Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'Église vigilante

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DANIEL, chap. IV

L'arbre que Nébucadnetsar voit en songe, dans ce chapitre, est d'une hauteur gigantesque. Les arbres peuvent s'élever très haut. Leurs cimes orgueilleuses peuvent toucher au ciel. Ils prennent la terre aux arbrisseaux et leur interceptent le soleil. Et apparemment Dieu regarde en spectateur. Il laisse tomber la pluie et permet au soleil de luire pour favoriser la croissance des grands arbres. Même l'injustice de ce monde se développe par la grâce de Dieu. Mais Dieu ne sommeille pas, même si sa longanimité à l'égard de ces grands arbres est souvent plus grande que la nôtre. Sa justice subsiste même lorsque nous ne pouvons plus la discerner.

Nébucadnetsar ne passe pas ses nuits aussi paisiblement qu'il ne le semble. Il voit en songe « celui qui veille et qui descend du ciel». Le veilleur se tient à son poste. C'est pourquoi ne tremblez pas, petits arbres qui végétez à l'ombre parce que le grand arbre vous intercepte le soleil. Celui qui veille vit et n'a encore jamais laissé de repos à un Nébucadnetsar. Ne tremblez pas, petits arbres, l'heure du grand arbre viendra. Celui qui veille s'en porte garant.

La gloire de Nébucadnetsar se prolonge. Même lorsque le jugement a été prononcé, il lui reste encore douze mois de répit. Mais alors, telle la foudre qui tombe en plein jour, le jugement fond sur lui. L'orgueil s'est emparé de Nébucadnetsar. Il se compare «à un arbre planté au bord d'un ruisseau ». Dans l'éclat de ses succès politiques et culturels, il dépasse la mesure: «N'est-ce pas ici la grande Babylone que, grâce à ma puissance souveraine, j'ai bâtie pour en faire la résidence royale à la gloire de ma majesté?» (30). «La parole était encore dans la bouche du roi lorsqu'une voix descendit du ciel » (31), une voix qui l'atteignit. La gloire de Nébucadnetsar a été de longue durée. La longanimité de Dieu est grande. Mais soudain paraît le jugement.

Je garde du temps de ma jeunesse ce souvenir des propos de vieux paysans lorsqu'ils étaient à table ou au travail et qu'ils parlaient des événements du monde : « Les arbres ne s'élèvent pas jusqu'au ciel », disaient-ils. Cette parole est entrée dans les dictons populaires, à une époque où l'on paraissait mieux connaître Daniel que de nos jours. Il nous est montré dans ce chapitre de quelle manière celui qui veille empêche «les grands arbres de pousser jusqu'au ciel ». Il s'agit de celui qui veille, de celui qui se tient à son poste et a le souci de l'honneur de Dieu. Nous avons de la peine à saisir qui est celui que Nébucadnetsar vit en songe, si ce n'est le témoin et le prophète de Dieu. Si haut que nous remontions dans l'Ancien Testament, chaque fois que paraît un Nébucadnetsar, nous voyons surgir à ses côtés celui dont la mission est de prendre garde qu'on n'oublie pas de «rendre à Dieu ce qui est à Dieu». Nous entendons Jean-Baptiste dire au roi adultère de son temps : «Il ne t'est pas permis d'avoir la femme de ton frère ». Il dit au peuple et aux grands ecclésiastiques cette parole surprenante
« Déjà la cognée est mise à la racine des arbres».

Il est bon que nous examinions plus attentivement le songe de Nébucadnetsar. Peut-être s'adresse-t-il, non seulement aux «grands arbres », aux rois, aux empereurs, aux dictateurs, mais également à nous autres qui, comme de frêles arbrisseaux, passons notre existence à l'ombre de ces grands arbres. Nébucadnetsar décrit en ces termes cet arbre qu'il voit en songe : « Son feuillage était beau, et ses fruits abondants. Il fournissait de la nourriture à tous; les bêtes des champs s'abritaient sous son ombre, les oiseaux du ciel se tenaient dans ses branches, et toute créature tirait de lui sa nourriture » (12).

On est surpris de la beauté de ces paroles", sortant de la bouche d'un souverain qui vécut il y a plus de deux mille cinq cents ans. Il nous est difficile de nous soustraire au charme de ce songe. Nébucadnetsar ne rêve pas uniquement de puissance, de grandeur et de pouvoir brutal. Il aimerait être « un arbre utile portant des fruits et de la nourriture pour tous ». Il se voit jouant le rôle de père de la Patrie, ses sujets sont ses enfants auxquels il assure la nourriture, les vêtements et le logis ainsi qu'aide et protection envers l'ennemi du dedans et celui du dehors. Dans son grand coeur de seigneur, il aimerait englober tous ses enfants. Songe vraiment digne d'un roi!

Jamais homme d'État ne pourrait souhaiter plus beau rêve. Rêve agréable aussi pour ses sujets. Un État grand et fort, une patrie qui serait redoutée et respectée par tous les peuples, un État dont la puissance, le crédit et la superficie s'étendraient jusqu'aux extrémités du monde - une telle perspective pourrait nous enthousiasmer, même sans être Nébucadnetsar. Nous aimerions tous être citoyens d'un pays dont le feuillage s'étende au loin et offre à tous les moyens de subsistance, citoyens d'une patrie dont l'enseignement, la nourriture et l'armement soient prospères, citoyens d'un État duquel on puisse dire : « Tout être vivant tirait de lui sa nourriture ». Il ne faudrait pas rejeter d'emblée un État pareil, surtout si l'on avait la chance d'y revêtir un poste, supérieur ou inférieur. Aujourd'hui, beaucoup de jeunes filles songent à ce Nébucadnetsar lorsqu'elles cherchent un mari dont le revenu soit assuré. Notre génération se jetterait, sans s'en apercevoir, dans les bras de Nébucadnetsar.

Nous commençons à rêver. C'est le songe de Nébucadnetsar que nous rêvons. Dans ce songe monte à notre conscience ce qui était caché dans notre inconscient. Nous avons follement rêvé de l'arbre dont la cime s'élève jusqu'au ciel et dont le feuillage s'étend jusqu'aux extrémités de la terre. Ce fut le rêve de nos peuples européens et américains, et c'est actuellement, avec une force inattendue le rêve de l'Orient. N'en est-il, pas ainsi ? N'avons-nous pas tous rêvé d'un âge où le monde entier serait notre patrie et où les cinq continents se tiendraient prêts à satisfaire tous nos désirs ?
Ce chapitre commence par ces paroles expressives :
« Moi, Nébucadnetsar, j'étais tranquille dans ma maison et florissant dans mon palais » (4). Ce songe naquit de la tranquillité. C'est ce que nous promettait jadis et ce que nous promet encore le progrès sous une autre forme, par ces grands mots : «le bien-être dans la maison » ; c'est un château, une résidence dans laquelle nous pourrions passer une existence tranquille et heureuse; une demeure dans laquelle nous serions assurés de ne plus avoir à demander le pain quotidien, une demeure dans laquelle nous aurions tout à dire et Dieu plus rien.
Ce fut notre rêve.

Je ne me rappelle pas avoir lu une description plus saisissante de l'aspiration profonde des peuples rejetés du paradis que celle du chapitre IV de Daniel.

«Moi, Nébucadnetsar, je vivais tranquille dans ma demeure et heureux dans mon palais. J'ai eu un songe: il y avait au milieu de la terre un arbre qui était très haut. Cet arbre était devenu grand et fort, sa cime s'élevait jusqu'aux cieux, et on le voyait des extrémités de toute la terre. Son feuillage était beau, et ses fruits abondants; il portait de la nourriture pour tous; les bêtes des champs s'abritaient sous son ombre, les oiseaux du ciel faisaient leur demeure parmi ses branches, et tout être vivant tirait de lui sa nourriture » (4, 10, 11, 12). Ce rêve dépeint une déification de soi-même qui touche au césaropapisme : «N'est-ce pas ici la grande Babylone, que j'ai bâtie, grâce à ma puissance souveraine, à la gloire de ma majesté ?» (30). Les fouilles de l'antique Babylone révèlent combien la glorification du monarque était motivée. Les briques mêmes avec lesquelles Nébucadnetsar construisit ses fortifications portent son nom et son effigie, et transmettent sa renommée aux générations les plus lointaines. Sur l'une des innombrables tablettes découvertes par les fouilles, Nébucadnetsar exprime le désir que ses dieux lui prêtent longue vie et santé. L'inscription se termine par ces mots : «J'aimerais vivre éternellement» (Robert Koldeway: La Babylone ressuscitée, Leipzig 1914, pages 53 et 75).

Nébucadnetsar construit «par sa puissance souveraine, à la gloire de sa majesté». Il souhaite vivre à jamais au milieu de ses constructions. Mais «celui qui veille» se tient à son poste et replace à ses limites humaines celui qui tente de pénétrer dans les conseils de Dieu. Celui qui franchit les limites de l'existence humaine «doit mourir». Car: «Je suis le Seigneur, ton Dieu, tu n'auras point d'autres dieux devant ma face - tu ne te feras point d'image taillée ni rien de semblable - tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point, car moi, l'Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux - tu ne laisseras point impuni celui qui prendra mon nom en vain» (EXODE XX). «Celui qui veille» n'acceptera pas que Nébucadnetsar construise « par sa puissance souveraine, à la gloire de sa majesté».

Passons à la deuxième partie de ce songe qui est moins plaisante. Nous entendons «celui qui veille » crier d'une voix forte : «Abattez l'arbre, coupez ses branches, secouez ses feuilles et dispersez ses fruits, afin que tous les vivants reconnaissent que le Très-Haut domine sur la royauté des hommes; qu'Il la donne à qui Il veut, et qu'Il y élève le plus humble de tous... » (14, 17).

C'est ce qui apparaît toujours plus distinctement à notre génération, depuis plus de vingt ans: «Celui qui veille à l'honneur de Dieu est à l'oeuvre». Il écime les fiers sommets et coupe le feuillage luxuriant, un frémissement visible agite non seulement les grands arbres, mais aussi les arbrisseaux. Nous entendons les coups de sa cognée retentir à travers la forêt des nations, et les coups se rapprochent toujours davantage de notre pays. Le temps vient, il n'est peut-être pas très éloigné où «les bêtes qui s'abritent sous son ombrage fuiront, et où les oiseaux prendront leur vol du milieu de ses branches » (14).

Il est dit de Nébucadnetsar qu'il fut chassé de la tranquillité de sa demeure et de la magnificence de son palais, parmi l'herbe des champs, lié avec des chaînes de fer et d'airain. Il fut trempé de la rosée du ciel. Dieu lui ôta son coeur d'homme et lui donna un coeur de bête. Il fut banni dans la campagne inculte jusqu'au jour où «ses cheveux poussèrent comme les plumes de l'aigle, et ses ongles comme ceux des oiseaux » (32, 33).

Il ne nous est pas donné de connaître jusqu'à quel point cette parole prophétique s'est accomplie pour notre génération et pour ceux qui la dirigent, et jusqu'à quel point elle s'accomplira dans les temps futurs. Nous pouvons simplement affirmer que nous nous trouvons inclus dans le jugement. Sommes-nous tout au début, peut-être au premier des sept temps ? L'homme qui franchit les limites humaines et ne prend pas garde « à celui qui veille » finira tôt ou tard par sombrer en dessous des limites humaines, par recevoir «un coeur de bête ». Le porteur d'une culture devenue athée et antichrétienne peut en dernier ressort être comparé à «une bête sauvage». Les cheveux teints, parfumés et frisés - l'orgueil de «l'homme de culture » - poussent comme les plumes de l'aigle, et ses ongles manucurés ressemblent à ceux de l'oiseau. Le gourmet sera chassé de sa cuisine bourgeoise ou végétarienne et devra s'estimer heureux de manger de l'herbe avec les boeufs - ou d'être un gardien de pourceaux - afin que tous les vivants reconnaissent que le Très-Haut domine sur la royauté des hommes; qu'il la donne à qui il veut, et qu'il y élève le plus humble de tous » (17).

Ce chapitre n'est pas encore terminé. (Qui pourra jamais en épuiser le sens ?) Il s'y trouve encore autre chose. De même que, parfois, dans une nuit noire comme le jais nous pouvons discerner une étoile isolée, entre des nuages chassés par le vent, nous voyons, dans ce chapitre - qui traite du plus grand jugement - une étoile. Une seule étoile, mais elle en est une. Celui qui la suivra avec persévérance finira par atteindre l'étable, dans laquelle naquit un enfant, alors que les ténèbres étaient grandes et que les ombres du péché et de la mort s'étendaient sur la terre.

Daniel donne au roi ce conseil spirituel: « C'est pourquoi, ô roi, daigne agréer mon conseil : Rachète tes péchés par la justice, et tes iniquités par la miséricorde envers les malheureux » (27). Daniel parle ainsi et c'est Dieu qui lui met ce conseil dans la bouche. C'est pourquoi le conseil qu'il donne au roi est juste. Dieu n'a pas cessé de parler. Après un silence séculaire, «la parole de Dieu était rare dans le pays », Dieu a parlé par la bouche de ses apôtres dans le Nouveau Testament. De sa lumière, le Nouveau Testament éclaire et complète le conseil de Daniel au roi : « Quand tu distribuerais tous tes biens pour la nourriture des pauvres, quand tu livrerais même ton corps pour être brûlé... » toute ta propre justice ne pourrait te délivrer de tes péchés et de tes iniquités. Il n'y a aucun lieu en ce monde où tu puisses être délivré de tes péchés et de tes iniquités qu'à Golgotha, le lieu où un roi d'une nature tout autre que la tienne, à cause de la multitude de tes péchés, fut lié avec des chaînes de fer et d'airain, maltraité et repoussé. Mais lorsque tu auras été délivré de tes péchés, par Jésus-Christ, rends-toi auprès des pauvres, et témoigne-leur ta reconnaissance afin que, durant le reste de ta vie, tu ne cesses de «pratiquer la justice en usant de compassion envers les malheureux». C'est l'étoile qui se lève au ciel sombre de ce chapitre. C'est l'étoile qu'il nous a déjà été donné de contempler, au chapitre premier, lorsque nous affirmions: «Dieu donna».
C'est l'étoile de Bethléem.

Le pardon accordé au roi coupable ne balaie pas d'un coup magique toutes les conséquences douloureuses de ses péchés, comme si aucun mal n'avait été commis. Nébucadnetsar doit supporter les conséquences de ses péchés et cela « jusqu'à ce que les sept temps aient passé sur lui » (17). Nébucadnetsar accepte ces conséquences. C'est le chemin de la repentance véritable et humble qu'il est prêt à suivre. Il suit ce chemin en se confiant à la main de Dieu, qui le châtie parce qu'il l'aime.

«À la fin de ces jours-là, moi, Nébucadnetsar, je levai les yeux vers le ciel, la raison me revint et je bénis le Très-Haut; je me mis à louer et glorifier celui qui vit éternellement, celui dont la puissance est une puissance éternelle, et dont le règne dure d'âge en âge. Tous les habitants de la terre ne sont à ses yeux que néant : Il agit comme il lui plaît, tant avec l'armée des cieux qu'avec les habitants de la terre, et il n'y a personne qui puisse arrêter sa main et lui dire: « Que fais-tu ? » (34, 35).

Ce qui nous est relaté dans le livre du prophète Daniel est miraculeux. Nous aimerions nous arrêter ici et réfléchir au miracle d'une repentance tardive qui s'accomplit dans le coeur d'un vieux tyran.

La conclusion de ce chapitre est une promesse, promesse aussi claire que celle de l'aurore après la nuit, annonciatrice d'un nouveau jour. Dieu ne veut pas anéantir Nébucadnetsar, parce qu'Il ne veut pas la mort du pécheur, mais sa conversion et son service. Une souche et une racine doivent rester à l'arbre. Dieu veut inclure, dans sa miséricorde, les princes et les hommes d'État. Il désire que ces grands arbres « portent du fruit en leur saison ». C'est pourquoi le roi termine par ces mots : «Dès ce temps-là, la raison me revint; la gloire de ma royauté, ma majesté et ma splendeur me furent rendues; mes conseillers et et les grands de mon royaume me rappelèrent; je fus rétabli dans ma royauté, et ma puissance s'accrut encore. Maintenant, moi Nébucadnetsar, je loue, j'exalte et je glorifie le Roi du Ciel, dont toutes les oeuvres sont vraies et les voies justes, et qui peut humilier ceux qui se conduisent avec orgueil» (36, 37).

Ici se termine le règne de Nébucadnetsar. Les nouveaux cieux et la nouvelle terre sont en vue; nous sommes en présence de cette gloire qui brilla, le matin de Pâques, au delà de la tombe. Ici, à la fin du règne de Nébucadnetsar, commence cet autre royaume dont il est dit :

« Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé qu'un homme a pris et semé dans son champ. C'est la plus petite de toutes les semences; mais, quand il a poussé, il est plus grand que les légumes et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches » (MATTH. XIII, 31-32).

«Celui qui veille» laisse la cime de cet arbre s'élever jusqu'aux cieux et les branches s'étendre jusqu'aux extrémités de la terre.

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