Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

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OUVRIERS DE LA PREMIÈRE HEURE


Francis Poythress. - John Kobler. - William Burke. Robert Roberts.

 Si Asbury et Mac-Kendree furent les organisateurs du méthodisme dans l'Ouest, ils avaient été devancés et accompagnés par de vaillants pionniers dont les noms méritent d'être conservés. Il est à regretter que les documents historiques manquent presque complètement sur les premiers évangélistes de l'Ouest. Les écrivains qui, de nos jours, ont voulu faire revivre les physionomies si originales de quelques-uns d'entre eux, ont dû se contenter de glaner des traditions sur les lieux mêmes qu'ils évangélisèrent, et des souvenirs dans la mémoire des quelques rares survivants de cette génération vaillante. Cette disette de matériaux originaux laisse planer quelque obscurité sur ces premières tentatives qu'il serait si intéressant de connaître en détail. On se l'explique sans doute par la tournure d'esprit particulière et par la modestie des pionniers, qui avaient peu souci de la gloire humaine et qui n'avaient pas conscience de rien faire d'extraordinaire en allant combattre et mourir sur la brèche où l'Église les envoyait; peu lettrés en général, ils maniaient mieux la parole que la plume; et d'ailleurs, le temps leur manquait, tout dévorés qu'ils étaient par la lutte ardente qu'ils soutenaient contre la barbarie et l'irréligion.

Cette première période qui s'étend des débuts de l'oeuvre au grand réveil du Cumberland dont nous avons parlé en détail embrasse une vingtaine d'années. C'est le temps des petits commencements. De la pieuse phalange qui défricha alors le sol aride de l'Ouest, nous savons peu de chose; quelques noms ont surnagé sur l'océan de l'oubli; nous ne pouvons ici que les mentionner d'une manière sommaire.

FRANCIS POYTHRESS
est le premier sur lequel nous ayons quelques renseignements. Encore ignore-t-on l'année de sa naissance et le lieu de son origine. Après un ministère de douze années exercé dans le Maryland, les Carolines et la Virginie, il fut appelé dans l'Ouest en -1788. Il dut prendre à lui seul la charge d'un district considérable du Kentucky, qu'il étendit encore à force d'activité et de dévouement. Pendant douze ans, il donna l'exemple d'un renoncement absolu et se dépensa tout entier au service de l'Église. À la longue toutefois, cet isolement auquel il était condamné s'ajoutant à un épuisement complet de l'organisme, suite des immenses fatigues d'une existence sans repos, il en résulta une prostration absolue des facultés, qui le força à prendre sa retraite.

De 1790 à 1800, l'évêque Asbury avait confié à Poythress la surveillance de l'Ouest; l'Église de cette contrée lui est en partie redevable de ses premières victoires. Cet humble serviteur de la croix, par son esprit entreprenant et énergique mis au service d'une piété profonde, donna le ton, à tous ceux qui le suivirent. Il avait à la fois la force d'âme qui fait entreprendre avec courage les choses les plus difficiles et l'esprit pratique qui vient à bout de les accomplir. Sa foi calme et confiante lui faisait envisager de sang-froid les périls qui menaçaient l'oeuvre, et son activité exacte et persévérante ne reculait devant aucun détail et abordait les petits devoirs aussi volontiers que les grands. Il n'aimait rien tant que les visites pastorales, les petits cultes en famille, le soin spirituel des malades. Il était pasteur et évangéliste dans toute la force de ces mots. Il s'efforçait de faire comprendre aux parents la nécessité d'instruire leurs enfants, et il contribua plus que personne à l'érection du premier collège de l'Ouest. Pour ses collègues, il était un ami plus encore qu'un surveillant; la discipline était chose sacrée pour lui, mais la cordialité des: rapports entre pasteurs ne lui tenait pas moins à coeur. Son souvenir est encore béni dans toute la contrée dont il a été l'un des premiers et des plus fidèles pasteurs.

JOHN KOBLER
fut le collègue de Poythress dans le ministère et son successeur dans la présidence du grand district kentuckyen. Il était né en 1768 dans la Virginie, et avait eu le privilège d'une éducation de famille chrétienne; aussi ne tarda-t-il pas beaucoup à céder aux appels de la grâce divine. Il n'avait pas vingt-deux ans que sa vocation pour le ministère évangélique était décidée. À peine entré dans l'école active de l'itinérance, il se sentit pressé de répondre aux appels qu'adressaient du fond des solitudes du Nord-Ouest à leurs jeunes frères les premiers pionniers succombant à la peine. Le jeune volontaire, sans compter avec les difficultés, se donna à cette oeuvre et se lança au milieu des hasards et des privations d'une vie missionnaire. C'était en 1791, c'est-à-dire au moment où la lutte entre les émigrants et les indigènes était vive et sanglante. Kobler vécut pendant de longues années au milieu de continuelles scènes de brigandage et de tuerie, forcé souvent de lutter de finesse et de force avec les Indiens pour sauver sa vie de leurs mains, et voyant les petits centres de population auxquels il apportait l'Évangile dispersés et pillés par eux.

L'évêque Asbury n'avait pas tardé à distinguer ce jeune homme si pieux et si intrépide tout à la fois; aussi son choix s'arrêta-t-il sur lui lorsqu'il se décida à lancer un éclaireur dans les vastes territoires à peine explorés qui s'étendaient au nord-ouest, de l'autre côté de l'Ohio, et qui forment aujourd'hui l'État de ce nom. Quelques colons avides d'aventures, et d'émotions s'étaient seuls avancés dans ces régions toutes couvertes de forêts et de prairies immenses; séparés les uns des autres et sans rapports avec la vie civilisée, ils étaient à moitié sauvages. Aucun prédicateur chrétien n'avait mis le pied dans cette contrée, et Kobler fut le premier à faire entendre la bonne nouvelle de l'Évangile. Là où s'élève aujourd'hui la grande et prospère ville de Cincinnati, il n'y avait qu'une forêt où les Indiens chassaient le daim et l'ours. Laissons le prédicateur lui-même nous montrer le contraste entre l'état actuel et l'état ancien de ce pays. Nous empruntons ce morceau à un rapport présenté en 1841 par le pasteur Kobler à la Société historique de l'Ouest, qui le lui avait demandé :

« Je n'avais pas revu ce pays depuis quarante ans, lorsqu'au mois de juillet dernier un bateau à vapeur me débarqua à Cincinnati. Je ne trouverais pas de paroles pour exprimer les pensées qui se pressèrent en moi, en comparant ce que j'avais vu autrefois à ce que je voyais maintenant. Mais ce qui me toucha le plus, ce fut de voir qu'une grande partie des habitants du pays sont devenus sincèrement religieux. Je ne puis m'empêcher de penser à cette première table de communion qui ait jamais été dressée dans l'Ohio, et à laquelle je pus admettre vingt-cinq ou trente personnes au plus, formant l'ensemble de la population religieuse de toute la contrée. En cette année (1841) les rapports de la seule Église méthodiste portent, pour l'État de l'Ohio, plus de cent mille membres réguliers (1), tellement la Parole de Dieu a été puissante. Nous prêchions dans de mauvaises cabanes de bois, et maintenant nous avons partout de belles églises, dont les flèches montent vers le ciel, et dont les cloches annoncent le jour du Seigneur. C'est Dieu qui a fait tout cela; et quel sujet d'actions de grâce pour moi, faible instrument qui le premier ai entrepris dans ce pays la proclamation du salut ! »

Bien que Kobler possédât une constitution naturellement très forte, les privations et les fatigues de tout genre qu'il eut à endurer l'ébranlèrent assez rapidement. Doué de talents sérieux et embrasé d'un zèle ardent pour son oeuvre, il s'y dévoua en entier; il fut le père spirituel des diverses églises de l'Ohio, et amena, au milieu d'épreuves sans nombre, une foule d'âmes à Jésus-Christ. Malheureusement l'état de délabrement de sa santé le força à prendre sa retraite dès 1809. Il continua pourtant à s'intéresser jusqu'à sa mort aux oeuvres chrétiennes. Pendant la dernière période de sa maladie, il disait à ses amis réunis autour de son lit : « Oh ! priez pour l'Église, que Dieu l'arrose ide son Esprit, et qu'elle lui soit étroitement unie. » Il leur disait encore : « J'ai mie ferme confiance que rien ne pourra ébranler, mais c'est grâce aux infinis mérites de mon Seigneur et Sauveur. Je voudrais que tous connussent ce que sont les principes qui ont dirigé ma vie, que j'ai crus et enseignés, qui font maintenant, à cette heure suprême, ma consolation et mon recours. Je me suis efforcé pendant toute mon existence de mettre en harmonie ma vie et mon ministère. » Ses dernières paroles furent : « Viens, Seigneur Jésus, viens avec puissance, viens bientôt. »

WILLIAM BURKE
a été le dernier survivant de la première génération des prédicateurs de l'Ouest. Il a été le seul aussi de ces pionniers de la première heure qui nous ait laissé un récit de sa vie. Et encore faut-il dire que le digne vieillard, en prenant la plume sur les sollicitations pressantes de ses frères, a réussi à parler de soi le moins possible, mettant en scène volontiers ses collègues et s'effaçant lui-même. Il en résulte que ses mémoires ne nous le font connaître qu'assez peu. Il naquit en Virginie en 1770. Malgré les avertissements et les prières d'une mère chrétienne, il eut une jeunesse dissipée; toutefois, pour lui, la bonne semence ne fut pas perdue; il fui l'un des fruits de la prédication des premiers évangélistes. Peu après sa conversion, il se mit à faire valoir ses dons naturels en répandant autour de lui la connaissance de l'Évangile. Pendant une année, il parcourut le pays à ses frais avec toute l'ardeur d'un néophyte. En 1792, il entra dans le ministère régulier, et s'offrit pour les missions de l'Ouest. Il fut appelé à occuper le poste d'Holston, Son circuit avait de quatre à cinq cents milles de longueur et réclamait quatre semaines de parcours; il était très montagneux et très froid. Le jeune Burke se mit à l'oeuvre, et dès la première année il fut témoin d'un beau réveil. Tout en travaillant à réveiller les colons indifférents, il fallait user de mille précautions pour échapper aux poursuites des Indiens.

Ces dangers n'effrayaient pas Burke. Qu'on ne l'oublie pas, il fallait plus de force d'âme et d'énergie de caractère pour s'habituer à un isolement presque complet dans un pays désert, que pour faire bonne contenance en face de ces périls. Il y avait dans chacun de nos prédicateurs l'étoffe d'un aventurier, ceci soit dit en bonne part. Aussi, ce que nous considérons comme beaucoup plus méritoire que ces luttes extérieures, c'est cette persévérance calme au milieu des découragements, cet attachement inviolable au devoir loin des yeux du monde, ce renoncement à toute joie extérieure, ce sacrifice de soi. de sa vie et de son avenir terrestre, qui est le dernier des sacrifices auxquels puisse se résoudre un homme. Si l'héroïsme n'est pas là, il faut désespérer de le trouver en ce monde.

Burke passa souvent une année entière sans voir le visage de l'un de ses collègues. Il 's'était marié, mais il devait laisser sa famille dans une partie du circuit, et se contenter de passer avec elle quelques heures par mois, quand l'ordre de ses services l'y ramenait. Sa pauvreté était grande. Il fallait que sa femme travaillât pour ne pas lui être à charge. Lui-même, forcé de se suffire et de nourrir son cheval avec son traitement mal payé de soixante dollars, devait économiser de toutes les façons. Une année il lui fallait un manteau, il se contenta d'une grossière couverture qui lui en tint lieu tant bien que mal.

Burke fut le héros du grand réveil du Cumberland, dont nous avons parié en détail. Nous ne reviendrons pas sur la part qu'il prit dans ce beau mouvement religieux par son initiative et par ses talents de prédicateur. Ce fut, pour son ministère comme pour l'oeuvre de l'Ouest en général, le point de départ d'une ère de succès fort remarquables. En 1803, il fut appelé par Asbury à diriger l'oeuvre commencée par Kobler dans l'Ohio, et sous sa direction elle prit un accroissement rapide. Il y rencontra aussi des souffrances qui dépassèrent tout ce qu'il avait connu précédemment. Il lui fallait onze semaines pour parcourir son circuit; et ce n'eût été rien encore s'il eût trouvé quelques sympathies en compensation de ses peines. Peu à peu néanmoins les choses changèrent; des conversions nombreuses eurent lieu et un grand nombre de jeunes hommes vinrent renforcer la petite troupe itinérante, soit comme prédicateurs réguliers soit à titre de prédicateurs locaux.

Mais la santé de Burke était gravement compromise et, dans la fleur de l'âge, il dut, comme tant d'autres, se retirer du travail actif, victime d'une mission qui dévorait rapidement les hommes qui s'y dévouaient.

ROBERT ROBERTS
était né dans l'une de ces familles de colons où les premiers prédicateurs avaient trouvé un accueil empressé. Il avait été de bonne heure le compagnon et l'ami des itinérants, qui recevaient l'hospitalité chez ses parents et y présidaient des réunions, et quand, vers 1802, le jeune chasseur fut appelé à partager leur rude existence, il se trouva tout préparé à cette oeuvre, dans laquelle il se jeta avec ardeur. Dans sa première année de travail, il fit deux maladies et tua deux chevaux sous lui. Ses talents et son caractère lui acquirent rapidement une si grande autorité au milieu de ses collègues, qu'ils l'appelèrent, avant qu'il eût atteint la quarantaine, à occuper les fonctions d'évêque, qui sont ordinairement la récompense accordée à de longs services. En devenant évêque, Roberts demeura homme de l'Ouest; sa résidence épiscopale fut d'abord la modeste log-cabin, qu'il avait construite en troncs d'arbres à Chenango, dans l'Erié. Et lorsqu'il la quitta, ce fut pour aller se fixer dans l'Indiana, qui était alors l'extrême Ouest; et là encore il dut construire son habitation de ses propres mains avec des arbres coupés par lui dans la forêt. il vécut là, se nourrissant comme les colons et ne craignant pas, dans les intervalles de repos que lui laissaient ses tournées épiscopales, de manier la bêche de l'agriculteur ou le fusil du chasseur. Ajoutons que le traitement de l'évêque ne dépassait pas 400 dollars (2,000 fr.) et qu'il fut longtemps inférieur à cette somme.

Malgré de si modiques ressources, Roberts était en bonnes oeuvres. Lors d'une visite à la Nouvelle-Orléans, il trouva l'Église de cette ville en train de se construire un temple, mais arrêtée par le manque de fonds. Sans hésiter, l'évêque vendit son cheval et s'inscrivit sur la liste de souscriptions, pour les 100 dollars que lui rapporta cette vente. Puis il continua sa route à pied jusqu'à Nashville, où des amis lui fournirent une autre monture. Ses courses missionnaires étaient incessantes et se continuèrent jusqu'à sa mort; pendant la dernière année de sa vie, il parcourut environ deux mille lieues, visitant une demi-douzaine d'États et un nombre à peu près égal de tribus indiennes.

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(1) Aujourd'hui plus de 200,000 (1870). 
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