la repentance
et à la conversion lui est encore
adressé. «Comme Jésus
était à table dans la maison de
Lévi, beaucoup de publicains et de gens de
mauvaise vie se mirent aussi à table avec
lui et avec ses disciples. Les scribes et les
pharisiens virent cela et ils dirent à ses
disciples : Pourquoi mange-t-il et boit-il avec les
publicains et les gens de
mauvaise vie? Jésus, prenant la parole, leur
dit : Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui
ont besoin de médecin, mais les malades.
»
Le Christ ne s'arrête pas au
seuil de la salle du trône - large de
dix-sept mètres et longue de cinquante-deux
mètres, aux parois blanchies à la
chaux, comme l'attestent les fouilles de la
Babylone disparue, salle dans laquelle Belsatsar
prit son dernier festin avec ses mille grands - le
Christ entre dans la salle. L'Évangile des
péagers et des pécheurs s'adresse
également à cette salle de
fête. Le fait que Jésus ne
s'arrête pas sur le seuil des salles de
Belsatsar nous est montré aujourd'hui -
d'une manière moins frappante mais pourtant
visible - par un petit ruban bleu à la
boutonnière d'un jeune homme qui se sait
appelé par le Christ à livrer combat
contre le fléau de l'alcool et les
pièges des femmes; ou par une salutiste qui
se tient au coin de la rue.
Je garderai toujours le souvenir
d'un soir de Pentecôte à Hambourg.
Nous nous rendions au bord de la mer lorsque nous
vîmes, en passant dans le quartier du port,
des soldats de l'Armée du Salut (hommes et
femmes) pénétrer dans les salles de
Belsatsar comme des pompiers qui vont chercher des
sinistrés. Ce fut pour nous une preuve que
le Christ est plus grand que la perdition de
Belsatsar. De même, le Christ ne
s'arrête pas lorsque, vers minuit, les salles
de festin commencent à se vider et qu'un
esclave de Belsatsar rentre chez lui en titubant.
On rencontre parfois, dans la cure d'âme, des
femmes ou des mères qui, depuis des
années, des décennies, se tiennent
aux côtés d'un Belsatsar et, chaque
matin, élèvent l'étendard de
la foi. La couronne de vie est promise à la
foi qui persévère. Belsatsar nous est
donné afin qu'au travers de lui notre foi
grandisse et que la gloire du Sauveur soit
manifestée.
Mais « le grand festin »
de Belsatsar ne peut en aucune sorte se terminer
dans le vin, les femmes et les chants. Un Belsatsar
ne pouvait continuer sa fête par des moyens
aussi communs. Une attraction, qui stimule le
système nerveux, devait être offerte
aux hôtes et marquer le point culminant du
banquet. Belsatsar fait apporter les vases
précieux que son père
(chapitre
I, verset 1) avait, en son
temps, enlevés du temple de Jérusalem
comme butin de guerre. Ces coupes passent à
la ronde parmi les mille grands, les femmes et les
concubines; des remarques impies accompagnent cet
acte ignoble.
Ce sacrilège aurait dû
provoquer le châtiment de Dieu. Mais Dieu
attend. Il peut attendre. Chacun de ces êtres
frivoles peut absorber la boisson infâme et
aucun d'entre eux n'est frappé, sur le coup,
d'apoplexie.
La longanimité et la patience
de Dieu sont grandes.
Mais nous devons
immédiatement ajouter: Dieu attend, non
seulement là où l'ivresse
insensée et l'hallucination ont
balayé toutes limites, mais là aussi
dans les lieux décents où son nom est
pris en vain. Les vases de Dieu peuvent être
souillés avant même que
Nébucadnetsar ne les ravisse du Temple et
avant même que les serviteurs de Belsatsar ne
les placent sur la table du festin. Dieu doit user
d'autant de patience avec ceux qui se rendent au
temple qu'avec ceux qui se rendent au festin.
Même les mains du prêtre ne sont pas
pures. Les mains qui saisissent les ustensiles des
temples et les lèvres qui se portent au bord
des coupes sacrées ne peuvent être que
des mains et des lèvres impures.
L'accès à la table de
communion est ouvert même à la troupe
de Belsatsar, sinon, quel pasteur pourrait
distribuer le pain, quel ancien d'Église
pourrait tenir la coupe, quel sacristain pourrait
verser le vin et quel membre d'Église
pourrait approcher de la table de communion ? Il
n'y a point de chrétien qui, un jour ou
l'autre, ne se soit assis à la table de
Belsatsar. Le pardon de Dieu s'étend
même bien au delà de Belsatsar,
jusqu'à cette sombre nuit dans laquelle
Judas eut libre accès à la Sainte
Cène et entendit un dernier appel à
la Vie. Le bon Berger cherche ses brebis dans
l'abîme le plus profond.
Mais, tandis que « le grand
festin» a atteint son point culminant, Dieu
intervient et présente un numéro
inédit au programme du festin de Belsatsar.
«En ce moment, on vit paraître les
doigts d'une main d'homme, et ils
écrivirent, en face du candélabre,
sur la chaux de la muraille du palais royal»
(5).
Dieu dans sa bonté
présente un signe avertisseur. Maintenant
encore, Dieu veut avertir; avertir et non pas
détruire. Il est encore temps pour Belsatsar
de voir et d'observer les signes de Dieu,
annonçant que l'heure a sonné pour
lui et pour sa race. C'est encore le temps de la
grâce pour le palais de Babylone. Dans la
parabole, le maître sort encore à la
onzième heure pour louer des ouvriers dans
sa vigne. Dans l'économie de Dieu, il y a la
grâce de la onzième heure, la
grâce du brigand sur la croix. Cette
grâce est offerte à Belsatsar,
à ses mille grands, à ses femmes et
à ses concubines, à toute sa race.
C'est à cette fin que les doigts
apparaissent sur la muraille du palais royal.
«L'un des malfaiteurs crucifiés
l'injuriait, disant: N'es-tu pas le Christ ?
Sauve-toi toi-même, et sauve-nous ! Mais
l'autre le reprenait, et disait : Ne crains-tu pas
Dieu, toi qui subis la même condamnation ?
Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce
qu'ont mérité nos crimes; mais
celui-ci n'a rien fait de mal. Et il dit à
Jésus : Souviens-toi de moi, quand tu
viendras dans ton règne. Jésus lui
répondit : Je te le dis en
vérité, aujourd'hui tu seras avec moi
dans le paradis. »
Cette grâce est
accordée au roi et à sa
génération, par cette main, sur la
paroi de la salle du festin. Belsatsar,
arrête-toi ! le temps presse ! Il est
passé onze heures et l'aiguille avance sur
le cadran !
Quel fut l'effet produit ? «
Alors Belsatsar changea de couleur et ses
pensées le troublèrent ; les
jointures de ses reins se relâchèrent
et ses genoux se heurtèrent l'un contre
l'autre »
(6).
Plus tard, lorsque les savants
de la cour ne purent donner l'interprétation
du signe au roi, il nous est dit encore: «Sur
quoi Belsatsar fut très effrayé, il
changea de couleur, et ses grands furent
consternés»
(9).
L'effet produit par le signe est
la frayeur, une frayeur à bon marché,
rien de plus. Mais Dieu ne veut pas effrayer
Belsatsar. Il attend autre chose de lui, quelque
chose de plus grand et de plus magnifique, Dieu
veut conduire Belsatsar à la repentance,
à la conversion et à la vie
éternelle. Mais Belsatsar ne veut pas la
repentance. Il veut s'en tirer à meilleur
compte, il veut seulement être
effrayé, ainsi que sa
génération. Fanfaron, Belsatsar
entend encore jouer son rôle de roi qui
consiste à distribuer «la pourpre et
les colliers en or» et à
conférer les dignités, les ordres et
les charges
(16).
Il a toujours encore les mains
pleines et il n'a pas encore remarqué qu'il
serait temps de tendre une main de suppliant. Celui
qui veut toujours distribuer n'est pas encore
mûr pour recevoir.
Belsatsar est endurci.
La bonté de Dieu ne
connaît pas de limites. Elle surpasse tout ce
que nous, hommes, pouvons imaginer. Mais cependant,
au delà de notre connaissance, il y a une
limite à la bonté de Dieu. Car,
à la longue, Dieu ne permet pas qu'on se
moque de lui. Le jour vient où Dieu dit :
«C'est assez». Il nous est dit, dans une
parabole : «Pendant qu'elles allaient acheter
de l'huile, l'époux arriva ; celles qui
étaient prêtes entrèrent avec
lui dans la salle des noces, et la porte fut
fermée. Plus tard, les autres vierges
vinrent, et dirent : Seigneur, Seigneur,
ouvre-nous. Mais il répondit : Je vous le
dis en vérité, je ne vous connais
pas».
Il y a un moment mystérieux
où la porte se ferme.
Mais, en vérité, avant
que la porte du palais se referme à tout
jamais sur Belsatsar et sur sa
génération, elle s'ouvre encore une
fois. La longanimité et la patience de Dieu
sont presque scandaleusement inouïes. La
reine-mère entre dans la salle. Jusqu'ici
elle n'a pas encore pris part au banquet. Elle a
fait ce qu'une mère fait lorsque son fils
s'adonne à la boisson et aux pièges
des femmes. Elle veille.
Elle apparaît comme un ange au
milieu de la consternation générale.
Elle est véritablement un ange, une
messagère de Dieu qui offre une
suprême fois sa grâce.
Elle rappelle à Belsatsar un
homme qu'il a oublié depuis longtemps,
« du temps de ton père, on trouva chez
cet homme des lumières, de l'intelligence et
une sagesse semblable à la sagesse des
dieux»
(11).
Cet homme oublié, c'est
Daniel. Et Daniel vit, même s'il est
oublié. Daniel représente
l'Église de Dieu à la cour de
Belsatsar. Daniel peut attendre, jusqu'au jour de
la grande frayeur: à ce moment-là on
l'appellera. Belsatsar se déclare prêt
à entendre l'homme Daniel. Mais il veut le
rendre maniable et, dans sa grande condescendance,
lui décerner «la pourpre et le collier
d'or».
Dans les premiers jours du mois
d'août 1914, Belsatsar a de même
recherché Daniel, lorsque, pendant une
brève période, les églises se
remplirent jusqu'à la dernière place.
Mais ce ne fut pas un jour de repentance et de vie,
ce fut une faiblesse de nerfs
passagère.
Maintenant Daniel remplit sa
charge.
Il repousse la main généreuse de
Belsatsar par ces mots « Garde tes dons, et
accorde à d'autres tes présents»
(17).
«Tu n'as pas
humilié ton coeur quoique tu fusses instruit
de tout cela, que tu susses ce qu'il lui advint et
que tu visses que Dieu ne permet pas qu'on se moque
de lui. C'est pourquoi, non à cause de tes
péchés, mais à cause de ton
endurcissement, Dieu a compté les
années de ton règne et y a mis fin.
Tu as été pesé dans la balance, tu as
été trouvé trop léger,
et Dieu t'a rejeté. Ton royaume sera
supprimé. « Mene, tekel,
U-pharsim», telle est la signification de
cette parole tracée sur la muraille.»
(22-28.)
Soudain, la nuit descend sur
Belsatsar et sur sa génération. C'est
la nuit des « ténèbres
extrêmes » dans laquelle, selon le
témoignage de l'Écriture «il y
aura des pleurs et des grincements de dents »,
la nuit dont il est dit: «Insensé!
cette nuit même ton âme te sera
redemandée ». C'est la nuit que nous ne
pouvons pas un instant considérer en face
sans regarder au crucifié.
«Cette même nuit,
Belsatsar, roi des Chaldéens, fut tué
»
(30).
Nous venons de fêter
Pentecôte et nous avons lu: «
Après avoir entendu ce discours, ils eurent
le coeur vivement touché, et ils dirent
à Pierre et aux autres apôtres Hommes
frères, que ferons-nous ? Pierre leur dit
Repentez-vous, et que chacun de vous soit
baptisé au nom de Jésus-Christ, pour
le pardon de vos péchés; et vous
recevrez le don du Saint-Esprit. Car la promesse
est pour vous, pour vos enfants, et pour tous ceux
qui sont au loin, en aussi grand nombre que le
Seigneur notre Dieu les appelle. Et par plusieurs
autres paroles, il les conjurait et les exhortait,
disant. Sauvez-vous de cette
génération perverse. »
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