Voici quelques exemples
de ce
qu'ils imaginaient pour blesser la pudeur des
femmes
Les soldats mettaient les femmes en chemise, leur
coupaient la chemise par derrière
jusqu'à la ceinture, et, en cet état,
les obligeaient à danser avec eux. —
À Lescure, ils mirent nus un maître et
sa servante et les laissèrent ainsi pendant
trois jours et trois nuits, liés à la
quenouille du lit. À Calais, ils
jetèrent dans la rue deux jeunes filles
qu'ils avaient mises dans un état de
nudité complète. Un dragon vint se
coucher dans le lit où reposait la
vénérable douairière de
Cerisy. Les soldats, logés dans le
château où se trouvait la fille du
marquis de Venours, firent venir une femme de
mauvaise vie, et
convertirent le château en maison de
débauche.
Pendant des nuits entières, les sept filles
de Ducros et d'Audenard, bourgeois de Nîmes,
eurent à souffrir toutes les
indignités, sauf le viol, dit une relation.
« Les soldats, dit Elie Benoît,
faisaient aux femmes des indignités que
la
pudeur ne
permet pas de décrire;
ils exerçaient sur leurs
personnes des violences aussi insolentes
qu'inhumaines, jusqu'à
ne respecter aucune
partie de leur corps
et à mettre le feu à celles que la
pudeur défend de nommer... quand ils
n'osaient faire pis. »
Nous nous arrêtons, n'ayant pas la même
hardiesse de description que le grave historien de
l'édit de Nantes.
Pour ce
qui est des
tortures qu'ils infligeaient à leurs
hôtes, les soldats ne savaient qu'imaginer
pour découvrir un moyen de venir à
bout de l'opiniâtreté de ceux qu'on
les avait chargés de convertir, en les
torturant sans pourtant les faire périr.
Quand, au milieu des tortures, un malheureux
tombait en défaillance, les bourreaux le
faisaient revenir à lui, afin qu'il
recouvrât les forces nécessaires pour
résister à de nouveaux tourments, et
ils en arrivaient ainsi à faire supporter
à leurs victimes tout ce que le corps humain
peut endurer sans mourir.
Dans les persécutions qu'eurent à
supporter les premiers chrétiens, dit le
réfugié Pierre Faisses, on en
était quitte pour mourir, mais en celle-ci
la mort a été refusée à
ceux qui la demandaient pour une grâce.
»
Le pasteur Chambrun, cloué sur son lit de
douleurs disait à ses tourmenteurs : On
ferait bien mieux de
me dépêcher,
plutôt que de me faire languir
par tant d'inhumanités,
Jacques de
Bie,
consul de Hollande à Nantes, à qui
les soldats avaient arraché le poil des
jambes, fait brûler les pieds en laissant
d'égoutter le suif de la chandelle, etc.,
ajoute, après avoir raconté tous les
cruels tourments qu'il avait eu à supporter
: Je les priai cent fois de me tuer, mais ils me
répondirent : Nous n'avons point d'ordre de
te tuer, mais de te tourmenter tant que tu n'auras
pas changé. Tu auras beau faire, tu le
feras, après qu'on t'aura mangé
jusqu'aux os. Vous voyez qu'il
n'y avait point de mort à
espérer, si ce n'est une mort continuelle
sans mourir. »
L'affaire fit grand bruit en Hollande; d'Anaux,
ambassadeur de France, demanda qu'on
démentit les faussetés de la lettre
de Jacques de Bie (les États avaient
résolu de faire de grandes plaintes, dit-il,
prétendant que c'était contre le
droit des gens d'avoir mis les dragons chez le
consul hollandais): mais d'Avaux parvint à
étouffer l'affaire en soutenant à MM.
d'Amsterdam que de Bie n'avait pas
été reçu consul, que sa
qualité n'était pas reconnue en
France, que, au contraire, il était
naturalisé Français.
Les États durent, bon gré mal
gré, se contenter des explications
données par l'ambassadeur de France.
À l'un, ils liaient ensemble les pieds et
les mains, lui prenant la tête entre les
jambes et faisant rouler sur le plancher l'homme
ainsi transformé en boule. À un autre
ils emplissaient la bouche de gros cailloux avec
lesquels ils lui aiguisaient les dents. Tenant
leurs hôtes par les mains, ils leur
soufflaient dans la bouche leur fumée de
tabac, ou leur faisaient brûler du soufre
sous le nez. Ils les bernaient dans des couvertures
ou les faisaient danser jusqu'à ce qu'ils
perdissent connaissance. Lambert de Beauregard
raconte ainsi ce supplice de la danse qui lui fut
deux fois infligé et chaque fois pendant six
heures. « Je fus tourmenté de la
plus étrange façon que l'on puisse
imaginer, soit pour me terrasser et me faire tomber
rudement à terre: me tirant les bras
tantôt en avant, tantôt en
arrière, de telle sorte qu'il me semblait
à tout moment qu'ils me les arrachaient du
corps, et quelquefois, après m'avoir, fait
tourner jusqu'à ce que j'étais
étourdi, ils me lâchaient, et j'allais
tomber lourdement à terre ou contre la
muraille. Quoique ce fût en hiver, ces gens
quittèrent leurs casaques par la chaleur et
la lassitude, et moi, qu'eux tous ensemble
voulaient tourmenter, je devais être bien
las. »
Le maire
de Calais
dut se livrer à ce terrible exercice de la
danse, ayant attachées sur le dos les bottes
des dragons, dont les éperons venaient le
frapper chaque fois qu'on le faisait sauter et
tourner violemment. -
Suspendant leurs hôtes par les aisselles, les
soldats les descendaient dans un puits, les
plongeant dans l'eau glacée, puis ils les en
retiraient de temps en temps, avec menace de les y
noyer s'ils n'abjuraient pas. Ils les pendaient
à quelque poutre, par les pieds ou par la
tête, parfois faisant passer sur le nez du
patient la corde qui le tenait suspendu, ils la
rattachaient derrière sa tête de
façon à ce que tout le poids du corps
portât sur la partie, la plus tendre du
visage. À d'autres, on liait les gros doigts
des pieds avec de fines et solides cordelettes
jusqu'à ce qu'elles fussent entrées
dans les chairs et y demeurassent cachées.
Alors, passant une grosse corde attachée
à une poutre entre les pieds et les mains du
patient, on faisait tourner, aller et venir ce
malheureux, ou on l'élevait, on le
descendait brusquement, lui faisant endurer ainsi
les plus cruelles souffrances.
À
Saint-Maixgetcharent, tandis que dans une chambre
voisine leurs filles étaient battues de
verges jusqu'au sang par les soldats, les
époux Liège, deux vieillards,
étaient suspendus par les aisselles,
balancés et rudement choqués l'un
contre l'autre. Puis lorsque les soldats furent
lassés de ce jeu, ils nouèrent au cou
du père une serviette, à chaque bout
de laquelle était suspendu un seau plein
d'eau, et, la strangulation obligeant leur victime
à tirer, la langue, ils s'amusaient à
la lui piquer à coups d'épingle.
Les soldats prenaient leurs hôtes par le nez
avec des pincettes rougies au feu, et les
promenaient ainsi par la chambre. Ils leur
donnaient la bastonnade sous la plante des pieds,
à la mode turque.
Ils les couchaient liés sur un banc, et leur
entonnaient, jusqu'à ce qu'ils perdissent
connaissance, du vin, de l'eau-de-vie ou de l'eau,
qui parfois se trouvait être bouillante.
Devant les brasiers allumés pour faire cuire
les viandes destinées à leurs
interminables repas, ils liaient des enfants
à la broche qu'ils faisaient tourner, ou
mettant les gens nus, ils les obligeaient à
rester exposés à l'ardeur du foyer
jusqu'à ce que la chaleur eût fait
durcir les oeufs qu'ils leur faisaient tenir dans
la main ou dans, une serviette. Les sabots d'un
paysan, soumis à ce supplice, prennent feu,
le malheureux a peur d'être
brûlé, et promet d'abjurer, on le
retire, il se dédit, on le remet
aussitôt devant le feu, ce jeu cruel
recommença plusieurs fois, dit Elie
Benoît.
Un soldat,
jovialement cruel, fait observer que la femme de
l'instituteur Migault, à peine
relevée de couches, doit être, dans
son état, tenue le plus chaudement possible
et elle est traînée devant le foyer.
« L'ardeur du feu était si
insupportable, dit Migault dans la relation qu'il
fait pour ses enfants, que les hommes
eux-mêmes n'avaient pas la force de rester
auprès de la cheminée et qu'il
fallait relever toutes les deux ou trois minutes,
celui qui était auprès de votre
mère. »
Et la pauvre accouchée dut endurer ce
supplice jusqu'à ce que la douleur la fit
tomber sans connaissance.
Certains, attachés aux
crémaillères des cheminées
dans lesquelles on avait allumé du foin
mouillé, furent fumés comme des
jambons, — d'autres flambés à la
paille ou à la chandelle comme des poulets,
d'autres enfin enflés avec des soufflets,
comme des boeufs morts dont on veut détacher
la peau.
Les soldats mettaient une bassinoire ardente sur la
tête de leurs hôtes, leur
brûlaient avec un fer rouge le jarret ou les
lèvres, les asseyaient, culottes bas ou
jupes relevées, au-dessus d'un
réchaud brûlant, leur mettaient dans
la main un charbon ardent en leur tenant la main
fermée de force, jusqu'à ce que le
charbon fût éteint.
Ils les lardaient d'épingles, depuis le haut
jusques en bas; ils leur arrachaient, avec une
cruelle lenteur, les cheveux, les poils de la
barbe, des bras et des jambes, jusqu'à une
entière épilation. — Avec des
tenailles, ils leur arrachaient les dents, les
ongles des pieds et des mains, torture horriblement
douloureuse. Un des supplices les plus familiers
à ces bourreaux, le seul que le gouverneur
du Poitou, la Vieuville, consentit à
qualifier de violence, était de chauffer
leurs Victimes, de leur brûler la plante des
pieds.
L'archevêque
de
Bordeaux, dit Elie Benoît, qui, d'une chambre
haute, se divertissait
à entendre les cris de
Palmentier, un pauvre goutteux que les soldats
tourmentaient, suggéra à ces soldats
l'idée de brûler les pieds de ce
malheureux avec une pelle rougie au feu. C'est
aussi avec une pelle rouge que le curé de
Romans brûla le cou et les mains de
Lescalé, qu'il s'était chargé
de convertir.
Les soldats me déchaussèrent mes
souliers et mes bas, dit Lambert de Beauregard, et,
cependant que deux me firent choir à la
renverse en me tenant les bras, les autres
m'approchaient les pieds à quatre doigts de
la braise qui était bien vive, et qui me fit
alors souffrir une grande douleur ; et quand
je remuais pour retirer mes pieds, et qu'ils
s'échappaient de leurs mains, mes talons
tombaient dans la braise. Cependant, il y en eut un
qui s'avisa de mettre chauffer la pelle du feu
jusqu'à ce qu'elle fut toute rouge, et
ensuite me la frottèrent contre la semelle
des pieds, jusqu'à ce qu'ils jugèrent
que j'en avais assez; et, après cela, ils
eurent la cruauté de me chausser par force
mes bas et mes souliers... Voilà plus de
deux fois vingt-quatre heures que je demeurai sans
que personne s'approchât pour visiter mes
plaies, où la gangrène
commença à s'attacher... Les
chirurgiens ayant vu mes plaies, qui faisaient
horreur à ceux qui les voulaient regarder,
me donnèrent le premier appareil;
après quoi, on me fit porter à
l'hôpital général. »
Un dragon frotta de graisse les jambes d'une fille,
en imbiba ses bas, qu'il recouvrit d'étoupe,
à laquelle il mit le feu.
Lejeune, retenu devant un brasier et obligé
de tourner la broche où rôtissait un
mouton tout entier, ne pouvait s'empêcher de
faire de douloureuses contorsions, ce que voyant,
le loustic de la bande lui dit : je vais te donner
un onguent pour la brûlure, et il versa de la
graisse bouillante sur ses jambes qui furent
rongées jusqu'aux os. Jurieu, qui se
rencontre plus tard sur la terre d'exil, avec
Lejeune, dit : Il n'est pas si bien guéri
qu'il ne ressente souvent de grandes douleurs,
qu'il ne boite des deux jambes, et qu'il n'ait une
jambe décharnée jusqu'aux os et moins
grosse que l'autre de moitié. »
À
Charpentier
de Ruffec, les soldats font avaler vingt-cinq ou
trente verres d'eau; cette torture n'ayant pas
réussi, on lui fait découler dans les
yeux le suif brûlant d'une chandelle
allumée, et il en meurt. D'autres au
contraire, comme les sieurs de Perne et la
Madeleine, gentilshommes de l'Angoumois,
étaient plongés jusqu'au cou dans
l'eau glacée d'un puits, où on les
laissait pendant de longues heures, Plus la
résistance passive de la victime
prolongeait, plus l'irritation des soldats
s'augmentait en voyant l'impuissance de la force
brutale contre la force morale, et, une torture
restée sans résultat, ils ajoutaient
mille autres tourments. Ainsi l'opiniâtre
Françoise Aubin, après avoir
été étouffée à
moitié par la fumée du tabac et la
vapeur dû soufre, fut suspendue par les
aisselles, puis eut les doigts broyés avec
des tenailles, et enfin fut attachée
à la queue d'un cheval, qui la traîna
à travers un feu de fagots. À un
autre Opiniâtre, Ryan, qui souffrait fort de
la goutte, on serra les doigts avec des cordes, on
brûla de la poudre dans les oreilles, on
planta des épingles sous ses ongles, on
perça les cuisses à coups de sabre et
de baïonnette, et enfin l'on mit du sel et du
vinaigre dans ses mille blessures saignantes.
La plus
cruelle
torture morale que les soldats eussent
imaginée était celle-ci : Quand
l'opiniâtre était une mère,
allaitant son enfant, ils la liaient à la
quenouille du lit et mettaient son enfant sur un
siège, placé vis-à-vis d'elle,
mais hors de sa portée. Pendant des
journées entières, on les laissait
tous deux ainsi, le supplice de l'enfant, criant et
pleurant pour demander sa nourriture, faisait la
torture de la mère. La mort de l'enfant ou
l'abjuration de la mère pouvaient seules
mettre fin à ce cruel supplice, et c'est
toujours la mère qui cédait. Comment
en eût-il été autrement ?
dit Michelet. Toute la nature se soulevait de
douleur, la pléthore du sein qui
brûlait d'allaiter, le violent transport qui
se faisait, la tête échappait. La
mère ne se connaissait plus, et disait tout
ce qu'on voulait pour être
déliée, aller à son enfant et
le nourrir, mais dans ce bonheur, que de regrets !
L'enfant, avec le lait, recevait des torrents de
larmes. »
Au début
des
dragonnades, pour ajouter la torture morale aux
tortures physiques, on tourmentait les divers
membres d'une famille, les uns devant les autres,
mais on ne tarda pas à s'apercevoir que le
calcul était mauvais, les victimes
s'encourageant mutuellement l'une l'autre à
souffrir courageusement pour la foi commune.
On se décida donc, pour
forcer plus aisément les
conversions, dit
une
lettre du temps, à séparer les
membres de la famille, à les disperser dans
les chambres, cabinets, caves et greniers de la
maison pour les torturer isolément.
« Le roi approuve que vous fassiez
séparer les gens de la religion
réformée pour
les empêcher de se
fortifier les uns les autres »
écrit Louvois à
l'intendant, occupé à faire dragonner
la ville de Sedan. Cette tactique de l'isolement
parut tellement efficace au gouvernement que, plus
d'une fois, il enferma dans des couvents ou dans
des prisons éloignées certains
membres; d'une famille, tandis que les autres
restaient livrés aux mains des dragons.
Pontchartrain,
pour
venir à bout de Mme Fonpatour et de ses
trois filles, toutes quatre fort opiniâtres,
les fit séparer et enfermer dans quatre
couvents différents. Fénélon
demandait qu'on refusât aux nouveaux
convertis la permission de voir leurs parents
prisonniers et disait qu'il ne faudrait même
pas que les prisonniers eussent entre eux la
liberté de se voir. Les dragons à
Bergerac avaient perfectionné cette pratique
de l'isolement des gens à convertir, en y
ajoutant la privation de nourriture et de sommeil.
Une lettre écrite, de France et
publiée en Hollande fait le récit
suivant : « On lie, on garotte père,
mère, femme, enfants; quatre soldats gardent
la porte pour empêcher que personne n'y
puisse entrer pour les secourir ou les consoler, on
les tient en cet état deux, trois, quatre,
cinq et six jours sans manger, sans boire, et sans,
dormir; l'enfant crie d'un côté, d'une
voix mourante : ah! mon père, ah ! ma
mère, je n'en puis plus !
La femme
crie de
l'autre part : hélas ! le coeur me va
faillir, et leurs bourreaux, bien loin d'en
être touchés, en prennent l'occasion
de les presser et de les tourmenter encore
davantage, les effrayant par leurs menaces,
accompagnées de jurements
exécrables... Ainsi ces misérables,
ne pouvant ni vivre ni mourir, parce
que lorsqu'on les a vus
défaillir on leur a donné à
manger seulement ce qu'il fallait pour les
soutenir, et ne
voyant point d'autre voie pour sortir de cet enfer
où ils étaient incessamment
tourmentés, ont plié enfin sous le
poids de tant de peines. » Partout, du reste,
les soldats avaient fini par reconnaître que
la torture la plus efficace pour faire céder
les plus obstinés, c'était la
privation de sommeil, l'insomnie prolongée,
à l'aide de laquelle les dompteurs viennent
à bout des fauves. Les soldats, se relayant
d'heure en heure. nuit et jour, auprès d'un
patient, l'empêchaient de prendre le moindre
repos, le tiraillant, le pinçant, le
piquant, lui jetant de l'eau au visage, le
suspendant par les aisselles, lui mettant sur la
tête un chaudron sur lequel ils faisaient,
à coups de marteaux, le charivari le plus
assourdissant.
Après trois ou quatre jours de veille
obligée dans de telles conditions, le
patient cédait; s'il résistait plus
longtemps, c'est que l'humanité ou la
fatigue d'un de ses bourreaux avait interrompu son
supplice, et lui avait permis de prendre quelque
repos.
Le
gouverneur
d'Orange, Tessé, vient trouver le pasteur
Chambrun et le menace de ce supplice; Chambrun,
cloué sur son lit par une grave fracture de
la jambe, découvre en vain son corps, en
disant à Tessé: vous n'aurez
pas le courage de tourmenter
ce cadavre. «
Sans être touché
d'aucune compassion de l'état où il
m'avait vu, dit Chambrun, il envoya chez moi dans
moins de deux heures, quarante-deux dragons et quatre
tambours
qui
battaient nuit et jour tout autour de ma chambre
pour me jeter dans l'insomnie et me
faire perdre l'esprit s'il leur
eût été possible... L'exercice
ordinaire de ces malhonnêtes gens
était de manger, de boire et de fumer toute
la nuit; cela eût été
supportable s'ils ne fussent venus fumer dans ma
chambre, peur m'étourdir ou
m'étouffer parla fumée de tabac, et
si les tambours avaient fait cesser leur bruit
importun; pour me laisser prendre quelque repos.
— Il ne suffisait pas à ces barbares de
m'inquiéter de cette façon; ils
joignaient à tout cela des hurlements
effroyables, et si, pour mon bonheur, la
fumée du vin en endormait quelques-uns,
l'officier qui commandait, et qu'on disait
être proche parent de M. le marquis de
Louvois, les éveillait à coups de
canne, afin qu'ils recommençassent à
me tourmenter... Après avoir essuyé
cette mauvaise nuit, le comte de Tessé
m'envoya un officier pour me dire si je ne voulais
pas obéir au roi. Je lui répondis que
je voulais obéir à mon Dieu. Cet
officier sortit brusquement de ma chambre et
l'ordre fut
donné de loger tout le régiment chez
moi, et de me
tourmenter avec plus de violence. Le
désordre fut
furieux pendant
tout
ce jour et la nuit suivante. Les tambours vinrent
dans ma chambre, les dragons venaient fumer
à mon nez, mon esprit se troublait, par
cette fumée infernale, par la substraction
des aliments, par mes douleurs et par mes
insomnies. Je fus encore sommé par le
même officier d'obéir au roi, je
répondis que mon Dieu était mon
roi... Qu'on
ferait
bien mieux de me dépêcher plutôt
que de me faire languir par tant
d'inhumanités.
» Tout cela n'adoucit pas ces coeurs barbares,
ils en firent encore pis, de sorte
qu'accablé par tant de persécutions,
je tombai le mardi 13 de Novembre, dans une
pâmoison où je demeurai quatre heures
entières avec un peu d'apparence de vie.
Chambrun, qui avait passé un instant pour
mort, est encore cruellement tourmenté. Je
souffris de telles douleurs, dit-il, que j'allai
lâcher cette maudite parole : Eh bien ! je
me
réunirai. »
Cette maudite parole,
arrachée par la souffrance, suffisait aux
convertisseurs pour déclarer que Chambrun
était revenu à l'Église
romaine. Pour être réputé
catholique, dit Élie Benoît, il
suffisait de prononcer Jésus
Maria, ou de
faire le signe de la croix. Le
plus souvent, pour mettre leur conscience en repos,
les victimes qui mettaient leur signature au bas
d'un acte d'abjuration ajoutaient: pour
obéir à la
volonté du roi.
La mère de Marteilhe,
convertie par les soldats du duc de la Force, signe
l'acte d'abjuration avec cette mention
amphibologique: La Force me l'a fait faire; quant
aux habitants d'Orange qu'il avait convertis tous
en vingt-quatre heures, Tessé écrit
à Louvois : «Ils croyaient être
dans la nécessité de mettre le nom et
l'autorité du roi dans toutes les lignes de
leur créance, pour se disculper envers leur
prince (le prince d'Orange), de ce
changement par
une
contrainte qu'ils voulaient qui
parut, vous
verrez
comme quoi j'ai
retranché tout ce qui pouvait la
ressentir... en
tous
cas il faut que Sa Majesté regarde ce qu'on
fait avec ces gens-ci, comme
d'une mauvaise paie dont on tire
ce qu'on peut. »
Le clergé était de cet avis, et se
montrait très accommodant sur toutes les
restrictions dont les huguenots voulaient entourer
leur abjuration.
Une fois
l'abjuration
obtenue, le huguenot enfermé dans le royaume
par la loi contre l'émigration, devait
être contraint, par la loi sur les relaps,
à faire des actes de catholicité dont
il avait horreur.
« C'était là la doctrine, dit
Rulhières, qui devint presque
générale dans le clergé et fut
avouée, discutée, approfondie par de
célèbres évêques dont
nous avons recouvré les mémoires.
Quant aux malheureux à qui, dans un moment
de souffrance, on avait fait renier des
lèvres la religion à laquelle ils
restaient attachés au fond du cœur,
plusieurs moururent de désespoir, d'autres
devinrent fous. Quelques-uns se
dénoncèrent eux-mêmes comme
relaps et se firent attacher à la
chaîne des galériens. « On en
voyait, dit Elie Benoît, qui se jetaient par
terre dans les chemins, criant miséricorde,
se battaient la poitrine, s'arrachaient les
cheveux, fondaient en larmes. Quand deux personnes
de ces misérables convertis se
rencontraient, quand l'un, voyait l'autre aux pieds
d'une image, ou dans un autre acte de
catholicité, les cris redoublaient. On ne
peut rien imaginer de plus touchant que les
reproches des femmes à leurs maris et des,
maris à leurs femmes accusait l'autre de sa
faiblesse et le rendait responsable de son malheur.
La vue des enfants était un supplice
continuel pour les pères et les mères
qui se reprochaient la perte de ces âmes
innocentes. Le laboureur, abandonné à
ses réflexions au milieu de son travail, se
sentait pressé de remords, et, quittant sa
charrue au milieu de son champ, se jetait à
genoux, demandait pardon, prenait à
témoin qu'il n'avait obéi qu'à
la violence. » Un jour que j'étais
à la campagne (dit Pierre de Bury, au juge
qui lui objecte qu'ayant abjuré il n'a pas
le droit de se dire huguenot), duquel jour je ne me
souviens pas, je
pleurai tant que mon abjuration se trouva rompue. »
Vingt-et-un
nouveaux convertis parviennent à s'embarquer
sur le navire qui emportait Beringhen,
expulsé du royaume comme opiniâtre.
« Après la bénédiction du
pasteur, dit Beringhen, ils s'embrassèrent
les uns les autres s'entredemandant pardon du
scandale qu'ils s'étaient donné
réciproquement par leur apostasie.
»
Tous ceux qui, après avoir abjuré,
pouvaient passer la frontière, se faisaient,
après pénitence publique,
réintégrer dans la communion des
fidèles.
À Londres
le
consistoire de l'Église française se
réunissait tous les huit jours pour
réintégrer dans la confession
protestante les fugitifs qui avaient abjuré
en France. Le premier dimanche de mai 1686, il
réhabilita ainsi cent quatorze fugitifs et
dans le mois de mai 1687 on ne compte pas moins de
quatre cent quatre-vingt-dix-sept de ces
réintégrations dans la communion
protestante.
Chambrun se fit ainsi réhabiliter, mais il
ne se consola jamais du moment de
défaillance qui lui avait fait, au milieu
des souffrances renier sa foi. Un autre pasteur,
Molines, avait abjuré au pied de
l'échafaud. Pendant trente années on
le vit en Hollande errer comme une ombre; l'air
défait, le visage portant l'empreinte du
désespoir. « On ne pouvait, dit
une relation, le rencontrer sans se sentir
ému de pitié, son attitude exprimait
l'affaissement, sa tête pendait de tout son
poids sur sa poitrine et ses mains restaient
pendantes. »
Pour faire
revivre
devant les yeux des lecteurs de ce travail,
l'abominable jacquerie militaire qui a reçu
le nom de dragonnades, il a fallu entrer dans des
détails navrants, de nature à blesser
peut-être quelques délicatesses, mais
ces détails étaient
nécessaires pour fixer dans les esprits
l'exécrable souvenir qui doit rester
attaché à la mémoire de Louis
XIV et de ses coopérateurs clercs ou
laïques.
Les habiles pères jésuites qui
composent les livres dans lesquels ils accommodent
à leur façon, l'histoire que doivent
apprendre les élèves de leurs
écoles libres, comprennent bien qu'il est
dangereux pour leur cause, de soulever le voile qui
couvre ce sujet délicat.
Ils ne craignent pas de donner leur approbation
à la révocation, de l'édit de
Nantes, lequel établissait une sorte
d'égalité entre le protestantisme et
le catholicisme, entre le mensonge et l'erreur ;
mais à peine prononcent-ils le mot de dragonnades,
et ils se bornent à
émettre le regret que Louvois ait
exécuté avec trop de rigueur le plan
conçu par Louis XIV pour ramener son royaume
à 1'unité religieuse.
Mais les Loriquet cléricaux qui
écrivent pour le grand public sont plus
audacieux, ils nient hardiment la
réalité des faits, sachant bien que
l'impudence des affirmations peut parfois en
imposer aux masses ignorantes.
Ainsi, dans son histoire de la révocation,
M. Aubineau, un collaborateur e M. Veuillot,
dit:
« Le mot dragonnades,
éveille mille fantasmagories
dans les esprits bourgeois et universitaires.
« Il est ridicule
de croire à toutes les atrocités que
les huguenots ont prêtés
aux dragons et aux intendants de
Louis X.IV.
» Il s'agissait uniquement d'un logement de
garnisaires, c'était une vexation, une
tyrannie, si l'on veut, il n'y avait dans cette
mesure en soi ni
cruautés ni sévices.
On exempta du logement militaire les
nouveaux convertis. Cette seule promesse suffit
à faire abjurer des villes entières
— n'est-ce pas
cette exemption qu'on appelle dragonnades
?
»... On dit que les conversions
n'étaient pas sincères et qu'elles
étaient arrachées par la violence. En
accueillant ces griefs, il faut reconnaître
que la violence
n'était pas grande...
Foucault, l'intendant du
Béarn, revient en 1684, au moyen d'action
imaginé par Marillac en 1681, mais, en
maintenant fermement la discipline, ne
laissant prendre aucune licence aux
troupes. Les
succès qu'il obtint firent étendre ce
procédé aux autres provinces..
»La bonne grâce avec laquelle les
choses se passaient exalta le roi. »
M. de Marne, dans son histoire du gouvernement de
Louis XIV, va encore plus loin.
« Il n'y
eut
pas de persécution,
dit-il. Il n'y
eut jamais de plus, impudent
mensonge que celui des dragonnades.
Quand on organisa les missions de
l'intérieur, on eut lieu de craindre de la
résistance, des soulèvements; alors
les gouverneurs Prirent le parti d'envoyer des
troupes pour protéger les missionnaires. La
plupart du temps, les soldats demeuraient en
observation, à distance du lieu de la
mission: là, au contraire où les
calvinistes fanatiques se montraient
disposés à répondre par la
violence, les officiers plaçaient dans leurs
maisons quelques soldats pour répondre, non
de leur soumission religieuse, mais de leur
tranquillité civile... Les désordres
furent la faute de quelques particuliers et punis
sévèrement — tout excès
fut réprimé promptement et avec
là plus grande
sévérité... Voilà ces
épouvantables dragonnades! »
L'argument d'une prétendue résistance
violente des huguenots que l'on torturait est bien
le plus impudent mensonge qu'on puisse faire.
Le très fidèle historien Elie
Benoît n'a trouvé à citer que
l'exemple d'un seul huguenot, ayant
résisté aux dragons qui tourmentaient
sa femme.
Les huguenots, au contraire, poussaient si loin la
doctrine de l'obéissance absolue au roi,
qu'ils se laissaient impunément
dépouiller et maltraiter par les soldats,
conformément à cette décision
de Calvin :
Pour ce que j'ai entendu que plusieurs de nous se
délibèrent, si on vient les outrager,
de résister plutôt à telle
violence que de se laisser brigander, je vous prie,
mes très chers frères, de vous
déporter de tels conseils, lesquels ne
seront jamais bénis de Dieu pour venir
à bonne issue, puisqu'il ne les approuve
pas.
Quant à nier la réalité de la
terrible persécution qui a reçu le
nom de dragonnades. alors que chaque jour les
archives de la France et des autres pays de
l'Europe, livrent des preuves nouvelles et
multipliées des odieuses violences subies
par les huguenots, on ne peut s'expliquer la
hardiesse d'un si effronté démenti
donné à l'histoire, que par un
aveugle parti pris de sectaires.
On comprend mieux que les coupables,
Louis XIV et le clergé son
collaborateur, aient tenté, même au
prix des mensonges les plus impudents, de donner le
change à l'opinion publique sur les moyens
employés par eux pour convertir les
huguenots; tout mauvais cas est niable.
Au moment
où,
par suite des dragonnades, les
réfugiés fuyant la persécution
affluaient en Angleterre aussi bien qu'en Suisse et
en Allemagne; ont voit Louis XIV adresser à
son ambassadeur à Londres, ces instructions
hardies : « Le sieur de Bonrepans doit faire
entendre à tous en général,
que le bruit qu'on a fait courir de
prétendues persécutions que l'on fait
en France aux religionnaires n'est pas
véritable, Sa Majesté ne se servant
que de la voie des exhortations qu'elle leur fait
donner pour les ramener à l'Église.
»
En même temps l'assemblée
générale du clergé osait
affirmer : « Que c'était sans
violences et sans
armes, que le
roi
avait réduit la religion
réformée à être
abandonnée de toutes les personnes
raisonnables, que les hérétiques
étaient rentrés dans le sein de
l'Église par le chemin semé de fleurs
que le roi leur avait ouvert. »
Bossuet, de son côté, s'adressant aux
nouveaux convertis de son diocèse, leur
disait : « Loin d'avoir souffert des
tourments, vous n'en avez pas seulement entendu
parler, j'entends dire la même chose aux
autres évêques. »
Ces affirmations audacieusement mensongères
soulevèrent partout des protestations
indignées; en voici une publiée
à La Haye en 1687: « Toute l'Europe
sait les tourments que l'on a employés en
France, et voici des évêques, qui
demeurent dans le royaume, qui ne l’ont pas
seulement entendu dire...
« Croyez ces messieurs, qui soutiennent qu'ils
n'ont pas entendu parler d'aucun tourment, eux dont
les maisons ruinées, les villes
détruite , les provinces saccagées,
les prisons et les couvents, les galères,
les hommes estropiés, les femmes
violées, les gibets et les corps morts
traînés à la voirie, publient
la cruauté et une cruauté de
durée. »
Le ministre Claude proteste ainsi : « Si
ce n'est pas un reste de pudeur et de conscience,
c'en est un, au moins, de respect et de
considération pour le public de ne pas oser
produire devant lui ces violences dans leur
véritable et naturelle forme, et de
tâcher de les déguiser pour en
diminuer l'horreur. Cependant quelque favorable
tour qu'on puisse donner à cette conduite,
il faut demeurer d'accord que c'est une hardiesse
inconcevable, que de vouloir en imposer à
toute la terre ; sur des faits aussi constants
et d'un aussi grand éclat que le sont
ceux-ci, et d'entreprendre de faire illusion
à toute l'Europe, sur des
événements qu'elle apprend, non par
des gazettes ou des lettres, mais, ce qui est bien
plus authentique, par un nombre presque infini de
fugitifs et de réchappés, qui vont
porter leurs larmes et leurs misères aux
yeux des nations les plus éloignées.
»
Frotté, un
des
collaborateurs de Bossuet, de l'Angleterre
où il est réfugié,
écrit à l'évêque de
Maux, pour lui rappeler qu'on amenait des huguenots
de force dans son palais épiscopal, qu'il
les menaçait s'ils n'abjuraient pas,
d'envoyer chez eux des gens de guerre qui leur
tourneraient la cervelle. — Il lui cite tel
marchand chez lequel il a fait loger dix dragons,
tel gentilhomme à qui il en a mis trente sur
les bras; les femmes, les enfants, les Vieillards
jetés par lui dans les couvents; un moribond
qu'il est venu menacer, s'il n'abjurait pas, de le
faire jeter à la voirie après sa
mort, etc.
Un nouveau converti du Vivarais s'écrie : On
nous a traités partout comme des esclaves,
cependant on a l'impudence de dire que les moyens
dont on s'est servi ont été les voies
de grâce, qu'on n'a employé que la
charité. Voilà de quelle
manière on parle d'une persécution
inouïe, dont toute l'Europe a
été témoin. »
Dans la relation qu'elle écrit après
avoir fui à l'étranger, Jeanne
Faisses, une réchappée
des
dragons, donne
cet
échantillon des moyens employés par
Louis XIV, pour ajouter au bonheur de ses sujets,
celui d'une parfaite et entière
réunion, en les ramenant au giron de
l'Église (Lettre de Louis XIV à son
ambassadeur d’Espagne), dans lequel ils
rentraient par un chemin
semé de
fleurs
(déclaration de l’assemblée
générale du clergé)...
sanglantes :
« Toute l'Europe, dit-elle, a
été témoin des
désolations que le malheureux effet de la
fureur du clergé a causée en
général au royaume, et en particulier
aux pauvres fidèles de la Religion, contre
lesquels l'enfer a vomi tout ce qu'il peut avoir
d'affreux et d'épouvantable, et, sans outrer
les choses, ce petit échantillon peut faire
voir jusqu'où est allée sa
cruauté, car, que peut-on imaginer de pis
que de semblables horreurs?
« Employer
plus de cent mille soldats pour missionnaires,
profès à tourmenter tout le monde,
entrer dans les villes et dans les bourgs les armes
à la main et crier : Tue ! tue ! ou à
la messe ! manger, dévorer et
détruire toute la substance d'un peuple
innocent, boire le vin à se gorger, et
répandre le reste, donner la viande aux
chiens et aux chats, la fouler aux pieds et la
jeter à la rue, donner le pain et le
blé aux pourceaux et aux chevaux, vendre les
meubles des maisons, tuer et vendre les bestiaux,
brûler les choses combustibles, rompre les
meubles, portes et fenêtres, descendre et
abîmer les toits, rompre, démolir et
brûler les maisons, battre et assommer les
gens, le enfler avec des soufflets jusqu'à
les faire crever, leur faire avaler de l'eau sans
mesure avec un entonnoir, les faire étouffer
à la fumée, les faire geler dans
l'eau de puits, leur arracher les cheveux de la
tête et les poils de la barbe avec des
pincettes, leur arracher les ongles avec des
tenailles, larder leurs corps avec des
épingles, les pendre par les cheveux, par
les aisselles, par les pieds et par le col, les
attacher au pied d'un arbre et puis les y tuer, les
faire rôtir au feu comme la viande à
la broche, leur jeter de la graisse flamboyante sur
le corps tout nu, faire dégoutter des
chandelles ardentes sur leurs yeux, les jeter dans
le feu, les empêcher nuit et jour de dormir,
battre des chaudrons sur leur tête
jusqu'à leur faire perdre le sens, les
déchasser de leurs maisons à coups de
bâton; les rattraper, les traîner dans
les prisons, dans les cachots, dans la boue, dans
la fiente, les y faire mourir de faim, après
s'être dévoré les doigts de la
main ; les traîner à
l'Amérique, aux galères, aux gibets,
aux échafauds, aux roues et aux flammes,
violer filles et femmes aux yeux des frères
et . des maris attachés et garrottés,
déterrer les corps morts, les traîner
par les rues, leur fendre le ventre, leur arracher
les entrailles, les jeter dans les eaux, aux
voiries, les exposer aux chemins publics, les faire
dévorer aux bêtes sauvages..., tout
cela et mille autres choses de même nature
sont des témoignages du zèle
inconsidéré de ceux qui
persécutent les enfants de Dieu, sous
prétexte de leur rendre service. »
Avec les terribles moyens qu'employaient les
missionnaires bottés pour venir à
bout de la constance de leurs hôtes, nul ne
se sentait assez sûr de lui-même pour
affronter les terribles dragons, chacun se disait
qu'il en viendrait peut-être à faire
comme le président du Parlement d'Orange,
lequel, disait cyniquement Tessé,
«aspirait à l'honneur du martyre et
fût devenu mahométan, ainsi que le
reste du Parlement, si je l'eusse
souhaité ».
La terreur
des
dragonnades, grandissant de jour en jour, on voyait
des villes entières se convertir à
l'arrivée des troupes.
À Metz, le jour de l'arrivée des
dragons, l'intendant convoque à
l'hôtel de ville, tous les huguenots de la
localité, et presque tous signent, séance
tenante, l'acte
d'abjuration qu'il leur présente, en leur
disant que la volonté du roi est qu'ils se
fassent catholiques. Un bourgeois de Marseille
conte ainsi comment se fit la conversion de la
ville :
« Le second novembre 1685, jour du saint
dimanche, est arrivé en cette ville cent
cavaliers, dits dragons, avec les noms des
huguenots habitants en cette ville, allant à
cheval à chaque maison desdits huguenots lui
dire, de par le roi, si veulent obéir
à l'arrêt du roi ou
aller dès à
présent en galères et leurs femmes
à l'Amérique.
Pour lors, voyant la
résolution du roi, crient tous à
haute voix : Vive le roi ! et sa sainte loi
catholique, apostolique et romaine, que nous
croyons tous et obéirons à ses
commandements! dont MM. les vicaires, chacun
à sa paroisse, les ont reçus comme
enfants de l'Église, et renoncé
à Calvin et Luther. M. le grand vicaire les
oblige d'assister tous les dimanches au
prône, chacun à sa paroisse, et les
vicaires, avant de commencer la prière, les
appelle chacun par Son nom, et eux de
répondre tout haute voix : Monsieur,
suis ici. »
Un jour,
sur
l'annonce de l'arrivée des dragons, toute la
population huguenote du pays de Gex s'enfuit
affolée, passe la frontière et se
réfugie à Genève. Le laboureur
avait laissé sa charrue et ses boeufs sur le
sillon commencé, la ménagère
apportait avec elle la pâte, non encore
levée, du pain qu'elle avait
préparé pour mettre au four, les plus
pressés avaient passé le Rhône
à la nage avec leurs bestiaux;
c'était là un des premiers flots de
l'émigration qui allait bientôt
inonder tous les pays de l'Europe.
Dans la
Saintonge,
des populations entières avaient
quitté leurs villages et s'étaient
réfugiées dans les bois où
elles vivaient comme des bêtes de l'herbe des
champs. Louvois écrit à Foucault :
« Il y a dans quatre paroisses de la Rochelle,
six cents personnes qui ne se sont pas converties,
parce qu'elles avaient toutes déserté
et s'étaient mises dans les bois ; comme
elles n'y pourraient tenir dans la rigueur de
l'hiver qui va commencer, Sa Majesté
trouvera bien agréable que vous sollicitiez
M. de Vérac d'y
faire loger des troupes dans la fin de ce
mois. »
Pour fuir ces terribles dragons convertisseurs, les
huguenots quittaient leurs maisons, fuyant au
hasard à travers champs, à travers
bois, Migault trouve sur sa route une dame fuyant,
portant un enfant à la mamelle et suivie de
deux autres en bas âge, courant
affolée, ne sachant où aller. Croyant
toujours avoir les dragons à sa poursuite,
elle marchait toujours devant elle et passa
plusieurs jours en rase campagne, sans abri et
manquant de nourriture.
C'était un
crime de fuir les dragons. De Noailles ayant
donné huit jours aux habitants de
Nîmes pour se convertir, il fit publier que
ceux qui s'en étaient allés, par
crainte des dragons, eussent à revenir dans
trois jours sous
peine
d'être pendus ou mis aux
galères: Une
ordonnance décida que les maisons de ceux
qui s'étaient absentés de chez eux
seraient rasées, quant aux imprudents qui
donnaient asile à ces huguenots errants, on
les déclara passibles de grosses
amendes.
« Informé, dit l'intendant Foucault,
que plusieurs personnes donnent journellement
retraite dans leurs maisons aux religionnaires qui
abandonnent
les
leurs pour se mettre à couvert des gens de
guerre, ce qui retarde et empêche même
souvent leur conversion,
fait très extrêmes
défenses à toutes personnes de
donner: retraite dans leurs châteaux ou
maisons aux religionnaires, sous quelque
prétexte que ce puisse être, à
peine de mille livres d'amende. »
Anne de Chauffepied, dont le château avait
été dragonné, avait
trouvé asile chez Mme d'Olbreuse, parente de
Mme de Maintenon. « Dès le mois
suivant, dit-elle, M. et Mme d'Olbreuse furent
avertis que Mme de Maintenon ne trouvait pas bon
qu'ils nous gardassent chez eux. Mme d'Olbreuse
écrivit là-dessus, une lettre pleine
de bontés pour nous à cette dame,
pour la supplier de nous laisser auprès
d'elle, sachant qu'elle le pouvait facilement si
elle le voulait. Mais sa dureté ne put
être amollie là-dessus, et, sans rien
écrire elle-même, elle fit mander
à Mme d'Olbreuse qu'elle nous
renvoyât, si elle ne voulait avoir
bientôt sa maison pleine de dragons.
Quant à
ceux
qui donnèrent assistance aux fugitifs allant
chercher asile hors des frontières, ou qui
leur servaient de guides, ils étaient
passibles de la peine des galères, parfois
même de la peine de mort. Ainsi le Parlement
de Rouen condamne à être pendus et
étranglés les deux fils du laboureur
Lamy, atteints et convaincus « d'avoir
donné
retraite et couché dans leurs maisons des
religionnaires avec leurs hardes et chevaux pour
faciliter et favoriser leur sortie du royaume.
»
De même la cour de Metz avait condamné
à être pendus et
étranglés Jontzeller et sa femme Anne
Keller convaincus « savoir ledit
Jontzeller, d'être venu aux environs de cette
ville pour y joindre lesdits religionnaires et les
conduire hors du royaume, de les avoir
guidés secrètement la nuit et les
avoir cachés chez lui pendant un jour;
ladite Keller d'avoir empêché leur
capture... d'avoir, par deux fois éteint les
lampes, et, par ce moyen, donné lieu
à l'évasion desdits ».
Mais les peines terribles édictées,
soit contre les fugitifs eux-mêmes, soit
contre ceux qui aidaient à leur
évasion hors du royaume, ne purent
empêcher l'exode des protestants, cet
épilogue fatal des dragonnades.
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