Origine du
méthodisme en
Amérique. - Philippe Embury et
Barbara Heck. - Le capitaine Webb. - Les
deux premiers missionnaires envoyés
par Wesley. - La question de
l'administration des sacrements. -
Influence de la guerre de
l'indépendance sur l'organisation
de l'Église. - Ordination de Coke
et d'Asbury. - Les grands traits de
l'organisation du méthodisme
américain.
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L'origine du méthodisme en
Amérique remonte à l'année
1766. Quelques émigrants irlandais
rattachés aux sociétés
religieuses fondées par Wesley dans leur
pays natal s'étaient établis, depuis
peu de temps, à New-York. Privés de
secours religieux, ils n'avaient pas tardé
à tomber dans l'indifférence.
Heureusement que, parmi ces quelques familles, se
trouvait une femme, Barbara Heck, chez laquelle la
piété, plus abondante, avait mieux
résisté aux empiétements de la
mondanité. Un jour que plusieurs
émigrants jouaient aux cartes, elle entra
dans la chambre où ils étaient
réunis, et, remplie d'une pieuse
indignation, elle saisit le paquet de cartes et le
jeta au feu, en leur adressant
une sévère
répréhension. Puis elle se rendit
chez -un autre émigrant, Philippe Embury,
qui avait été prédicateur
local en Irlande, et elle l'exhorta vivement
à surmonter sa timidité et à
présider, en faveur de ses compatriotes
abandonnés, de petites réunions dans
sa maison. Après quelques
hésitations, Embury y consentit.
La première réunion se
composait de cinq personnes seulement, mais d'une
semaine à l'autre ce petit noyau grandit, et
il devint bientôt nécessaire de
chercher un local plus vaste. Aux services publics
qui se tinrent dès lors
régulièrement, on eut soin
d'adjoindre une classe ou réunion
d'entretiens religieux, ce moyen
d'édification dont Wesley fit le pivot de
toute l'organisation de ses
sociétés.
Peu après ces petits
commencements, l'oeuvre naissante reçut une
vigoureuse impulsion par l'arrivée d'un
officier de l'armée anglaise, le capitaine
Webb, qui cumulait avec ses fonctions militaires
celle de prédicateur local
méthodiste. C'était un homme d'une
rare originalité. Wesley, qui avait
été le moyen de sa conversion
à Bristol, avait reconnu en lui de grandes
qualités et s'était empressé
de l'enrôler dans sa pacifique milice. «
J'admire, disait-il, en parlant de lui, la sagesse
de Dieu qui nous suscite des prédicateurs de toute
nature, de manière
à satisfaire tous les goûts. Le
capitaine est tout vie et tout feu; aussi, sans
être ni profond ni même égal,
fait-il beaucoup de bien, et une foule de gens qui
ne supporteraient pas une prédication
raffinée et élégante, et ne se
dérangeraient pas pour entendre un autre
prédicateur, se pressent en foule lorsqu'il
prêche. »
À peine arrivé en
Amérique où l'appelaient les devoirs
de sa profession, le capitaine Webb se mit en
relation avec la petite société
méthodiste, dont il devint l'un des
prédicateurs habituels. Cet orateur en
uniforme, dont la parole avait une verdeur et un
entrain militaires, fit sensation à New-York
et ailleurs. On venait en foule pour
l'écouter; toutes les classes de la
société étaient
représentées dans son auditoire; les
militaires y étaient naturellement en grand
nombre. Plusieurs témoignages contemporains
nous représentent le succès de sa
prédication comme égalant presque
celui qu'avait eu Whitefield, quelques
années plus tôt. John Adams, l'homme
d'État de la révolution
américaine et l'un des premiers
présidents de la république, disait
de lui: « Ce vieux soldat est l'un des hommes
les plus éloquents que j'aie entendus.
» Il ne se bornait pas d'ailleurs à
exciter la curiosité et éveiller
l'admiration; il remuait les consciences.
Grâce à l'impulsion
qu'il donna à l'oeuvre, et grâce aussi
aux généreux sacrifices qu'elle
s'imposa, la jeune église put acheter,
dès 1770, un terrain et se construire une
chapelle, qui contenait un millier d'auditeurs et
fut bientôt insuffisante. C'était le
temps où la ville de New-York comptait
20,000 habitants et où les provinces qui
devaient former les États-Unis n'en avaient
que trois millions.
Le capitaine ne contribua pas
seulement à affermir l'Église
méthodiste à New-York. Il la fonda
dans le New-Jersey, la Pensylvanie, le Delaware.
Par d'autres moyens, le mouvement se
répandit dans le Massachussets, le Maryland
et la Virginie. Le moment vint bientôt
où ces petites communautés,
nées presque spontanément, sentirent
le besoin de se rattacher à la
société mère.
« Un appel pressant fut
envoyé à Wesley, et, à la
conférence de 1769, il adressa cette
question à ses prédicateurs: «
Qui d'entre vous veut aller en «
Amérique? » Boardman et Pilmoor
s'offrirent à entreprendre ce voyage. Pour
subvenir aux frais de la traversée, une
collecte fut faite parmi les prédicateurs,
et ces hommes, qui manquaient souvent
eux-mêmes du nécessaire, fournirent
une somme de 70 livres sterling (1,750 francs),
pour l'établissement de cette
première mission méthodiste. À
leur arrivée à New-York, les deux missionnaires y
trouvèrent
une société organisée,
composée d'une centaine de membres et une
chapelle tellement insuffisante déjà
qu'il fallait réunir en plein air une partie
des assemblées. « Je n'ai vu nulle part
auparavant, écrivait l'un des nouveaux
arrivés, un empressement à
écouter la Parole de Dieu, qui puisse se
comparer à ce que je vois en Amérique (1).
»
L'année
suivante, arrivèrent deux
nouveaux prédicateurs, dont l'un
était un jeune homme de 25 ans, nommé
Francis Asbury, qui, pendant de longues
années, allait être l'âme de
l'oeuvre d'évangélisation qui, des
bords de l'Océan, allait s'avancer vers les
profondeurs de l'Ouest.
« Tels furent les débuts
de cette oeuvre qui devait prendre une si
merveilleuse extension, Elle commençait
à son heure d'ailleurs. Whitefield, dont
l'activité s'était répartie
entre l'ancien et le nouveau monde, et qui avait
beaucoup fait pour réveiller les
Églises indépendantes
d'Amérique, mourait au milieu d'elles, cette
année même où commençait
la mission des deux prédicateurs de Wesley.
Incomparable au point de vue des talents oratoires
et de l'aptitude missionnaire, il manquait
complètement de l'esprit d'organisation, et ne
s'occupa
guère à fondre dans un organisme
vivant les divers éléments
préparés par sa prédication.
L'organisation forte que Wesley avait donnée
à ses sociétés, allait
réparer cette lacune et rapprocher dans le
faisceau d'une Église constituée des
multitudes d'âmes conquises sur
l'indifférence et sur la mondanité (2).
»
Cette organisation qui créa
les cadres de l'armée que le
méthodisme lança à la
conquête de l'Ouest, mérite
d'être racontée et décrite
sommairement. En envoyant ses missionnaires en
Amérique, Wesley leur avait enjoint d'y
être autant que possible les auxiliaires du
clergé officiel et d'éviter de
s'immiscer dans l'administration des sacrements.
Mais cette ligne de conduite qu'il devenait de jour
en jour plus difficile de suivre en Angleterre, il
était parfaitement impossible de s'y
conformer en Amérique. Avec une population
disséminée sur de vastes
étendues de pays et sans cesse grandissante,
avec un clergé anglican peu nombreux et peu
zélé, qui se renfermait volontiers
dans les grands centres, les missionnaires de
Wesley avaient besoin d'avoir leurs coudées
franches pour pouvoir se vouer librement à
la tâche magnifique que Dieu leur assignait
si visiblement.
« La guerre de
l'indépendance vint précipiter cette
question du côté d'une solution
vraiment libérale. Cette grande
révolution faillit un moment compromettre
l'oeuvre nouvelle; la plupart des
prédicateurs anglais qui dirigeaient les
sociétés crurent en effet devoir
employer leur influence contre l'insurrection et
demeurer fidèles au gouvernement de leur
pays. Aussi, pendant tout le cours de la guerre,
leur action se trouva-t-elle entravée;
quelques-uns furent emprisonnés, d'autres
obligés de se cacher, d'autres même
durent regagner l'Angleterre. Mais, lorsque la
révolution triomphante eut proclamé
l'indépendance des États-Unis, les
prédicateurs comprirent qu'ils n'avaient
plus qu'à se soumettre loyalement au nouvel
état de choses. Leur souverain venait
d'ailleurs de leur donner l'exemple, par ces
paroles remarquables qu'il adressa à
l'ambassadeur de la nouvelle république, en
le recevant pour la première fois «
J'ai été le dernier dans mon royaume
à reconnaître votre
indépendance; je serai le dernier à
la violer. » En apportant leur adhésion
au gouvernement, les chefs du méthodisme
américain obéissaient aux sentiments
de l'immense majorité de leurs
sociétés. Elles allaient entrer
résolument, à la suite du pays, dans
une phase nouvelle et décisive de leur
existence,
« Le nouveau gouvernement ayant
eu la sagesse de se refuser à créer
une Église nationale, l'Église
anglicane cessait d'avoir une position à
part et elle tombait dans le droit commun; ses
revenus, comme ceux des Églises
indépendantes proprement dites, allaient se
borner aux contributions volontaires des simples
fidèles. Une pareille position était
loin de sourire aux ministres; et, en face de
l'avenir incertain qui s'ouvrait devant eux, un
grand nombre jugèrent prudent de s'en aller;
ce fut un sauve-qui-peut général.
L'Église anglicane, qui imposait par sa
masse et par ses grands airs, se fondit d'une
manière fort instructive; en Virginie, elle
avait, avant la révolution,
quatre-vingt-onze pasteurs, il n'en restait que
vingt-huit à la suite de la guerre; les
autres étaient rentrés en Angleterre.
Dans les autres parties du pays, l'Église
établie n'avait jamais été,
bien forte, et les derniers
événements l'avaient
dispersée. Sa succession était donc
ouverte, et elle devait échoir à qui
saurait s'en montrer digne (3).
»
Wesley avait trop de
perspicacité pour ne pas voir qu'il
était temps pour ses sociétés
américaines de se constituer sur une base
indépendante, et il avait assez de hardiesse
dans l'esprit pour ne pas reculer
devant les devoirs que cette
nécessité lui imposait. Il s'adressa
d'abord à l'évêque de Londres,
pour lui demander l'ordination d'un
prédicateur qui fût chargé de
visiter les diverses sociétés pour
leur administrer les sacrements et pourvoir aux
nécessités les plus pressantes de la
situation. L'évêque ayant
répondu négativement à deux
lettres dans ce sens, Wesley n'hésita plus
à agir par lui-même. La forme
épiscopale répondant à ses
traditions religieuses et lui paraissant convenir
mieux qu'une autre à une oeuvre
missionnaire, il résolut de la donner
à l'Église, que, par la force des
événements, il se voyait amené
à organiser sur le sol de la jeune
république du nouveau monde. Trop
âgé pour passer lui-même
l'Atlantique, il délégua ses pouvoirs
à un surveillant général ou
évêque, qu'il chargea d'organiser
l'Église d'Amérique. Le 2 septembre
1784, assisté d'un autre ministre de
l'Église d'Angleterre, il imposa
solennellement les mains au docteur Coke et «
le mit à part pour l'oeuvre de surveillant
» (superintendent); ce sont les termes
mêmes du diplôme que Wesley lui remit.
En évitant l'emploi du mot
évêque, il voulait indiquer que la
charge qu'il conférait n'avait rien de
commun avec l'épiscopat anglican, et que le
type de cette imposition des mains devait
être cherché, non dans l'Église
établie, mais dans
l'Église apostolique. Thomas Coke, avec les
deux anciens qui lui étaient adjoints, passa
l'Atlantique et jeta les bases de l'Église
dans une conférence des prédicateurs
réunie à Baltimore. Selon le
désir de Wesley, il s'associa pour la
direction de l'Église Francis Asbury, qui
allait devenir, sous le nom d'évêque
Asbury, le véritable chef du
méthodisme américain (4).
Il est nécessaire, pour
l'intelligence de nos récits, que nous
exposions sommairement les grands traits de
l'organisation du méthodisme
américain. Cette organisation s'est
adaptée merveilleusement aux besoins de
l'évangélisation de l'Ouest, et c'est
à elle qu'il faut faire une large part dans
ses succès.
Nous ne saurions mieux faire que
d'emprunter cet exposé à un
écrivain français, M.
Cucheval-Clarigny, qui paraît avoir fait du
sujet une étude spéciale.
« Dès que le nombre des
adhérents s'élève à dix
ou douze dans une même localité, ils
forment une classe qui a un chef (leader) à
sa tête. La classe doit se
réunir une fois par semaine pour prier en
commun, et le devoir du chef est de visiter, au
moins une fois par semaine, chaque membre de sa
classe, pour s'informer de l'état de son
âme et le maintenir dans la foi. Aussi le
nombre des membres d'une classe
n'excède-t-il jamais vingt, les classes se
subdivisant à mesure qu'elles arrivent
à ce chiffre. Lorsque plusieurs classes
existent dans une même localité ou
dans un rayon rapproché, elles essayent de
former une société et de devenir
propriétaires d'un temple (church) où
elles puissent régulièrement
solenniser le dimanche. La conduite des offices et
la prédication sont confiées à
titre gratuit à un prédicateur
sédentaire (located preacher ou local
preacher.) choisi parmi les fidèles les plus
aptes à ces fonctions. A défaut de
prédicateur, celui des fidèles qui se
sent quelque vocation et quelque facilité
à parler, en remplit l'office sous le nom
d'exhortateur (exhorter). Seulement le
ministère sacré, et c'est ici le
trait caractéristique du méthodisme
américain, appartient plus
particulièrement au missionnaire ou
prédicateur itinérant (travelling
preacher), qui est chargé d'annoncer la
Parole divine dans une certaine circonscription
appelée circuit, et dont le
prédicateur local n'est que le
suppléant. C'est lui qui institue les chefs
de classe et qui donne aux exhortateurs licence de
prêcher, c'est lui qui dirige les
cérémonies du culte partout où
il se trouve, et qui confère aux
fidèles dont la conversion est
attestée par une vie chrétienne, le
titre de membres de l'église. Le
prédicateur itinérant se consacre
entièrement au ministère, et son
entretien est à la charge des fidèles
du circuit. Il lui faut deux années de
prédication, certaines lectures et certaines
études (5),
pour
être apte à recevoir l'ordre du
diaconat. Deux nouvelles années de
prédication et d'études permettent de
lui conférer l'ordre supérieur et de
faire de lui un ancien (elder). Le diacre, dont le
diplôme doit être signé par un
évêque, a pouvoir, non-seulement de
prêcher, mais de baptiser les enfants, de
consacrer les mariages et d'assister, dans
l'administration de la cène, les anciens,
qui seuls ont le pouvoir de donner la
communion.
« Plusieurs circuits forment un
district, à la tête duquel est un
président (presiding elder).
Le devoir des présidents est
de visiter chaque circuit au moins une fois en
trois mois, pour y prêcher et y administrer
les sacrements. Par la même occasion ils
réunissent les prédicateurs
itinérants et les sédentaires pour
conférer avec eux des besoins spirituels des
circuits,
délivrer les licences aux
prédicateurs nouveaux qui leur sont
présentés par les
sociétés, et entendre les plaintes
contre ceux qui sont en exercice. Plusieurs
districts forment une conférence, qui est
présidée par un évêque.
Celui-ci doit parcourir continuellement sa
circonscription et présider les
conférences annuelles, qui sont aujourd'hui
un nombre de plus de soixante. Ces
conférences exercent un pouvoir
disciplinaire sur tous les membres de leur
circonscription; ce sont elles qui désignent
les présidents de districts. Les
évêques et les
délégués élus par
chaque conférence forment la
conférence générale, qui se
réunit tous les quatre ans, et qui est le
pouvoir suprême, puisqu'elle élit et
contrôle les évêques, qu'elle
prononce en dernier ressort sur les questions
disciplinaires, et qu'elle peut même, sauf
certaines restrictions, modifier la doctrine, les
règlements et la constitution de
l'Église.
« Telle est, dans ses traits
essentiels, l'organisation de l'Église
méthodiste américaine, organisation
savante et compliquée, qui n'est pas sortie
de la tête d'un homme et ne s'est pas faite
d'un seul jet, mais qui est l'oeuvre du temps et de
l'expérience. Elle s'est
développée et
complétée, à mesure qu'un
besoin nouveau se révélait, et c'est
ainsi qu'elle a satisfait à presque toutes
les exigences d'une
société placée dans de tout
autres conditions que les nations du vieux monde.
Fidèle au principe posé par Wesley,
le méthodisme américain cherche
à combiner les efforts du zèle
individuel avec l'action régulière du
clergé, d'ailleurs toujours tenu en haleine
par l'incessante inspection des présidents
et des évêques. Son organisation
flexible lui permet de suivre, dans ses
progrès les plus rapides, une
société dont le mouvement d'expansion
ne s'arrête pas. À mesure que la
civilisation empiète sur le désert,
et que le cercle d'action s'élargit, le
circuit méthodiste se transforme en
district, le district en conférence, de
telle façon que les prédicateurs ne
se trouvent jamais surchargés, et que le
contrôle demeure efficace. L'institution des
classes donne en même temps le moyen de
suivre les émigrants jusqu'au fond des
forêts. Le propre du méthodisme, et
c'est là ce qui a fait sa
fécondité, est de ne jamais laisser
le chrétien abandonné à
lui-même et privé de tout secours
spirituel. À défaut de ministre du
culte, le fidèle le plus isolé est
assuré de trouver conseil, encouragement ou
consolation, chez l'exhortateur ou chez le chef de
classe. En même temps que la
hiérarchie, savamment graduée, du
méthodisme, lui permet d'atteindre jusqu'aux
limites extrêmes de la civilisation, elle
embrasse, ce que ne font pas toutes les sectes
américaines, jusqu'aux
derniers rangs de la société; elle ne
laisse pas les nègres en dehors du
christianisme, et elle a fait entrer les Indiens
eux-mêmes dans le cercle de ses missions (6).
»
Ainsi organisée,
l'Église méthodiste était
merveilleusement apte à suivre les
émigrants dans leurs lointains
pèlerinages. À peine sortie de cette
crise d'élaboration, elle se lança,
avec hardiesse, à la suite des colons, dans
les solitudes innommées qu'ils allaient
défricher.
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