Francis Poythress. - John Kobler. - William Burke. Robert Roberts. |
Si Asbury et Mac-Kendree furent les
organisateurs du méthodisme dans l'Ouest,
ils avaient été devancés et
accompagnés par de vaillants pionniers dont
les noms méritent d'être
conservés. Il est à regretter que les
documents historiques manquent presque
complètement sur les premiers
évangélistes de l'Ouest. Les
écrivains qui, de nos jours, ont voulu faire
revivre les physionomies si originales de
quelques-uns d'entre eux, ont dû se contenter
de glaner des traditions sur les lieux mêmes
qu'ils évangélisèrent, et des
souvenirs dans la mémoire des quelques rares
survivants de cette génération
vaillante. Cette disette de matériaux
originaux laisse planer quelque obscurité
sur ces premières tentatives qu'il serait si
intéressant de connaître en
détail. On se l'explique sans doute par la
tournure d'esprit particulière et par la modestie
des pionniers,
qui
avaient peu souci de la gloire humaine et qui
n'avaient pas conscience de rien faire
d'extraordinaire en allant combattre et mourir sur
la brèche où l'Église les
envoyait; peu lettrés en
général, ils maniaient mieux la
parole que la plume; et d'ailleurs, le temps leur
manquait, tout dévorés qu'ils
étaient par la lutte ardente qu'ils
soutenaient contre la barbarie et
l'irréligion.
Cette première période
qui s'étend des débuts de l'oeuvre au
grand réveil du Cumberland dont nous avons
parlé en détail embrasse une
vingtaine d'années. C'est le temps des
petits commencements. De la pieuse phalange qui
défricha alors le sol aride de l'Ouest, nous
savons peu de chose; quelques noms ont
surnagé sur l'océan de l'oubli; nous
ne pouvons ici que les mentionner d'une
manière sommaire.
FRANCIS POYTHRESS est le
premier sur
lequel nous ayons quelques renseignements. Encore
ignore-t-on l'année de sa naissance et le
lieu de son origine. Après un
ministère de douze années
exercé dans le Maryland, les Carolines et la
Virginie, il fut appelé dans l'Ouest en
-1788. Il dut prendre à lui seul la charge
d'un district considérable du Kentucky,
qu'il étendit encore à force d'activité et de
dévouement. Pendant douze ans, il donna
l'exemple d'un renoncement absolu et se
dépensa tout entier au service de
l'Église. À la longue toutefois, cet
isolement auquel il était condamné
s'ajoutant à un épuisement complet de
l'organisme, suite des immenses fatigues d'une
existence sans repos, il en résulta une
prostration absolue des facultés, qui le
força à prendre sa
retraite.
De 1790 à 1800,
l'évêque Asbury avait confié
à Poythress la surveillance de l'Ouest;
l'Église de cette contrée lui est en
partie redevable de ses premières victoires.
Cet humble serviteur de la croix, par son esprit
entreprenant et énergique mis au service
d'une piété profonde, donna le ton,
à tous ceux qui le suivirent. Il avait
à la fois la force d'âme qui fait
entreprendre avec courage les choses les plus
difficiles et l'esprit pratique qui vient à
bout de les accomplir. Sa foi calme et confiante
lui faisait envisager de sang-froid les
périls qui menaçaient l'oeuvre, et
son activité exacte et
persévérante ne reculait devant aucun
détail et abordait les petits devoirs aussi
volontiers que les grands. Il n'aimait rien tant
que les visites pastorales, les petits cultes en
famille, le soin spirituel des malades. Il
était pasteur et évangéliste
dans toute la force de ces mots. Il
s'efforçait de faire comprendre aux parents
la nécessité d'instruire leurs enfants,
et il
contribua plus que personne à
l'érection du premier collège de
l'Ouest. Pour ses collègues, il était
un ami plus encore qu'un surveillant; la discipline
était chose sacrée pour lui, mais la
cordialité des: rapports entre pasteurs ne
lui tenait pas moins à coeur. Son souvenir
est encore béni dans toute la contrée
dont il a été l'un des premiers et
des plus fidèles pasteurs.
JOHN KOBLER fut le collègue
de Poythress dans le ministère et son
successeur dans la présidence du grand
district kentuckyen. Il était né en
1768 dans la Virginie, et avait eu le
privilège d'une éducation de famille
chrétienne; aussi ne tarda-t-il pas beaucoup
à céder aux appels de la grâce
divine. Il n'avait pas vingt-deux ans que sa
vocation pour le ministère
évangélique était
décidée. À peine entré
dans l'école active de l'itinérance,
il se sentit pressé de répondre aux
appels qu'adressaient du fond des solitudes du
Nord-Ouest à leurs jeunes frères les
premiers pionniers succombant à la peine. Le
jeune volontaire, sans compter avec les
difficultés, se donna à cette oeuvre
et se lança au milieu des hasards et des
privations d'une vie missionnaire. C'était
en 1791, c'est-à-dire au moment où la
lutte entre les émigrants et les indigènes était
vive et sanglante. Kobler vécut pendant de
longues années au milieu de continuelles
scènes de brigandage et de tuerie,
forcé souvent de lutter de finesse et de
force avec les Indiens pour sauver sa vie de leurs
mains, et voyant les petits centres de population
auxquels il apportait l'Évangile
dispersés et pillés par eux.
L'évêque Asbury n'avait
pas tardé à distinguer ce jeune homme
si pieux et si intrépide tout à la
fois; aussi son choix s'arrêta-t-il sur lui
lorsqu'il se décida à lancer un
éclaireur dans les vastes territoires
à peine explorés qui
s'étendaient au nord-ouest, de l'autre
côté de l'Ohio, et qui forment
aujourd'hui l'État de ce nom. Quelques
colons avides d'aventures, et d'émotions
s'étaient seuls avancés dans ces
régions toutes couvertes de forêts et
de prairies immenses; séparés les uns
des autres et sans rapports avec la vie
civilisée, ils étaient à
moitié sauvages. Aucun prédicateur
chrétien n'avait mis le pied dans cette
contrée, et Kobler fut le premier à
faire entendre la bonne nouvelle de
l'Évangile. Là où
s'élève aujourd'hui la grande et
prospère ville de Cincinnati, il n'y avait
qu'une forêt où les Indiens chassaient
le daim et l'ours. Laissons le prédicateur
lui-même nous montrer le contraste entre
l'état actuel et l'état ancien de ce
pays. Nous empruntons ce morceau à un
rapport présenté en 1841 par le
pasteur Kobler à la Société historique
de l'Ouest, qui le lui avait demandé
:
« Je n'avais pas revu ce pays
depuis quarante ans, lorsqu'au mois de juillet
dernier un bateau à vapeur me
débarqua à Cincinnati. Je ne
trouverais pas de paroles pour exprimer les
pensées qui se pressèrent en moi, en
comparant ce que j'avais vu autrefois à ce
que je voyais maintenant. Mais ce qui me toucha le
plus, ce fut de voir qu'une grande partie des
habitants du pays sont devenus sincèrement
religieux. Je ne puis m'empêcher de penser
à cette première table de communion
qui ait jamais été dressée
dans l'Ohio, et à laquelle je pus admettre
vingt-cinq ou trente personnes au plus, formant
l'ensemble de la population religieuse de toute la
contrée. En cette année (1841) les
rapports de la seule Église
méthodiste portent, pour l'État de
l'Ohio, plus de cent mille membres réguliers (1),
tellement
la
Parole de Dieu a été puissante. Nous
prêchions dans de mauvaises cabanes de bois,
et maintenant nous avons partout de belles
églises, dont les flèches montent
vers le ciel, et dont les cloches annoncent le jour
du Seigneur. C'est Dieu qui a fait tout cela; et
quel sujet d'actions de grâce pour moi,
faible instrument qui le premier ai entrepris dans
ce pays la proclamation du salut ! »
Bien que Kobler
possédât une constitution
naturellement très forte, les privations et
les fatigues de tout genre qu'il eut à
endurer l'ébranlèrent assez
rapidement. Doué de talents sérieux
et embrasé d'un zèle ardent pour son
oeuvre, il s'y dévoua en entier; il fut le
père spirituel des diverses églises
de l'Ohio, et amena, au milieu d'épreuves
sans nombre, une foule d'âmes à
Jésus-Christ. Malheureusement l'état
de délabrement de sa santé le
força à prendre sa retraite
dès 1809. Il continua pourtant à
s'intéresser jusqu'à sa mort aux
oeuvres chrétiennes. Pendant la
dernière période de sa maladie, il
disait à ses amis réunis autour de
son lit : « Oh ! priez pour l'Église,
que Dieu l'arrose ide son Esprit, et qu'elle lui
soit étroitement unie. » Il leur disait
encore : « J'ai mie ferme confiance que rien
ne pourra ébranler, mais c'est grâce
aux infinis mérites de mon Seigneur et
Sauveur. Je voudrais que tous connussent ce que
sont les principes qui ont dirigé ma vie,
que j'ai crus et enseignés, qui font
maintenant, à cette heure suprême, ma
consolation et mon recours. Je me suis
efforcé pendant toute mon existence de
mettre en harmonie ma vie et mon ministère.
» Ses dernières paroles furent : «
Viens, Seigneur Jésus, viens avec puissance,
viens bientôt. »
WILLIAM BURKE a été le
dernier survivant de la première
génération des prédicateurs de
l'Ouest. Il a été le seul aussi de
ces pionniers de la première heure qui nous
ait laissé un récit de sa vie. Et
encore faut-il dire que le digne vieillard, en
prenant la plume sur les sollicitations pressantes
de ses frères, a réussi à
parler de soi le moins possible, mettant en
scène volontiers ses collègues et
s'effaçant lui-même. Il en
résulte que ses mémoires ne nous le
font connaître qu'assez peu. Il naquit en
Virginie en 1770. Malgré les avertissements
et les prières d'une mère
chrétienne, il eut une jeunesse
dissipée; toutefois, pour lui, la bonne
semence ne fut pas perdue; il fui l'un des fruits
de la prédication des premiers
évangélistes. Peu après sa
conversion, il se mit à faire valoir ses
dons naturels en répandant autour de lui la
connaissance de l'Évangile. Pendant une
année, il parcourut le pays à ses
frais avec toute l'ardeur d'un néophyte. En
1792, il entra dans le ministère
régulier, et s'offrit pour les missions de
l'Ouest. Il fut appelé à occuper le
poste d'Holston, Son circuit avait de quatre
à cinq cents milles de longueur et
réclamait quatre semaines de parcours; il
était très montagneux et très
froid. Le jeune Burke se mit à l'oeuvre, et
dès la première année il fut
témoin d'un beau réveil. Tout en
travaillant à réveiller les colons
indifférents, il fallait
user de mille précautions pour
échapper aux poursuites des
Indiens.
Ces dangers n'effrayaient pas
Burke.
Qu'on ne l'oublie pas, il fallait plus de force
d'âme et d'énergie de caractère
pour s'habituer à un isolement presque
complet dans un pays désert, que pour faire
bonne contenance en face de ces périls. Il y
avait dans chacun de nos prédicateurs
l'étoffe d'un aventurier, ceci soit dit en
bonne part. Aussi, ce que nous considérons
comme beaucoup plus méritoire que ces luttes
extérieures, c'est cette
persévérance calme au milieu des
découragements, cet attachement inviolable
au devoir loin des yeux du monde, ce renoncement
à toute joie extérieure, ce sacrifice
de soi. de sa vie et de son avenir terrestre, qui
est le dernier des sacrifices auxquels puisse se
résoudre un homme. Si l'héroïsme
n'est pas là, il faut
désespérer de le trouver en ce
monde.
Burke passa souvent une année
entière sans voir le visage de l'un de ses
collègues. Il 's'était marié,
mais il devait laisser sa famille dans une partie
du circuit, et se contenter de passer avec elle
quelques heures par mois, quand l'ordre de ses
services l'y ramenait. Sa pauvreté
était grande. Il fallait que sa femme
travaillât pour ne pas lui être
à charge. Lui-même, forcé de se
suffire et de nourrir son cheval avec son
traitement mal payé de
soixante dollars, devait économiser de
toutes les façons. Une année il lui
fallait un manteau, il se contenta d'une
grossière couverture qui lui en tint lieu
tant bien que mal.
Burke fut le héros du grand
réveil du Cumberland, dont nous avons
parié en détail. Nous ne reviendrons
pas sur la part qu'il prit dans ce beau mouvement
religieux par son initiative et par ses talents de
prédicateur. Ce fut, pour son
ministère comme pour l'oeuvre de l'Ouest en
général, le point de départ
d'une ère de succès fort
remarquables. En 1803, il fut appelé par
Asbury à diriger l'oeuvre commencée
par Kobler dans l'Ohio, et sous sa direction elle
prit un accroissement rapide. Il y rencontra aussi
des souffrances qui dépassèrent tout
ce qu'il avait connu précédemment. Il
lui fallait onze semaines pour parcourir son
circuit; et ce n'eût été rien
encore s'il eût trouvé quelques
sympathies en compensation de ses peines. Peu
à peu néanmoins les choses
changèrent; des conversions nombreuses
eurent lieu et un grand nombre de jeunes hommes
vinrent renforcer la petite troupe
itinérante, soit comme prédicateurs
réguliers soit à titre de
prédicateurs locaux.
Mais la santé de Burke
était gravement compromise et, dans la fleur
de l'âge, il dut, comme tant d'autres, se
retirer du travail actif, victime d'une mission
qui
dévorait rapidement les hommes qui s'y
dévouaient.
ROBERT ROBERTS était
né dans l'une de ces familles de colons
où les premiers prédicateurs avaient
trouvé un accueil empressé. Il avait
été de bonne heure le compagnon et
l'ami des itinérants, qui recevaient
l'hospitalité chez ses parents et y
présidaient des réunions, et quand,
vers 1802, le jeune chasseur fut appelé
à partager leur rude existence, il se trouva
tout préparé à cette oeuvre,
dans laquelle il se jeta avec ardeur. Dans sa
première année de travail, il fit
deux maladies et tua deux chevaux sous lui. Ses
talents et son caractère lui acquirent
rapidement une si grande autorité au milieu
de ses collègues, qu'ils
l'appelèrent, avant qu'il eût atteint
la quarantaine, à occuper les fonctions
d'évêque, qui sont ordinairement la
récompense accordée à de longs
services. En devenant évêque, Roberts
demeura homme de l'Ouest; sa résidence
épiscopale fut d'abord la modeste log-cabin,
qu'il avait construite en troncs d'arbres à
Chenango, dans l'Erié. Et lorsqu'il la
quitta, ce fut pour aller se fixer dans l'Indiana,
qui était alors l'extrême Ouest; et
là encore il dut construire son habitation
de ses propres mains avec des arbres coupés
par lui dans la forêt. il vécut
là, se nourrissant comme les colons et ne
craignant pas,
dans
les intervalles de repos que lui laissaient ses
tournées épiscopales, de manier la
bêche de l'agriculteur ou le fusil du
chasseur. Ajoutons que le traitement de
l'évêque ne dépassait pas 400
dollars (2,000 fr.) et qu'il fut longtemps
inférieur à cette somme.
Malgré de si modiques
ressources, Roberts était en bonnes oeuvres.
Lors d'une visite à la
Nouvelle-Orléans, il trouva l'Église
de cette ville en train de se construire un temple,
mais arrêtée par le manque de fonds.
Sans hésiter, l'évêque vendit
son cheval et s'inscrivit sur la liste de
souscriptions, pour les 100 dollars que lui
rapporta cette vente. Puis il continua sa route
à pied jusqu'à Nashville, où
des amis lui fournirent une autre monture. Ses
courses missionnaires étaient incessantes et
se continuèrent jusqu'à sa mort;
pendant la dernière année de sa vie,
il parcourut environ deux mille lieues, visitant
une demi-douzaine d'États et un nombre
à peu près égal de tribus
indiennes.
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