Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

LIBERTÉ DE CONSCIENCE

suite 3

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En Normandie, Lequesne est condamné à cinq cents livres d’amende pour avoir refusé la charge de trésorier marguillier de sa paroisse.
Jacques de Superville, en quittant Nantes pour s’enfuir à l’étranger, laisse un état de ses dettes avec cette mention: Je crois que le boulanger demandera quinze livres; mais, sur ces quinze livres, il y en a six livres cinq sols pour le
pain bénit, qu’il faut que ceux qui l’ont ordonné paient; quant à moi, je n’ai jamais donné ordre qu’on le fit pour moi. »
Il fallait, en effet, payer bon gré mal gré le pain bénit, ainsi que la tenture de sa maison les jours d’usage sur le passage des processions.
On veillait à ce que les nouveaux convertis ne travaillassent pas les jours de fêtes et les dimanches, et à ce qu’ils fissent maigre les jours d’abstinence. En 1714, un marchand de Nantes, Roger, et sa femme sont signalés comme mangeant de la viande les jours défendus. En 1723, un gentilhomme est dénoncé pour avoir, dans une partie de campagne, contrevenu aux prescriptions de l’Église sur le même point, et le secrétaire d’État, La Vrillière, lui écrit, à propos de cette
grave affaire : « J’ai reçu, Monsieur, le mémoire qui contient vos raisons sur des plaintes que l’on m’avait portées contre vous, vous ne pouvez disconvenir qu’elles avaient quelque fondement, puisqu’il est certain que vous avez fait, un jour maigre, un repas en maigre et en gras publiquement dans un pré, ce qui a causé du scandale. Soyez donc plus circonspect à l’avenir, sans quoi l’on ne pourrait s’empêcher de sévir contre vous. »

Le 14 juillet 1785, le curé de Mézières en Drouais dénonce encore un nouveau converti, lequel, dit-il, n’a abjuré que pour se marier, et ne fait pas son devoir, ayant passé vingt-quatre jours de dimanches et fêtes obligatoires sans assister à la messe ni à aucun des offices de l’Église.
Pour ceux des nouveaux convertis auxquels on a accordé une pension, ou que l’on a mis en possession des biens de leurs parents, réfugiés à l’étranger, ils sont menacés, si eux et les leurs ne font pas leur devoir, de se voir retirer ces pensions et ces biens.
En 1699, Pontchartrain écrit qu’il a appris que des officiers de marine, auxquels on a accordé des pensions en considération de leur conversion, souffrent que leurs femmes et leurs enfants ne fassent aucun exercice de la religion catholique, et il ajoute: « Sa Majesté veut que ces officiers envoient des certificats des intendants et des évêques des lieux où leurs femmes et leurs enfants demeurent,
comme ils y vivent en catholiques, et elle ne fera expédier les ordonnances de leurs pensions que sur ces certificats. »
De même; une circulaire aux intendants prescrit de surveiller la conduite de ceux qui ont été mis en possession des biens de leurs parents fugitifs. « S’ils trouvent, dit cette circulaire, que
ceux qui jouissent de ces biens ne s’acquittent pas des devoirs de la religion, après en avoir été avertis, ils donneront les ordres , nécessaires pour en faire saisir et séquestrer les fruits. »
Saint-Florentin donne même l’ordre aux fermiers de la régie de saisir les biens des nouveaux convertis qui se sont montrés
indignes de la grâce que leur a faite le roi, en discontinuant tout exercice de la religion catholique.

Quant aux évêques, les moyens pratiques qu’ils trouvent, d’obliger les nouveaux convertis à pratiquer, c’est de leur imposer des épreuves de catholicité, quand ils veulent se marier, et de leur faire enlever leurs enfants s’ils ne pratiquent pas.
Dès 1692, l’évêque de Grenoble disait: les religionnaires sont dans un état pitoyable, puisqu’ils sont presque sans religion ; ils ne tiennent à la nôtre que
par grimace et ne tiennent plus à la leur que par cabale et par hypocrisie. »

Et, quatre ans plus tard, constatant « que les nouveaux convertis ne vont ni à la messe ni au sermon, ne fréquentent point les sacrements, et, à la mort, les refusent, disant qu’ils sont calvinistes » il ordonne à ses curés de les regarder comme hérétiques et de ne leur point administrer le sacrement du mariage qui est le seul endroit qui les oblige à revenir à l’Église. »

En 1754, de Blossac écrit à M. de Clervault, qui veut épouser une aussi mauvaise convertie que lui : « Vous sentez qu’étant suspects l’un et l’autre, il ne faut que le rapport de quelque malintentionné pour vous attirer de fâcheuses affaires, et qu’ainsi vous devez être plus exacts, même qu’un ancien cathodique, soit à assister à l’église et aux instructions et à y envoyer vos domestiques; je ne vous donne ces avis que parce que la moindre fausse démarche de votre part tirerait à conséquence. »
Pour ce qui est des enfants, ils
ne suffisait pas que les nouveaux convertis eussent fait baptiser leurs enfants à l’église, on exerçait sur eux une surveillance jalouse et incessante pour arriver à ce que ces enfants fussent élevés et instruits dans la religion catholique.
Une circulaire aux intendants portait cette disposition :
« Les parents doivent envoyer leurs enfants, savoir : les garçons chez les maîtres, les filles chez les maîtresses d’école, aux heures réglées; les tuteurs doivent faire la même chose pour les enfants dont ils sont chargés, et les maîtresses pour leurs domestiques. »

Outre cette instruction obligatoire, presque exclusivement religieuse, que devaient recevoir les enfants des nouveaux convertis, ces enfants devaient encore aller à l’église, y suivre les instructions de catéchisme et accomplir leurs devoirs religieux, le tout sous peine d’amendes infligées aux parents qui négligeraient de faire remplir ces obligations à leurs enfants.
Mais on n’avait pas grande confiance dans ces suspects mal convertis, et l’instruction donnée aux intendants porte cette terrible prescription :
S’ils ont avis que quelques parents
détournent leurs enfants de la religion catholique, ils feront mettre dans des collèges ou dans des monastères, les enfants de qualité pour y être élevés, et feront payer des pensions pour leur nourriture et entretênement sur les biens de leurs pères et mères, et, à défaut de biens, les feront mettre dans les hôpitaux pendant le temps qui sera nécessaire pour leur instruction seulement; de même pour les enfants dont les pères et mères n’assisteront pas aux instructions, et ne feront pas le devoir des catholiques, après qu’ils les auront avertis, aussi les enfants qui marqueront par leurs actions et par leurs paroles beaucoup d’éloignement de la religion catholique, le tout aux dépens des pères et mères. »

Les instructions données aux intendants, donnaient libre carrière aux dénonciations du clergé, toujours désireux de faire enlever aux nouveaux convertis leurs enfants, pour les faire élever d’ans les collèges ou dans les couvents. Chaque année, par ordre de l’évêque, les curés de chaque diocèse dressaient la liste des suspects auxquels on devait enlever leurs enfants, et cette liste était transmise à l’intendant qui enjoignait aux parents d’avoir à lui amener leurs enfants, sous peine d’être traités comme rebelles aux ordres du roi. Les enfants livrés, il fallait que les parents payassent leur pension au collège ou au couvent, sous peine d’amende ou d’emprisonnement. Un sieur Bocquet, par exemple, se refuse à payer la dot de sa fille qu’on a enlevée, et à laquelle on veut faire prendre le voile.
Pontchartrain écrit à l’intendant : « Il n’y a pas de meilleure voie
pour obliger le nommé Bocquet à donner mille livres à sa fille pour sa dot dans son couvent, que de l’arrêter comme mauvais catholique qui fait mal son devoir. »
Chaque année les curés dressaient des listes d’enfants à enlever dans les familles huguenotes de leurs paroisses.
Pour les notables et pour les nobles, les évêques envoyaient soit au ministre, soit aux intendants des mandements pour faire recevoir les jeunes filles dans les couvents, c’étaient des ordres en blanc seing que l’on remplissait pour les couvents, tout comme il y avait des lettres de cachet, signées d’avance du roi, pour la Bastille et autres prisons du roi. Les évêques en faisaient si grand usage, que le secrétaire d’État en 1686,
est obligé de réclamer à l’archevêque de Paris une douzaine de ces mandements, n’en ayant plus en main que deux ou trois.

En 1750, l’archevêque d’Aix demande à Saint-Florentin des lettres de cachet en blanc, et des troupes pour procéder à l’enlèvement de jeunes protestantes, mais Saint-Florentin répond que les lettres en blanc sont sujettes à trop d’inconvénients et que l’emploi des soldats, dangereux pour l’honneur des jeunes filles, a eu un succès très équivoque.
Le plus souvent, grâce aux listes dressées par leurs curés, les évêques
pouvaient désigner nominativement à l’autorité civile les enfants qu’ils voulaient enlever à leurs familles, et c’est ce que faisait Bossuet dans son diocèse de Meaux.
« Ayant reçu de M. l’évêque de Meaux, écrit le secrétaire d’État, à Phelipeaux, — en 1699, un mémoire par lequel il serait nécessaire de mettre dans la maison des nouvelles catholiques de Paris les demoiselles de Chalandes et de Neuville, j’en ai rendu compte au roi qui m’a ordonné de vous écrire d’envoyer une des demoiselles de Chalandos... et les deux cadettes des demoiselles de Neuville qui demeurent à Caussy, dans la paroisse d’Ussy. Il y a dans
même paroisse d’Ussy deux demoiselles, nommées de Nolliers, que M. de Meaux croit nécessaire de renfermer. Mais comme elles ne sont pas présentement sur les lieux, il ne faudra les envoyer aux nouvelles catholiques que de concert avec M. de Meaux, et dans le temps qu’il vous dira. »
Les évêques recherchaient surtout les enfants dont les familles étaient assez riches pour payer de grosses pensions.

L’évêque de Montauban, pour faire enlever une jeune fille de cette ville et la faire mettre au couvent, invoque cette raison déterminante, qu’elle aura un jour cent mille écus. Fléchier, pour faire enlever le jeune d’Aubaine âgé de huit ans qui aura de grands biens, se contente de dire que les parents qui l’élèvent ne sont peut-être pas sincèrement catholiques, que l’enlèvement qu’il sollicite est nécessaire pour faire perdre à cet enfant les mauvaises impressions qu’on a peut-être commencé à lui donner.
Dans l’entraînement de leur zèle convertisseur, les évêques ne songeaient pas toujours à s’assurer si les enfants qu’ils voulaient enlever appartenaient à des familles riches ou pauvres; c’est ainsi qu’à l’évêque de Sisteron, voulant faire enlever les quatre enfants d’un sieur Ganaud, pour placer les trois fils au séminaire, et la fille au couvent, le ministre répond : « Êtes-vous disposé à payer les pensions? Si vous ne le pouvez pas, ils resteront en liberté. » À l’intendant de la Rochelle, Saint-Florentin ordonne de mettre en liberté la jeune Claude, enlevée par ordre de l’évêque « dont vous me prouvez, dit-il, que la mère
n’est pas en état de payer ta pension. »

À l’intendant Saint-Priest, il est obligé d’écrire : « Ne vous en rapportez pas, dans l’avenir, avec tant de facilité aux témoignages des missionnaires et des curés, ou faites d’abord vérifier les facultés de leurs parents. » Le gouvernement ne se souciait pas, en effet, de voir tomber à sa charge la pension des enfants enlevés à leurs parents pour être instruits; la pauvreté mettait les parents à l’abri des enlèvements; ainsi aux nouvelles catholiques de Paris, il n’y avait que la dixième partie des pensionnaires qui fussent non payantes; pour les jeunes filles appartenant à des familles riches, le plus futile prétexte était accepté, comme un motif suffisant d’enlèvement; telle est prise comme soupçonnée de vouloir épouser un Danois et d’être ainsi en danger de se pervertir en pays étranger, telle autre parce que, ayant de la fortune, elle est sur le point d’épouser un nouveau converti, mauvais catholique. À l’appui de ces demandes d’enlèvement on ne craint pas d’invoquer les intérêts de l’État et de la religion.

Quand les parents rentraient en possession de leurs enfants, suffisamment instruits, à chaque instant ils étaient exposés à se les voir de nouveau enlever pour suspicion religieuse. On rend à du Mesnil ses quatres filles élevées au couvent; il produit, pour éviter qu’on ne les lui enlève de nouveau, un certificat du curé de la paroisse constatant qu’elles ont fait leur devoir (sauf le temps de Pâques où elles s’étaient rendues à Caen). Saint-Florentin déclare ce certificat insuffisant et écrit au père que si, à l’avenir, il ne produit pas de certificat plus explicite, on s’assurera d’autre manière de la religion de ses filles.
Mlle de Bernières est plusieurs fois reprise à sa mère, celle-ci ne peut se la faire rendre qu’à la condition de l’envoyer exactement au service divin et de la remettre aux nouvelles catholiques pendant quinze jours, à chacune des quatre grandes fêtes de l’année.
Fraissinet, marchand à Anduze, retire de pension l’aîné de ses huit enfants, âgé de quinze ans, pour lui faire apprendre son commerce. Il est obligé de le réintégrer à sa pension sur la dénonciation de l’évêque de Montpellier prétendant qu’il veut faire passer son fils à l’étranger. Ce n’est que, après avoir obtenu des évêques d’Alais et de Montpellier un certificat qu’on peut désormais sans danger lui
accorder cette grâce de reprendre son fils chez lui, qu’on lui rend son enfant (à la charge de se conduire par rapport à la religion, de manière à ce qu’il n’intervienne aucune plainte à Sa Majesté).

Le sieur Bienfait expose vainement qu’il a sept enfants, que les pensions qu’on le force à payer pour ses trois filles le ruinent, et que, en laissant passer le moment de leur apprendre un métier, on leur prépare une misère certaine. Il n’obtient pas satisfaction. L’évêque de la Rochelle va plus loin, il demande un ordre d’emprisonnement contre un marin qui a fait partir comme mousse .son fils, alors que Monseigneur voulait continuer à faire instruire cet enfant. Le ministre .s’y refuse, déclarant que c’est vouloir ruiner le commerce que de demander l’arrestation des chefs de famille pour de tels motifs. Sans cesse le gouvernement était occupé à modérer l’ardeur d’enlèvements du clergé. Saint-Florentin, obligé de consentir à l’enlèvement de douze jeunes filles, demandé par l’évêque de Dax, se borne à conseiller prudemment à cet évêque de ne pas les enlever toutes à la fois. Mais à l’évêque d’Orléans qui veut enlever vingt enfants, dont il se charge de payer la pension, le ministre répond que le cardinal Fleury est fort édifié d’un si beau zèle, mais que, comme l’évêque d’Orléans en a déjà, depuis très peu de temps, fait mettre vingt-deux autres dans les couvents et communautés, il paraîtrait extraordinaire qu’on eût, en moins d’un mois, fait enlever plus de quarante enfants dans un seul diocèse.

Cette prudence administrative était inspirée, non par des sentiments de modération humanitaire, mais par la crainte de mettre en éveil les huguenots, par des actes de violence trop nombreux pour ne point avoir quelque éclat. Cette préoccupation d’éviter le bruit se retrouve dans l’instruction donnée à un intendant au sujet du fabricant Renouard, père de famille accusé d’être en secret attaché à la foi protestante. Il lui est prescrit de prendre à ce sujet les éclaircissements nécessaires, mais on ajoute : « IL faut agir avec circonspection, pour que ce particulier n’entre pas en défiance, et ne fasse pas disparaître ses enfants. En vain, prenait-on toutes les précautions pour ne pas mettre les huguenots en défiance; en vain envoyait-on la nuit, à l’improviste, les troupes faire des visites domiciliaires dans les villages, beaucoup d’enfants, portés sur les listes de proscription remises par l’évêque à l’intendant, étaient soustraits au sort qui les menaçait. « Quoique j’aie fait prendre toutes les précautions possibles, écrit l’évêque de Bayeux, et que le secret ait été très bien gardé, on n’a pu arrêter que ces dix enfants, quatre nous ont échappé par des issues souterraines que leurs pères avaient fait faire dans leurs maisons depuis la signification des premiers ordres du roi, qui avait donné l’alarme.

Dans le Dauphiné, le jeune Roux, âgé de douze ans, qu’on voulait enlever, se cache dans un marais où il y passe trois jours et trois nuits, ayant de l’eau jusqu’au cou; ses parents ne peuvent que lui porter un peu de nourriture pendant ce temps. Quand la maréchaussée a renoncé à ses battues, ils le tirent de là, cousent à son habit des pièces de monnaie, en guise de boutons, et le mettent sur la route de Genève, où il arrive heureusement.

À Luneray, en Normandie, à l’approche des soldats, deux fillettes âgées, l’une de cinq ans, l’autre de sept, sont confiées à leurs grands-pères, deux vieillards de quatre-vingts ans, qui montent à cheval, et, les prenant sous leurs manteaux, les emmènent fort loin chez des amis. Pendant huit ans, elles restent là; au bout de ce temps, l’aînée se marie; et la cadette, revenue à Luneray, reste trois ans cachée dans une chambre chez sa mère sans voir personne.

À Bolbec, une jeune fille poursuivie par les soldats échappe, en se précipitant par la fenêtre d’un grenier. Une autre jeune fille est violemment arrachée par les archers des bras de sa mère et de sa belle-soeur récemment accouchée; celle-ci s’évanouit et tombe à terre. La mère fait un quart de lieue de chemin se cramponnant à son enfant. A bout de forces, elle finit par céder. La pauvre enfant, ainsi disputée, eut un tel effroi de cette scène que son visage en conserva toujours une pâleur mortelle.

À Die, un chirurgien, désespéré de se voir enlever son enfant se donne un coup de lancette dont il meurt sur l’heure.
C’étaient, dans toutes les maisons soumises à une visite domiciliaire, des scènes déchirantes : les parents ne pouvant se résigner à se voir prendre leurs enfants, et ceux-ci pleurant et se débattant pour échapper aux étreintes des ravisseurs. Quant aux soldats, ils exécutaient impitoyablement leurs ordres, parfois même au hasard et les outrepassaient, voulant avoir leur compte de prises.

En 1740, l’évêque d’Apt envoie des cavaliers de la maréchaussée pour enlever les deux filles aînées des époux Béridal.
Ces filles avaient été mises à l’abri; les cavaliers, après avoir vainement fouillé partout sans succès, disent : puisque nous ne trouvons pas les autres, nous allons toujours prendre la troisième, une enfant de trois ans. La mère court au lit et prend l’enfant; dans ses bras, un cavalier saisit cette enfant par les pieds et la tire comme s’il eût voulu l’écarteler ; ne réussissant pas à l’arracher des bras de la mère, il donne à celle-ci un coup de poing si violent sur la tète qu’elle tombe sur le carreau, ce qui lui permet de prendre l’enfant. Quelques mois après, l’évêque ayant réussi à mettre la main sur les deux filles aînées, Béridal se rend à l’évêché pour réclamer ses trois filles. « Prends la plus jeune si tu veux, lui dit l’évêque. — Il n’est plus temps de me la rendre» répond le père, à présent qu’elle est morte et qu’on me l’a tuée,
Fais comme tu voudras, je vais me coucher. — Pardonnez-moi monseigneur, car, quoique morte, je la porterai avec les dents plutôt que de vous la laisser. »
Le père remporte chez lui l’enfant qui a été prise
sans ordre, et quelques jours après elle meurt des suites des violences qu’elle avait eu à subir.
« Les cavaliers de la maréchaussée, écrit en 1749 la supérieure des nouvelles catholiques de Caen, nous ont amené trois filles. Nous nous sommes aperçues qu’ils se sont un peu mépris... Au lieu de Marie-Anne Boudon, pour laquelle nous avions un ordre du 8 octobre 1748, ils nous ont amené sa soeur... ; nous ne sommes point fâchées de cette méprise si elle ne déplaît pas à la cour.

Que dirait-on d’un bourreau à qui on livrerait, pour l’exécuter, le frère d’un coupable, s’il déclarait ne pas être fâché de la méprise, et se résignait, pourvu que cela ne déplût pas en haut lieu, à supplicier l’innocent à la place du coupable?
Les convertisseurs n’y regardaient pas de si près, ils instruisaient, bon gré mal gré, aussi bien l’enfant qui leur était remis en vertu d’une lettre de cachet, que celui qu’on leur livrait
par erreur et sans ordre. Il est aisé d’imaginer quel trouble profond jetait chez les huguenots cette cruelle persécution, les frappant dans ce qu’ils avaient de plus cher, et dans quelles continuelles angoisses vivaient les familles.
« Hélas! que de familles désolées en basse Normandie, écrit en
1751 le pasteur Garnier, que de mères éplorées, que d’angoisses et d’amertume dans tout le voisinage! Pour un seul enfant arrêté, il est incroyable toute la rumeur qui se fait; on ne songe de toutes parts qu’à faire fuir les innocentes créatures qu’on chérit avec tendresse; on les sauve toutes nues; nonobstant la rigueur des saisons, on erre à l’aventure, on les cache dans les genêts. On revient ensuite reconnaître le dégât de l’ennemi, on court de côté et d’autre, le coeur déchiré de douleur et, au moindre bruit nocturne, c’est à recommencer. » En 1754, on écrit que, depuis quatre ans, un tiers des familles protestantes du Bocage ont émigré à l’île de Jersey, à cause d’enlèvements d’enfants.

En (1763), les habitants de Bolbec adressent au roi une requête dans laquelle nous lisons : « la maréchaussée est venue en vertu de deux lettres de cachet enlever les deux filles de la veuve de Jean de Bray... Cet incident, sire, nous inquiète et nous afflige en nous rappelant les désordres et la confusion que de pareils événements occasionnèrent dans notre canton, il y a trente ans, et dont les suites furent l’émigration d’un nombre considérable de familles protestantes. Votre Majesté a désiré que nous rebâtissions nos maisons incendiées (Bolbec venait d’être à moitié détruit par un terrible incendie), nous y employons le peu que nous avons échappé de nos désastres, mais sire, que nous servira de les faire construire si nous ne sommes point sûrs de les habiter avec nos familles ? »

En 1775, le gouvernement modère un peu le zèle du clergé, mais ne répudie point la doctrine qui permet de porter aux droits du père de famille la plus cruelle atteinte. « Sa Majesté, écrit Malesherbes à l’évêque de Nîmes, est dans la disposition de n’user que rarement, et dans des cas où elle ne pourra s’en dispenser, de son autorité pour retirer les jeunes néophytes des mains de leurs parents et les faire mettre dans des lieux d’instruction. »
Le 10 janvier 1790, à une supérieure des nouvelles catholiques qui déclare avoir encore douze jeunes filles à instruire et demande de nouvelles pensionnaires, le ministre répond : «  Je ne crois pas qu’il y ait lieu,
dans le moment actuel, de donner des ordres pour soustraire à l’autorité de leurs parents, les jeunes personnes que le désir d’être instruites des vérités de la religion, conduirait dans votre maison. Si cependant, les circonstances étaient urgentes, on pourrait s’adresser aux juges, pour recourir ensuite, suivant le jugement, à l’autorité. »
C’est après 1789, il n’est plus question déjà que de jeunes filles ayant un
prétendu désir de se faire instruire malgré leurs parents; mais pour que l’inviolabilité du droit du père de famille sur la conscience de ses enfants mineurs fût proclamée, il fallait que la monarchie très chrétienne eût été balayée par la révolution.
Ce n’étaient pas, du reste, depuis l’édit de révocation, les enfants
seuls qui étaient jetés dans les couvents pour y être instruits; les opiniâtres, hommes, femmes et enfants que n’avaient pu convaincre les exhortations des soldats, remplissaient les couvents, les prisons et les hôpitaux, véritables maisons de tortures.
L’intendant Foucault, un convertisseur émérite, déclarait que les dragons avaient attiré moins de gens à l’église, que ne l’avaient fait, pour les gentilshommes, la crainte des prisons éloignées, pour les femmes et les filles, l’aversion qu’elles avaient pour les couvents.

Cette aversion des huguenotes pour la vie monotone et vide du couvent; avec les longues stations sur la dalle froide des chapelles, les prières interminables en langue inconnue, se comprend d’autant mieux, que ces chrétiennes étaient prises par les nonnes ignorantes pour des juives, des païennes ou des idolâtres, et catéchisées en conséquence à leur grand étonnement — quelques-unes des néophytes, non seulement se montraient peu dociles à de telles instructions, mais encore pervertissaient, pour employer le langage du temps, celles qui étaient chargées de les amener à la foi catholique. Madame de Bardonnanche en agit ainsi dans un couvent de Valence ; l’évêque de cette ville, apprenant qu’elle avait gagné l’affection des religieuses, et craignant qu’elle n’infectât tout le troupeau, la fit enfermer dans un couvent de Vif, avec défense aux nonnes de lui parler.

Madame de Rochegude, enfermée dans un couvent de Nîmes, avait si bien gagné l’esprit et le coeur des religieuses que l’abbesse dut écrire : « Ôtez-nous cette dame, ou elle rendra tout le couvent huguenot. Madame de Rochegude fut expulsée du royaume comme opiniâtre. Au moment des dragonnades, de Noailles et Foucault constatent déjà que les huguenotes sont plus difficiles à convertir que leurs maris et souvent on mettait la femme au couvent dans l’espoir de convertir, non seulement elle-même, mais encore le mari par surcroît. « Le roi sait, écrit le secrétaire d’État, que la femme du nommé Trouillon, apothicaire à Paris, est une des plus opiniâtres huguenotes qu’il y ait. Et, comme sa conversion pourrait attirer celle de son mari, Sa Majesté veut que vous la fassiez arrêter et conduire aux nouvelles catholiques.

Des femmes, des jeunes filles, des enfants même montrèrent une constance admirable pendant des années entières. Par exemple, les deux demoiselles de Rochegude, ayant pu conserver des relations avec leurs parents, par l’entremise d’une personne dévouée qui n’était pas suspecte à l’abbesse du couvent dans lequel elles étaient retenues, parviennent à s’échapper après quatorze ans de captivité. Elles rejoignent à Genève leurs parents dont la joie de les revoir fut encore plus grande, dit une relation « quand ils s’aperçurent que leurs filles n’avaient ni l’esprit, ni le cœur gâtés. Le plus souvent les supérieures habituées à voir tout plier devant elles, s’exaspéraient en présence de la résistance des huguenotes, elles les injuriaient, les maltraitaient et parfois les ensevelissaient dans leurs sombres inpace, ces sépulcres faits pour les morts vivants. Sur une liste des pensionnaires des nouvelles catholiques de Paris, on voit, en regard de plusieurs noms, cette note : « elles ont été extrêmement maltraitées en province, ce sont des esprits effarouchés qui ont besoin d’être adoucis. »

Les cas de folie, à la suite des mauvais traitements qu’avaient à subir les pensionnaires des couvents, étaient si fréquents, qu’on lit dans le règlement de visite fait par la supérieure de l’Union chrétienne : « S’il arrive qu’il y ait des personnes insensées parmi les pensionnaires,nous défendons très expressément, tant aux soeurs qu’aux pensionnaires, de s’y arrêter et de s’en divertir, ni de se mêler de ce qui les regarde si elles n’en sont chargées, ou si la supérieure ou celle qui en aura soin ne les en prient. »

Dans un couvent de Paris, une dame Falaiseau, enfermée avec ses trois filles, devient folle et meurt. Aux nouvelles catholiques de Paris, mises sous la direction de Fénélon, la dame de La Fresnaie devient folle, il faut la faire enfermer, et Mlle des Forges, prise aussi de folie, se précipite par une fenêtre et se tue. Théodore de Beringhen écrit à ce propos :
« Je ne suis pas surpris d’apprendre la frayeur et l’étonnement général qu’a causés dans Paris la fin tragique de Mlle des Forges, qui s’est précipitée du troisième étage par une des fenêtres de la maison. C’était une suite affreuse de l’égarement d’esprit où elle était tombée depuis quelques mois dans la communauté qu’on appelle les nouvelles catholiques. Tout le monde sait que c’était une fille de mérite et de
raison, mais l’abstinence forcée et les insomnies qu’elle a souffertes entre les mains de ces impitoyables créatures, lui ont fait perdre en bien peu de temps le jugement et la vie. »
Les femmes et les filles huguenotes livrées à la dure main des religieuses, ne pouvaient recevoir ni une visite ni une lettre, et, dans leur isolement, leur raison se perdait ou leur constance devait céder. « Sa Majesté, écrit le secrétaire d’État à la supérieure des nouvelles catholiques, a été informée que quelques unes de ces femmes refusent d’entendre les instructions qu’on veut leur donner, sur quoi elle m’ordonne de vous dire d’avertir celles qui les refuseront que cette conduite déplaît à Sa Majesté, et qu’elle ne pourra s’empêcher de prendre à leur égard des résolutions
qui ne leur seront pas agréables. »

L’ordonnance du 8 avril 1686 prescrit, de par le roi, à la supérieure d’avertir ses pensionnaires qu’il faut « qu’elles écoutent avec soumission et patience les instructions qui leur seront données, en sorte que dans le temps de quinzaine, du jour qu’elles seront reçues dans la maison, elles puissent faire leur réunion; et, au cas qu’elles ne le fassent pas dans ledit temps, enjoint à ladite supérieure d’en donner avis pour y être pourvu par Sa Majesté ainsi qu’elle verra bon être. »

Les mesures peu agréables qu’on trouvait bon de prendre contre les opiniâtres, c’était l’envoi dans des couvents plus durement menés, dans les prisons, ou enfin à l’hôpital général.
Les demoiselles Besse et Pellet restent longtemps aux nouvelles catholiques de Paris sans céder, on les envoie dans un couvent d’Ancenis, et l’évêque de cette ville reçoit de Pontchartrain cette instruction : «
On leur donne trois mois pour se rendre raisonnables, à la suite desquels on les mettra à l’hôpital général pour le reste de leurs jours. »
Avec le désordre des temps, dit Michelet, que devenait une femme à l’hôpital, dans cette profonde mer des maladies, des vices, des libertés, du crime, la Gomorrhe des mourants?
On faisait tout pour ne pas être jeté dans ces maisons de mort qu’on appelait alors des hôpitaux; ainsi, en temps de famine il fallait que les troupes fissent des battues pour ramasser les vagabonds et les mendiants, préférant la mort à l’hôpital.
Là, couchaient côte à côte, dans le même lit, cinq ou six malheureux, parfois plus, les sains avec les malades, les vivants avec les morts qu’on n’avait pas toujours le temps d’enlever; dans ces foyers d’infection toute maladie contagieuse, se propageant librement, s’éternisait ; — à Rouen, en 1651, plus de 17 000 personnes furent enlevées par la peste dans les hôpitaux. L’hôpital de la Santé, dit Feillet, n’était plus qu’un sépulcre, les pauvres qui étaient frappés du mal dans leur logis, aimaient mieux y périr sûrement que d’être portés dans un lieu où ils se trouvaient huit ou dix dans un même lit,
quelquefois un seul vivant au milieu de sept ou huit morts.

Nulle précaution pour empêcher les maladies contagieuses de se propager dans l’hôpital et au dehors. En 1652, les administrateurs des hôpitaux de Paris, vu l’affluence des malades (il en était arrivé 200 en un seul jour à l’Hôtel-Dieu où il y en avait déjà 2 400), décident que l’hôpital Saint-Louis, spécialement destiné aux pestiférés, sera ouvert aux blessés; tant pis pour les blessés, on se bornera à interdire autant que possible la communication avec le dehors. Voici comment on se préoccupait peu de préserver la population du dehors des maladies régnant dans les hôpitaux. « On vendait aux pauvres, dit Feillet, les habits de ceux qui étaient morts à l’hôpital, sans les assainir, après les avoir tirés du dépôt infect où ils avaient été entassés pêle-mêle, et dont le seul nom la pouillerie inspire l’horreur... on en vendait annuellement pour cinq cents livres; qu’on se figure combien de misérables haillons, couverts de vermine, et recelant dans leurs plis les germes funestes des maladies, représente cette somme. »

Les hôpitaux n’étaient pas seulement des foyers d’infection, ils ne différaient en rien des maisons de correction. Le malade, le pauvre, le prisonnier qu’on y jetait, était considéré comme un pécheur frappé de Dieu, qui, d’abord, devait expier. Il subissait de cruels traitements.
On y entassa les huguenots après les dragonnades, et ils eurent à y souffrir cruellement. La veuve de Rieux, envoyée à l’hôpital général, en février 1698, résista à tout, et en septembre 1699, d’Argenson écrit : « On n’a pu lui inspirer des sentiments plus modérés, ni même lui faire
désirer la maison des nouvelles catholiques, tant elle appréhende d’être instruite et de ne pas mourir dans son erreur... Elle est d’un âge très avancé et cette circonstance doit d’autant plus, exciter le zèle des ecclésiastiques qui la soignent. »

L’hôpital qui devint pour les huguenots la maison de torture la plus tristement célèbre et redoutée, fut celui de Valence, hôpital-prison, dirigé par le sieur Guichard, seigneur d’Herapine la Rapine, comme l’appelaient les huguenots, un des bourreaux les plus cruellement inventifs qui se soient jamais rencontrés.
D’Hérapine fit si cruellement jeûner Joachin d’Annonay que ce malheureux, dans les transports de la faim, se mangea la main et mourut deux jours après de douleur et de misère; une autre de ses victimes, un jeune homme de vingt-et-un ans mourut aussi de faim dans son cachot. Il enferma Ménuret, avocat à Montélimar, dans une basse-fosse humide où le jour ne pénétrait que par une étroite lucarne et le maltraita cruellement ; un jour enfin il lui fit donner .tant et de si forts coups de nerf de boeuf par ses estafiers que, quelques heures après, on le trouva mort dans son cachot. La demoiselle du Cros, et quelques-unes de ses compagnes qui avaient voulu, comme elle, fuir à l’étranger, sont livrées à d’Hérapine et aux six furies exécutrices de ses ordres impitoyables.
« Dès leur arrivée on les dépouilla de leurs chemises qu’on remplaça par de rudes cilices de crin qui leur déchirèrent la peau et engendrèrent des ulcères par tout leur corps ; puis il les obligea de mettre des chemises qu’il envoya quérir à l’hôpital, lesquelles avaient été plusieurs semaines sur des corps couverts de gale, d’ulcères et de charbon ; pleines de pus et de poux.
N’ayant pour nourriture que du pain et de l’eau, surchargées de travail, ces prisonnières étaient encore accablées des plus mauvais traitements. Un des supplices favoris de d’Hérapine, après les coups de nerf de boeuf qu’il leur faisait appliquer, sur la chair, en sa présence, consistait à les plonger
dans un bourbier d’où on ne les tirait que quand elles avaient perdu connaissance. La mort délivra la jeune du Cros de son martyr. Quant à ses amies, couvertes de plaies de la tête aux pieds, et n’ayant plus figure humaine, elles finirent par abjurer, et furent transportées dans un couvent. »

Nous avons les relations laissées par deux des victimes de d’Hérapine, Jeanne Raymond, née Terrasson, et Blanche de Gamond ; voici quelques extraits de ces relations navrantes : « La Rapine ne cessait de nous visiter, dit Jeanne Raymond, toujours accompagné de trois ou quatre estafiers et de cinq ou six mal vivantes dont il se servait pour l’aider à nous battre et à nous torturer; les satellites avaient toujours leurs mains pleines de paquets de verges dont ils donnaient les étrivières sur le corps nu à tous ceux que leur barbare maître livrait à leur fureur. Ils ne cessaient de frapper que lorsque le sang ruisselait de tous côtés.
L’on commença par une de mes chères compagnes (pour avoir chanté un psaume) qu’on fit mettre à genoux dans une petite allée qui régnait le long de nos cachots, et là, elle fut frappée jusqu’à ce qu’elle tombât presque morte sur les carreaux. En la remettant dans le cachot, on m’en fit sortir pour exercer sur mon dos le même traitement, ce qui étant fait, on en fit de même aux autres deux qui restaient encore. Je fus accusée ensuite d’avoir dit quelque parole d’encouragement à l’une de celles qui étaient dans les autres cachots, ce qui fit que la Rapine, ranimant sa fureur, me fit sortir de nouveau du cachot et recommença à me frapper derechef avec un bâton, jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, il ordonna à deux de ses satellites de continuer à me battre, chacune avec un bâton, ce qu’elles continuèrent à faire jusques aussi qu’elles en furent lasses et qu’elles eurent mis mon corps
aussi noir qu’un charbon.
Quelque temps après, étant accusée d’avoir parlé à quelqu’une de mes compagnes, la soeur Marie qui faisait l’office de bourreau, vint contre moi, me prit par derrière, me frappa de tant de coups de bâton, surtout à la tête, me donna tant de soufflets et de coups de poing au visage, qu’il enfla prodigieusement et dans ce pitoyable état, il n’est point de menaces qu’elle ne me fit... Comme tous ses mauvais traitements n’opéraient pas, la Rapine me dit que j’irais de nouveau dans le cachot et que j’y crèverais dans moins de six semaines... On m’obligea d’en nettoyer deux autres qui étaient attenant à celui-ci. Je m’aperçus, en les nettoyant, que les clous de l’une des portes étaient fort gros, posés les uns tout près des autres et que leurs pointes n’étaient pas redoublées. J’en demandai la raison et l’on me dit que la Rapine s’en servait pour tourmenter qui bon lui semblait en les mettant entre les
murailles et la porte, et les serrant contre ces clous. Je faillis être dévorée par la vermine dans ce cachot. Non seulement on plaçait à côté des cachots des chiens qui, par leurs aboiements importuns, achevaient d’y ôter tout repos, mais on logeait parfois ces chiens dans les cachots mêmes avec les prisonniers, ce qui causait à ces malheureux des terreurs mortelles, car ces chiens, surtout deux d’entre eux, du poil et de la grosseur d’un vieux loup, étaient si furieux que peu d’étrangers échappaient à leurs dents.

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