Conversion
et vocation de Mac-Kendree. -
L'accueil fait au jeune
prédicateur. - Il est placé
à la tête du district de
l'Ouest. - Ses dons extérieurs. -
Son éloquence. - Un auditeur qui se
sent atteint par sa prédication. -
La piété de Mac-Kendree. -
La brebis ramenée ait bercail. -
Mac-Kendree nommé
évêque.
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Mac-Kendree, qui fut le collègue d'Asbury
dans l'épiscopat et l'un des pères de
l'Église de l'Ouest, était né
dans la Virginie en 1757. Coeur ardent et nature
énergique, il fut l'un des soldats de la
révolution américaine, et
s'éleva par ses seuls mérites
à un grade honorable dans l'armée. La
crise décisive de sa
régénération spirituelle eut
lieu dans le circuit de Brunswick, pendant un grand
réveil religieux, qui ajouta douze cents
membres à l'Église.
Peu après sa conversion,
Mac-Kendree sentit que toutes ses pensées se
tournaient vers une vie active et consacrée
à l'évangélisation. Il
hésita longtemps toutefois, partagé
entre le sentiment de sa
vocation, qui le poussait en avant et celui de sa
faiblesse qui le retenait, Ses conducteurs
spirituels mirent fin à ces
hésitations en le lançant presque
malgré lui dans le champ de
l'évangélisation. Ses luttes
intérieures durèrent néanmoins
longtemps encore.
Il faut bien dire que les colons
de
la Virginie n'étaient pas des ouailles
très accommodantes pour un jeune et timide
débutant qui avait été
élevé, dans les bois et ne
connaissait guère la vie civilisée.
Dans une de ses premières tournées,
il était arrivé chez un M. Epps,
excellent homme au fond, mais un peu rude, qui ne
lui avait pas caché qu'il se faisait
à l'avance une bien faible idée de
ses talents pour la prédication. Cette
déclaration n'était pas faite pour
encourager le jeune novice qui, en effet, eut bien
de la peine à venir à bout de son
discours, pendant lequel il ne leva pas les yeux
une fois sur son auditoire, tellement grand
était son embarras. Le service fini, son
hôte quitta la chapelle, pensant qu'il le
suivrait; mais arrivé chez lui et ne le
voyant pas, il revint sur ses pas, et trouva le
jeune prédicateur assis sur les marches de
la chaire, la tête dans ses mains et les yeux
tout en larmes, comme s'il n'avait pas d'amis dans
ce monde. M. Epps l'emmena, mais il ne songea pas
à lui donner ce dont il avait plus encore
besoin que d'un gîte, un peu de sympathie et d'encouragement,
Il lui dit
même qu'à son avis il avait en grand
tort de se lancer dans une voie qui n'était
pas du tout la sienne, et qu'il lui conseillait de
retourner à ses champs. Heureusement pour
l'Église que Mac-Kendree ne suivit pas ce
conseil.
Nous n'avons pas à raconter
ici comment et avec quelle rapidité, se
développèrent les talents de
Mac-Kendree. Il suffit de dire qu'au bout de
quelques années de travaux
dévoués, il fut choisi par Asbury
pour diriger l'oeuvre
d'évangélisation de l'Ouest.
C'était en 1800. L'évêque vint
lui-même lui adresser vocation et l'installer
au milieu de ces populations qui différaient
tellement du peuple de la Virginie, que notre
prédicateur n'avait jamais encore
quitté. Le district confié à
sa direction comprenait les États actuels de
l'Ohio, du Kentucky, du Tennessee, et une partie de
la Virginie et de l'Illinois; il embrassait un
espace d'an moins 1500 milles carrés. Ce
territoire qui compte aujourd'hui un millier au
moins de pasteurs méthodistes, n'en comptait
alors que treize. Il fallait qu'en sa
qualité de président (presiding
elder) Mac-Kendree parcourût tous les trois
mois la totalité de cet immense circuit,
à pied ou à cheval, mais toujours
seul, dans un temps où les chemins
n'étaient le plus souvent pas frayés
et où les dangers étaient nombreux de
la part des Indiens ou des bêtes
féroces.
Malgré les difficultés
presque insurmontables de sa nouvelle position,
Mac-Kendree n'hésita pas et aborda son
oeuvre avec résolution. Son énergie
ne connaissait pas d'obstacle infranchissable, et
il sut donner à ses compagnons d'oeuvre un
élan vigoureux par son exemple; sous un tel
chef il n'était possible à personne
de céder au découragement ou à
la fatigue; il mettait une telle joie à se
vouer corps et âme à son oeuvre et au
besoin à sacrifier son repos et sa
santé au strict accomplissement du devoir,
que son zèle devenait contagieux, et que les
plus faibles, tenus en haleine par ses visites, se
sentaient forts à côté d'un
pareil chef.
À cette époque si
active de sa vie, il était impossible de
voir Mac-Kendree sans être frappé de
la dignité de son apparence,
tempérée toutefois par un air
d'affable mansuétude. Il avait la taille
élevée, la face ouverte et
expressive. Des yeux noirs et brillants sous des
sourcils épais semblaient, lorsqu'ils
s'animaient sous l'empire d'une forte
émotion, livrer passage à la flamme
intérieure qui brûlait ce coeur
ardent; ses lèvres avaient, à un
degré remarquable, une expression
d'intelligence ferme et fine tout à la fois.
Cette physionomie, où un mysticisme ardent
s'alliait à une intelligence
élevée, et où luttaient la
fermeté du missionnaire et la
débonnaireté du chrétien, était
bien faite pour captiver et émouvoir un
peuple essentiellement impressionnable.
Mac-Kendree avait, outre ces
dons
purement extérieurs qui n'étaient pas
inutiles dans l'Ouest, les qualités de
l'âme et de l'esprit qui font le grand
orateur populaire. Il fut l'Apollos des
églises de la Grande-Vallée, et son
nom y est demeuré justement
célèbre et
vénéré. Ceux qui l'ont entendu
affirment n'avoir jamais connu de parole aussi
puissante que l'était la sienne aux jours de
sa vigueur.
« Il n'avait guère
étudié, nous raconte un juge
compétent qui l'avait souvent entendu, il
n'avait guère étudié dans les
écoles où se forment les hommes
éloquents; mais il s'était
formé à l'école de Christ. Sa
parole sortait du moule de la nature vivante; aussi
manquait-elle rarement de cette inspiration qui
jette de vives clartés dans l'intelligence,
en ouvrant les sources vives de l'âme. Jamais
orateur n'eut une plus mince idée de ses
talents. Alors même qu'il instruisait les
autres, il semblait, par toute sa manière
d'être, réclamer l'instruction pour
lui-même. Son esprit était tout plein
de son sujet, et il s'efforçait avec une
humilité touchante, de communiquer à
son auditeur cela même qu'il s'était
approprié par un travail
personnel.
« J'ai souvent pensé que
jamais prédicateur à ma connaissance, ne s'est
autant
approché que lui, au point de vue des images
et de la forme même du langage, de
l'admirable simplicité des enseignements du
divin Maître. Il n'usait pas de figures de
rhétorique ou d'expressions
recherchées pour rendre ses idées,
mais toujours des termes les plus simples et les
mieux compris. Son éloquence était
plus dans ses conceptions, dans ses pensées,
dans ses sentiments que dans les mots dont il les
revêtait. Et qui pourrait raconter les effets
de cette éloquence pénétrante
qui remplissait ses discours! Nous qui en
fûmes les témoins, nous n'oserions
l'essayer. Parfois il nous semblait voir sa
pensée étinceler; son oeil, ses
lèvres, son geste, sa physionomie tout
entière semblaient s'illuminer d'une flamme
plus qu'humaine; et alors de ses lèvres
émues s'élançait un fleuve
d'éloquence qui entraînait la foule
ravie; et personne n'essayait de se soustraire
à cette puissance de la foi. Quelquefois
aussi, quand l'état de ses auditeurs le
réclamait, il faisait gronder sur leurs
têtes les foudres du Sinaï, et avec une
telle énergie que l'épouvante et la
terreur se peignaient sur toutes les figures. Un
jour, dans une grande assemblée populaire,
je vis sous cette énergique parole l'immense
foule baisser la tête et trembler sous
l'empire d'une consternation indicible. Quand
l'orateur eut poussé aussi loin qu'il le désirait
l'effroi de cette multitude, il la releva
insensiblement en ramenant devant elle les grandes
promesses évangéliques, et son
âme saintement émue s'épancha
en une prière d'actions de grâce au
Dieu des miséricordes infinies. Ces accents
qui rappelaient le prophète antique
n'étaient pas habituels à
Mac-Kendree. Son sujet préféré
était l'amour de Dieu; et il savait si bien
dépeindre cet amour au coeur de ceux qui
l'écoutaient que l'on peut dire, je crois,
de lui ce que l'on dirait de bien peu d'hommes,
qu'il ne prêcha peut-être pas une seule
fois inutilement (1).
»
Mac-Kendree fut un homme d'une
profonde piété, et ce fut là
le secret de sa puissance comme prédicateur.
On peut dire qu'il fut en odeur de sainteté
dans l'Ouest; sa sainteté n'était pas
quelque chose de vaporeux et d'insaisissable; elle
était au contraire pratique, et
répandait son parfum sur toutes les actions
de sa vie. Sa piété commandait le
respect à ses contemporains, qui le
considéraient comme n'avant avec la terre
que des relations momentanées; il suffisait
de le voir pour que la pensée se
portât vers le ciel. Comment s'étonner
qu'avec une expérience aussi riche de la
puissance de la religion pour sanctifier
l'âme et la vie, la parole de cet homme de
Dieu ait été si éloquente et si
persuasive, et ait amené le réveil
spirituel de milliers de personnes!
L'éloquence n'était pas chez lui un
échauffement factice et cherché;
c'était la libre et débordante
effusion d'une âme remplie de Dieu,
l'explosion spontanée de l'amour
chrétien. Un frémissement s'emparait
du prédicateur dans ces grandes occasions
où la multitude l'entourait : « Il
semblait près de s'affaisser sur
lui-même, sa langue s'embarrassait, ses
paroles s'entrecoupaient, puis tout à coup,
comme touché d'une étincelle divine,
il se redressait, il éclatait en magnifiques
mouvements d'éloquence, sa voix remplissait
l'immensité de la forêt, et les
pécheurs touchés par sa parole
tombaient à ses pieds en criant grâce.
»
Parfois l'âme du grand
prédicateur était tellement emplie et
dominée par le sentiment de la
présence divine que la gloire de Dieu
semblait étinceler sur son visage qui
prenait alors un éclat étrange. Dans
ces moments, les paroles lui manquaient; mais cette
prédication muette des yeux tournés
vers le ciel et du visage transfiguré par
une sainte émotion était bien
certainement la plus puissante des
prédications.
« Pendant le mois d'août
1802, raconte le Rév. Burke, nous
eûmes dans le Kentucky une assemblée
qui dura quatre jours et quatre nuits sans
interruption. Le Rév. William Mac-Kendree prêcha
le lundi matin, et
sous la parole la puissance de Dieu se manifesta
dans l'assemblée; il était à
peu près au milieu de son sermon quand
l'influence divine s'empara de lui à tel
point que, sous son atteinte, il s'affaissa sur
lui-même. J'étais derrière lui
sur l'estrade et le reçu dans mes bras;
toutes les personnes présentes virent alors
son visage qui paraissait rayonnant de gloire. il
revint à lui, en rendant grâces
à Dieu. Ce fut comme un choc
électrique dans l'assemblée; beaucoup
tombèrent à terre, comme des hommes
frappés dans la bataille; un grand nombre de
personnes trouvèrent la paix en cette
occasion. Ce fut le point de départ d'une
oeuvre admirable; des centaines d'âmes se
convertirent à Dieu (2).
»
Mac-Kendree n'avait pas eu le
privilège de recevoir une instruction
classique, mais il y suppléa par un travail
opiniâtre, et acquit par lui-même des
connaissances précises et étendues.
Il avait une intelligence remarquablement vive et
une imagination ardente.
Il avait surtout, ce qui fut le
trait saillant et une des causes du succès
de ses collègues, ce courage de parole qui
ne reculait devant aucune vérité. On
raconte à cet égard une anecdote qui
mérite d'être rapportée., On
sait à quel point la population de l'Ouest
était mélangée; tous les
moyens semblaient bons à des colons avides
de s'enrichir, et les nouveaux arrivants
étaient trop souvent les dupes de ces
insatiables brocanteurs; on spéculait sur
leur inexpérience dans les affaires pour les
dévaliser du peu qu'ils avaient
apporté avec eux. Mac-Kendree ayant
l'occasion de prêcher, pendant
l'été de 1806, dans un canton du
Kentucky où ces coupables pratiques
s'exerçaient sur une vaste échelle,
les dénonça avec une grande
énergie et en ne craignant pas d'appeler les
choses par leur nom. « Oui, mes frères,
s'écria-t-il, il n'arrive que trop souvent
parmi vous que certaines gens tirent avantage des
pauvres émigrants qui viennent chercher
l'hospitalité dans votre contrée et
vous demander de les accepter comme voisins et
concitoyens; que faites-vous? vous leur vendez le
blé ou tout autre produit au double de leur
valeur; quand le boisseau vaut cinquante cents,
vous osez en demander un dollar, et vous osez le
recevoir, et cela de la part de quelque pauvre
homme qui a bien de la peine à se tirer
d'affaire et à élever sa famille.
» Un vieux monsieur, qui s'était assis
près de la porte, semblait fort mal à
l'aise pendant ce réquisitoire si
serré; à mesure que le
prédicateur insistait et qu'il
précisait sa pensée, son agitation
grandissait; finalement, n'y tenant plus, il se
leva de son siège et
apostropha le prédicateur : « Si j'ai
vendu mon blé un dollar le boisseau, dit-il,
je lui ai donné six mois pour payer. -
Asseyez-vous, mon ami, reprit Mac-Kendree, je
discute un sujet et je dépeins un
caractère, mais je n'ai pas l'habitude de
faire des personnalités. »
Chez Mac-Kendree le pasteur
était à la hauteur du
prédicateur.
Il ne crut jamais que ses
devoirs de
surveillant général de l'oeuvre le
dispensassent de la cure d'âmes. Et comme il
s'en acquittait avec une tendre sympathie pour les
faibles! Il assistait en 1809 à un camp
religieux qui se tenait dans l'Ohio. Avant de se
séparer, pasteurs et laïques voulurent
participer ensemble à la cène.
L'évêque Mac-Kendree présida ce
service solennel. Les fidèles s'approchaient
avec empressement de la sainte table. Au milieu de
l'assemblée se trouvait une jeune femme bien
mise et à la figure intelligente dont la
tristesse contrastait avec le bonheur de tous. Elle
appuyait son front sur l'épaule d'une amie
et versait des larmes silencieuses. Le bon
évêque dont le regard se promenait sur
l'auditoire, aperçut cette humble
pénitente et comprit bien vite qu'elle
traversait les angoisses de la repentance, et
qu'elle n'osait s'approcher de la table sainte :
« Et vous, mon enfant, s'écria-t-il,
venez aussi vous prosterner au pied de la croix, et
vous y trouverez grâce.
» - Comment ! s'écria la jeune femme au
milieu de ses larmes et en surmontant sa
timidité, est-ce qu'une aussi vile
pécheresse que moi oserait prendre dans ses
mains impures les emblèmes sacrés de
l'amour du Sauveur? » - « Oui, mon
enfant, reprit l'évêque; c'est
justement pour des pécheurs que
Jésus-Christ est mort, et tandis qu'il se
débattait sous l'étreinte des
dernières agonies, il montra son pouvoir et
sa miséricorde en sauvant le malfaiteur.
» La pénitente n'en demanda pas plus
long, et répondit à l'invitation du
serviteur de Dieu. Et pendant qu'elle recevait de
ses mains les symboles sacrés, elle sentit
descendre en son âme la paix du
salut.
Ce fut à la suite de sa
mission dans l'Ouest que Mac-Kendree fut promu au
poste d'évêque. Depuis une vingtaine
d'années, il occupait des circuits
reculés et à peine civilisés,
et il était presque complètement
inconnu du jeune clergé de l'Église
lorsqu'il parut à la conférence
générale de Baltimore en 1808. Ses
collègues de l'Est ignoraient ses
magnifiques talents oratoires, et, lorsqu'ils
surent que ce pionnier aux habits de bure, au teint
hâlé et à la démarche
embarrassée devait prêcher devant la
Conférence, ils se rendirent à sa
prédication poussés par la
curiosité, mais s'attendant à un
échec. Le commencement du service semblait
de nature à réaliser leurs craintes;
la timidité naturelle du
missionnaire avait repris le dessus dès
qu'il s'était trouvé au milieu de la
vie civilisée. Au début, sa diction
semblait incorrecte, ses idées vulgaires, sa
langue embarrassée. Mais bientôt son
sujet parut l'enthousiasmer; sa voix
s'éleva, son regard s'enflamma, son geste
devint assuré, et plein d'animation, il
avait réussi à oublier qu'il avait
devant lui des juges et des critiques; il ne voyait
plus, comme dans ses déserts, que des
âmes à sauver. Cet incomparable talent
confondit d'étonnement et d'admiration tous,
les pasteurs présents. Mac-Kendree
était un inconnu avant ce jour: quelques
jours après, la Conférence ayant
à élire un collègue à
Asbury dans l'épiscopat, nommait à
une immense majorité cet humble
pionnier.
Nous n'avons pas à raconter
ici les travaux apostoliques de
l'évêque pendant les vingt-sept
années que dura son épiscopat. Ce
serait sortir de notre sujet spécial. Qu'il
nous suffise de dire qu'il continua à
veiller sur les Églises naissantes de
l'Ouest, auxquelles il avait consacré les
plus belles années de sa vie; il se
préoccupa surtout des missions entreprises
au milieu des tribus indiennes. Chaque année
il visitait ces oeuvres et portait des
encouragements et les conseils de sa longue
expérience à ses enfants
spirituels.
La dernière fois qu'il prit
place dans une conférence, il termina
ses adieux à ses frères par ces mots
: « Mes frères et mes enfants,
aimez-vous les uns les autres ! »
Ses dernières années
se passèrent au milieu de cruelles
souffrances et d'infirmités douloureuses,
conséquences d'une longue vie pleine de
voyages incessants et de dures privations. Il
s'éteignit en 1335, à l'âge de
soixante et dix-sept ans. Ses dernières
paroles furent : « Tout est bien! »
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