Antérieurement
à l’édit de Nantes, les
catholiques enlevaient souvent déjà
les enfants huguenots pour les baptiser.
Élie Benoît cite l’exemple
d’un père qui menait son enfant au
temple pour le faire baptiser, et auquel cet enfant
fut dérobé pendant qu’il menait
son cheval à l’écurie, puis
porté à baptiser dans une
église catholique, par une servante de
l’hôtellerie.
L’article
17 de
l’édit de Nantes dut défendre
« d’enlever
par force ou induction contre le gré de
leurs parents, les
enfants des protestants pour les faire baptiser ou
confirmer en l’Église catholique...
à peine d’être puni
exemplairement. » Malgré cette
défense formelle les enlèvements des
enfants huguenots continuèrent, et, en 1623,
les députés du synode national
d’Alençon formulaient ainsi les
plaintes de leurs co-religionnaires à ce
sujet.: « on leur enlevait leurs enfants
pour les baptiser et les élever dans la
religion romaine... témoin la fille du
pharmacien Rédon et celle de Gilles Connant
âgée de deux ans, qui, attirée
dans un couvent, y avait été retenue
malgré les réclamations de sa
mère. »
Le plus
souvent le
clergé enlevait les enfants huguenots sous
prétexte que ces
enfants désiraient se
convertir, mais
il
les enlevait si jeunes que ce prétexte ne
pouvait être sérieusement
invoqué, et que Louis XIV lui-même se
vit obligé, en 1669, de publier la
déclaration suivante :
« Faisons défense à toutes
personnes d’enlever les enfants de ladite
religion prétendue réformée,
ni les induire ou leur faire faire aucune
déclaration de changement de religion, avant
l’âge
de quatorze ans accomplis pour les mâles et
de douze ans accomplis pour les femelles.
»
Cette loi mettait une bien légère
entrave à la violation journalière
des droits sacrés du père de famille
; cependant elle provoqua les plus vives
protestations des évêques. Ainsi, en
1670, au nom de l’assemblée
générale du clergé,
l’évêque d’Uzès
adressait au roi ces pressantes remontrances :
« Pouvons-nous, sans trahir notre
conscience, sans être criminels devant Dieu,
ne pas acquiescer à leurs justes
désirs (d’enfants de moins de douze ou
quatorze ans !) lorsque, par leur propre mouvement,
secourus de la grâce, ils se jettent dans nos
bras et qu’ils nous découvrent
l’extrême envie qu’ils ont d’être
admis parmi nous! »
Quant aux pères de
famille qui mettaient obstacle au désir de
conversion de leurs jeunes enfants, ils
étaient, disait l’orateur du
clergé, «
meurtriers plutôt que pères
».
Les
évêques, avec la connivence du
chancelier qui leur disait : « Le roi a fait
son devoir, faites le vôtre ! »
continuèrent leurs razzias d’enfants
huguenots, en ayant soin, pour avoir l’air de
respecter la loi, de ne faire abjurer ces enfants
enlevés que le jour où ils
atteignaient l’âge de douze ou quatorze
ans.
Mais l’édit de 1669 devint lettre
morte, du jour
où furent fondées les nombreuses
maisons de propagation de la foi, ces
écoles-prisons « destinées
à procurer aux jeunes protestantes des
retraites salutaires contre
les persécutions de
leurs parents et
les
artifices des hérétiques ».
C’est ainsi que les trois filles de Jean
Mallet, avocat au parlement de Paris, furent mises
aux nouvelles catholiques, avant la
révocation, alors que
l’aînée n’avait pas encore douze
ans.
Cette note, mise en marge d’une liste des
pensionnaires de la maison des nouvelles
catholiques de Paris, montre ce que pouvait
être le
désir de conversion des
enfants enfermées dans ces
écoles-prisons.
«L’aînée des
Hammonet,
très
déraisonnable, elle n’a que quatre
ans, et il est
cependant très
dangereux de lui
laisser la
liberté de voir ceux qui né sont pas
convertis, ou qui sont mauvais catholiques.
»
Les huguenots de Reims, las de réclamer
vainement auprès des juges et auprès
de l’intendant, adressent un placet au roi,
protestant contre le refus qui leur est fait par la
directrice de la maison de la propagation de la
foi, de leur laisser voir leurs filles. Ce refus,
disent-ils, est contraire à l’équité
et
à la nature qui
donnent droit aux pères et
mères de
s’inquiéter de ce que deviennent leurs
enfants.
À cette légitime réclamation,
Louis XIV répond en décidant
qu’une fille, une fois reçue dans la
maison de propagation, ne
pourra être forcée de
voir ses parents jusqu’ à ce
qu’elle ait fait son abjuration, attendu
qu’il
s’est
assuré que les filles
protestantes qui entrent dans cette maison y
entrent
toujours
volontairement après avoir
fait connaître leur
désir de se faire instruire dans la religion
catholique.
Qu’ainsi leur
volonté
devenant
publique et notoire, telle
précaution affectée de
leurs
père et mère
à vouloir en
tirer des éclaircissements plus
particuliers, ne
peut
passer que pour artifice dont
ils
désireraient se servir
pour tâcher d’ébranler leurs
enfants, et de
les
émouvoir par leurs larmes, peut-être
même
par leurs
reproches et par leurs menaces. »
Non
seulement les
parents ne peuvent, avant qu’elle ait
abjuré, voir la fille qu’on leur a
arrachée pour la convertir, mais encore
ils doivent
bien se garder de la recevoir
chez eux, si, spontanément ou sur leurs
conseils, elle s’échappe de la prison
après avoir abjuré. Charlotte
Leblanc, convertie aux nouvelles catholiques, est
confiée à la maréchale
d’Humières. En janvier 1678 elle
s’échappe et voici l’ordre qui est
donné à ce sujet : « Le roi
m’a ordonné de vous dire que vous ayez
à vous informer si elle s’est
retirée chez ses parents, et, au cas
qu’ils l’aient fait enlever, que vous
leur fassiez faire leur procès comme
suborneurs et
ravisseurs, et
si, au
contraire, elle y est retournée de bon
gré, que vous fassiez informer
contre elle comme relapse.
».
En 1676,
Madeleine
Blanc, enlevée de vive force, avait
été conduite chez le curé de
Saint-Véran un
bâillon sur la bouche. La convertie
s’échappe un
jour et se réfugie chez son père, on
condamne le père à l’amende
comme coupable d’enlèvement
; la fille
reprise est
jetée dans un couvent, et l’on
n’entend plus jamais parler d’elle.
Quels
sombres drames
se sont passés derrière les murs des
couvents et de ces maisons de propagation
qu’Elie Benoît appelle avec raison ces
nouvelles prisons
! — On
enfermait
de jeunes enfants dans des cachots sales, humides
et obscurs, et on ne leur parlait que des
démons qui y revenaient, des crapauds et des
serpents qui y grouillaient. Fausses visions,
menaces, promesses, mauvais traitements,
jeûnes, rien n’était
négligé pour abuser de la faiblesse
de ces jeunes enfants et de leur simplicité
d’esprit. Une jeune fille, ajoute Elie
Benoît, enfermée au couvent
d’Alençon est tourmentée par ces
fausses béates de la plus cruelle
manière; on lui met le corps tout en sang
à coups de verges, on la jette dans un
grenier où elle reste pendant tout le jour
et toute la nuit suivante, une des plus froides de
l’hiver, sans feu, sans couverture, sans pain.
Le lendemain on la trouve demi-morte, le corps
enflé démesurément, ses
blessures livides et enflammées; quand elle
fut guérie de ses plaies, elle demeura
sujette à des convulsions
épileptiques.
Les
religieuses
d’Uzès avaient huit jeunes filles rebelles.
Elles avertirent
l’intendant,
firent
venir le juge d’Uzès et le major du
régiment de Vivonne et, devant eux, elles
dépouillèrent les huit
demoiselles
(qui avaient de seize à vingt
ans) et les fouettèrent de lanières
armées de plombs. Ces mortifications de la
chair semblaient chose toute naturelle aux
convertisseurs, comme Moyen de persuasion.
L’évêque de Lodève,
lui-même, catéchisait chaque jour une
jeune demoiselle, et, chaque jour, passant des
injures aux voies de fait, la rouait de coups.
L’histoire
des
petites Mirat, enlevées par l’ordre de
Bossuet, histoire que conte un témoin
oculaire des faits, est un remarquable exemple de
l’énergique résistance que de
jeunes enfants opposaient parfois au zèle
violent des convertisseurs. Les filles Mirat,
orphelines de père et de mère, furent
enlevées de chez leur grand-père de
Monceau, médecin à la
Ferté-sous-Jouarre; au commencement de
l’année 1683, sur un faux
bruit qu’elles
voulaient se faire
catholiques — l’aînée avait
alors dix ans et
la plus
jeune huit. Dans
le carrosse où elles
furent mises, elles se défendirent comme des
lionnes, cassèrent les carreaux et voulurent
se jeter par les portières. Le procureur du
roi, pour venir à bout de la plus jeune,
avait mis la tête de l’enfant entre ses
deux jambes, mais elle se dégagea, lui sauta
à la figure, et le griffa de telle
façon qu’il en conserva longtemps les
marques. Il fallut faire monter les archers dans le
carrosse pour contenir les deux enfants, qui
s’étaient blessées en brisant
les carreaux des portières.
On les amena à un couvent, mais
l’abbesse refusa de les recevoir dans
l’état où elles se trouvaient; alors
on
les prit et on les lia sur
une
charrette,
pour les conduire à Rebais chez un
chirurgien catholique de leurs parents.
« Pendant cinq mois qu’elles
demeurèrent là, dit l’auteur de
la relation, elles n’ont vécu que de
vieux pain noir que l’on accompagnait
quelquefois d’un peu de lard jaune. La plus
jeune y a souffert du fouet, l’une et
l’autre on été exposées
aux outrages et aux soufflets. Elles avaient
toujours sur les bras des prêtres et des
dévotes qui les punissaient quelquefois si
sévèrement, que, pour éviter les
violences, elles ne
trouvaient
plus d’autre remède que de
se jeter par la fenêtre quoiqu’elles
fussent
d’un étage de haut. On les a deux fois
réduites
à cette extrémité et l’on
s’est vu deux fois obligé de les
retirer de ce pas. On leur avait ôté
toutes les choses dont elles pouvaient se faire du
mal, comme des couteaux, des épingles, des
cordes, etc. Un matin que la servante était
allée à la messe, les petites filles
se lèvent à la hâte, sortent de
la maison et vont
se
réfugier, à un quart de lieue de
Rebais, chez un réformé. Pendant
qu’elles sont là, le chirurgien qui les
a en garde vient deux fois faire perquisition dans
la maison; elles vont se cacher dans les
blés ; à la nuit elles se mettent en
route, marchant
sans
bas et sans souliers, au milieu
des cailloux, des ronces et des
épines
C’est ainsi qu’elles firent trois grandes
lieues et arrivèrent à La
Ferté à trois heures du matin,
où, venant à la porte de leur
grand-père, elles
l’éveillèrent par leurs cris. Je
les vis, elles
étaient dans un état qui faisait
pitié, leurs corps étaient pleins de
gale et leurs pieds déchirés.
»
Le
procureur fiscal
voulait pourtant les reprendre, et le
grand-père n’eut d’autre ressource
pour éviter qu’il en fût ainsi
que de les emmener quatre ou cinq heures
après leur arrivée pour les
présenter au premier président.
Malgré les promesses de celui-ci et
l’intervention de Ruvigny,
député général des
protestants, elles furent mises au couvent
de
Charonne, et un placet au
roi donne les détails navrants qui suivent,
sur le traitement qu’elles eurent à
subir dans ce couvent :
Quand l’abbesse vit que les caresses, les
promesses et les Menaces, de l’autre, ne
pouvaient rien gagner sur elles, elle se servit des coups,
des
soufflets, de la
rigueur du froid, de la violence du feu et
d’autres tourments pour les obliger à
démordre. Chacun sait combien a
été rude l’hiver qui finissait
l’année 1683 et qui commençait
l’année 1684. Pendant tout ce
temps-là on les a laissées sans jeu, exposées
à
toutes les rigueurs que peut causer un
froid excessif; on les a
garrottées quelquefois
fort étroitement ;
on leur a serré
les doigts avec des cordes et,
à tous ces tourments on
ajoutait des paroles pleines de fureur et de
malédiction. » Le jour des Cendres
1684, alors que tout le monde était à
l’Église, elles se sauvèrent
par-dessus les murs du jardin et se rendirent chez
un marchand nommé Sire, dont elles avaient
entendu dire qu’on voulait enlever la fille.
Celui-ci les cacha tantôt dans une maison
tantôt dans une autre, pendant près
d’un an et réussit enfin à les
faire partir pour la Hollande où elles
arrivèrent au mois d’avril 1685.
»
L’histoire
des
petites Mirat montre quelle valeur pouvait avoir,
à la veille de la révocation, le
prétendu
bruit que tel
ou tel
enfant qu’on enlevait à ses parents
avait manifesté le désir de se
convertir; ce qui rendait ce prétexte
d’enlèvement encore moins
admissible, c’est que Louis XIV avait
abrogé l’édit de 1669
interdisant d’induire à se convertir
les filles avant douze ans et les garçons
avant quatorze ans, et conformément à
la loi catholique qui porte que, à
sept ans, l’homme est en âge de
connaissance. Il avait publié en 1681 la
déclaration suivante
« Voulons et nous plaît que nos sujets
de la religion prétendue
réformée, tant mâles que
femelles ayant atteint l’âge de sept
ans puissent
et
qu’il leur soit loisible d’embrasser
la religion
catholique et
que
à cet effet ils soient reçus à
faire leur abjuration de la religion
prétendue réformée, sans que
leurs
pères et mères ou autres parents y
puissent donner aucun empêchement. Voulons
qu’il
soit
aux choix des
dits
enfants de
retourner dans la maison de leurs
pères
et mères pour y être
nourris et entretenus ou de se retirer
ailleurs et de leur demander une
pension
proportionnée à leurs conditions et
facultés.
En vain
les
protestants adressèrent-ils une
requête au roi, faisant observer que cette
déclaration permettant à des enfants
qui avaient encore aux lèvres le lait de
leurs nourrices, de faire choix d’une religion
et de déserter le foyer paternel, allait
jeter la discorde dans les familles—
qu’une telle disposition allait multiplier les
émigrations, les parents aimant mieux
souffrir toute espèce de maux que de se voir
séparer de leurs enfants d’un âge
si tendre.
L’édit fut maintenu et désormais
les enfants furent également
présumés capables de
faire
choix d’une religion
« à l’âge, dit Jurieu,
où ils ne savent pas distinguer le rouge du
bleu, à l’âge où une pomme
ou une pirouette les peuvent gagner. »
Les parents vécurent dès lors dans
des angoisses continuelles, se défiant de
tout et de tous, de leurs amis catholiques, de
leurs domestiques, de tout étranger. Une
servante gagnée, mène l’enfant
au curé ou au couvent ; il dit ce qu’on
veut et le voilà catholique, perdu
pour les
parents.
La justice, dit Elie Benoît, accueillait les
dénonciations de tout le monde.
Un voisin,
une
servante, un débiteur, un ennemi venait
déclarer que votre enfant savait faire le
signe de la Croix, qu’en voyant
passer
le Saint-Sacrement ou la Croix, il avait dit C’est
le
bon Dieu
! Sans autre
information, sans autre examen, on le
remettait
aux mains d’un catholique.
Là, soit par la promesse d’une
poupée, soit en lui donnant un fruit ou des
confitures en lui faisait répéter
l’ave maria ou dire
seulement
la messe
est belle, et cela
suffisait
pour établir son désir de se
convertir à la religion catholique. Ainsi,
un marchand étant venu pour réclamer
au gouverneur la Vieville son enfant de huit
ans, à qui l’on
avait
promis quatre deniers pour se faire catholique, le
gouverneur répondit que l’enfant ayant
dit : que ce qu’il y avait à
l’église était bien
plus beau que
ce qu’il y avait au temple,
avait suffisamment témoigné
son
désir
de se faire catholique et rendu raison
de son choix.
Mme de Maintenon savait, par son expérience
personnelle, combien il est facile de convertir un
jeune enfant, car, confiée elle-même
dans son enfance aux Ursulines de Niort, elle
disait: « Oh ! je serai bientôt
catholique, car on me promet une image !
malheureusement elle ne devint que trop catholique
plus tard, sans doute dans l’espérance
d’effacer aux yeux du roi sa tache originelle
de huguenote.
Elle-même enleva la fille de son parent de
Villette âgée de sept
ans, et Bette
fille qui devint plus tard
Mme de Caylas, écrit dans ses
mémoires :
« Je
pleurai
d’abord beaucoup mais je trouvai le lendemain
la messe du roi si belle que je consentis à
me faire catholique à condition que je
l’entendrais tous les jours et que l’on
me garantirait du fouet. C’est toute la
contreverse que je fis. »
« Je l’emmenai avec moi, dit de son
côté madame de Maintenon, elle pleura
un moment quand elle se vit seule dans mon
carrosse, ensuite elle se mit à chanter.
Elle a dit à son frère qu’elle
avait pleuré en songeant que son père
lui avait dit en
partant que si elle changeait de religion et venait
à la cour, il ne la reverrait
jamais. »
C’est de concert avec une tante de Mlle de
Villette que madame de Maintenon avait fait ce beau
coup, à l’insu de la mère, et,
quelques jours après, elle mandait à
la cour les deux fils de Villette et les faisait
abjurer à leur tour. Son projet avait
été longuement
prémédité, car c’est sur
sa demande que Seignelai avait donné
à M. de Villette un commandement à la
mer qui devait le tenir éloigné de
France pendant plusieurs années. Ce qui
est plus
odieux peut-être que
l’acte lui même, c’est
l’apologie jésuitique qu’en fait
madame de Maintenon, dans la lettre qu’elle
écrit à M. de Villette au lendemain
de l’enlèvement et de la conversion de
ses enfants..
« Vous êtes trop juste,
écrit-elle, pour douter du motif qui
m’a fait agir. Celui qui regarde Dieu est le
premier, mais s’il eût été
seul, d’autres âmes étaient aussi
précieuses pour lui que celles de vos
enfants et j’en aurais pu convertir qui
m’auraient moins coûté.
C’est donc. l’amitié
que j’ai eue
toute ma vie pour vous qui m’a fait
désirer avec ardeur de pouvoir faire quelque
chose pour ce qui vous est le plus cher Je
me suis
servie de
votre absence comme du seul temps où
j’en pouvais venir à bout, j’ai fait
enlever
votre fille par l’impatience de l’avoir
et de l’élever à mon gré; j’ai
trompé et affligé madame votre femme
pour qu’elle ne fût jamais
soupçonnée par vous, comme elle
l’aurait été si je
m’étais servie de tout autre moyen pour
lui demander ma nièce.
Voilà, mon cher cousin, mes intentions qui
sont bonnes, et droites, qui
ne
peuvent être
soupçonnées d’aucun
intérêt, et que
vous ne sauriez
désapprouver dans le même temps
qu’elles vous affligent, comme
je vous fais justice, et que vos
déplaisirs me touchent, faites-la moi aussi,
recevez avec
tendresse
la plus grande marque que je puisse vous donner de
la mienne, puisque
je
fâche ce que j’aime et que
j’estime, pour servir des enfants que je ne
puis jamais tant aimer que lui, et qui me perdront
avant que je puisse connaître s’il sont
ingrats ou non. »
Ainsi les
catholiques
pouvaient dire, et croyaient peut-être, que
la plus grande marque de
tendresse qu’ils
pussent donner à un
parent ou à un ami huguenot, était de
lui enlever ses enfants et de les convertir
malgré lui ! N’y a t-il pas là
un exemple frappant de cette aberration morale que
produit cette passion religieuse qui vous
enlève toute notion du juste et de
l’injuste.
Du reste
les
convertisseurs ne se donnent bientôt plus la
peine de prétexter un désir
prétendu de conversion chez les enfants
qu’ils enlèvent, et le gouvernement
lui-même les autorise, par son exemple,
à en agir ainsi, Témoin cet ordre du
cabinet du roi, antérieur à la
révocation: « Le roi veut que M.
le curé de la Junquières fasse
remettre au porteur de ce billet, l’enfant de
M. de la Pénissière qui est en
nourrice dans sa
paroisse.
»
C’était
une incroyable émulation de zèle
entre les convertisseurs, fort peu soucieux des
droits des pères de famille, désireux
de se faire bien voir en cour. Cette
émulation multipliait chaque jour davantage
ces enlèvements d’enfants. Il ne faut
donc pas s’étonner si à la
veille de l’édit de révocation,
les maisons de propagation de la foi regorgeaient
d’enfants huguenots mis à l’abri
des prétendues persécutions de leurs
parents hérétiques, derrière
les grilles des couvents.
Vient
l’édit de révocation,
décrétant que tout enfant qui
naîtrait désormais de parents
huguenots serait obligatoirement baptisé par
le curé et élevé
dans la religion
catholique. Il
restait encore aux huguenots leurs enfants
nés avant l’édit, mais Louis XIV
complète bientôt son oeuvre, il
décide qu’on enlèvera les
enfants huguenots de
cinq à seize ans, pour
les élever dans la
religion catholique; une déclaration
antérieure avait mis déjà sous
la main du gouvernement tous les enfants de moins
de seize ans par cette disposition
prévoyante:
« Enjoignons très expressément
à nos sujets de la religion prétendue
réformée qui ont envoyé
élever leurs enfants dans les pays
étrangers, les
faire revenir sans délai, leur
défendons d’envoyer
leurs enfants dans les pays étrangers pour
leur éducation avant
l’âge de seize ans. » Louis
XIV
motive ainsi son terrible édit, exécutoire
dans
les
huit jours :
« Nous estimons à présent
nécessaire de procurer avec la même
application le salut de ceux qui étaient
avant cette loi, et de suppléer de cette
sorte au défaut de leurs parents, qui se
trouvent encore malheureusement engagés dans
l’hérésie, qui
ne pourraient faire qu’un
mauvais usage de l’autorité
que la
nature
leur
donne pour l’éducation de leurs
enfants... voulons
et
nous plaît que dans
huit jours, après
la publication faite de
notre présent édit, tous
les enfants de
nos sujets qui font encore
profession de la dite religion prétendue
réformée, depuis
l’âge de cinq ans
jusqu’à celui de seize accomplis, soient
mis
dans les
mains de leurs parents catholiques, à
défaut dans les mains de telles personnes
catholiques qui seront nommées par les
juges, ou dans
les
hôpitaux généraux, si les pères
et
mères ne sont pas en état de payer
les pensions nécessaires pour faire
élever et instruire leurs enfants hors de
leurs maisons... tous ces enfants seront
élevés dans la
religion catholique. »
L’enlèvement
général des enfants, ce grand massacre
des
innocents, comme
l’ont qualifié les huguenots,
était heureusement chose impossible. Seuls,
les nobles, les notables, les bourgeois
aisés eurent à subir
l’application de cet odieux édit, la
masse fut sauvée du désastre par
l’obscurité de sa situation; du reste
si l’on eût voulu tout prendre, les
couvents, les collèges et les hôpitaux
n’eussent pu contenir les enfants de deux cent
mille familles.
Mais que de scènes déchirantes dans
les familles privilégiées, condamnées
à
se voir dans
les huit jours, arracher
tous leurs enfants,
même ceux qui n’avaient que cinq ans
!
« Un enfant de cinq ans ! à cet
âge si tendre, dit Michelet, l’enfant
fait partie de la mère. Arrachez-lui
plutôt un membre à celle-ci! Tuez
l’enfant ! il ne vivra pas, il ne vit que par
elle et pour elle, d’amour qui est la vie des
faibles! »
Pour
éviter ce
coup terrible, beaucoup de huguenots faiblirent et
se résignèrent à faire ce que
Henri IV appelait le saut
périlleux, dans
l’espoir de
conserver leurs enfants après leur
conversion, ou semblant de conversion à la
religion catholique.
Ils furent cruellement trompés dans leur
espoir, car, chaque année,
jusqu’à la chute de la monarchie, on
fit de véritables razzias d’enfants de
convertis, que l’on entassait dans les
couvents après les avoir enlevés
à leurs parents accusés
d’être mauvais catholiques.
Les huguenots avaient cru
que leur abjuration obligerait le roi à ne plus
les
distinguer
des anciens catholiques; ainsi
que le demandaient les convertis
de Nîmes dans leur supplique au duc de
Noailles. Il n’en fut point ainsi ; sous le
nom de nouveaux
convertis ils
constituèrent une classe de suspects,
auxquels
on déclara applicables
toutes les mesures de précaution ou de
rigueur, prises contre les huguenots. Une
ordonnance, renouvelée tous les cinq ans,
jusqu’en 1775, interdit même aux
nouveaux convertis, de vendre leurs biens sans une
autorisation spéciale du gouvernement, parce
qu’on les tenait pour de faux convertis
n’attendant
que
l’occasion de passer à
l’étranger pour y pouvoir professer
librement leur religion véritable. Une
ordonnance royale du 30 septembre 1739 portait
même défense, aux nouveaux convertis
du Languedoc, de sortir de la province sans
permission,
on voulait
les garder
sous la main pour les mieux surveiller.
Ces suspects, au débat, étaient
menés à l’église de
gré ou de force et contraints de Participer
à des sacrements qui leur faisaient horreur;
presque tous les évêques, dit
Saint-Simon, se prêtèrent à
cette pratique impie et y
forcèrent. Mais bientôt une
réaction se fit contre cette obligation de la
communion
forcée,
discrètement
blâmée ainsi par Fénélon
: « Dans les lieux où les missionnaires
et les troupes vont ensemble, dit-il, les nouveaux
convertis vont en foule à la communion. Je
ne doute point qu’on ne voie à
Pâques un grand nombre de communions, peut-être
trop.
»
« J’ai obtenu, écrit en 1686
l’évêque de Grenoble, le
délogement des troupes envoyées
à Grenoble. J’ai
représenté qu’il fallait laisser
aux évêques le soin de faire prendre
les sacrements, sans y forcer par des logements de
gens de guerre. L’exemple de Valence m’a
fait
peur
— à
Chateaudouble on a craché
l’hostie dans un
chapeau,
après l’avoir prise par contrainte.
»
Cependant,
en 1687,
l’évêque de Saint-Pons est encore
obligé d’écrire au commandant
des troupes dans son diocèse : « Vous
employez les troupes du roi pour faire aller
indifféremment tout le monde à la
table sans aucun
discernement. L’on fait mourir quelques-uns de
ces impies qui crachent et foulent aux pieds
l’eucharistie. Est-ce que Jésus-Christ
n’est pas encore plus outragé
qu’on le mette violemment dans le corps
d’un infidèle public et d’un
scélérat, tels que
vous
convenez que sont plusieurs de ceux que vos troupes font
communier?
»
Ce n’est qu’en 1699 que cette circulaire,
adressée au nom du roi aux intendants et
commissaires, vient prescrire de renoncer
définitivement à de telles pratiques
Le roi a été informé
qu’en certains endroits, quelques officiers
peu éclairés avaient voulu, par un
faux zèle, obliger les nouveaux convertis
à s’approcher des sacrements, avant
qu’on leur eût donné le temps de
laisser croître et fortifier leur foi ; Sa
Majesté qui sait qu’il n’y a point
de crime plus grand, ni plus capable d’attirer
la colère de Dieu, que
le sacrilège,
a cru
devoir déclarer aux
intendants et commissaires départis,
qu’elle ne veut point qu’on
use d’aucune
contrainte contre eux pour les porter à
recevoir les sacrements. »
Quant à
l’usage de la contrainte matérielle
pour obliger les convertis à assister
à la messe, aux offices et aux instructions
religieuses, il fut non seulement approuvé
mais réclamé de tout temps par les
évêques.
Les troupes furent employées à cette
besogne, et des inspecteurs, nommés dans les
paroisses, veillèrent à ce que les
convertis fissent leur devoir.
Les convertis de Saint-Jean-de-Gaudonnenque sont
forcés de s’engager à
découvrir ceux qui manqueront à leur
devoir, soit messe, prédication,
catéchisme, instruction ou autre exercice
catholique, et ils nomment les inspecteurs
qui dénonceront tous ceux qui
manqueront à quelqu’un des exercices de
la religion catholique.
Quant aux habitants de Sauve, ils donnent, à
chacun des inspecteurs nommés, la conduite
d’un certain nombre de familles dont ils
prendront soigneusement garde, si tous ceux qui les
composent vont à la messe, fêtes et
dimanches, s’ils assistent aux instructions et
y envoient leurs enfants et domestiques, s’ils
observent les fêtes et jours
d’abstinence de viandes ordonnés par
l’Église.
L’intendant de Creil demandait que les
convertis « fussent obligés de
s’inscrire, sur une feuille du curé ou
d’un supérieur de maison
religieuse,
pour marquer qu’ils avaient
assisté à la messe les jours de
fêtes et les dimanches, « ce qui
aurait un merveilleux effet, disait-il, quand on
pourrait ajouter, sous peine de
loger
pendant trois ou quatre jours un dragon.
»
En 1700
l’intendant de Montauban écrit encore
au contrôleur général: «
La première démarche de les engager
(les nouveaux convertis) par la douceur à
venir à la messe, était le
coup
de
partie, pourvu
qu’on n’en demeure pas là; il faut
y joindre l’instruction — c’est ce
que j’ai fait, en composant environ vingt
classes des nouveaux convertis de Montauban, que
j’ai confiées, pour l’instruction,
à vingt des plus habiles gens de la ville
qui m’en
rendront
compte exactement
chaque semaine. Moyennant ces instructions, je sais
d’abord que quelqu’un a manqué,
ou
d’aller
à la messe, ou de se faire instruire, et
aussitôt je l’envoie quérir pour
lui représenter que ceux qui ont
commencé à faire leur devoir sont
plus coupables que les autres quand ils ne
continuent pas. Si je puis obtenir quelques
lettres de cachet, pour
intimider les
plus opiniâtres, et quelques
secours d’argent à beaucoup
de
nouveaux convertis qui sont dans le besoin, vous
pouvez vous fier à moi, l’affaire
réussira ou j’y périrai.»
Mais, ainsi que le dit Rulhières, pour
obliger deux cent mille familles à
répéter journellement les actes
d’une religion qu’on leur faisait
abhorrer, les cent yeux d’inquisition et ses
bûchers n’auraient pu suffire.
Le gouvernement se vit obligé de prescrire
à ses agents de ne pas appliquer des
règlements vexatoires absolument
inexécutables, mais cette recommandation fut
faite en secret, avec
injonction
de ne
point laisser soupçonner la défense
de faire ce qui
sentait l’inquisition.
Et il se passa bien des années avant que
l’on renonçât à soumettre
les nouveaux convertis à un véritable
régime de l’inquisition.
Tel est traduit devant le lieutenant criminel pour
avoir refusé de se mettre à genoux
pendant la messe, au moment de
l’élévation, tel autre pour
avoir jeté son pain bénit, un
troisième pour avoir repoussé avec
son chapeau, au lieu de la baiser, la
patène, qui lui était portée
par un petit garçon.
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