Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

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L'ÉGLISE MISSIONNAIRE DE L'OUEST


Origine du méthodisme en Amérique. - Philippe Embury et Barbara Heck. - Le capitaine Webb. - Les deux premiers missionnaires envoyés par Wesley. - La question de l'administration des sacrements. - Influence de la guerre de l'indépendance sur l'organisation de l'Église. - Ordination de Coke et d'Asbury. - Les grands traits de l'organisation du méthodisme américain.

L'origine du méthodisme en Amérique remonte à l'année 1766. Quelques émigrants irlandais rattachés aux sociétés religieuses fondées par Wesley dans leur pays natal s'étaient établis, depuis peu de temps, à New-York. Privés de secours religieux, ils n'avaient pas tardé à tomber dans l'indifférence. Heureusement que, parmi ces quelques familles, se trouvait une femme, Barbara Heck, chez laquelle la piété, plus abondante, avait mieux résisté aux empiétements de la mondanité. Un jour que plusieurs émigrants jouaient aux cartes, elle entra dans la chambre où ils étaient réunis, et, remplie d'une pieuse indignation, elle saisit le paquet de cartes et le jeta au feu, en leur adressant une sévère répréhension. Puis elle se rendit chez -un autre émigrant, Philippe Embury, qui avait été prédicateur local en Irlande, et elle l'exhorta vivement à surmonter sa timidité et à présider, en faveur de ses compatriotes abandonnés, de petites réunions dans sa maison. Après quelques hésitations, Embury y consentit.

La première réunion se composait de cinq personnes seulement, mais d'une semaine à l'autre ce petit noyau grandit, et il devint bientôt nécessaire de chercher un local plus vaste. Aux services publics qui se tinrent dès lors régulièrement, on eut soin d'adjoindre une classe ou réunion d'entretiens religieux, ce moyen d'édification dont Wesley fit le pivot de toute l'organisation de ses sociétés.

Peu après ces petits commencements, l'oeuvre naissante reçut une vigoureuse impulsion par l'arrivée d'un officier de l'armée anglaise, le capitaine Webb, qui cumulait avec ses fonctions militaires celle de prédicateur local méthodiste. C'était un homme d'une rare originalité. Wesley, qui avait été le moyen de sa conversion à Bristol, avait reconnu en lui de grandes qualités et s'était empressé de l'enrôler dans sa pacifique milice. « J'admire, disait-il, en parlant de lui, la sagesse de Dieu qui nous suscite des prédicateurs de toute nature, de manière à satisfaire tous les goûts. Le capitaine est tout vie et tout feu; aussi, sans être ni profond ni même égal, fait-il beaucoup de bien, et une foule de gens qui ne supporteraient pas une prédication raffinée et élégante, et ne se dérangeraient pas pour entendre un autre prédicateur, se pressent en foule lorsqu'il prêche. »

À peine arrivé en Amérique où l'appelaient les devoirs de sa profession, le capitaine Webb se mit en relation avec la petite société méthodiste, dont il devint l'un des prédicateurs habituels. Cet orateur en uniforme, dont la parole avait une verdeur et un entrain militaires, fit sensation à New-York et ailleurs. On venait en foule pour l'écouter; toutes les classes de la société étaient représentées dans son auditoire; les militaires y étaient naturellement en grand nombre. Plusieurs témoignages contemporains nous représentent le succès de sa prédication comme égalant presque celui qu'avait eu Whitefield, quelques années plus tôt. John Adams, l'homme d'État de la révolution américaine et l'un des premiers présidents de la république, disait de lui: « Ce vieux soldat est l'un des hommes les plus éloquents que j'aie entendus. » Il ne se bornait pas d'ailleurs à exciter la curiosité et éveiller l'admiration; il remuait les consciences.

Grâce à l'impulsion qu'il donna à l'oeuvre, et grâce aussi aux généreux sacrifices qu'elle s'imposa, la jeune église put acheter, dès 1770, un terrain et se construire une chapelle, qui contenait un millier d'auditeurs et fut bientôt insuffisante. C'était le temps où la ville de New-York comptait 20,000 habitants et où les provinces qui devaient former les États-Unis n'en avaient que trois millions.

Le capitaine ne contribua pas seulement à affermir l'Église méthodiste à New-York. Il la fonda dans le New-Jersey, la Pensylvanie, le Delaware. Par d'autres moyens, le mouvement se répandit dans le Massachussets, le Maryland et la Virginie. Le moment vint bientôt où ces petites communautés, nées presque spontanément, sentirent le besoin de se rattacher à la société mère.

« Un appel pressant fut envoyé à Wesley, et, à la conférence de 1769, il adressa cette question à ses prédicateurs: « Qui d'entre vous veut aller en « Amérique? » Boardman et Pilmoor s'offrirent à entreprendre ce voyage. Pour subvenir aux frais de la traversée, une collecte fut faite parmi les prédicateurs, et ces hommes, qui manquaient souvent eux-mêmes du nécessaire, fournirent une somme de 70 livres sterling (1,750 francs), pour l'établissement de cette première mission méthodiste. À leur arrivée à New-York, les deux missionnaires y trouvèrent une société organisée, composée d'une centaine de membres et une chapelle tellement insuffisante déjà qu'il fallait réunir en plein air une partie des assemblées. « Je n'ai vu nulle part auparavant, écrivait l'un des nouveaux arrivés, un empressement à écouter la Parole de Dieu, qui puisse se comparer à ce que je vois en Amérique (1). » L'année suivante, arrivèrent deux nouveaux prédicateurs, dont l'un était un jeune homme de 25 ans, nommé Francis Asbury, qui, pendant de longues années, allait être l'âme de l'oeuvre d'évangélisation qui, des bords de l'Océan, allait s'avancer vers les profondeurs de l'Ouest.

« Tels furent les débuts de cette oeuvre qui devait prendre une si merveilleuse extension, Elle commençait à son heure d'ailleurs. Whitefield, dont l'activité s'était répartie entre l'ancien et le nouveau monde, et qui avait beaucoup fait pour réveiller les Églises indépendantes d'Amérique, mourait au milieu d'elles, cette année même où commençait la mission des deux prédicateurs de Wesley. Incomparable au point de vue des talents oratoires et de l'aptitude missionnaire, il manquait complètement de l'esprit d'organisation, et ne s'occupa guère à fondre dans un organisme vivant les divers éléments préparés par sa prédication. L'organisation forte que Wesley avait donnée à ses sociétés, allait réparer cette lacune et rapprocher dans le faisceau d'une Église constituée des multitudes d'âmes conquises sur l'indifférence et sur la mondanité (2). »

Cette organisation qui créa les cadres de l'armée que le méthodisme lança à la conquête de l'Ouest, mérite d'être racontée et décrite sommairement. En envoyant ses missionnaires en Amérique, Wesley leur avait enjoint d'y être autant que possible les auxiliaires du clergé officiel et d'éviter de s'immiscer dans l'administration des sacrements. Mais cette ligne de conduite qu'il devenait de jour en jour plus difficile de suivre en Angleterre, il était parfaitement impossible de s'y conformer en Amérique. Avec une population disséminée sur de vastes étendues de pays et sans cesse grandissante, avec un clergé anglican peu nombreux et peu zélé, qui se renfermait volontiers dans les grands centres, les missionnaires de Wesley avaient besoin d'avoir leurs coudées franches pour pouvoir se vouer librement à la tâche magnifique que Dieu leur assignait si visiblement.

« La guerre de l'indépendance vint précipiter cette question du côté d'une solution vraiment libérale. Cette grande révolution faillit un moment compromettre l'oeuvre nouvelle; la plupart des prédicateurs anglais qui dirigeaient les sociétés crurent en effet devoir employer leur influence contre l'insurrection et demeurer fidèles au gouvernement de leur pays. Aussi, pendant tout le cours de la guerre, leur action se trouva-t-elle entravée; quelques-uns furent emprisonnés, d'autres obligés de se cacher, d'autres même durent regagner l'Angleterre. Mais, lorsque la révolution triomphante eut proclamé l'indépendance des États-Unis, les prédicateurs comprirent qu'ils n'avaient plus qu'à se soumettre loyalement au nouvel état de choses. Leur souverain venait d'ailleurs de leur donner l'exemple, par ces paroles remarquables qu'il adressa à l'ambassadeur de la nouvelle république, en le recevant pour la première fois « J'ai été le dernier dans mon royaume à reconnaître votre indépendance; je serai le dernier à la violer. » En apportant leur adhésion au gouvernement, les chefs du méthodisme américain obéissaient aux sentiments de l'immense majorité de leurs sociétés. Elles allaient entrer résolument, à la suite du pays, dans une phase nouvelle et décisive de leur existence,

« Le nouveau gouvernement ayant eu la sagesse de se refuser à créer une Église nationale, l'Église anglicane cessait d'avoir une position à part et elle tombait dans le droit commun; ses revenus, comme ceux des Églises indépendantes proprement dites, allaient se borner aux contributions volontaires des simples fidèles. Une pareille position était loin de sourire aux ministres; et, en face de l'avenir incertain qui s'ouvrait devant eux, un grand nombre jugèrent prudent de s'en aller; ce fut un sauve-qui-peut général. L'Église anglicane, qui imposait par sa masse et par ses grands airs, se fondit d'une manière fort instructive; en Virginie, elle avait, avant la révolution, quatre-vingt-onze pasteurs, il n'en restait que vingt-huit à la suite de la guerre; les autres étaient rentrés en Angleterre. Dans les autres parties du pays, l'Église établie n'avait jamais été, bien forte, et les derniers événements l'avaient dispersée. Sa succession était donc ouverte, et elle devait échoir à qui saurait s'en montrer digne (3). »

Wesley avait trop de perspicacité pour ne pas voir qu'il était temps pour ses sociétés américaines de se constituer sur une base indépendante, et il avait assez de hardiesse dans l'esprit pour ne pas reculer devant les devoirs que cette nécessité lui imposait. Il s'adressa d'abord à l'évêque de Londres, pour lui demander l'ordination d'un prédicateur qui fût chargé de visiter les diverses sociétés pour leur administrer les sacrements et pourvoir aux nécessités les plus pressantes de la situation. L'évêque ayant répondu négativement à deux lettres dans ce sens, Wesley n'hésita plus à agir par lui-même. La forme épiscopale répondant à ses traditions religieuses et lui paraissant convenir mieux qu'une autre à une oeuvre missionnaire, il résolut de la donner à l'Église, que, par la force des événements, il se voyait amené à organiser sur le sol de la jeune république du nouveau monde. Trop âgé pour passer lui-même l'Atlantique, il délégua ses pouvoirs à un surveillant général ou évêque, qu'il chargea d'organiser l'Église d'Amérique. Le 2 septembre 1784, assisté d'un autre ministre de l'Église d'Angleterre, il imposa solennellement les mains au docteur Coke et « le mit à part pour l'oeuvre de surveillant » (superintendent); ce sont les termes mêmes du diplôme que Wesley lui remit. En évitant l'emploi du mot évêque, il voulait indiquer que la charge qu'il conférait n'avait rien de commun avec l'épiscopat anglican, et que le type de cette imposition des mains devait être cherché, non dans l'Église établie, mais dans l'Église apostolique. Thomas Coke, avec les deux anciens qui lui étaient adjoints, passa l'Atlantique et jeta les bases de l'Église dans une conférence des prédicateurs réunie à Baltimore. Selon le désir de Wesley, il s'associa pour la direction de l'Église Francis Asbury, qui allait devenir, sous le nom d'évêque Asbury, le véritable chef du méthodisme américain (4).

Il est nécessaire, pour l'intelligence de nos récits, que nous exposions sommairement les grands traits de l'organisation du méthodisme américain. Cette organisation s'est adaptée merveilleusement aux besoins de l'évangélisation de l'Ouest, et c'est à elle qu'il faut faire une large part dans ses succès.

Nous ne saurions mieux faire que d'emprunter cet exposé à un écrivain français, M. Cucheval-Clarigny, qui paraît avoir fait du sujet une étude spéciale.

« Dès que le nombre des adhérents s'élève à dix ou douze dans une même localité, ils forment une classe qui a un chef (leader) à sa tête. La classe doit se réunir une fois par semaine pour prier en commun, et le devoir du chef est de visiter, au moins une fois par semaine, chaque membre de sa classe, pour s'informer de l'état de son âme et le maintenir dans la foi. Aussi le nombre des membres d'une classe n'excède-t-il jamais vingt, les classes se subdivisant à mesure qu'elles arrivent à ce chiffre. Lorsque plusieurs classes existent dans une même localité ou dans un rayon rapproché, elles essayent de former une société et de devenir propriétaires d'un temple (church) où elles puissent régulièrement solenniser le dimanche. La conduite des offices et la prédication sont confiées à titre gratuit à un prédicateur sédentaire (located preacher ou local preacher.) choisi parmi les fidèles les plus aptes à ces fonctions. A défaut de prédicateur, celui des fidèles qui se sent quelque vocation et quelque facilité à parler, en remplit l'office sous le nom d'exhortateur (exhorter). Seulement le ministère sacré, et c'est ici le trait caractéristique du méthodisme américain, appartient plus particulièrement au missionnaire ou prédicateur itinérant (travelling preacher), qui est chargé d'annoncer la Parole divine dans une certaine circonscription appelée circuit, et dont le prédicateur local n'est que le suppléant. C'est lui qui institue les chefs de classe et qui donne aux exhortateurs licence de prêcher, c'est lui qui dirige les cérémonies du culte partout où il se trouve, et qui confère aux fidèles dont la conversion est attestée par une vie chrétienne, le titre de membres de l'église. Le prédicateur itinérant se consacre entièrement au ministère, et son entretien est à la charge des fidèles du circuit. Il lui faut deux années de prédication, certaines lectures et certaines études (5), pour être apte à recevoir l'ordre du diaconat. Deux nouvelles années de prédication et d'études permettent de lui conférer l'ordre supérieur et de faire de lui un ancien (elder). Le diacre, dont le diplôme doit être signé par un évêque, a pouvoir, non-seulement de prêcher, mais de baptiser les enfants, de consacrer les mariages et d'assister, dans l'administration de la cène, les anciens, qui seuls ont le pouvoir de donner la communion.

« Plusieurs circuits forment un district, à la tête duquel est un président (presiding elder).

Le devoir des présidents est de visiter chaque circuit au moins une fois en trois mois, pour y prêcher et y administrer les sacrements. Par la même occasion ils réunissent les prédicateurs itinérants et les sédentaires pour conférer avec eux des besoins spirituels des circuits, délivrer les licences aux prédicateurs nouveaux qui leur sont présentés par les sociétés, et entendre les plaintes contre ceux qui sont en exercice. Plusieurs districts forment une conférence, qui est présidée par un évêque. Celui-ci doit parcourir continuellement sa circonscription et présider les conférences annuelles, qui sont aujourd'hui un nombre de plus de soixante. Ces conférences exercent un pouvoir disciplinaire sur tous les membres de leur circonscription; ce sont elles qui désignent les présidents de districts. Les évêques et les délégués élus par chaque conférence forment la conférence générale, qui se réunit tous les quatre ans, et qui est le pouvoir suprême, puisqu'elle élit et contrôle les évêques, qu'elle prononce en dernier ressort sur les questions disciplinaires, et qu'elle peut même, sauf certaines restrictions, modifier la doctrine, les règlements et la constitution de l'Église.

« Telle est, dans ses traits essentiels, l'organisation de l'Église méthodiste américaine, organisation savante et compliquée, qui n'est pas sortie de la tête d'un homme et ne s'est pas faite d'un seul jet, mais qui est l'oeuvre du temps et de l'expérience. Elle s'est développée et complétée, à mesure qu'un besoin nouveau se révélait, et c'est ainsi qu'elle a satisfait à presque toutes les exigences d'une société placée dans de tout autres conditions que les nations du vieux monde. Fidèle au principe posé par Wesley, le méthodisme américain cherche à combiner les efforts du zèle individuel avec l'action régulière du clergé, d'ailleurs toujours tenu en haleine par l'incessante inspection des présidents et des évêques. Son organisation flexible lui permet de suivre, dans ses progrès les plus rapides, une société dont le mouvement d'expansion ne s'arrête pas. À mesure que la civilisation empiète sur le désert, et que le cercle d'action s'élargit, le circuit méthodiste se transforme en district, le district en conférence, de telle façon que les prédicateurs ne se trouvent jamais surchargés, et que le contrôle demeure efficace. L'institution des classes donne en même temps le moyen de suivre les émigrants jusqu'au fond des forêts. Le propre du méthodisme, et c'est là ce qui a fait sa fécondité, est de ne jamais laisser le chrétien abandonné à lui-même et privé de tout secours spirituel. À défaut de ministre du culte, le fidèle le plus isolé est assuré de trouver conseil, encouragement ou consolation, chez l'exhortateur ou chez le chef de classe. En même temps que la hiérarchie, savamment graduée, du méthodisme, lui permet d'atteindre jusqu'aux limites extrêmes de la civilisation, elle embrasse, ce que ne font pas toutes les sectes américaines, jusqu'aux derniers rangs de la société; elle ne laisse pas les nègres en dehors du christianisme, et elle a fait entrer les Indiens eux-mêmes dans le cercle de ses missions (6). »

Ainsi organisée, l'Église méthodiste était merveilleusement apte à suivre les émigrants dans leurs lointains pèlerinages. À peine sortie de cette crise d'élaboration, elle se lança, avec hardiesse, à la suite des colons, dans les solitudes innommées qu'ils allaient défricher.

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(1) John Wesley, sa vie et son oeuvre, par M. Lelièvre, 4e édition, p. 287. 
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(2) John Wesley, sa vie et son oeuvre, p. 287. 
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(3) John Wesley, sa vie et son oeuvre, p. 382. 
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(4) La mesure prise par Wesley dans cette circonstance a été vivement critiquée. Ce n'est pas ici le lieu de l'examiner, et nous renvoyons les personnes qui voudraient s'éclairer sur la question à l'examen que nous en avons fait ailleurs. Voir John Wesley, livre IV, chap. IV. 
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(5) Aujourd'hui de nombreuses facultés viennent compléter ce que de pareilles études avaient de nécessairement insuffisant. 
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(6) Revue des Deux Mondes, du 15 août 1859. Pour compléter et corriger cet exposé, on devra consulter des ouvrages plus récents, notamment la Discipline de l'Église méthodiste épiscopale (en anglais), branches du Nord et du Sud. 
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