Lorsque les tyrans ont de mauvais rêves,
Dieu est à l'oeuvre. Tandis que Joseph
languissait dans sa geôle égyptienne,
Dieu le libéra en envoyant un songe
troublant à Pharaon. Nous lisons
également au début de ce
deuxième chapitre du livre de Daniel:
«La seconde année du règne de
Nébucadnetsar, Nébucadnetsar eut des
songes. Il avait l'esprit agité et ne
pouvait dormir»
(1).
Lorsque Dieu effraye
Nébucadnetsar par des songes, l'heure de
Daniel est venue; car Daniel vit à la cour
du roi en qualité de « dispensateur des
secrets de Dieu ».
Ce roi troublé nous semble
bien proche, lorsqu'il se présente à
nous avec cette plainte
désespérée: «J'ai fait un
songe et mon esprit est tourmenté par le
désir de comprendre ce songe»
(3).
Après avoir
demandé quel était le contenu du
songe qui lui a échappé, il ajoute: «Ce fut un
songe
horrible». Combien nous sommes près
d'éprouver les mêmes angoisses!
N'est-ce pas exactement notre état d'esprit
en face des événements mondiaux, dont
nous avons été les témoins
dans les dernières décades ? Le
passé le plus proche est-il autre chose
à nos yeux qu'un cauchemar ? Nous avons vu
un monde dans lequel les événements
se pourchassaient, tantôt clairs comme le
jour, tantôt inconsistants comme un
rêve. Il est impossible de saisir le chaos
des événements et de l'ordonner en un
tout logique. Nous avons eu un songe, nous aussi,
notre esprit est troublé et nous voudrions
en saisir le sens. Mais «le songe nous a
échappé ».
Peu importe quand et où
Nébucadnetsar a vécu et fait ce
songe. Nous contemplons son visage par delà
les âges. Nébucadnetsar est l'un des
nôtres. Il pourrait, ce matin, prendre place
à côté de toi. Oui, toi et moi,
nous sommes ce roi. Ce que Nébucadnetsar
fait dans son désarroi correspond à
ce que nous faisons nous-mêmes. Il appelle
à son aide les Chaldéens, les sages,
l'élite intellectuelle de son peuple et de
son temps. « Il fit appeler tous les
magiciens, les astrologues, les enchanteurs et les
Chaldéens pour lui rappeler son songe »
(2).
Mais ils ne peuvent lui
prêter secours. Ils sont, eux-mêmes,
aussi perplexes que lui et ils doivent en convenir:
«Ce que le roi demande nous dépasse; il
n'y a personne qui puisse répondre au roi, excepté
les dieux,
dont la demeure n'est point parmi les mortels
»
(11).
Depuis combien de temps
déjà faisons-nous appel aux
Chaldéens, aux sages, aux puissants, aux
professionnels et aux experts! Où donc est
l'élite de la nation ? Elle s'avère
impuissante. Attendre l'aide des sages et des
intelligents et désirer leur secours serait
une folie égale à celle du roi
Nébucadnetsar lorsqu'il fait appel aux
Chaldéens.
Ce chapitre relate une époque
sinistre. Ici encore nous ne pouvons que
répéter en tremblant: Oui, il en a
été de même chez nous.
N'avons-nous pas précisément vu et
vécu ceci, dans les décades
précédentes ? Le roi rendu perplexe
s'impatiente et fait des menaces. Lorsque les
experts se récusent, Nébucadnetsar a
recours à la force. Il menace l'élite
d'un massacre. C'est exactement la marche que les
événements ont suivie et la voie
qu'ils continueront à suivre.
Qu'il s'agisse des
révolutions d'en-haut ou d'en-bas, de celles
de droite ou de gauche, le dernier argument humain
est symbolisé par le poing. Lorsque les
Chaldéens échouent et que la raison
humaine demeure impuissante, alors le règne
de la violence commence. Or nous voyons ici que le
recours à la violence est toujours le
symptôme d'une dernière impuissance et
d'un total effondrement. Quand éclate
l'incapacité de l'intelligence humaine,
l'heure de la police secrète est venue. Lorsque les
Chaldéens se récusent, surgit le
bourreau Arjoc, «Arjoc, chef des gardes du
roi»
(14).
Ne pensons pas à ce qui
se passe au delà des Alpes ni au delà
du Rhin ! Chez nous, chez moi et chez toi, les
Chaldéens se sont récusés.
Nous, toi et moi, nos
Confédérés de droite et de
gauche, nous sommes au bout de notre latin. Nous
sommes parvenus à l'extrême limite,
là où commence le règne de la
violence.
Or l'homme appelé Daniel
« l'un des prisonniers de Juda »
(25)
vit à la cour du roi. Il
voit venir l'heure fatale. Mais, là
où les Chaldéens se sont
récusés, cet homme a reçu la
mission de voir et de montrer un chemin, non celui
de la chair et de la violence, mais celui dont il
est dit : « Ton chemin était dans la
mer, et ton sentier dans les grandes eaux, mais
cependant on n'apercevait pas ton pied»
(Ps.
77).
Daniel est poussé à
prier. Il implore Dieu pour qu'Il lui accorde une
parole claire à apporter au roi
irrité. Daniel ne prie pas seul. Il s'unit
dans la prière aux trois hommes qui
invoquent le même Dieu. « Daniel alla
ensuite dans sa maison, et il informa de cette
affaire Hanania, Misaël et Azaria, ses
compagnons, les engageant à implorer la
miséricorde du Dieu des cieux... »
(17).
En réponse à la
prière, Daniel a une vision pendant la nuit.
Cette vision lui donne un message à
présenter au roi le matin
suivant. Il a peine à contenir sa joie.
Précisément là où la
sagesse humaine fait défaut, surgit la
sagesse divine. Il en est un qui possède la
lumière, alors que, nous autres humains, ne
discernons que ténèbres.
Cette certitude que Daniel
communique ce matin-là à ses
compagnons de prière, avant de se
présenter devant le roi, s'énonce en
paroles saisissantes : «Béni soit le
nom de Dieu, d'éternité en
éternité; car c'est à lui
qu'appartiennent la sagesse et la force ! C'est lui
qui change les temps et les circonstances, qui
dépose les rois et qui les
élève ; qui donne la sagesse aux
sages et la science aux intelligents. C'est lui qui
révèle les choses profondes et
cachées. Il connaît ce qui est dans
les ténèbres, et la lumière
réside avec lui»
(20-22).
C'est pourquoi Daniel se rend
auprès du roi et rend son témoignage;
un témoignage qui pourrait lui coûter
la vie et que nous serions tentés de
qualifier de téméraire. Seulement il
ne s'agit pas ici de courage humain ni
d'héroïsme, mais bien d'un chemin
tracé et préparé par Dieu,
celui qu'un homme suit dans la faiblesse.
L'obéissance de la foi est plus que de la
vaillance, parce qu'elle est un don de Dieu. Tout
est don : la personne de Daniel, aussi bien que ce
qu'il possède.
Il lui est donné de tenir
devant le roi un langage clair et
sans déguisement. Daniel commence par dire
au roi que personne parmi les Chaldéens n'a
été capable de révéler
l'énigme « car cela n'est pas en leur
pouvoir »
(27).
Daniel les prend sous sa
protection. Le roi leur a demandé
l'impossible. «Mais il y a un Dieu dans les
cieux »
(28)
qui a donné à
Daniel cet impossible. Que le roi détourne
ses regards de Daniel pour les porter sur le
dispensateur de ce don! C'est pourquoi il
déclare : «Ce n'est pas qu'il y ait en
moi plus de sagesse que chez les autres hommes...
»
(30)
mais ce qui était
impossible aux hommes est rendu possible par la
miséricorde de Dieu.
Le songe qu'il peut maintenant
décrire au roi est surprenant: «Une
statue immense, haute et d'une splendeur
extraordinaire, se dressait devant toi et son
aspect était terrible » « La
tête de cette statue est d'or fin; sa
poitrine et ses bras d'argent; son ventre et ses
reins d'airain; ses jambes, de fer; et ses pieds,
en partie de fer et en partie d'argile. Tu
regardais la statue quand une pierre se
détacha sans le secours d'aucune main...
»
(32-34).
«La
pierre frappa les
pieds de fer et d'argile, et elle les brisa. Alors
le fer, l'argile, l'airain, l'argent et l'or furent
brisés en même temps et, pareils
à la balle qui s'envole de l'aire au temps
de la moisson, ils furent emportés par le
vent »
(35).
Daniel peut, il est vrai, dire
au roi : « C'est toi qui es la tête
d'or»
(38).
Faible consolation, puis qu'il ajoute aussitôt :
«La pierre brisera tout, même la
tête d'or ! »
On s'est creusé la tête
pour savoir quels étaient ces empires
mondiaux. Il est certain qu'il s'agit de puissances
réelles, mais leurs noms importent peu.
Cette statue dépeint toutes les puissances
politiques et les ruses sataniques qui
éclatent toujours à nouveau. La
vision de Nébucadnetsar est le pur miroir
des peuples. Il reflète l'image des nations
telles qu'elles nous sont apparues au siècle
précédent et dans les
dernières décades. Nous avons vu des
pays, des peuples et des races qui ressemblaient
à la tête d'or. Souvent nous avons
nous-mêmes chanté : «Voici
l'âge d'or, les roses fleurissent ».
Mais les roses se sont effeuillées et le
vent les a emportées! Ainsi la tête
d'or fin sur des pieds d'argile fut brisée
par une pierre. Nous avons vu et voyons encore des
pays, des peuples et des races qui sont de fer et
de pierre, chanter et dire: «Le Dieu qui fit
le fer ne voulut point d'esclaves » (1*).
Mais
la
pierre qui se détache sans le secours
d'aucune main brise aussi la race de fer. Qu'ils
soient d'argile ou de fer, d'airain, d'argent ou
d'or, tous s'élèvent sur des pieds
d'argile et, après avoir été
frappé par la pierre, aucun d'eux ne pourra
se relever.
Nous avons vu cette pierre se
détacher et nous avons entendu son roulement à
travers les peuples du monde entier. Nous l'avons
vue, mais non seulement en spectateurs. Chacun de
nous a eu son petit royaume. La pierre a
passé également sur nos royaumes
privés, ceux d'or et ceux d'argent, ceux de
fer et d'argile. Nos dispositions, nos domaines
privés, nos capitaux et nos placements -
l'or et l'argile, peu importe -, tous n'ont-ils pas
été ébranlés par la
pierre qui roule à travers les
décades ? Ici il ne s'agit plus seulement
d'un rêve. Cette pierre du jugement divin
roule à travers notre époque. C'est
la connaissance claire et nette qui découle,
ici, du message prophétique de Daniel.
À cette lumière nous reconnaissons la
gravité du temps présent, la
signification de l'époque
actuelle.
Mais, Dieu soit loué ! ce
n'est pas là toute la
révélation qui fut donnée au
prophète. La pierre du jugement divin a un
but. Elle ne roule pas aveuglément et
accidentellement à travers les âges et
n'exécute pas machinalement son oeuvre de
destruction. La pierre a un but qui lui est
assigné. Si même notre oeil ne voit
pas la main qui la détache, elle est
cependant dirigée. La pierre du jugement
divin n'anéantit pas les royaumes de ce
monde pour le plaisir de détruire, mais pour
faire place au royaume éternel. De
même si nos petits royaumes d'argent, d'or ou
d'argile sont détruits, si dur que cela nous
paraisse, aux yeux de Dieu cela
signifie faire place nette pour le royaume de Dieu.
Dans l'oeuvre de destruction de cette pierre se
montre la jalousie de Dieu. «Car, moi,
l'Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu
jaloux.» La chute de cette pierre est
semblable à celle d'une avalanche : Le
tonnerre remplit d'effroi hommes et bêtes.
Mais cependant le tonnerre, où qu'on
l'entende, est un signe de la disparition de
l'hiver, un signe précurseur de la victoire
sur la glace et sur la neige, un avant-coureur du
printemps, même si la terre est encore
profondément enfouie sous «la neige
éternelle».
Oui, la pierre qui « se
détache sans le secours d'aucune main »
fraye la route à la domination
éternelle de Dieu, si bien que Daniel en
conclut que cette pierre elle-même est le
royaume de Dieu. Ce n'est pas sans raison qu'il a
vu dans cette vision comment la pierre qui avait
frappé la statue « devient une grande
montagne et remplit toute la terre »
(35).
La pierre que Daniel voit, dans
sa vision prophétique, rouler sur les
peuples pour les détruire, reçoit
subitement la mission de reconstruire.
Jésus-Christ, la pierre de l'angle,
paraît ici dans le champ de vision de la
prophétie. Il est «la montagne qui
remplit toute la terre ». À qui
penserions-nous, sinon à Christ, lorsque
nous entendons le prophète exprimer une
parole que ni la chair ni le sang n'ont pu lui
révéler et autour de laquelle gravite
tout ce chapitre ? «Au temps où
régneront ces rois, le
Dieu des cieux suscitera un royaume qui ne sera
jamais détruit, un royaume dont la
domination ne passera jamais à un autre
peuple; il brisera et anéantira tous les
autres royaumes et lui-même subsistera
éternellement»
(44).
Il n'est pas donné à
Daniel de voir comment la pierre de destruction
devient une montagne «qui remplit le monde
entier ». Il y a une lacune dans le songe.
Cette lacune est comblée par le message du
Nouveau Testament. Là, nous saisissons
comment, d'après la détermination
mystérieuse de Dieu, la pierre qu'ont
rejetée ceux qui bâtissaient est
devenue la principale de l'angle. En
Jésus-Christ, la destruction
opérée par la pierre trouve sa limite
et son but. Le Seigneur des seigneurs, le Roi des
rois, s'est laissé briser par la pierre du
jugement divin si totalement que, le soir du
Vendredi-Saint, la pierre recouvre le
sépulcre. Mais, ô merveille ! la
pierre de destruction s'est brisée à
Jésus-Christ, comme par le brisement d'une
avalanche. Depuis le matin de Pâques, le
mystère divin nous est
révélé: il y a en ce monde un
lieu où nous sont accordées aide et
protection contre le roulement destructeur de cette
pierre. C'est le lieu où se dresse la croix
de celui qui prend le jugement sur ses
épaules.
La croix seule est ce lieu de
refuge. La pierre de Daniel roule partout ailleurs
en ce monde et les yeux pleins
d'effroi, nous contemplons aujourd'hui son oeuvre
destructrice. C'est encore le temps où
toutes les créatures soupirent. Mais nous
savons par la foi qu'arrivée à la
croix, la pierre ne peut pas rouler plus loin. Dans
l'espérance, nous saluons l'aube du jour qui
paraîtra à la fin des temps. Alors
toutes les pierres seront soulevées et les
morts ressusciteront. Et enfin s'accomplira ce
qu'il a été donné au
prophète de voir : «La pierre qui
frappa la statue devint une grande montagne qui
remplit toute la terre ».
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