Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'Église confessante

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DANIEL, chap. III à chap. IV, 3

«Le toi Nébucadnetsar fait ériger et dresser une statue d'or haute de soixante coudées et large de six coudées. Il la dresse dans la plaine de Dura, dans la province de Babylone » (1). C'est ainsi que Nébucadnetsar a coutume d'agir. Il construit dans la province, où les paysans courbent l'échine sous le fouet des percepteurs d'impôts et des redevances. Il construit dans la plaine de Dura, où se dressent des huttes misérables, où les femmes peinent à la meule et où les enfants réclament du lait, parce que Nébucadnetsar réquisitionne tout l'or que ses sujets arrachent au sol pour ses jardins suspendus, pour les statues d'or, pour ses caprices dispendieux de souverain. Soixante coudées de hauteur et six coudées de largeur : telles sont les dimensions de l'idole criminelle des despotes qui se servent de la sueur, du sang et des larmes du peuple ouvrier pour ériger des statues d'or dans la plaine de Dura, dans la province de Babylone.

Mais Nébucadnetsar ne peut se réjouir à la vue de la statue d'or. L'éclat de l'or est froid et mat. C'est pourquoi Nébucadnetsar doit faire dévoiler la statue d'or dans la plaine de Dura. Nébucadnetsar attend beaucoup de cette cérémonie. Il lui faut le spectacle du peuple qui, les yeux brillants, contemple et admire la statue. «Les satrapes, les préfets, les gouverneurs, les conseillers, les ministres, les légistes, les prêtres et tous les fonctionnaires des provinces sont convoqués à l'inauguration de la statue. » Brillante revue ! Avec eux se trouvent également rassemblés « les peuples, les nations et les tribus de toutes les langues» (3). Un défilé gigantesque. « Ils durent», est-il dit plus loin, «se tenir debout devant la statue qu'avait érigée le roi » (4). «Ils durent. » (Voici ce qu'on vous ordonne) Dans le royaume de Nébucadnetsar tout marche au commandement. Les ordres de fer du roi ploient le peuple et les individus à sa volonté. L'assemblée doit attendre devant la statue que tombe le voile du monument en or. Ils doivent attendre dans l'obéissance, comme des enfants attendent, le soir de Noël, derrière la porte de la chambre que leur mère leur fasse signe d'entrer. Alors ils ont à témoigner de leur joie et de leur admiration, leurs yeux doivent briller. Nébucadnetsar, en tous les temps, nomme ça «inaugurer ». Ce n'est que lorsqu'il peut «consacrer sa statue » que son coeur se dilate de joie.

Mais Nébucadnetsar n'est pas sans inquiétude. Il sait parfaitement qu'un état d'esprit ne peut se commander. Il doit créer une atmosphère. Nébucadnetsar peut tout faire. Une atmosphère peut s'obtenir par une brillante fanfare. Il paraît suspect que les instruments de musique qui doivent remédier au manque d'animation soient si abondamment représentés : le cor, la flûte, la cithare, le sambuque, le psaltérion, la cornemuse, et toutes sortes d'instruments (5, 7, 10, 15). «Et le héraut cria d'une voix forte : peuples, nations, et tribus de toutes langues : voici l'ordre qui est donné, au moment où vous entendrez le son du cor, alors... », alors quoi ? Alors non seulement vos yeux doivent briller et vos lèvres crier: Vive le roi ! - cela ne suffit déjà plus à Nébucadnetsar - alors «vous vous prosternerez et vous adorerez la statue d'or que le roi Nébucadnetsar a élevée» (4,5).

Ils doivent adorer au commandement la statue large de six coudées et haute de soixante coudées, là dans la plaine de Dura, dans la province de Babylone. Ici la cérémonie prend un caractère religieux! À la lumière d'en-haut, l'effigie d'or revêt un suprême éclat. La fête de la dédicace de la statue de Nébucadnetsar ne peut se terminer sans «mystique». Le point culminant de l'inauguration est atteint lorsque non seulement les échines se courbent, mais lorsque les assistants fléchissent les genoux et commencent à joindre les mains. N'est-ce pas surprenant ! À travers les millénaires, Nébucadnetsar ne peut rester sur son trône que si l'autel se trouve à côté et lui confère la stabilité nécessaire. Nébucadnetsar ne peut pas vivre uniquement du roulement du tambour et de la sonnerie de trompette, il est altéré de musique plus douce, «du psaltérion et de toutes sortes d'instruments à cordes ». Lorsque le choral se mêle au roulement du tambour et que le prêtre de Baal fait sonner la cloche, alors seulement la conscience de Nébucadnetsar vient à se taire sur son crime, là-bas dans la plaine de Dura, dans la province de Babylone.

Nébucadnetsar est puissant, il l'est d'une manière exceptionnelle. Il incarne ce que nous appelons, aujourd'hui, l'État totalitaire. Sa puissance est totale, elle s'étend sur tout, il n'y a aucun domaine qui ne soit soumis à son empire. La puissance totale, celle qu'un homme exerce sur «les peuples, les nations et les tribus de toutes les langues », cette puissance est soulignée jusqu'à neuf fois dans le troisième chapitre du livre de Daniel - en des répétitions vraiment lassantes - pour nous rappeler que Nébucadnetsar a «élevé cette statue». Il «a établi» dans le pays tout ce qui est établi : chaque tilleul, chaque hêtre, chaque fondement, chaque poteau indicateur et chaque borne. Ce que Nébucadnetsar « a établi» fait loi. Et malheur à qui s'avise de s'opposer à la volonté neuf fois puissante de Nébucadnetsar!

Pour celui-là, la fournaise ardente est préparée. Nébucadnetsar a également « établi » la fournaise. Nébucadnetsar et la fournaise vont toujours de pair. La fournaise fait partie, pour ainsi dire, de l'inventaire fixe de Nébucadnetsar. Ceci est logique. La fournaise est la chaudière centrale du pays à laquelle se chauffent tous les matins « les satrapes, les préfets, les gouverneurs, les conseillers, les ministres, les légistes, les prêtres et tous les fonctionnaires des provinces », ainsi que « les peuples, nations et tribus de toutes langues » jusqu'aux extrémités du royaume. La fournaise est le moteur qui met en mouvement tous les membres, afin qu'ils viennent se prosterner devant la statue d'or, dans la plaine de Dura, dans la province de Babylone. L'angoisse devant la fournaise est la force secrète de l'État totalitaire de Nébucadnetsar.

Cette angoisse est si grande que tous y succombent. Satrapes, préfets, gouverneurs, conseillers, ministres et fonctionnaires, tous les puissants du pays viennent se prosterner. Et le peuple, « tous les peuples, nations et tribus de toutes les langues » viennent se prosterner et adorer l'idole resplendissante dans la plaine de Dura. Hélas ! ceci est compréhensible. Ce serait incompréhensible si tel n'était pas le cas. Car la fournaise est ardente, si ardente qu'elle pourrait consumer les briques d'une forteresse. Après tout, ils ne sont tous que des hommes, comme Nébucadnetsar lui-même en est un. L'esprit de Nébucadnetsar correspond exactement à l'esprit de son temps. C'est Nébucadnetsar qui révèle en l'incarnant de quel esprit est animée toute son époque. Nébucadnetsar n'est pas seul coupable et tous les autres, énumérés ici, un troupeau d'agneaux innocents. Non, il n'en est pas ainsi. Le crime, haut de soixante coudées, est la somme de tous les crimes du pays. L'idole, haute de soixante coudées, est composée de toutes les petites idoles qui sont adorées et honorées en secret dans les palais et plus secrètement encore dans les chaumières : «Et tous les peuples, les nations, les tribus de toutes langues se prosternèrent et adorèrent la statue d'or qu'avait élevée le roi Nébucadnetsar » (7).

« Ils se prosternèrent tous.» C'est notre misère et notre honte que d'on être tous réduits au prosternement général dans la plaine de Dura. La simple raison pour laquelle il y a si peu de résistance contre le crime commis en grand est que le crime est commis, en petit, chez nous tous. Si ce que les «amis du peuple», les adulateurs du peuple disent toujours était vrai - que le peuple est bon, mais que les souverains sont mauvais -, s'il était avéré que « seuls les princes veulent la guerre et non le peuple », alors j'aimerais voir quel gouvernement serait capable de conduire un peuple à la fosse commune ! Mais ceci précisément n'est pas vrai ! C'est un mensonge de dire que le peuple ne porte pas la guerre dans son propre coeur... Si Nébucadnetsar ne rencontre pas de résistance, ni en 1914, ni aujourd'hui, ni en aucun temps c'est parce que son esprit habite dans les chaumières : esprit d'oppression et d'exploitation, injustice et mensonge, impudicité et fuite loin de Dieu. À la deuxième page de l'Écriture sainte, il est écrit, ainsi qu'aux chapitres III de Daniel et de l'épître aux Romains, qu'ils se prosternèrent tous - et la chute est grande - tous les satrapes, conseillers, gouverneurs, prêtres et fonctionnaires des provinces, peuples, nations et tribus de toutes langues. «Il n'y a point de distinction. Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. »

«Tous les peuples.» Il n'est pas indiqué, là, que le peuple suisse fasse exception. N'est-il pas dangereux et n'est-ce pas notre calamité suisse particulière que nous nous plaisions, dans les dernières décades, à être les observateurs, les conseillers et les juges des autres, comme si nous étions meilleurs qu'eux ? N'est-ce pas peut-être ce qui fait notre malheur national, que lorsque nous parlions du crime de Nébucadnetsar et de son peuple, nous regardions involontairement du côté de l'est et de l'ouest, du sud et du nord? Mais en présence du troisième chapitre du livre de Daniel, quelqu'un voudrait-il encore affirmer que notre peuple et notre gouvernement soient, en quoi que ce soit, meilleurs que les autres peuples et gouvernements? Nébucadnetsar serait-il moins Nébucadnetsar pour être de plus petit format ? Et chez nous, la chute est-elle moins grande parce que la fournaise n'est pas encore aussi chaude ? N'est-ce pas plutôt le contraire ? Notre opprobre devant Dieu n'est-elle pas plus grande que celle des autres nations, puisque nous nous hâtons de nous prosterner, spontanément, pour ainsi dire, avant même que la fournaise soit allumée chez nous? - Le prosternement des autres peuples n'est-il pas actuellement, humainement du moins, plus excusable que le nôtre ? Daniel transperce notre honnêteté suisse et notre prétendue probité, «Ils se prosternèrent tous ».

«Mais il y a dans les cieux un Dieu.» Et le Dieu des cieux voit notre ignominie. Il la pénètre complètement. Et Il voit la chute des hommes, Il la voit dans toute sa profondeur. Et que se passe-t-il ? Dieu étend son ciel bleu sur la plaine de Dura et laisse tomber la pluie sur la province de Babylone. On ne peut imaginer quelle miséricorde se trouve dans le fait que, toujours à nouveau, le soleil brille et que le ciel de Dieu devienne bleu, au-dessus de l'idole - large de six coudées et haute de soixante coudées - adorée en notre époque. Nous n'avons pas reçu le châtiment que méritait notre crime.
Ceci est le mystère de la miséricorde divine.

Au temps du déluge, Dieu suscite un Noé; à l'époque de Sodome et Gomorrhe, un Abraham. Puis Dieu suscite une Église et lui conserve la vie au milieu de ce monde déchu et perverti, qui se manifeste dans l'État totalitaire d'une façon particulièrement pure et concentrée. Dieu, le Dieu miséricordieux, se choisit des témoins remplis de sa miséricorde et de son amour. Une poignée d'hommes seulement, trois hommes - leurs noms sont indiqués - représentent, dans notre chapitre, l'Église de Dieu.

Dieu arme ces trois hommes afin qu'ils ne se prosternent pas devant la statue, élevée par Nébucadnetsar, dans la plaine de Dura. Dieu les arme de telle sorte qu'il met dans leur bouche la réponse qu'ils devront donner lorsqu'ils seront traînés « devant les princes, les rois et devant les tribunaux ». Ils donnent au roi une réponse qui ne peut venir d'un cerveau humain. Ils n'entrent dans aucune discussion, mais de leurs lèvres sort simplement le témoignage en vue duquel ils sont élus et établis : «Il n'est pas nécessaire que nous te répondions à ce sujet, car le Dieu que nous servons peut nous délivrer de la fournaise ardente et de ta main, ô roi. Quoi qu'il en soit, sache, ô roi, que nous ne servirons pas tes dieux et que nous n'adorerons pas la statue d'or que tu as élevée» (16-18).

Ce miracle de l'Église confessante se dresse devant l'homme à la volonté tyrannique, comme un rempart qui surgit inopinément du sol. Ce rempart n'est pas construit de main d'homme. Nébucadnetsar pressent-il, peut-être, que cette muraille est plus imprenable que les murs des fortifications de vingt-deux mètres d'épaisseur qu'il a fait construire autour de sa ville ? En face du témoignage de la communauté, le puissant est si impuissant et si abandonné qu'il perd son rang et sa dignité : « Il fut rempli de fureur, si bien qu'il changea de visage » (19). De sa bouche sortent des paroles significatives pour lui à tout jamais, des paroles qui dépassent toute mesure. Il prononce une sanction qui, par l'impossibilité de son exécution, est plus risible que royale. «Chauffez la fournaise sept fois plus que de coutume» (19). «Et, est-il ajouté, on dut exécuter en hâte l'ordre du roi» (22). Il ne leur est même pas accordé le temps d'enlever leur tunique, entre la remise de l'ordre et son exécution. Nébucadnetsar écarte, sans délai, quiconque tente de s'opposer à ce qu'il «a établi».

Ce qui se passe alors, le récit bien connu de la fournaise, échappe à toute compréhension. Nébucadnetsar doit reconnaître qu'il n'a pas affaire à trois femmelettes. Ces trois hommes représentent la communauté élue de Dieu, c'est pourquoi la promesse d'Esaïe s'accomplit à leur égard: «Quand tu traverseras les eaux, je serai avec toi; quand tu franchiras les fleuves, ils ne t'engloutiront point; quand tu passeras au milieu du feu, tu ne seras pas brûlé, et la flamme ne te consumera pas. Car moi, l'Éternel, je suis ton Dieu » (Es. 43). Le roi dut reconnaître « que le feu n'avait eu aucun pouvoir sur le corps de ces hommes, que les cheveux de leur tête n'avaient pas été brûlés, que leurs tuniques n'avaient subi aucune atteinte et que l'odeur du feu n'avait point passé sur eux» (27). Alors le roi fut rempli d'effroi. Ce n'est pas là un fruit mûr de la repentance; l'heure de la repentance du roi viendra, comme nous le verrons, au chapitre suivant; c'est un ébranlement passager et une insécurité momentanée qui le saisissent. Nébucadnetsar reste perplexe en, présence de ces trois hommes. Il est vrai qu'il ne reconnaît pas la miséricorde de Dieu, qui le cherche, mais néanmoins, la puissance de Dieu lui fait une forte impression, « il n'y a aucun autre dieu qui puisse délivrer comme lui » (29).

Tous ces faits ont été accomplis par Dieu, celui dont il est dit au premier chapitre: «Dieu donna». C'est, un miracle de Dieu qu'il y ait dans l'État totalitaire de Nébucadnetsar trois hommes qui n'adorent pas la statue. C'est le miracle de l'Église confessante. Que ces trois hommes ne soient pas engloutis par le feu n'est pas un plus grand miracle. Il aurait pu arriver que la fournaise les engloutît. Le miracle dont il s'agit ici se serait pourtant passé. Car les trois hommes témoignent eux-mêmes - «Quoi qu'il en soit, ô roi, sache que nous ne servirons pas tes dieux, et nous n'adorerons pas la statue d'or que tu as élevée » (18).

Et maintenant, nous nous hasardons encore à poser une dernière question qui ne trouvera sa réponse définitive que lorsque « nous le verrons face à face ». Cette question se pose au sujet du quatrième personnage, celui que Nébucadnetsar voit avec effroi dans la fournaise : « N'avons-nous pas jeté au milieu du feu trois hommes chargés de liens ? Eh bien, moi, je vois quatre hommes délivrés de leurs liens, qui marchent au milieu du feu, sans avoir aucun mal; et l'aspect du quatrième est celui d'un fils des dieux » (24, 25).

Nous croyons reconnaître ce compagnon mystérieux des trois hommes qui a « l'aspect d'un fils des dieux ». Et nous osons croire qu'il est non seulement un fils des dieux, mais le Fils de Dieu qui est descendu dans la fournaise de ce monde, parce qu'il a connu toute la largeur et toute la hauteur de notre péché et toute la profondeur de notre chute et nous a fait miséricorde. Depuis lors, non seulement le soleil luit sur la plaine de Dura, mais la croix du Sauveur est dressée dans cette vallée de douleur et de crime, la croix, qui nous juge et nous appelle.

C'est à Pâques seulement que le troisième chapitre du prophète Daniel nous devient accessible. Ce chapitre prophétique est une préfiguration de ce qui s'est passé «en ces jours à Jérusalem ». Là, tous se prosternèrent, même Pierre, «le rocher». Là, toute la profondeur de la chute est révélée. Là, un autre se dresse devant Nébucadnetsar et lui dit: «Je n'ai pas à te répondre là-dessus». Et là, un autre dit aux huissiers : «Voici, le Dieu que je sers peut me délivrer de vos mains ».

Or, c'est à cause de la grandeur de notre chute qu'ont eu lieu Vendredi-Saint et Pâques. Ce qui se passe ici est plus grand que ce qui s'est passé à Babylone. Ce qui apparut devant les yeux terrifiés de Nébucadnetsar dans la plaine de Dura est peu de chose en comparaison de ce que virent les soldats épouvantés dans le jardin de Joseph d'Arimathée. Non seulement la fournaise de Nébucadnetsar, mais la mort même «n'a plus aucun pouvoir sur lui, les cheveux de sa tête n'ont pas été brûlés, son manteau n'a souffert aucun dommage et même l'odeur du feu n'a pas imprégné son vêtement, car il est ressuscité et il est entré dans la gloire ».

Depuis lors, là où deux ou trois sont assemblés en son nom, il est au milieu d'eux comme le quatrième être mystérieux. Et lorsque deux ou trois doivent entrer dans la fournaise, celui qui est le maître de toutes les tombes et de tous les crématoires est aussi le Seigneur de toutes les fournaises.

«Et il n'y a aucun autre dieu qui puisse délivrer comme lui. »

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