Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

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WILLIAM MAC-KENDREE


Conversion et vocation de Mac-Kendree. - L'accueil fait au jeune prédicateur. - Il est placé à la tête du district de l'Ouest. - Ses dons extérieurs. - Son éloquence. - Un auditeur qui se sent atteint par sa prédication. - La piété de Mac-Kendree. - La brebis ramenée ait bercail. - Mac-Kendree nommé évêque.

Mac-Kendree, qui fut le collègue d'Asbury dans l'épiscopat et l'un des pères de l'Église de l'Ouest, était né dans la Virginie en 1757. Coeur ardent et nature énergique, il fut l'un des soldats de la révolution américaine, et s'éleva par ses seuls mérites à un grade honorable dans l'armée. La crise décisive de sa régénération spirituelle eut lieu dans le circuit de Brunswick, pendant un grand réveil religieux, qui ajouta douze cents membres à l'Église.

Peu après sa conversion, Mac-Kendree sentit que toutes ses pensées se tournaient vers une vie active et consacrée à l'évangélisation. Il hésita longtemps toutefois, partagé entre le sentiment de sa vocation, qui le poussait en avant et celui de sa faiblesse qui le retenait, Ses conducteurs spirituels mirent fin à ces hésitations en le lançant presque malgré lui dans le champ de l'évangélisation. Ses luttes intérieures durèrent néanmoins longtemps encore.

Il faut bien dire que les colons de la Virginie n'étaient pas des ouailles très accommodantes pour un jeune et timide débutant qui avait été élevé, dans les bois et ne connaissait guère la vie civilisée. Dans une de ses premières tournées, il était arrivé chez un M. Epps, excellent homme au fond, mais un peu rude, qui ne lui avait pas caché qu'il se faisait à l'avance une bien faible idée de ses talents pour la prédication. Cette déclaration n'était pas faite pour encourager le jeune novice qui, en effet, eut bien de la peine à venir à bout de son discours, pendant lequel il ne leva pas les yeux une fois sur son auditoire, tellement grand était son embarras. Le service fini, son hôte quitta la chapelle, pensant qu'il le suivrait; mais arrivé chez lui et ne le voyant pas, il revint sur ses pas, et trouva le jeune prédicateur assis sur les marches de la chaire, la tête dans ses mains et les yeux tout en larmes, comme s'il n'avait pas d'amis dans ce monde. M. Epps l'emmena, mais il ne songea pas à lui donner ce dont il avait plus encore besoin que d'un gîte, un peu de sympathie et d'encouragement, Il lui dit même qu'à son avis il avait en grand tort de se lancer dans une voie qui n'était pas du tout la sienne, et qu'il lui conseillait de retourner à ses champs. Heureusement pour l'Église que Mac-Kendree ne suivit pas ce conseil.

Nous n'avons pas à raconter ici comment et avec quelle rapidité, se développèrent les talents de Mac-Kendree. Il suffit de dire qu'au bout de quelques années de travaux dévoués, il fut choisi par Asbury pour diriger l'oeuvre d'évangélisation de l'Ouest. C'était en 1800. L'évêque vint lui-même lui adresser vocation et l'installer au milieu de ces populations qui différaient tellement du peuple de la Virginie, que notre prédicateur n'avait jamais encore quitté. Le district confié à sa direction comprenait les États actuels de l'Ohio, du Kentucky, du Tennessee, et une partie de la Virginie et de l'Illinois; il embrassait un espace d'an moins 1500 milles carrés. Ce territoire qui compte aujourd'hui un millier au moins de pasteurs méthodistes, n'en comptait alors que treize. Il fallait qu'en sa qualité de président (presiding elder) Mac-Kendree parcourût tous les trois mois la totalité de cet immense circuit, à pied ou à cheval, mais toujours seul, dans un temps où les chemins n'étaient le plus souvent pas frayés et où les dangers étaient nombreux de la part des Indiens ou des bêtes féroces.

Malgré les difficultés presque insurmontables de sa nouvelle position, Mac-Kendree n'hésita pas et aborda son oeuvre avec résolution. Son énergie ne connaissait pas d'obstacle infranchissable, et il sut donner à ses compagnons d'oeuvre un élan vigoureux par son exemple; sous un tel chef il n'était possible à personne de céder au découragement ou à la fatigue; il mettait une telle joie à se vouer corps et âme à son oeuvre et au besoin à sacrifier son repos et sa santé au strict accomplissement du devoir, que son zèle devenait contagieux, et que les plus faibles, tenus en haleine par ses visites, se sentaient forts à côté d'un pareil chef.

À cette époque si active de sa vie, il était impossible de voir Mac-Kendree sans être frappé de la dignité de son apparence, tempérée toutefois par un air d'affable mansuétude. Il avait la taille élevée, la face ouverte et expressive. Des yeux noirs et brillants sous des sourcils épais semblaient, lorsqu'ils s'animaient sous l'empire d'une forte émotion, livrer passage à la flamme intérieure qui brûlait ce coeur ardent; ses lèvres avaient, à un degré remarquable, une expression d'intelligence ferme et fine tout à la fois. Cette physionomie, où un mysticisme ardent s'alliait à une intelligence élevée, et où luttaient la fermeté du missionnaire et la débonnaireté du chrétien, était bien faite pour captiver et émouvoir un peuple essentiellement impressionnable.

Mac-Kendree avait, outre ces dons purement extérieurs qui n'étaient pas inutiles dans l'Ouest, les qualités de l'âme et de l'esprit qui font le grand orateur populaire. Il fut l'Apollos des églises de la Grande-Vallée, et son nom y est demeuré justement célèbre et vénéré. Ceux qui l'ont entendu affirment n'avoir jamais connu de parole aussi puissante que l'était la sienne aux jours de sa vigueur.

« Il n'avait guère étudié, nous raconte un juge compétent qui l'avait souvent entendu, il n'avait guère étudié dans les écoles où se forment les hommes éloquents; mais il s'était formé à l'école de Christ. Sa parole sortait du moule de la nature vivante; aussi manquait-elle rarement de cette inspiration qui jette de vives clartés dans l'intelligence, en ouvrant les sources vives de l'âme. Jamais orateur n'eut une plus mince idée de ses talents. Alors même qu'il instruisait les autres, il semblait, par toute sa manière d'être, réclamer l'instruction pour lui-même. Son esprit était tout plein de son sujet, et il s'efforçait avec une humilité touchante, de communiquer à son auditeur cela même qu'il s'était approprié par un travail personnel.

« J'ai souvent pensé que jamais prédicateur à ma connaissance, ne s'est autant approché que lui, au point de vue des images et de la forme même du langage, de l'admirable simplicité des enseignements du divin Maître. Il n'usait pas de figures de rhétorique ou d'expressions recherchées pour rendre ses idées, mais toujours des termes les plus simples et les mieux compris. Son éloquence était plus dans ses conceptions, dans ses pensées, dans ses sentiments que dans les mots dont il les revêtait. Et qui pourrait raconter les effets de cette éloquence pénétrante qui remplissait ses discours! Nous qui en fûmes les témoins, nous n'oserions l'essayer. Parfois il nous semblait voir sa pensée étinceler; son oeil, ses lèvres, son geste, sa physionomie tout entière semblaient s'illuminer d'une flamme plus qu'humaine; et alors de ses lèvres émues s'élançait un fleuve d'éloquence qui entraînait la foule ravie; et personne n'essayait de se soustraire à cette puissance de la foi. Quelquefois aussi, quand l'état de ses auditeurs le réclamait, il faisait gronder sur leurs têtes les foudres du Sinaï, et avec une telle énergie que l'épouvante et la terreur se peignaient sur toutes les figures. Un jour, dans une grande assemblée populaire, je vis sous cette énergique parole l'immense foule baisser la tête et trembler sous l'empire d'une consternation indicible. Quand l'orateur eut poussé aussi loin qu'il le désirait l'effroi de cette multitude, il la releva insensiblement en ramenant devant elle les grandes promesses évangéliques, et son âme saintement émue s'épancha en une prière d'actions de grâce au Dieu des miséricordes infinies. Ces accents qui rappelaient le prophète antique n'étaient pas habituels à Mac-Kendree. Son sujet préféré était l'amour de Dieu; et il savait si bien dépeindre cet amour au coeur de ceux qui l'écoutaient que l'on peut dire, je crois, de lui ce que l'on dirait de bien peu d'hommes, qu'il ne prêcha peut-être pas une seule fois inutilement (1). »

Mac-Kendree fut un homme d'une profonde piété, et ce fut là le secret de sa puissance comme prédicateur. On peut dire qu'il fut en odeur de sainteté dans l'Ouest; sa sainteté n'était pas quelque chose de vaporeux et d'insaisissable; elle était au contraire pratique, et répandait son parfum sur toutes les actions de sa vie. Sa piété commandait le respect à ses contemporains, qui le considéraient comme n'avant avec la terre que des relations momentanées; il suffisait de le voir pour que la pensée se portât vers le ciel. Comment s'étonner qu'avec une expérience aussi riche de la puissance de la religion pour sanctifier l'âme et la vie, la parole de cet homme de Dieu ait été si éloquente et si persuasive, et ait amené le réveil spirituel de milliers de personnes! L'éloquence n'était pas chez lui un échauffement factice et cherché; c'était la libre et débordante effusion d'une âme remplie de Dieu, l'explosion spontanée de l'amour chrétien. Un frémissement s'emparait du prédicateur dans ces grandes occasions où la multitude l'entourait : « Il semblait près de s'affaisser sur lui-même, sa langue s'embarrassait, ses paroles s'entrecoupaient, puis tout à coup, comme touché d'une étincelle divine, il se redressait, il éclatait en magnifiques mouvements d'éloquence, sa voix remplissait l'immensité de la forêt, et les pécheurs touchés par sa parole tombaient à ses pieds en criant grâce. »

Parfois l'âme du grand prédicateur était tellement emplie et dominée par le sentiment de la présence divine que la gloire de Dieu semblait étinceler sur son visage qui prenait alors un éclat étrange. Dans ces moments, les paroles lui manquaient; mais cette prédication muette des yeux tournés vers le ciel et du visage transfiguré par une sainte émotion était bien certainement la plus puissante des prédications.

« Pendant le mois d'août 1802, raconte le Rév. Burke, nous eûmes dans le Kentucky une assemblée qui dura quatre jours et quatre nuits sans interruption. Le Rév. William Mac-Kendree prêcha le lundi matin, et sous la parole la puissance de Dieu se manifesta dans l'assemblée; il était à peu près au milieu de son sermon quand l'influence divine s'empara de lui à tel point que, sous son atteinte, il s'affaissa sur lui-même. J'étais derrière lui sur l'estrade et le reçu dans mes bras; toutes les personnes présentes virent alors son visage qui paraissait rayonnant de gloire. il revint à lui, en rendant grâces à Dieu. Ce fut comme un choc électrique dans l'assemblée; beaucoup tombèrent à terre, comme des hommes frappés dans la bataille; un grand nombre de personnes trouvèrent la paix en cette occasion. Ce fut le point de départ d'une oeuvre admirable; des centaines d'âmes se convertirent à Dieu (2). »

Mac-Kendree n'avait pas eu le privilège de recevoir une instruction classique, mais il y suppléa par un travail opiniâtre, et acquit par lui-même des connaissances précises et étendues. Il avait une intelligence remarquablement vive et une imagination ardente.

Il avait surtout, ce qui fut le trait saillant et une des causes du succès de ses collègues, ce courage de parole qui ne reculait devant aucune vérité. On raconte à cet égard une anecdote qui mérite d'être rapportée., On sait à quel point la population de l'Ouest était mélangée; tous les moyens semblaient bons à des colons avides de s'enrichir, et les nouveaux arrivants étaient trop souvent les dupes de ces insatiables brocanteurs; on spéculait sur leur inexpérience dans les affaires pour les dévaliser du peu qu'ils avaient apporté avec eux. Mac-Kendree ayant l'occasion de prêcher, pendant l'été de 1806, dans un canton du Kentucky où ces coupables pratiques s'exerçaient sur une vaste échelle, les dénonça avec une grande énergie et en ne craignant pas d'appeler les choses par leur nom. « Oui, mes frères, s'écria-t-il, il n'arrive que trop souvent parmi vous que certaines gens tirent avantage des pauvres émigrants qui viennent chercher l'hospitalité dans votre contrée et vous demander de les accepter comme voisins et concitoyens; que faites-vous? vous leur vendez le blé ou tout autre produit au double de leur valeur; quand le boisseau vaut cinquante cents, vous osez en demander un dollar, et vous osez le recevoir, et cela de la part de quelque pauvre homme qui a bien de la peine à se tirer d'affaire et à élever sa famille. » Un vieux monsieur, qui s'était assis près de la porte, semblait fort mal à l'aise pendant ce réquisitoire si serré; à mesure que le prédicateur insistait et qu'il précisait sa pensée, son agitation grandissait; finalement, n'y tenant plus, il se leva de son siège et apostropha le prédicateur : « Si j'ai vendu mon blé un dollar le boisseau, dit-il, je lui ai donné six mois pour payer. - Asseyez-vous, mon ami, reprit Mac-Kendree, je discute un sujet et je dépeins un caractère, mais je n'ai pas l'habitude de faire des personnalités. »

Chez Mac-Kendree le pasteur était à la hauteur du prédicateur.

Il ne crut jamais que ses devoirs de surveillant général de l'oeuvre le dispensassent de la cure d'âmes. Et comme il s'en acquittait avec une tendre sympathie pour les faibles! Il assistait en 1809 à un camp religieux qui se tenait dans l'Ohio. Avant de se séparer, pasteurs et laïques voulurent participer ensemble à la cène. L'évêque Mac-Kendree présida ce service solennel. Les fidèles s'approchaient avec empressement de la sainte table. Au milieu de l'assemblée se trouvait une jeune femme bien mise et à la figure intelligente dont la tristesse contrastait avec le bonheur de tous. Elle appuyait son front sur l'épaule d'une amie et versait des larmes silencieuses. Le bon évêque dont le regard se promenait sur l'auditoire, aperçut cette humble pénitente et comprit bien vite qu'elle traversait les angoisses de la repentance, et qu'elle n'osait s'approcher de la table sainte : « Et vous, mon enfant, s'écria-t-il, venez aussi vous prosterner au pied de la croix, et vous y trouverez grâce. » - Comment ! s'écria la jeune femme au milieu de ses larmes et en surmontant sa timidité, est-ce qu'une aussi vile pécheresse que moi oserait prendre dans ses mains impures les emblèmes sacrés de l'amour du Sauveur? » - « Oui, mon enfant, reprit l'évêque; c'est justement pour des pécheurs que Jésus-Christ est mort, et tandis qu'il se débattait sous l'étreinte des dernières agonies, il montra son pouvoir et sa miséricorde en sauvant le malfaiteur. » La pénitente n'en demanda pas plus long, et répondit à l'invitation du serviteur de Dieu. Et pendant qu'elle recevait de ses mains les symboles sacrés, elle sentit descendre en son âme la paix du salut.

Ce fut à la suite de sa mission dans l'Ouest que Mac-Kendree fut promu au poste d'évêque. Depuis une vingtaine d'années, il occupait des circuits reculés et à peine civilisés, et il était presque complètement inconnu du jeune clergé de l'Église lorsqu'il parut à la conférence générale de Baltimore en 1808. Ses collègues de l'Est ignoraient ses magnifiques talents oratoires, et, lorsqu'ils surent que ce pionnier aux habits de bure, au teint hâlé et à la démarche embarrassée devait prêcher devant la Conférence, ils se rendirent à sa prédication poussés par la curiosité, mais s'attendant à un échec. Le commencement du service semblait de nature à réaliser leurs craintes; la timidité naturelle du missionnaire avait repris le dessus dès qu'il s'était trouvé au milieu de la vie civilisée. Au début, sa diction semblait incorrecte, ses idées vulgaires, sa langue embarrassée. Mais bientôt son sujet parut l'enthousiasmer; sa voix s'éleva, son regard s'enflamma, son geste devint assuré, et plein d'animation, il avait réussi à oublier qu'il avait devant lui des juges et des critiques; il ne voyait plus, comme dans ses déserts, que des âmes à sauver. Cet incomparable talent confondit d'étonnement et d'admiration tous, les pasteurs présents. Mac-Kendree était un inconnu avant ce jour: quelques jours après, la Conférence ayant à élire un collègue à Asbury dans l'épiscopat, nommait à une immense majorité cet humble pionnier.

Nous n'avons pas à raconter ici les travaux apostoliques de l'évêque pendant les vingt-sept années que dura son épiscopat. Ce serait sortir de notre sujet spécial. Qu'il nous suffise de dire qu'il continua à veiller sur les Églises naissantes de l'Ouest, auxquelles il avait consacré les plus belles années de sa vie; il se préoccupa surtout des missions entreprises au milieu des tribus indiennes. Chaque année il visitait ces oeuvres et portait des encouragements et les conseils de sa longue expérience à ses enfants spirituels.

La dernière fois qu'il prit place dans une conférence, il termina ses adieux à ses frères par ces mots : « Mes frères et mes enfants, aimez-vous les uns les autres ! »

Ses dernières années se passèrent au milieu de cruelles souffrances et d'infirmités douloureuses, conséquences d'une longue vie pleine de voyages incessants et de dures privations. Il s'éteignit en 1335, à l'âge de soixante et dix-sept ans. Ses dernières paroles furent : « Tout est bien! »

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(1) The Heroes of Methodism, by the Rev, J. B. Wakeley. - New-York, 1856. 
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(2) Sketches of Western Methodism, by Rev. James B. Finley. 
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