Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

SECONDE PARTIE

LES OUVRIERS

CHAPITRE PREMIER

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FRANCIS ASBURY

Dans la première partie de ce travail, nous nous sommes borné à faire connaître, dans ses grands traits, l'oeuvre missionnaire de l'Ouest américain et à en présenter une vue d'ensemble. Il nous reste maintenant à esquisser la physionomie de quelques-uns des ouvriers de cette entreprise chrétienne. Les étroites limites dans lesquelles nous devons nous renfermer nous obligeront à ne donner qu'une place bien étroite à plusieurs des portraits de notre modeste galerie, et même à ne rien dire de beaucoup d'hommes qui auraient mérité pourtant d'être offerts à l'admiration de nos lecteurs.


Naissance et premières années d'Asbury. - Il commence à présider des réunions religieuses. - Il devient l'un des prédicateurs de Wesley. Asbury en Amérique. - Asbury évêque. - Son caractère. - Son amour pour les petits. - Asbury au milieu des nègres. - Conversion du nègre Punch. - Tentations au découragement. - Ses courses missionnaires. - Sa prédication. - Ses prières.

 la tête du mouvement religieux que nous avons décrit nous avons retrouvé constamment un homme dont Wesley avait su discerner les rares talents et qu'il avait appelé jeune encore, au poste d'évêque missionnaire de l'Église méthodiste d'Amérique. Francis Asbury fit de l'extension de son Église vers l'Occident la pensée dominante de sa vie. Son nom s'est souvent rencontré sous notre plume, mais il mérite mieux qu'une mention rapide. C'est par lui que doit s'ouvrir tout naturellement cette galerie des prédicateurs pionniers de l'Ouest.

Francis Asbury était né dans le Staffordshire, à quelque distance de Birmingham, le 20 août 1745. Élevé dans une atmosphère chrétienne par des parents pieux, il ouvrit de bonne heure son âme aux préoccupations religieuses; son caractère naturellement grave le mettait à l'abri des tentations d'une jeunesse dissipée; ses camarades d'école, qui tournaient volontiers en ridicule ses dispositions sérieuses, l'avaient surnommé le ministre. Dès cette époque, nous dit-il, « Dieu se tenait tout près de lui ». Il reçut une instruction solide qu'il compléta par ses études subséquentes auxquelles il ne renonça jamais; il avait une passion véritable pour la lecture; les livres religieux et théologiques étaient ceux qu'il goûtait le plus, et entre tous ce furent les sermons de Whitefield qui parurent le plus impressionner son âme. Sa conversion avait précédé de plusieurs années ses relations avec les méthodistes. Mais dès qu'il les connut, il sentit qu'il y avait là un foyer de vie chrétienne dont il avait besoin.

À l'exemple de tant d'autres, il comprit bientôt que la vie pour se continuer chez lui devait se manifester au dehors, et il se mit à convoquer, dans le voisinage de sa résidence, des réunions de prières et d'exhortations familières. Son talent sympathique, sa voix harmonieuse et douce, son extrême jeunesse, et surtout la foi ardente qui éclatait dans sa parole, tout prévenait en sa faveur, et la foule ne tarda pas à remplir les modestes locaux où Francis Asbury convoquait ses réunions. On s'étonnait de rencontrer tant de facilité dans la parole et tant d'ardeur dans la piété chez un jeune homme inconnu jusque-là et qui s'était formé dans la solitude. Les pasteurs du circuit le reçurent avec joie comme prédicateur local, bien qu'il n'eût que seize ou dix-sept ans. Dès lors, il commença à travailler à l'évangélisation missionnaire jusqu'au moment où l'Église lui ouvrit les portes du ministère proprement dit. Il n'avait que vingt et un ans. Cinq ans après, à la conférence de Bristol où il assistait, Wesley adressa à ses jeunes prédicateurs un appel pressant; il demandait des volontaires pour l'Amérique. Asbury, qui depuis longtemps se sentait appelé à porter l'Évangile dans ces lointaines régions, fut un des premiers à répondre. Le vieux patriarche du réveil anglais accepta d'autant plus volontiers ses services qu'il avait remarqué les aptitudes qui le distinguaient.

Nous avons parlé plus haut des progrès rapides de l'oeuvre commencée dans le nouveau monde. Nous ne nous étendrons pas sur la part qui revient à Asbury dans ces succès. Qu'il nous suffise de dire qu'elle fut grande, et que ses rares talents unis à sa profonde piété ne tardèrent pas à lui conférer une sorte d'épiscopat moral avant que l'épiscopat proprement dit vint lui donner une autorité officielle.

La haute position à laquelle il fut appelé à la fois par le choix de Wesley et par le vote unanime de ses collègues ne fit qu'agrandir son champ de travail sans changer en rien l'esprit qui l'animait. Au lieu de circonscrire ses efforts dans une sphère limitée, il dut désormais parcourir la contrée tout entière, ne se donnant aucun relâche.

Dans les visites qu'il faisait à ses frères disséminés et privés de communications fréquentes entre eux, il apportait un esprit fraternel et affectueux, et l'ami faisait toujours oublier l'évêque. L'évêque reparaissait pourtant dans les cas fort rares où la discipline menaçait d'être violée et où le travail paraissait négligé; strict observateur de la discipline en même temps que travailleur infatigable, il avait le droit d'être sévère pour les autres.

L'évêque Asbury ne fut pas sans doute Lui de ces esprits créateurs qui laissent après eux une longue traînée lumineuse; intelligence solide plutôt que profonde, il avait pourtant toutes les qualités nécessaires pour diriger le mouvement religieux à la tête duquel le plaça la Providence. Au milieu des rudes labeurs de sa vie missionnaire, Il ne cessait d'étudier, se familiarisant avec les langues originales de l'Écriture. Comme Wesley, il s'était donné, dans l'emploi de son temps, des habitudes méthodiques qui lui permirent d'accumuler une foule de travaux sur une existence d'une longueur moyenne. Il était l'ennemi juré de l'amour des aises, et il le combattait chez lui par une existence austère. Complètement détaché de toute vue intéressée, il se contentait de recevoir annuellement de l'Église soixante dollars (300 francs) et, non seulement il trouvait moyen de suffire à ses besoins avec ce traitement plus que modique, mais encore il parvenait à subvenir aux nécessités de quelques-uns de ses collègues qui parfois manquaient du nécessaire. Il ne se maria jamais; car, ainsi qu'il avait l'habitude de le dire, il était trop occupé de l'oeuvre de Dieu pour se donner le souci d'une famille. Il semble pourtant avoir apprécié quels charmes répand sur la vie d'un pasteur la présence d'une compagne. C'est ainsi que la plupart de ses économies étaient consacrées à venir en aide à quelque pauvre prédicateur chargé de famille.

Auprès des populations naïves et ignorantes de l'Ouest, rien ne devait produire une impression plus profonde que la simplicité toujours digne de l'évêque. Les bonnes gens du pays ne pouvaient se lasser d'admirer la facilité avec laquelle un homme de manières aussi distinguées bavait se plier à leur rude existence. Pour lui, il trouvait le secret de cette abnégation dans un ardent amour des âmes. Lorsqu'il entrait dans une cabane, il s'adressait surtout aux petits et aux délaissés. Les enfants se faisaient une fête de l'arrivée de papa Asbury, comme ils l'appelaient, et, à peine entré, il les voyait grimper hardiment sur ses genoux et le couvrir de baisers. Les esclaves étaient aussi du nombre de ses meilleurs amis. « Je fus heureux l'autre soir, écrivait-il, en conversant avec les pauvres nègres dans la cuisine de M. Wells, tandis que le jeune prédicateur présidait une réunion pour les blancs dans le salon. Je dois veiller aux intérêts spirituels des pauvres et des petits; c'est là ma vocation spéciale. »

En 1788, un jour qu'il se rendait à cheval à Charleston il rencontra sur le bord de l'eau un nègre d'assez mauvaise mine qui pêchait enchantant une chanson, L'évêque, arrêta sa monture, et s'approchant de lui, lui demanda dès l'abord : « Mon ami, priez-vous quelquefois? - Non, Monsieur, » répondit celui-ci un peu embarrassé. Asbury mit pied à terre, attacha son cheval à un arbre et vint s'asseoir à côté de Punch (c'était le nom du pauvre esclave). Il se mit alors à lui parler avec affection des dangers auxquels on s'expose par une vie donnée au péché, de la brièveté de nos jours, des terreurs du jugement dernier. Puis il lui parla des joies du ciel et des miséricordes infinies de Dieu; il lui montra que, dans ces miséricordes, il y avait une place aussi bien pour le noir enfant de l'Afrique que pour le blanc. Peu à peu la crainte de Punch s'était transformée en une vive émotion sous la parole de l'évêque. Les larmes coulaient en abondance sur ses joues, et il fixait avidement sur son interlocuteur ses grands yeux brillants. Celui-ci entonna alors quelques-uns de ces doux cantiques aimés des noirs puis s'agenouillant sur le bord du chemin il adressa à Dieu une fervente prière en faveur de son nouvel ami et prit congé de lui. Punch devint à partir de ce Jour un homme nouveau; naguère méchant, menteur et querelleur, il devint aussi doux qu'un agneau. Vingt-cinq ans plus tard, ayant appris que le bon évêque se trouvait à Charleston, il franchit à pied les soixante et dix milles qui l'en séparaient, et vint lui rappeler la scène du bord de la route et lui dire que ses prières avaient été exaucées. Le pauvre esclave en effet était devenu un chrétien vivant, et même un prédicateur au milieu de ses compagnons. On raconte des traits remarquables de cet humble ministère.

Dans ses longs voyages, le découragement saisissait parfois l'évêque et l'étreignait douloureusement. La tentation lui vint un jour au milieu d'une expédition dans le grand désert de l'Ouest. Il lui sembla que ses forces se consumaient en pure perte et que ses travaux personnels avaient peu de succès. Cette pensée l'accabla, et il se demanda sérieusement s'il ne se survivait pas à lui-même, et si sa mission n'était pas finie. Tout agité par ces pensées, il arriva à lune pauvre chapelle de bois où se tenait une assemblée fraternelle. Inconnu de tous, il prit place dans un coin. Après que plusieurs frères eurent pris la parole pour faire part à l'assemblée de leurs expériences, une personne se leva, et raconta d'une voix émue que, naguère légère et indifférente, elle avait été amenée au sentiment de l'amour du Sauveur par la prédication de l'évêque Asbury et que son souvenir demeurait uni dans sa pensée à celui de la période la plus heureuse de son existence. Celui-ci, que ce témoignage avait profondément remué, se leva ensuite et d'une voix émue et les yeux remplis de larmes, il raconta les doutes qui l'avaient assailli, et s'écria avec une expression d'ineffable reconnaissance : « Oh! s'il m'est permis d'être le moyen de la conversion d'une seule âme, en voyageant sans cesse au travers du continent américain, je suis décidé à voyager ainsi sans repos et sans trêves jusqu'à l'heure de ma mort. »

C'était là du reste la pensée de toute sa vie. L'itinérance, après avoir été au début une dure nécessité pour lui, était devenue un besoin de sa nature. Tandis que les uns font du foyer de la famille le centre de leur vie, que d'autres préfèrent le cabinet du penseur ou le bureau de l'homme d'affaires, Asbury eût pu montrer son fidèle cheval comme le symbole de sa vie aventureuse. Pendant la guerre de la Révolution, il dut demeurer caché, à cause de sa nationalité, dans la maison de l'un de ses amis; cette inactivité forcée le tourmentait; il était aussi malheureux qu'un oiseau captif dans sa cage, et plus d'une fois il eut la tentation d'échapper à l'amicale et prudente surveillance de ses hôtes. Lorsque enfin il put remonter en selle, il se sentit rajeuni et éprouva quelque chose de ce que ressent un prisonnier auquel on rend la liberté. Il ne pouvait pas demeurer quelques jours de suite, même chez ses meilleurs amis, sans soupirer après ses chères forêts. Il disait dans une occasion : « Marcher, marcher toujours, voilà ma vie.

Plus tard, à l'occasion d'une tournée faite avec Mac-Kendree, son collègue dans l'épiscopat, il écrit : « Ma chair succombe à la peine. Nous voyageons dans une pauvre voiture qui nous a coûté 30 dollars, et que nous avons acquise chacun par moitié; il la fallait prendre à la portée de notre bourse. Quels évêques nous sommes! Mais nous avons de grandes nouvelles et nous vivons à une grande époque! Chacune de nos conférences de l'Ouest, du Sud et de la Virginie aura cette année mille âmes vraiment converties à Dieu. N'est-ce point là une compensation pour une bourse mal garnie? Ne sommes-nous pas bien payés de notre faim et de nos fatigues? Oui, sans doute, et gloire à Dieu! »

La connaissance qu'il avait des hommes était profonde; il semblait lire dans le caractère de ses semblables comme dans un livre ouvert. Mais cette connaissance ne lui servait qu'à mieux adapter sa prédication aux besoins et au caractère de ses auditeurs. Cette prédication, sans être brillante, était forte, énergique, impressive. on se sentait moins en présence d'un grand orateur que d'un grand chrétien, dont la parole pleine d'autorité et de gravité allait droit à la conscience, tandis qu'elle avait la puissance de toucher le coeur par la douce onction qui y régnait.

Tous les témoignages s'accordent pour nous le représenter comme un chrétien vaillant dans la prière. Il vivait dans une communion étroite avec Dieu, et dans ses longues courses à cheval, à travers les solitudes, il s'absorbait dans le sentiment de la présence de Dieu, au point de ne prêter aucune attention aux objets qui l'environnaient. Ses prières publiques avaient une puissance supérieure à celle de sa prédication; on eût dit, en l'entendant prier, que Dieu était visible aux yeux de sa chair.

Asbury était dévoré de la sainte ambition d'étendre les limites du royaume de son Maître. Tout ce qu'il avait d'énergie, de talent et d'influence, convergeait vers ce but unique de sa vie. Comme César, il pensait que rien n'était fait, tant qu'il restait quelque chose à faire. Aussi il se multipliait, parcourant deux mille lieues par an, sur une monture médiocre, et ne se laissant arrêter ni par les montagnes, ni par les rivières débordées, ni par les dangers de toute nature. Il avait cet héroïsme qui ne compte pas avec les difficultés. Aussi a-t-il laissé après lui un souvenir glorieux dans le méthodisme américain. Il est presque devenu une figure légendaire pour ses fils et ses petits-fils dans le ministère, et l'un d'entre-eux exprime le sentiment unanime de l'Église au sujet de ce grand serviteur de Dieu en l'appelant « le Josué de notre Israël, qui l'a mené à la gloire et au triomphe. »

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