Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI

L'ÉMIGRATION

suite

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Quand un huguenot, pour gagner la frontière, se décidait à entreprendre un long et périlleux voyage de cinquante, parfois de cent lieues, voyage fait de nuit, sans suivre jamais les grandes routes, il lui fallait nécessairement trouver un guide, lequel était toujours suspect, puisque l'appât du gain lui faisait seul braver la chance des galères ou de la potence, c'était même souvent un traître, et parfois pis encore. Cependant, on voyait de jeunes femmes, de jeunes personnes de quinze à seize ans, se hasarder seules à de telles aventures, se confiant à des inconnus, maîtres de leur honneur et de leur vie, dans les bois, les déserts et les montagnes, qu'il fallait traverser la nuit, sans nul secours à attendre, le cas échéant. Pierre Faisses et ses compagnons, ayant payé leur guide d'avance, celui-ci les abandonne en route, et ils sont obligés de revenir sur leurs pas. Il en est de même du guide qui conduisait Mme de Chambrun et trois demoiselles de Lyon; ces pauvres femmes, abandonnées par lui dans la montagne, errèrent neuf jours au milieu des neiges avant de pouvoir, gagner la Suisse. Des fugitifs, conduits par leur guide chez un paysan aux bords de l'Escaut, sont livrés par lui. —Mme Duguenin part de Paris avec son fils, sa belle-fille grosse de Sept mois, une nièce, deux neveux et la fille de Sébastien Bourdon, peintre du roi; près de Mons, toute la troupe est trahie et livrée par son guide. Mlle Petit, avant d'arriver à Genève, est maltraitée et dépouillée par son guide. Campana et un autre huguenot, découvrirent à temps que leur guide veut les dépouiller et les assassiner, ils le quittent, mais, en revenant à Lyon, ils sont volés et maltraités par les paysans. Un guide s'était chargé de conduire de Lyon à Genève une dame et ses deux filles, il abandonne celles-ci et, emmenant la dame à travers bois, l'assassine et la dépouille.

C'est quand on approchait de la frontière que les périls se multipliaient, car de nombreux postes de soldats ou de paysans, échelonnés de distance en distance, exerçaient sur tous les passages une active surveillance de jour et de nuit. Pour stimuler le zèle des soldats, une ordonnance avait décidé que les hardes qui se trouveraient sur les fugitif s ou à leur suite, seraient distribuées à ceux qui composeraient le corps de garde qui les aurait arrêtés.

Parfois cependant les soldats trouvaient avantage à laisser passer les fugitifs : la sentinelle avancée d'un corps de garde se trouve en face d'une troupe de huguenots, le guide qui les conduisait, présente aux soldats un pistolet d'une main, une bourse de l'autre, et l'invite à choisir entre la mort et l'argent, le choix est bientôt fait. Un fugitif, porteur de huit cents écus, est arrêté par un poste de soldats : si vous me gardez, leur dit-il, j'abjurerai, et il vous faudra rendre les huit cents écus, si vous me lâchez vous garderez la somme. On le lâche, il rejoint sa femme qui avait passé par un autre chemin avec une bonne somme et tous deux franchissent la frontière. Les soldats, ainsi que le constate une note de la Reynie, laissaient souvent passer les fugitifs pour argent qu'ils leur donnaient. Lors même que les émigrants pouvaient disposer d'une somme de mille ou de deux mille livres, ils achetaient le libre passage des officiers; ceux-ci donnaient aux femmes des soldats pour guides, et, mêlant les hommes aux archers de leur escorte, les conduisaient eux-mêmes hors des frontières.

Pour remédier au mal, dans beaucoup de passages on remplace les soldats par des paysans, plus difficiles à corrompre, parce que, dit une note de police, l'un veut et l'autre est contraire. On accorde à ces paysans une prime, pour chaque huguenot arrêté, qu'on leur permet en outre de voler, ainsi qu'en témoigne cette lettre de Louvois aux intendants :
« Il n'y a pas d'inconvénients de dissimuler les vols que font les paysans aux gens de la religion prétendue réformée, qu'ils trouvent désertant, afin de rendre le passage plus difficile, et même, Sa Majesté désire qu'on leur promette, outre la dépouille des gens qu'ils arrêteront, trois pistoles pour chacun de ceux qu'ils amèneront à la plus prochaine place. »
Mais l'espion de la Reynie est bientôt obligé de reconnaître que les paysans, s'il leur est plus difficile qu'aux soldats de se mettre d'accord sur le prix à demander pour laisser passer les fugitifs, sont cependant plus faciles à corrompre que ceux-ci, à oraison de leur âpreté au gain.
Le littoral n'était pas moins rigoureusement gardé que les frontières de terre; les allées et venues des barques de pêche étaient continuellement surveillées ; nul navire ne pouvait mettre à la voile, sans avoir été visité, une première fois au départ, une seconde fois en mer, par les croiseurs qui stationnaient devant tous les ports.
Tous ces obstacles n'arrêtaient pas plus l'émigration, que le soin pris par le gouvernement de mener en montre dans les villes, attachés à la chaîne, les fugitifs dont il avait pu se saisir. Le clergé et l'administration répandaient en vain les nouvelles les plus alarmantes sur le mauvais accueil reçu à l'étranger par les réfugiés, dont huit mille seraient morts de misère en Angleterre, et qui, manquant de tout, sollicitaient, disait-on, la faveur de rentrer en France au prix d'une adjuration. Mais les lettres venues de l'étranger et les libelles imprimés en Hollande, empêchaient les huguenots d'ajouter foi à tous ces faux bruits.

Chaque jour, sur bien des points du royaume, se renouvelait quelqu'une de ces scènes de l'exode protestant, semblable à celle que conte ainsi le fils du martyr Teissier : « Il ne fallait plus songer à aller à la Salle ; ma mère et ma sœur s'étaient enfuies, notre vieux rentier (fermier) et sa femme avaient abandonné la place, ayant été fort maltraités tout d'abord par les soldats... Enfin, mon frère m'avait quitté, nous nous dîmes un adieu, soit! le cœur serré et chacun s'en alla à la belle étoile. »

Chaque nuit, quelque maison se fermait silencieusement, et ses habitants partaient mystérieusement pour l'inconnu, ainsi que le fit Jean Giraud. —Nous mîmes, dit-il; des morceaux de nappes que j'avais coupés, aux pieds de mes chevaux, à cette fin qu'ils ne menassent point de bruit en sortant de chez moi sur le pavé, de peur que les voisins n'entendissent. Ma femme, en sortant de la chambre, mit sa fille sur le dos. C'était environ onze heures du soir, au plus fort de la pluie, et quand je jugeai; qu'elle pouvait être à deux cents pas hors de ma maison et du village, je fermai bien mes portes et me remis à la garde du bon Dieu. Et, ayant joint ma femme, nous déchaussâmes les deux chevaux et mis ma femme à cheval avec ma fille. »
« Nous quittâmes de nuit notre demeure, dit Judith Manigault, laissant les soldats dans leur lit, et leur abandonnant notre maison et tout ce qu'elle contenait. Pensant bien qu'on nous chercherait partout, nous nous tînmes cachés pendant dix jours, à Romans, en Dauphiné, chez une bonne femme qui n'avait garde de nous trahir. Nous étant embarqués à Londres (où ils étaient arrivés en passant par l'Allemagne et la Hollande), nous eûmes toutes sortes de malheurs. La fièvre rouge se déclara sur le navire, plusieurs des nôtres en moururent et parmi eux nôtre vieille mère. Nous touchâmes les Bermudes, où le vaisseau qui nous portait fut saisi. Nous y dépensâmes tout notre argent, et ce fût à grand peine que nous nous procurâmes le passage sur un autre navire.
De nouvelles infortunes nous attendaient à la Caroline. Au bout de dix-huit mois, nous perdîmes notre frère aîné qui finit par succomber à des fatigues si inaccoutumées. En sorte que, depuis notre départ de France, nous avions souffert tout ce qu'on peut souffrir, je fus six mois sans goûter du pain, travaillant d'ailleurs comme une esclave; et, durant trois ou quatre ans, je n'eus jamais de quoi satisfaire complètement la faim qui me dévorait. Et toutefois, Dieu a fait de grandes choses à notre égard, en nous donnant la force de supporter ces épreuves. »
Un premier, un second échec ne faisaient pas renoncer à leurs projets ceux qui s'étaient déterminés à quitter leur patrie pour gagner un pays de liberté de conscience. Un orfèvre de Rouen, arrêté une première fois à Lyon, une seconde fois en Bourgogne; après s'être échappé de prison, trouva moyen de gagner la Hollande où il retrouva sa famille.
Le marchand Jean Nissolles, évadé de la tour de Constance où il avait été enfermé pour avoir voulu émigrer, se remet en route seul, et monté sur un méchant âne, acheté une pistole; tout incommodé des pieds et tourmenté d'une fièvre d'accès assez fâcheux. Il arrive à Lyon après avoir été retiré à demi mort et à grand peine avec sa monture, d'une fondrière de boue épaisse, gluante et glacée. Ayant trouvé là un guide qui consentait à conduire un pauvre estropié comme il l'était, il repart avec lui, monté sur un âne. Le guide le fait passer par un chemin effroyable, au milieu duquel reste sa pauvre monture, fourbue et ne pouvant plus faire un pas. Un paysan, qu'il rencontre par bonheur, le laisse monter sur un de ses chevaux pour franchir la montagne. Une tempête s'élève ; à chaque instant, cheval et cavaliers manquent d'être précipités du chemin dans l'abîme. Le cheval ne pouvant se tenir sur la neige, se couchait à tout coup, si bien qu'il fallût le traîner pendant sept à huit cents pas. Démonté une seconde fois, Nissolles, malgré la difficulté extrême qu'il éprouve à marcher, est obligé de faire la route à pied. Il traverse clopin-clopant le pays de Gex, endurant beaucoup de soif, parce que son guide lui fait soigneusement éviter tous les
villages, et il arrive enfin, après tant de hasards et de fatigues, sur la terre de Genève.

Mlle du Bois, avec deux autres demoiselles, est arrêtée, à quatre lieues de son point de départ par une troupe de cavaliers qui se contente de maltraiter et de dépouiller les fugitives.
Quelque temps après, les passages étant soigneusement gardés; elles gagnent un roulier qui consent à les mettre dans un tonneau emballé de toile. Elles y restent trois jours ,et trois nuits, mais alors qu'elles étaient rendues près de Hambourg, et n'avaient plus que quinze lieues à faire pour passer la frontière, le roulier entendant les tambours de la garnison, croit que les dragons sont à ses trousses; il dételle un de ses chevaux et s'enfuit laissant là charrette et chargement. Les demoiselles se sauvent dans un bois où elles sont prises par les paysans qui les livrent au gouverneur de Hambourg. Après dix mois de réclusion dans un couvent, Mlle du Bois traverse le dortoir des pensionnaires, descend dans la cour par une fenêtre dont elle lime ou descelle les barreaux. Elle saute dans la cour, de là dans le jardin, en arrachant le cadenas qui tenait la porte fermée. S'aidant d'une pièce de toile qu'elle trouve étendue là pour blanchir, elle descend du haut de la muraille et traverse la Moselle qui passe au pied, en ayant de l'eau jusqu'au cou. Elle trouve asile chez des religionnaires, mais comme sa fuite avait été découverte et qu'on avait promis dix louis à qui la découvrirait, elle est obligée de changer deux fois de retraite. Elle se déguise en paysan, pour passer les portes de la ville; ayant une hotte avec un tonneau dessus, et un panier au bras, Après avoir fait une lieue à pied, en cet équipage, elle trouve un guide qui la fait passer pour, son valet ; arrêtée à une place frontière, elle est interrogée par un dragon qui parlait allemand, mais comme elle parlait assez bien
La langue elle se tire d'affaire. Au moment d'arriver à bon port, elle trouve des archers, qui demandent à son guide s'il n'a pas entendu parler de la religieuse qui s'est enfuie, et ordonnent au prétendu valet d'aller faire boire leurs chevaux, ce qu'il fait, aussitôt de retour, elle monte à Cheval et tous deux, galopant toujours, gagnent Liège. Arrivée là, Mlle Dubois avoue à son guide, qu'elle est la religieuse que l'on cherche partout, et celui-ci, tout tremblant, s'écrie que s'il l'eût su, il ne se serait pas chargé pour mille pistoles de la conduire

Jamais on n'avait vu tant de marchands, tant de veuves de négociants, appelées par leurs affaires à l'étranger, tant de femmes mariées à des soldats, allant rejoindre leurs garnisons dans les places frontières. Les gardes s'en étonnaient, et plus d'une ne put passer qu'après qu'on l'eût vue, tout au moins quelques instants, couchée dans le même lit que son soi-disant mari.
Mlle Petit arriva à Genève déguisée en marmiton, beaucoup d'autre femmes ou filles se travestissaient en jeunes garçons, en valet, valets, sans craindre, sans soupçonner même, le terrible danger qu'elles couraient en prenant ces déguisements. En effet, les
femmes qu’on arrêtait habillées en hommes, étaient traitées comme des coureuses, et, rien que pour avoir pris ce déguisement, on les envoyait au milieu de prostituées dans quelque couvent de filles repenties! C'est ce qui arriva aux deux jeunes demoiselles de Bergerac, travesties en hommes, auxquelles Marteilhe eut quelque peine à faire comprendre, tant elles étaient innocentes, qu'il était de la bienséance de ne pas se laisser prendre plus longtemps pour de jeunes garçons, afin de ne pas rester enfermées dans le même cachot que leurs compagnons de captivité: Quelques jours plus tard, les juges trouvèrent qu'il était de la bienséance d’envoyer ces innocentes aux repenties de Paris.

D’autres se cachaient de leur mieux pour passer la frontière sans qu'on les aperçût. Mlle de Suzanne fut prise dans un des tonneaux composant le chargement d'une charrette. Trois demoiselles, cachées sous une charretée de foin, furent plus heureuses, mai elles eurent à subir des transes mortelles, pendant que les cavaliers qui avaient failli les arrêter quelques heures plus tôt, discutaient avec le conducteur de la charrette à qui ils voulaient persuader de revenir vendre son foin en France, au lieu d'aller le porter à l’étranger. Une femme passa heureusement, empaquetée dans une charge de verges de fer, avec laquelle elle fut mise dans la balance et pesée à la douane ; et elle dut rester dans cette incommode cachette jusqu'à ce que le charretier osât la désempaqueter, à plus de six lieues de la frontière.
Quant aux hommes, ils se déguisaient en marchands, en paysans, en valets, en courriers, en soldats ou en officiers allant rejoindre leur régiment tenant garnison dans quelque place frontière.

Le vénérable pasteur d'Orange, Chambrun, qui venait de se faire opérer de la pierre, à Lyon, se fait attacher dans une chaise, et, suivi de quatre valets, il se donne si bien, dit-il, l'apparence d'un haut officier de guerre déterminé, que les postes militaires de la France et de la Savoie lui rendent les honneurs militaires quand il passe, et le laissent gagner Genève sans encombre. Bien qu'ayant avec lui deux jeunes enfants, le baron de Neuville parvient à se faire passer pour un officier allant rejoindre sa garnison ; quand il y avait quelque danger, il jetait une couverte de voyage sur les paniers attachés sur le dos d'un cheval et renfermant, non son bagage, mais ses enfants qu'il y avait cachés. Les quatre jeunes enfants du baron d'Éscury étaient cachés de même dans des paniers placés sur un cheval mené en bride par un valet.
La servante catholique qui emmenait les deux jeunes filles de Mme Cognard avait caché ces deux enfants dans des paniers, sous des légumes, qu'elle était censée aller vendre à un marché voisin de la frontière.

Le fils du ministre Maurice que des officiers, amis de son père, emmenaient déguisé en soldat avec leur bataillon qu'ils conduisaient en Alsace, est reconnu dans une halte. Il s'enfuit à la hâte, et, -après avoir erré quelque temps, au coeur de l'hiver, dans les montagnes du Jura, il arrive en Suisse exténué de fatigue et dans un état à faire pitié.
Chabanon, fils d’un autre ministre, à l'âge de treize ans, entreprit de rejoindre son père passé en Suisse. Parti seul, à pied, il fut pris de la petite vérole; quand son mal le pressait trop, il se couchait au pied d'un arbre, puis, l'accès passé, il se remettait courageusement en route, et il ne se découragea pas jusqu'à ce qu’il eût franchi la frontière. De riches bourgeois, des gentilshommes, déguisés en mendiants, portaient dans leurs bras ceux de leurs enfants qui ne pouvaient marcher, et se faisaient suivre par cinq ou six autres, demi-nus et couverts de sales haillons, qui allaient de porte en porte demander leur pain. Ces enfants, dit Élie Benoît, comprenaient si bien l'importance de leur déguisement et jouaient si bien leur rôle, qu'on aurait dit qu'ils étaient nés et nourris dans la gueuserie..
Mon frère et Jacques Laurent, dit Chauguyon, firent marché avec un guide fort résolu, mangeur de feu comme un charlatan. Il faisait porter à mon frère une grande boite sur les épaules, pour faire voir les curiosités de Versailles, et Jacques Laurent en portait une autre, comme les Savoyards qui crient la curiosité.

Tel, parvenu à une ville frontière mettait du beau linge, des souliers bons à marcher sur le marbre ou dans une salle de parquetage, et, une badine à la main, passait devant les corps de garde, comme s'il allait dans le voisinage faire une simple promenade ou quelque visite. Tel autre, son fusil sous le bras et sifflant son chien, passait la frontière semblant ne songer qu'à aller chasser dans les champs voisins. D'autres enfin, vêtus en paysans, paraissaient se rendre au marché le plus prochain au-delà de la frontière; celui-ci conduisait une charrette chargée de foin ou de paille ; celui-là portait sur le dos une hotte de légumes ou une balle de marchandises, ou poussait devant lui une brouette; un dernier, portant quelque paquet sous le bras, amenait des bestiaux à la foire.

Quelques-uns s'ouvraient le passage de vive force. Un jour, trois cents huguenots de Sedan se réunissent en secret, accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants et menant avec eux quelques chariots de bagages; ils forcent un passage gardé par quelques paysans et se dirigent vers Maëstrich. Sur la frontière du Piémont, quatre mille émigrants, bien armés, gagnent Pragèlas, après un combat contre les troupes, dans lequel M. de Larcy est blessé et perd cent cinquante hommes. Le gouverneur de Brouage poursuit onze barques parties des rivières de Sèvres et de Moissac, portant trois mille huguenots, lesquels, après un combat assez vif, parviennent à s'échapper sauf cinquante d'entre eux don la barque sombra. Des huguenots, embarqués à Royan; ayant été découverts par les soldats chargés de faire la visite, lesquels ne voulurent pas se laisser gagner, se jetèrent sur eux et les désarmèrent. Puis, coupant les câbles des ancres, ils forcèrent l'équipage à mettre à la voile et emmenèrent en Hollande avec eux les soldats qui avaient voulu les arrêter. Louvois était sans pitié pour ceux qui tentaient de sortir de vive force ; il prescrivait aux soldats de les traiter «comme des bandits de grands chemins, d'en pendre une partie sans forme ni figure de procès, et de prendre le reste pour être mis à la chaîne. Il faisait en même temps enjoindre aux paysans de faire main basse sur les fugitifs qui auraient l'insolence de se défendre, et ceux-ci n'y manquaient pas; c'est ainsi qu'ils blessèrent, de la Fontenelle et tuèrent d'un coup de fusil Quista, qui voulaient leur échapper en fuyant avec leurs femmes et leurs enfants.
Le maire de Grossieux et son fils, âgé de quinze ou seize ans, ayant résisté aux paysans, furent pris et pendus. Un gentilhomme, d'Hélis, pris après résistance, eut la tête tranchée. Quant à M. de la Baume, autre gentilhomme du Dauphiné, pour le punir de la vigoureuse défense qu'il avait opposée aux soldats, on le pendit, sans vouloir tenir compte de sa qualité de noble ; de Bostaquet, gentilhomme de Normandie, fut moins malheureux, surpris par les soldats, sur la plage, au moment où il allait s'embarquer avec toute sa famille et blessé dans le combat, il put s'enfuir. Caché par des catholiques, il put gagner plus tard l'Angleterre, et bien des années après faire venir près de lui ce qui restait de sa famille.

Sur les frontières de mer comme sur celles de terre, les émigrants riches pouvaient souvent acheter leur libre passage de ceux-là même qui avaient mission de les empêcher de sortir du royaume. Des familles de fugitifs payèrent jusqu'à huit et dix mille livres à des capitaines de croiseurs qui, moyennant ces grosses primes, les menèrent eux-mêmes à l'étranger; les préposés à la garde des côtes vendaient aussi à haut prix leur connivence, et le sénéchal de Paimboeuf fut poursuivi et condamné comme convaincu d'avoir pris de l'argent de quantité de huguenots, pour les laisser sortir. Quant aux préposés à la visite des navires, ils se laissaient boucher l'oeil.
Mais il ne fallait pas se fier outre mesure à ces malhonnêtes gens, toujours prêts à tirer deux moutures du même sac, en arrêtant les fugitifs auxquels ils avaient d'abord vendu à beaux deniers comptants la faculté de libre sortie. Anne de Chauffepié et ses compagnons furent victimes de cette mauvaise foi des préposés à la visite: « Au moment où la barque dans laquelle nous étions montés se dirigeait vers le navire anglais qui devait nous emmener, nous fûmes, raconte Anne de Chauffepié, abordés vers deux heures de l'après-midi, par un garde de la patache de Rhé qui, après plusieurs menaces de nous prendre tous, composa avec nous, promettant de nous laisser sauver, pourvu que nous lui donnassions cent pistoles, qui lui furent délivrées dans le même moment que le marché fut conclu. Sur les cinq heures du soir, la barque joignit le bateau anglais ; à peine y étions-nous, que la patache, à la vue de qui cela s'était fait, nous aborda, et les officiers, s'étant promptement rendus maîtres du vaisseau anglais, qui avait voulu faire une résistance inutile, firent passer le capitaine et tous les Français sur leur bord... Toutes les hardes qu'avaient les prisonniers, excepté celles qui étaient sur eux, furent pillées par les soldats. »

Cette vénalité des agents chargés de la surveillance des frontières de terre et du littoral, si elle constituait une facilité pour les riches, était un obstacle de plus pour le plus grand nombre, hors d'état de payer de grosses primes. En effet, ces infidèles surveillants, pour masquer les complaisances intéressées qu'ils avaient pour quelques-uns, se croyaient obligés de déployer une plus grande rigueur vis-à-vis de tous ceux qui n'avaient pas le moyen de leur boucher l'oeil. La plupart des fugitifs, qui se dirigeaient vers un port, avaient à parcourir une distance considérable avant d'arriver à destination, et quand ils étaient parvenus à proximité de la mer; ils trouvaient mille difficultés imprévues à dissimuler leur présence sur le littoral étroitement surveillé. A Nantes, le procureur du roi, pour découvrir les huguenots arrivant de 1'intérieur du pays, dans l'intention de s'embarquer, faisait faire de fréquentes visites domiciliaires dans la ville et dans les maisons de campagne des bourgeois. Il écrivait à son collègue de Renne :
« je n'aurai pas grande occasion de vous donner avis des religionnaires qui nous échapperont pour s'aller réfugier chez vous, car, comme on ne veut plus les loger ici dans les hôtelleries, sans avoir billet du magistrat ou de moi, et qu'on arrête ceux qui viennent du Poitou, en vertu d'un nouvel ordre du roi, ils ne savent où donner de la tête, ni où se réfugier. S'il vous en va, il faudra qu'ils passent à travers champs. J'oblige tous les hôtes et ceux qui logent à faire déclaration au greffe, trois fois la semaine, de ceux qu'ils logent, de quelque qualité, condition ou religion qu'ils soient. »
En vertu d'une ordonnance du présidial, cette déclaration devait être faite sous peine d'une amende, dont une partie reviendrait au dénonciateur.
Quant à ceux qui demeuraient à peu de distance de la mer, il leur était possible, en dépit de l'étroite surveillance exercée, de se jeter à la hâte, sans s'être précautionnés de rien à l'avance, dans quelque barque de pêche, peu propre à faire un aussi long voyage que celui qu'ils entreprenaient.
C'est ainsi que partit le comte de Marancé, gentilhomme de Basse Normandie. « Il passa la mer, dit Élie Benoît, lui quarantième, dans une barque de sept tonneaux, sans provisions, dans la plus rude saison de l'année, Il y avait dans la compagnie, des femmes grosses et des nourrices. Le passage fut difficile, ils demeurèrent longtemps en mer sans autre secours que d'un peu de neige fondue dont ils rafraîchissaient de temps en temps leur bouche altérée. Les nourrices, n'ayant plus de lait, apaisèrent leurs enfants en leur mouillant un peu les lèvres de la même eau. Enfin ils abordèrent demi-morts en Angleterre. »

Même quand on s'embarquait sur un navire, à peu près pourvu de tout, les calmes ou les vents contraires allongeant la durée du voyage, on avait souvent à souffrir de la faim et de la soif, dans l'impossibilité où l'on se trouvait de se ravitailler dans un port français.
Henri de Mirmaud s'étant embarqué sur un navire, qu'un calme plat retint plusieurs jours dans la Méditerranée, équipage et passagers se trouvèrent dépourvus de tout, il n'y avait plus que du vieux biscuit et de l'eau puante, dont les jeunes enfants de M. de Mirmaud, deux petites filles (l'aînée avait à peine sept ans), ne pouvaient s'accommoder, en sorte, dit-il, que je me vis dans la dure extrémité de craindre que mes enfants ne mourussent d'inanition sur mer. Fontaine et ses compagnons; par suite de vents contraires, mirent onze jours à se rendre de l’île de Rhé en Angleterre et eurent à souffrir du défaut de provisions et plus particulièrement du manque d'eau.
Ceux qui avaient l'heureuse chance d'habiter quelque port de mer étaient constamment espionnés, et le récit de Mlle de Robillard, de la Rochelle, montre bien à quelles excessives précautions devaient recourir ceux qui voulaient s'embarquer, de manière à n'éveiller l'attention de qui que ce fût sur leurs projets d'émigration.
Quelques jours à l'avance, Mlle de Robillard avait fait marché avec un capitaine anglais pour partir avec ses jeunes frères et soeurs; elle avait dû faire ce marché, par l'entremise d'un ami, en maison tierce, à quatre heures du matin.

« La veille du jour fixé pour le départ, à huit heures du soir, dit-elle, je pris avec moi deux de mes frères et deux de mes soeurs, nous nous mîmes propres et prîmes sur nous ce que nous avions de meilleures nippes, ne nous étant pas permis d'en emporter d'autres. Nous feignîmes de nous aller promener à la place du Château, endroit où tout le beau monde allait tous les soirs; sur les dix ou onze heures que la compagnie se sépara, je me dérobai à ceux de ma connaissance, et, au lieu de prendre le chemin de notre maison, en primes un tout opposé pour nous rendre dans celle qu'on m'avait indiquée à la digue près de la mer, et nous entrâmes par une porte de nuit où on nous attendait. On nous fit monter sans chandelle ni bruit, dans un galetas où nous fûmes jusqu'à une heure de nuit, là nous vint prendre notre capitaine. »
Bien que les capitaines avec lesquels les fugitifs étaient obligés de traiter, connussent le risque, s'ils étaient découverts, de voir leurs navires confisqués et d'être eux-mêmes envoyés aux galères ; cependant, les profits de cette contrebande humaine étaient tels, qu'il n'y eût bientôt plus si petit port où se trouvât quelque capitaine faisant métier de transporter des fugitifs à l'étranger.
Le capitaine une fois trouvé, les fugitifs étaient obligés de se soumettre à toutes les conditions que celui-ci voulait leur imposer; tant pour le départ que pour le payement. Le marché conclu, on avait à surmonter encore bien des difficultés avant de pouvoir mettre le pied dur le navire qui devait vous emmener à 1’étranger.
La relation du départ de Fontaine et de ses compagnons peut donner quelque idée de ces difficultés de la dernière heure.
Fontaine avait trouvé à Marennes, un capitaine anglais qui avait consenti à le porter en Angleterre, ainsi que quatre ou cinq autres personnes, moyennant dix pistoles par tête.

Pendant plusieurs jours d'une attente cruelle, les émigrants se tiennent à la Tromblade prêts à partir; enfin le capitaine leur fait savoir qu'il est prêt à mettre à la voile, et que si, le lendemain, ils se trouvaient dans les sables près de la forêt d'Arvert, il enverrait une chaloupe pour les prendre et les mener à bord.
Le lendemain, plus de cinquante huguenots attendaient à 1'endroit fixé, espérant pouvoir s'échapper en même temps que Fontaine et ses compagnons, mais les catholiques avaient eu l'éveil, et les autorités avaient empêché le navire de partir.
Toute la journée se passe sans que les personnes assemblées dans les sables, voient paraître le navire attendu, et, sans un faux avis donné exprès au curé et à ses acolytes par des pécheurs, elles étaient surprises; on se disperse; Fontaine et une quinzaine d'autres vont demander asile à en nouveau converti; celui-ci les renvoie après quelques heures craignant d'être compromis, et ce fut fort heureux pour les fugitifs, car il n'y avait pas une demi-heure qu'ils étaient partis, qu'un juge de paix accompagné de soldats vint faire une descente chez ce nouveau converti.
Chacun tire de son côté, Fontaine et quelques-uns de ses compagnons restent cachés quatre ou cinq jours dans des cabanes de pêcheurs, Dieu sait dans quelles transes continuelles.
Le capitaine anglais leur fait savoir un jour, que le lendemain il prendra la mer et qu'il passera entre les îles de Rhé et d'Oléron, il leur dit que s'ils peuvent se procurer une petite barque, et courir les risques d'une navigation hasardeuse dans ces parages, ils n'auront qu'à laisser tomber trois fois leur voile, et , qu'il accostera leur barque pour les emmener sur son navire après qu'il aura été visité.
« Le même soir, 30 novembre 1685, dit Fontaine, nous montâmes dans une petite chaloupe à la tombée de la nuit.. nous n'étions plus que douze dont neuf femmes. A la faveur de la nuit,maous pûmes nous éloigner de la côte sans être aperçu ni du fort d'Oléron, ni des navires en surveillance, et, à dix heures du matin, le lendemain, nous laissâmes tomber l'ancre pour attendre le vaisseau libérateur. Ce ne fut que vers trois heures de l'après-midi, que le vaisseau parut en vue de notre barque. Mais il avait encore à bord les visiteurs officiels et le pilote, nous le vîmes jeter l'ancre à la pointe septentrionale de l’île d'Oléron, après quoi, il descendit les visiteurs et le pilote, et reprit son chemin en faisant voile de notre côté. Quelle joie nous éprouvâmes à cette vue!
Hélas ! cette joie fut de bien courte durée! Nous commencions à peine de nous y abandonner, qu'une des frégates du roi, constamment occupées à surveiller les côtes pour empêcher les protestants de quitter le royaume, se rapprocha du lieu où nous nous trouvions. La frégate jeta l'ancre, ordonna au vaisseau anglais d'en faire autant, l'aborda et envoya des gens en fouiller les coins et recoins... quelle bénédiction qu'à ce moment nous ne fussions pas encore sur le vaisseau ! Supposez que la frégate fût arrivée une heure plus tard, nous étions tous perdus... La visite terminée, le capitaine anglais reçut l'ordre de mettre immédiatement à la voile ; nous éprouvâmes l'amère douleur de le voir partir en nous laissant derrière lui.
Il ne put même pas nous voir, car la frégate se trouvait entre lui et notre bateau. Quelle déplorable situation que la nôtre à ce moment-là. Nous étions dans le désespoir et nous ne savions que faire. A prendre le parti de ne pas bouger de l'endroit où nous étions, nous devions à coup sûr exciter les soupçons de la frégate et nous exposer à nous faire visiter par elle. Si nous tentions de retourner à la Tremblade, pour une chance de succès, nous en courions cent de contraires. Remarquant que le vent était propice pour La Rochelle et contraire pour la Tremblade, je dis au batelier : couvrez-nous tous dans le fond du bateau avec une vieille toile, et allez droit à la frégate, en feignant de vous rendre à là Tremblade. Vous pouvez, votre fils et vous, en contrefaisant les ivrognes et en roulant dans le bateau, vous arranger de manière à laisser tomber la voile trois fois et (à l'aide de ce signe convenu), nous faire reconnaître du capitaine anglais ».

Tout s’exécute suivant les instructions de Fontaine, et les officiers de la frégate voyant deux hommes ivres semblant courir à leur perte, crient aux deux pécheurs, de ne pas s'obstiner à vouloir gagner la Tremblade et de faire voile au contraire pour La Rochelle.
Nous changeâmes immédiatement de direction, continue Fontaine, le bateau vira vent arrière et nous dîmes adieu à la frégate du fond de nos coeurs et aussi du fond de notre bateau car nous y restâmes soigneusement couverts sans oser encore montrer le bout du nez. Cependant le navire anglais avait répondu à notre signal, tout en commençant à gagner la haute mer, et nous n'osions pas nous mettre à sa suite, par crainte de la frégate qui était encore à l'ancre non loin de nous; nous attendîmes que le jour tombât. Alors le batelier fut d'avis qu'il fallait tenter l'aventure avant qu'il fit entièrement obscur, pour ne pas nous exposer à être engloutis par les vagues; nous changeâmes donc encore une fois de direction, et la manoeuvre était à peine terminée, que nous vîmes la frégate lever l'ancre et mettre à la, voile. Notre première pensée fut naturellement qu'elle avait remarqué notre mouvement et qu'elle se préparait à nous poursuivre. Sur quoi, la mort dans l'âme, nous mîmes de nouveau le cap sur la Rochelle, mais notre anxiété fut de courte durée ; au bout de quelques minutes nous pûmes voir distinctement la frégate voguer dans la direction de Rochefort, et nous, de notre côté, nous virâmes encore de bord et nous nous dirigeâmes vers le vaisseau anglais qui ralentit sa marche pour nous permettre de l'atteindre, nous le rejoignîmes en effet, et nous montâmes à son bord, sans avoir encore perdu de vue la frégate. »

Le plus souvent, pour éviter des difficultés semblables à celles que Fontaine avait rencontrées pour parvenir à s'embarquer, les émigrants montaient sur les navires qui devaient les emmener, dans le port même; ils s'y rendaient la nuit et s'y tenaient cachés. — Les uns se cachaient sous des balles de marchandises, ou sous des monceaux de charbon, d'autres se mettaient dans des tonneaux vides, placés au milieu de fûts remplis de vin, d'eau-de-vie ou de blé. Pierre de Bury, qui fut condamné pour avoir embarqué des huguenots à Saint-Nazaire et à Saint-Malo, mettait ses passagers, dit le jugement, dans de doubles fûts en guise de vin ou de blé. De Portal embarqua ses enfants sur un navire, enfermés dans des tonneaux et n'ayant que le trou de la bonde pour respirer.

Les deux cousines de Jean Raboteau partirent cachées dans de grandes caisses remplies de pommes, et l'histoire de leur évasion est un véritable roman.

La famille Raboteau, originaire des environs de la Rochelle, était allée s'établir à Dublin pour y faire le commerce des vins de France, bien des années avant la révocation. Jean Raboteau, qui avait succédé à son père, ne tombait donc point sous le coup de disposition légale, interdisant l'accès des ports français aux huguenots naturalisés anglais ou hollandais qui avaient quitté leurs pays depuis l'édit de révocation. Reconnu comme sujet anglais, il venait fréquemment à la Rochelle avec un navire qu'il avait frété pour son commerce, et visitait ses parents et amis nouveaux convertis, lorsqu'il débarquait en France. Deux de ses cousines lui confient leur embarras, leur tuteur les met dans l'alternative, ou d'épouser deux anciens catholiques dont elles ne veulent pas, ou d'entrer au couvent. Raboteau conseille à ses cousines de feindre de consentir au mariage, pendant qu'il préparera leur fuite, et tout se prépare pour la noce. La veille du jour fixé pour le mariage, à minuit, les deux jeunes filles s'échappent sans bruit, rejoignent leur cousin qui les attendait près de là avec deux chevaux, il prend l'une d'elles en croupe, la seconde monte sur l'autre cheval et tous trois sont promptement rendus à la Rochelle.

Là, une vieille dame reçoit les deux soeurs qu'elle cache dans une partie écartée de la maison qu'elle habitait, Raboteau ramène promptement les chevaux à l'endroit où il les avait pris et regagne sa chambre sans encombre.
Le lendemain il était le premier descendu, et bientôt les équipages amènent tous les gens de la noce ; le tuteur monte dans la chambre des fiancées, voit tout en désordre, les lits non défaits. On cherche les jeunes filles partout, dans les caves, dans toutes les parties du château, dans le parc, et Raboteau semble prendre part aux recherches avec autant d'activité que les fiancés déconfits. Le tuteur prévient les autorités; tous les navires qui étaient dans le port, notamment celui de Raboteau, sont soigneusement visités, sans succès. Raboteau, pour dérouter les soupçons, prolonge son séjour au château, puis il retourne à la Rochelle pour mettre à la voile. Les deux jeunes filles sortent de la maison où elles avaient trouvé asile, elles sont placées dans de grandes caisses ouvertes et recouvertes d'une certaine quantité de pommes ; une charrette vient prendre les caisses et les porte jusqu'à une barque où se trouvait Raboteau; de là elles sont transbordées sur le pont du navire, et quand on a perdu de vue les côtes de France, les deux fugitives peuvent enfin sortir de leur incommode cachette.
Mais les navires qui se livraient habituellement à cette contrebande humaine avaient des caches, où l'on mettait les fugitifs; ces caches fort petites étaient dissimulées, soit sous la chambre du navire, soit sous le pont, entre le mât et la chute de la chambre, ainsi que le constatent divers jugements rendus contre des capitaines. Baudoin de la Boulonnière partit sur un navire de vingt-cinq à trente tonneaux, dans la cache duquel on entrait par-dessous le lit d'un matelot, et l'on entassa douze personnes dans cet étroit espace.

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