En Normandie, Lequesne
est
condamné à cinq cents livres
d’amende pour avoir refusé la charge de
trésorier marguillier de sa paroisse.
Jacques de Superville, en quittant Nantes pour
s’enfuir à l’étranger,
laisse un état de ses dettes avec cette
mention: Je crois que le boulanger demandera quinze
livres; mais, sur ces quinze livres, il y en a six
livres cinq sols pour le pain
bénit, qu’il
faut que ceux qui
l’ont ordonné paient; quant à
moi, je n’ai jamais donné ordre
qu’on le fit pour moi. »
Il fallait, en effet, payer bon gré mal
gré le pain bénit, ainsi que la
tenture de sa maison les jours d’usage sur le
passage des processions.
On veillait à ce que les nouveaux convertis
ne travaillassent pas les jours de fêtes et
les dimanches, et à ce qu’ils fissent
maigre les jours d’abstinence. En 1714, un
marchand de Nantes, Roger, et sa femme sont
signalés comme mangeant de la viande les
jours défendus. En 1723, un gentilhomme est
dénoncé pour avoir, dans une partie
de campagne, contrevenu aux prescriptions de
l’Église sur le même point, et le
secrétaire d’État, La
Vrillière, lui écrit, à propos
de cette grave affaire
:
«
J’ai reçu, Monsieur, le mémoire
qui contient vos raisons sur des plaintes que
l’on m’avait portées contre vous,
vous ne pouvez disconvenir qu’elles avaient
quelque fondement, puisqu’il est certain que
vous
avez fait, un
jour maigre, un repas en maigre et en gras
publiquement dans un pré, ce
qui a causé du scandale.
Soyez donc plus circonspect à l’avenir,
sans quoi l’on ne pourrait
s’empêcher de sévir
contre vous.
»
Le 14
juillet 1785,
le curé de Mézières en Drouais
dénonce encore un nouveau converti, lequel,
dit-il, n’a abjuré que pour se marier,
et ne fait pas son devoir, ayant passé
vingt-quatre jours de dimanches et fêtes
obligatoires sans assister à la messe ni
à aucun des offices de
l’Église.
Pour ceux des nouveaux convertis auxquels on a
accordé une pension, ou que l’on a mis
en possession des biens de leurs parents,
réfugiés à
l’étranger, ils sont menacés, si
eux et les leurs ne font pas leur devoir, de se
voir retirer ces pensions et ces biens.
En 1699, Pontchartrain écrit qu’il a
appris que des officiers de marine, auxquels on a
accordé des pensions en considération
de leur conversion, souffrent que leurs femmes et
leurs enfants ne fassent aucun exercice de la
religion catholique, et il ajoute: « Sa
Majesté veut que ces officiers envoient des
certificats des intendants et des
évêques des lieux où leurs
femmes et leurs enfants demeurent, comme
ils y vivent en catholiques, et
elle ne
fera
expédier les ordonnances de leurs pensions que
sur ces
certificats. »
De même; une circulaire aux intendants
prescrit de surveiller la conduite de ceux qui ont
été mis en possession des biens de
leurs parents fugitifs. « S’ils
trouvent, dit cette circulaire, que ceux
qui
jouissent de ces biens ne s’acquittent pas
des devoirs de la religion, après en avoir
été avertis, ils donneront les ordres
, nécessaires pour
en faire saisir et
séquestrer les fruits.
»
Saint-Florentin donne même l’ordre aux
fermiers de la régie de saisir les biens des
nouveaux convertis qui se sont montrés indignes
de la grâce
que
leur a faite le roi, en discontinuant tout exercice
de la religion catholique.
Quant aux
évêques, les moyens pratiques
qu’ils trouvent,
d’obliger les nouveaux
convertis à pratiquer, c’est de leur
imposer des épreuves de catholicité,
quand ils veulent se marier, et de leur faire
enlever leurs enfants s’ils ne pratiquent
pas.
Dès 1692, l’évêque de
Grenoble disait: les religionnaires sont dans un
état pitoyable, puisqu’ils sont presque
sans religion ; ils ne tiennent à la
nôtre que par
grimace et ne
tiennent plus à la leur que par cabale et
par hypocrisie. »
Et, quatre
ans plus
tard, constatant « que les nouveaux convertis
ne vont ni à la messe ni au sermon, ne
fréquentent point les sacrements, et, à
la mort, les
refusent, disant
qu’ils sont calvinistes » il ordonne
à ses curés de les regarder comme
hérétiques et de ne leur point
administrer le sacrement du mariage qui
est le seul endroit qui les oblige
à revenir à l’Église.
»
En 1754,
de Blossac
écrit à M. de Clervault, qui veut
épouser une aussi mauvaise convertie que lui
: « Vous sentez qu’étant suspects l’un
et
l’autre, il ne faut que le rapport de quelque
malintentionné pour vous attirer de
fâcheuses affaires, et qu’ainsi vous
devez être plus exacts, même qu’un
ancien cathodique, soit à assister à
l’église et aux instructions et
à y envoyer vos domestiques;
je
ne
vous donne ces avis que parce que la moindre fausse
démarche de votre part tirerait à
conséquence. »
Pour ce qui est des enfants, ils ne
suffisait
pas que les nouveaux convertis eussent
fait baptiser leurs enfants à
l’église, on exerçait sur eux
une surveillance jalouse et incessante pour arriver
à ce que ces enfants fussent
élevés et instruits dans la religion
catholique.
Une circulaire aux intendants portait cette
disposition : « Les
parents
doivent
envoyer leurs enfants, savoir : les garçons
chez les maîtres, les filles chez les
maîtresses d’école, aux heures
réglées; les tuteurs doivent faire la
même chose pour les enfants dont ils sont
chargés, et les maîtresses pour leurs
domestiques. »
Outre
cette
instruction obligatoire, presque
exclusivement
religieuse, que
devaient recevoir les enfants des nouveaux
convertis, ces enfants devaient encore aller
à l’église, y suivre les
instructions de catéchisme et accomplir
leurs devoirs religieux, le tout sous peine
d’amendes infligées aux parents qui
négligeraient de faire remplir ces
obligations à leurs enfants.
Mais on n’avait pas grande confiance dans ces
suspects mal convertis, et l’instruction
donnée aux intendants porte cette terrible
prescription :
S’ils ont avis que quelques parents détournent
leurs
enfants de la religion catholique, ils
feront
mettre
dans des collèges ou dans des
monastères, les enfants de qualité
pour y être élevés, et feront
payer des pensions pour leur nourriture et
entretênement sur les biens de leurs
pères et mères, et, à
défaut de biens, les feront mettre dans les
hôpitaux pendant le temps qui sera
nécessaire pour leur instruction seulement;
de même pour les enfants dont les
pères et mères n’assisteront
pas aux
instructions, et ne feront pas le devoir des
catholiques, après
qu’ils les auront
avertis, aussi les enfants qui marqueront par leurs
actions et par leurs paroles beaucoup
d’éloignement de la religion
catholique, le
tout
aux dépens des pères et mères.
»
Les
instructions
données aux intendants, donnaient libre
carrière aux dénonciations du
clergé, toujours désireux de faire
enlever aux nouveaux convertis leurs enfants, pour
les faire élever d’ans les
collèges ou dans les couvents. Chaque
année, par ordre de
l’évêque, les curés de
chaque diocèse dressaient la liste
des
suspects auxquels
on
devait
enlever leurs enfants, et cette liste était
transmise à l’intendant qui enjoignait
aux parents d’avoir à lui amener leurs
enfants, sous peine d’être
traités comme rebelles aux ordres du roi.
Les enfants livrés, il fallait que les
parents payassent leur pension au collège ou
au couvent, sous peine d’amende ou
d’emprisonnement. Un sieur Bocquet, par
exemple, se refuse à payer la dot de sa
fille qu’on a enlevée, et à
laquelle on veut faire prendre le voile.
Pontchartrain écrit à
l’intendant : « Il n’y a pas de
meilleure voie pour
obliger
le
nommé Bocquet à donner mille livres
à sa fille pour sa dot dans son couvent, que de
l’arrêter
comme
mauvais catholique qui fait mal
son devoir. »
Chaque année les curés dressaient des
listes d’enfants à enlever dans les
familles huguenotes de leurs paroisses.
Pour les notables et pour les nobles, les
évêques envoyaient soit au ministre,
soit aux intendants des mandements pour faire
recevoir les jeunes filles dans les couvents,
c’étaient des ordres en blanc seing que
l’on remplissait pour les couvents, tout comme
il y avait des lettres de cachet, signées
d’avance du roi, pour la Bastille et autres
prisons du roi. Les évêques en
faisaient si grand usage, que le secrétaire
d’État en 1686, est obligé
de
réclamer
à l’archevêque de Paris une
douzaine de ces mandements, n’en ayant plus en
main que deux ou trois.
En 1750,
l’archevêque d’Aix demande à
Saint-Florentin des lettres de cachet en
blanc, et des
troupes pour
procéder à l’enlèvement
de jeunes protestantes, mais Saint-Florentin
répond que les lettres en blanc sont
sujettes à trop d’inconvénients
et que l’emploi des soldats, dangereux pour
l’honneur des jeunes filles, a eu un
succès très équivoque.
Le plus souvent, grâce aux listes
dressées par leurs curés, les
évêques pouvaient
désigner
nominativement à
l’autorité civile
les enfants qu’ils voulaient enlever à
leurs familles, et c’est ce que faisait
Bossuet dans son diocèse de Meaux.
« Ayant reçu de M.
l’évêque de Meaux, écrit
le secrétaire d’État, à
Phelipeaux, — en 1699, un mémoire par
lequel il serait nécessaire de mettre dans
la maison des nouvelles catholiques de Paris les
demoiselles de Chalandes et de Neuville, j’en
ai rendu compte au roi qui m’a ordonné
de vous écrire d’envoyer une des
demoiselles de Chalandos... et les deux cadettes
des demoiselles de Neuville qui demeurent à
Caussy, dans la paroisse d’Ussy. Il y a
dans même
paroisse d’Ussy deux
demoiselles, nommées de Nolliers, que M. de
Meaux croit nécessaire de renfermer. Mais
comme elles ne sont pas présentement sur les
lieux, il ne faudra les envoyer aux nouvelles
catholiques que de concert avec M. de Meaux, et
dans le temps qu’il vous dira. »
Les évêques recherchaient surtout les
enfants dont les familles étaient assez
riches pour payer de grosses pensions.
L’évêque
de
Montauban, pour faire enlever une jeune fille de
cette ville et la faire mettre au couvent, invoque
cette raison déterminante, qu’elle aura
un jour cent
mille
écus. Fléchier,
pour faire enlever le
jeune d’Aubaine âgé de huit ans qui
aura de
grands
biens, se
contente de
dire que les parents qui
l’élèvent ne sont peut-être pas
sincèrement
catholiques, que
l’enlèvement qu’il sollicite est
nécessaire pour faire perdre à cet
enfant les mauvaises impressions qu’on a
peut-être commencé
à lui donner.
Dans l’entraînement de leur zèle
convertisseur, les évêques ne
songeaient pas toujours à s’assurer si
les enfants qu’ils voulaient enlever
appartenaient à des familles riches ou
pauvres; c’est ainsi qu’à
l’évêque de Sisteron, voulant
faire enlever les quatre enfants d’un sieur
Ganaud, pour placer les trois fils au
séminaire, et la fille au couvent, le
ministre répond : « Êtes-vous
disposé à payer les pensions? Si vous
ne le pouvez pas, ils resteront en liberté.
» À l’intendant de la Rochelle,
Saint-Florentin ordonne de mettre en liberté
la jeune Claude, enlevée par ordre de
l’évêque « dont vous me
prouvez, dit-il, que la mère n’est pas
en état de payer
ta pension. »
À
l’intendant Saint-Priest, il est obligé
d’écrire : « Ne vous en rapportez
pas, dans l’avenir, avec tant de
facilité aux témoignages des
missionnaires et des curés, ou faites
d’abord vérifier
les facultés de
leurs parents. » Le
gouvernement ne se souciait pas, en
effet, de voir tomber à sa charge la pension
des enfants enlevés à leurs parents
pour être instruits; la pauvreté
mettait les parents à l’abri des
enlèvements; ainsi aux nouvelles catholiques
de Paris, il n’y avait que la dixième
partie des pensionnaires qui fussent non
payantes;
pour les
jeunes
filles appartenant à des familles riches, le
plus futile prétexte était
accepté, comme un motif suffisant
d’enlèvement; telle est prise comme soupçonnée
de vouloir
épouser un Danois et d’être ainsi
en danger de se pervertir en pays étranger,
telle autre parce que, ayant de la fortune, elle
est sur le point d’épouser un nouveau
converti, mauvais catholique. À l’appui
de ces demandes d’enlèvement on ne
craint pas d’invoquer les
intérêts de l’État et de
la religion.
Quand les
parents
rentraient en possession de leurs enfants,
suffisamment instruits, à chaque instant ils
étaient exposés à se les voir
de nouveau enlever pour suspicion religieuse. On
rend à du Mesnil ses quatres filles
élevées au couvent; il produit, pour
éviter qu’on ne les lui enlève
de nouveau, un certificat du curé de la
paroisse constatant qu’elles ont fait leur
devoir (sauf le temps de Pâques où
elles s’étaient rendues à Caen).
Saint-Florentin déclare ce certificat
insuffisant et écrit au père que si,
à l’avenir, il ne produit pas de
certificat plus explicite, on s’assurera d’autre
manière
de la
religion de ses filles.
Mlle de Bernières est plusieurs fois reprise
à sa mère, celle-ci ne peut se la
faire rendre qu’à la condition de
l’envoyer exactement au service divin et de la
remettre aux nouvelles catholiques pendant quinze
jours, à chacune des quatre grandes
fêtes de l’année.
Fraissinet, marchand à Anduze, retire de
pension l’aîné de ses huit
enfants, âgé de quinze ans, pour lui
faire apprendre son commerce. Il est obligé
de le réintégrer à sa pension
sur la dénonciation de
l’évêque de Montpellier
prétendant qu’il veut faire passer son
fils à l’étranger. Ce n’est
que, après avoir obtenu des
évêques d’Alais et de Montpellier
un certificat qu’on peut désormais sans
danger lui accorder
cette grâce de
reprendre son fils chez lui, qu’on lui rend
son enfant (à la charge de se conduire par
rapport à la religion, de manière
à ce qu’il n’intervienne aucune
plainte à Sa Majesté).
Le sieur
Bienfait
expose vainement qu’il a sept enfants, que les
pensions qu’on le force à payer pour
ses trois filles le ruinent, et que, en laissant
passer le moment de leur apprendre un
métier, on leur prépare une
misère certaine. Il n’obtient pas
satisfaction. L’évêque de la
Rochelle va plus loin, il demande un ordre
d’emprisonnement contre un marin qui a fait
partir comme mousse .son fils, alors que
Monseigneur voulait continuer à faire
instruire cet enfant. Le ministre .s’y refuse,
déclarant que c’est vouloir ruiner le
commerce que de demander l’arrestation des
chefs de famille pour de tels motifs. Sans cesse le
gouvernement était occupé à
modérer l’ardeur
d’enlèvements du clergé.
Saint-Florentin,
obligé de consentir à
l’enlèvement de douze
jeunes
filles, demandé par
l’évêque de Dax, se borne
à conseiller prudemment à cet
évêque de ne pas les enlever toutes à
la
fois. Mais à
l’évêque d’Orléans
qui veut enlever vingt enfants, dont il se
charge de payer la pension, le
ministre répond que le cardinal Fleury est
fort édifié d’un si beau
zèle, mais que, comme
l’évêque d’Orléans en
a déjà, depuis très peu de
temps, fait mettre vingt-deux autres
dans
les couvents et communautés, il
paraîtrait extraordinaire qu’on
eût, en moins
d’un mois, fait
enlever plus de quarante
enfants
dans un seul diocèse.
Cette
prudence
administrative était inspirée, non
par des sentiments de modération
humanitaire, mais par la crainte de mettre en
éveil les huguenots, par des actes de
violence trop nombreux pour ne point avoir quelque
éclat. Cette préoccupation
d’éviter le bruit se retrouve dans
l’instruction donnée à un
intendant au sujet du fabricant Renouard,
père de famille accusé
d’être en secret attaché à
la foi protestante. Il lui est prescrit de prendre
à ce sujet les éclaircissements
nécessaires, mais on ajoute : « IL
faut agir avec circonspection, pour que ce
particulier n’entre pas en défiance, et
ne fasse pas disparaître ses enfants. En
vain, prenait-on toutes les précautions pour
ne pas mettre les huguenots en défiance; en
vain envoyait-on la nuit, à
l’improviste, les troupes faire des visites
domiciliaires dans les villages, beaucoup
d’enfants, portés sur les listes de
proscription remises par l’évêque
à l’intendant, étaient
soustraits au sort qui les menaçait. «
Quoique j’aie fait prendre toutes les
précautions possibles, écrit
l’évêque de Bayeux, et que le
secret ait été très bien
gardé, on n’a pu arrêter que ces
dix enfants, quatre nous ont échappé
par des issues souterraines que leurs pères
avaient fait faire dans leurs maisons depuis la
signification des premiers ordres du roi, qui avait
donné l’alarme.
Dans le
Dauphiné, le jeune Roux, âgé de
douze ans, qu’on voulait enlever, se cache
dans un marais où il y passe trois jours et
trois nuits, ayant de l’eau jusqu’au cou;
ses parents ne peuvent que lui porter un peu de
nourriture pendant ce temps. Quand la
maréchaussée a renoncé
à ses battues, ils le tirent de là,
cousent à son habit des pièces de
monnaie, en guise de boutons, et le mettent sur la
route de Genève, où il arrive
heureusement.
À Luneray,
en
Normandie, à l’approche des soldats,
deux fillettes âgées, l’une
de cinq
ans, l’autre de sept, sont
confiées à leurs grands-pères,
deux vieillards de quatre-vingts ans, qui montent
à cheval, et, les prenant sous leurs
manteaux, les emmènent fort loin chez des
amis. Pendant huit ans, elles restent là; au
bout de ce temps, l’aînée se
marie; et la cadette, revenue à Luneray,
reste trois ans cachée dans une chambre chez
sa mère sans voir personne.
À Bolbec,
une jeune
fille poursuivie par les soldats
échappe, en se précipitant par la
fenêtre d’un grenier. Une autre jeune
fille est violemment arrachée par les
archers des bras de sa mère et de sa
belle-soeur récemment accouchée;
celle-ci s’évanouit et tombe à
terre. La mère fait un quart de lieue de
chemin se cramponnant à son enfant. A bout
de forces, elle finit par céder. La pauvre
enfant, ainsi disputée, eut un tel effroi de
cette scène que son visage en conserva
toujours une pâleur mortelle.
À Die, un
chirurgien, désespéré de se
voir enlever son enfant se donne un coup de
lancette dont il meurt sur l’heure.
C’étaient, dans toutes les maisons
soumises à une visite domiciliaire, des
scènes déchirantes : les parents ne
pouvant se résigner à se voir prendre
leurs enfants, et ceux-ci pleurant et se
débattant pour échapper aux
étreintes des ravisseurs. Quant aux soldats,
ils exécutaient impitoyablement leurs
ordres, parfois même au hasard et les
outrepassaient, voulant avoir leur compte de
prises.
En 1740,
l’évêque d’Apt envoie des
cavaliers de la
maréchaussée
pour enlever les deux
filles aînées des époux
Béridal.
Ces filles avaient été mises à
l’abri; les cavaliers, après avoir
vainement fouillé partout sans
succès, disent : puisque nous ne trouvons
pas les autres, nous allons toujours prendre la
troisième, une enfant de trois ans. La
mère court au lit et prend l’enfant;
dans ses bras, un cavalier saisit cette enfant par
les pieds et la tire comme s’il eût
voulu l’écarteler ; ne
réussissant pas à l’arracher des
bras de la mère, il donne à celle-ci
un coup de poing si violent sur la tète
qu’elle tombe sur le carreau, ce qui lui
permet de prendre l’enfant. Quelques mois
après, l’évêque ayant
réussi à mettre la main sur les deux
filles aînées, Béridal se rend
à l’évêché pour
réclamer ses trois filles.
« Prends la plus jeune si tu veux, lui
dit l’évêque. — Il
n’est plus temps de me la rendre»
répond le père, à
présent qu’elle est morte et qu’on
me l’a tuée,
— Fais comme tu voudras,
je vais me
coucher. — Pardonnez-moi monseigneur, car,
quoique morte, je la porterai avec les dents
plutôt que de vous la
laisser. »
Le père remporte chez lui l’enfant qui
a été prise sans
ordre, et
quelques jours après elle
meurt des suites des violences qu’elle avait
eu à subir.
« Les
cavaliers de la
maréchaussée, écrit
en 1749
la supérieure des
nouvelles catholiques de Caen, nous ont
amené trois filles. Nous nous sommes
aperçues qu’ils se sont un
peu mépris... Au lieu de
Marie-Anne
Boudon, pour laquelle nous avions un ordre du 8
octobre 1748, ils nous ont amené sa soeur...
; nous ne sommes point fâchées de
cette méprise
si elle ne
déplaît pas à la cour.
Que
dirait-on
d’un bourreau à qui on livrerait, pour
l’exécuter, le frère d’un
coupable, s’il déclarait ne pas
être fâché de la méprise, et
se
résignait, pourvu que
cela ne déplût pas en haut lieu,
à supplicier l’innocent à la
place du coupable?
Les convertisseurs n’y regardaient pas de si
près, ils instruisaient, bon gré mal
gré, aussi bien l’enfant qui leur
était remis en vertu d’une lettre de
cachet, que celui qu’on leur livrait par
erreur
et sans
ordre. Il
est aisé
d’imaginer quel
trouble profond jetait chez les huguenots cette
cruelle persécution, les frappant dans ce
qu’ils avaient de plus cher, et dans quelles
continuelles angoisses vivaient les familles.
« Hélas! que de familles
désolées en basse Normandie,
écrit en 1751
le
pasteur
Garnier, que de mères
éplorées, que d’angoisses et
d’amertume dans tout le voisinage! Pour un
seul enfant arrêté, il est incroyable
toute la rumeur qui se fait; on ne songe de toutes
parts qu’à faire fuir les innocentes
créatures qu’on chérit avec
tendresse; on les sauve toutes nues; nonobstant la
rigueur des saisons, on erre à
l’aventure, on les cache dans les
genêts. On revient ensuite reconnaître
le dégât de l’ennemi, on court de
côté et d’autre, le coeur
déchiré de douleur et, au moindre
bruit nocturne, c’est à recommencer.
» En 1754,
on
écrit
que, depuis quatre ans, un tiers des familles
protestantes du Bocage ont émigré
à l’île de Jersey, à cause
d’enlèvements
d’enfants.
En (1763),
les
habitants de Bolbec adressent au roi une
requête dans laquelle nous lisons :
« la maréchaussée est venue
en vertu de deux lettres de cachet enlever les deux
filles de la veuve de Jean de Bray... Cet incident,
sire, nous inquiète et nous afflige en nous
rappelant les désordres et la confusion que
de pareils événements
occasionnèrent dans notre canton, il y a
trente ans, et dont
les
suites
furent l’émigration d’un nombre
considérable de familles protestantes. Votre
Majesté
a
désiré que nous rebâtissions
nos maisons incendiées (Bolbec venait
d’être à moitié
détruit par un terrible incendie), nous y
employons le peu que nous avons
échappé de nos désastres, mais
sire, que nous servira de les faire construire si
nous ne
sommes
point sûrs de les habiter avec nos familles ?
»
En 1775,
le
gouvernement modère un peu le zèle du
clergé, mais ne répudie point la
doctrine qui permet de porter aux droits du
père de famille la plus cruelle atteinte.
« Sa Majesté, écrit Malesherbes
à l’évêque de Nîmes,
est dans la disposition de n’user que rarement,
et dans
des cas
où elle ne pourra s’en dispenser, de
son autorité pour retirer les jeunes
néophytes des mains de leurs parents et les
faire mettre dans des lieux d’instruction.
»
Le 10 janvier 1790, à une supérieure
des nouvelles catholiques qui déclare avoir
encore douze jeunes filles à instruire et
demande de nouvelles pensionnaires, le ministre
répond : « Je ne crois pas
qu’il y ait lieu, dans
le moment actuel, de donner
des ordres
pour soustraire à l’autorité de
leurs parents, les jeunes personnes que le désir
d’être
instruites des vérités de la
religion, conduirait dans votre maison. Si
cependant, les circonstances étaient urgentes,
on
pourrait
s’adresser aux juges, pour recourir ensuite,
suivant le jugement, à
l’autorité. »
C’est après 1789, il n’est plus
question déjà que de jeunes filles
ayant un prétendu désir
de
se faire instruire
malgré leurs parents; mais pour que
l’inviolabilité du droit du père
de famille sur la conscience de ses enfants mineurs
fût proclamée, il fallait que la
monarchie très chrétienne eût
été balayée par la
révolution.
Ce n’étaient pas, du reste, depuis
l’édit de révocation, les
enfants seuls qui
étaient
jetés
dans les couvents pour y être
instruits; les
opiniâtres, hommes,
femmes et enfants que
n’avaient pu convaincre les exhortations des
soldats, remplissaient les couvents, les prisons et
les hôpitaux, véritables maisons de
tortures.
L’intendant Foucault, un convertisseur
émérite, déclarait que les
dragons avaient attiré moins de gens
à l’église, que ne
l’avaient fait, pour les gentilshommes, la
crainte des prisons éloignées, pour
les femmes et les filles, l’aversion
qu’elles avaient pour les couvents.
Cette
aversion des
huguenotes pour la vie monotone et vide
du couvent;
avec les longues stations sur
la dalle froide des chapelles, les prières
interminables en langue inconnue, se comprend
d’autant mieux, que ces chrétiennes
étaient prises par les nonnes ignorantes
pour des juives, des païennes ou des
idolâtres, et catéchisées en
conséquence à leur grand
étonnement — quelques-unes des
néophytes, non seulement se montraient peu
dociles à de telles instructions, mais
encore pervertissaient, pour
employer
le langage du temps,
celles qui étaient chargées de les
amener à la foi catholique. Madame de
Bardonnanche en agit ainsi dans un couvent de
Valence ; l’évêque de cette
ville, apprenant qu’elle avait gagné
l’affection des religieuses, et craignant
qu’elle n’infectât
tout le troupeau,
la fit
enfermer dans
un couvent de Vif, avec
défense aux nonnes de lui
parler.
Madame de
Rochegude,
enfermée dans un couvent de Nîmes,
avait si bien gagné l’esprit et le
coeur des religieuses que l’abbesse dut
écrire : « Ôtez-nous cette dame,
ou elle rendra tout le couvent huguenot.
Madame de Rochegude fut
expulsée du royaume comme opiniâtre.
Au moment des
dragonnades, de Noailles et
Foucault constatent déjà que les
huguenotes sont plus difficiles à convertir
que leurs maris et souvent on mettait la femme au
couvent dans l’espoir de convertir, non
seulement elle-même, mais encore le mari par
surcroît. « Le roi sait, écrit le
secrétaire d’État, que la femme
du nommé Trouillon, apothicaire à
Paris, est une des plus opiniâtres huguenotes
qu’il y ait. Et, comme sa conversion pourrait
attirer celle de son mari, Sa Majesté veut
que vous la fassiez arrêter et conduire aux
nouvelles catholiques.
Des
femmes, des
jeunes filles, des enfants même
montrèrent une constance admirable pendant
des années entières. Par exemple, les
deux demoiselles de Rochegude, ayant pu conserver
des relations avec leurs parents, par
l’entremise d’une personne
dévouée qui n’était pas
suspecte à l’abbesse du couvent dans
lequel elles étaient retenues, parviennent
à s’échapper après
quatorze ans de
captivité.
Elles rejoignent à Genève leurs
parents dont la joie de les revoir fut encore plus
grande, dit une relation « quand ils
s’aperçurent que leurs filles
n’avaient ni l’esprit, ni le cœur
gâtés. Le plus souvent les
supérieures habituées à voir
tout plier devant elles, s’exaspéraient
en présence
de la
résistance des huguenotes,
elles
les injuriaient, les
maltraitaient et parfois les ensevelissaient dans
leurs sombres inpace,
ces sépulcres
faits pour les
morts
vivants. Sur
une
liste des pensionnaires des nouvelles catholiques
de Paris, on voit, en regard de plusieurs noms,
cette note : « elles ont été extrêmement
maltraitées
en
province, ce sont des esprits effarouchés
qui ont besoin d’être
adoucis. »
Les cas de
folie,
à la suite des mauvais traitements
qu’avaient à subir les pensionnaires
des couvents, étaient si fréquents,
qu’on lit dans le règlement de visite
fait par la supérieure de l’Union
chrétienne :
« S’il
arrive qu’il y ait des personnes insensées
parmi les
pensionnaires,nous défendons très
expressément, tant aux soeurs qu’aux
pensionnaires, de s’y arrêter et de
s’en divertir, ni de se mêler de ce qui
les regarde si elles n’en sont
chargées, ou si
la
supérieure ou celle qui en aura soin ne les
en prient. »
Dans un
couvent de
Paris, une dame Falaiseau, enfermée avec ses
trois filles, devient folle et meurt. Aux nouvelles
catholiques de Paris, mises sous la direction de
Fénélon, la dame de La Fresnaie
devient folle, il faut la faire enfermer, et Mlle
des Forges, prise aussi de folie, se
précipite par une fenêtre et se tue.
Théodore de Beringhen écrit à
ce propos :
« Je ne suis pas surpris d’apprendre la
frayeur et l’étonnement
général qu’a causés dans
Paris la fin tragique de Mlle des Forges, qui
s’est précipitée du
troisième étage par une des
fenêtres de la maison. C’était
une suite affreuse de l’égarement
d’esprit où elle était
tombée depuis quelques mois dans la
communauté qu’on appelle les nouvelles
catholiques. Tout le monde sait que
c’était une fille de mérite et
de raison,
mais l’abstinence
forcée et les insomnies qu’elle a
souffertes entre les mains de ces impitoyables
créatures, lui ont fait perdre en bien peu
de temps le jugement et la vie. »
Les femmes et les filles huguenotes livrées
à la dure main des religieuses, ne pouvaient
recevoir ni une visite ni une lettre, et, dans leur
isolement, leur raison se perdait ou leur constance
devait céder. « Sa Majesté,
écrit le secrétaire
d’État à la supérieure
des nouvelles catholiques, a été
informée que quelques unes de ces femmes
refusent d’entendre les instructions
qu’on veut leur donner, sur quoi elle
m’ordonne de vous dire d’avertir celles
qui les refuseront que cette conduite
déplaît à Sa Majesté, et
qu’elle ne pourra s’empêcher de
prendre à leur égard des
résolutions qui
ne leur seront pas agréables.
»
L’ordonnance
du
8 avril 1686 prescrit, de par le roi, à la
supérieure d’avertir ses pensionnaires
qu’il faut « qu’elles
écoutent avec soumission et patience les
instructions qui leur seront données, en
sorte que dans
le
temps de quinzaine, du jour qu’elles seront
reçues dans la maison, elles puissent faire
leur réunion; et,
au cas qu’elles ne le fassent
pas dans ledit temps, enjoint à ladite
supérieure d’en donner avis pour y
être pourvu par Sa Majesté ainsi
qu’elle verra bon être. »
Les
mesures peu
agréables qu’on trouvait bon de prendre
contre les opiniâtres, c’était
l’envoi dans des couvents plus durement
menés, dans les prisons, ou enfin à
l’hôpital général.
Les demoiselles Besse et Pellet restent longtemps
aux nouvelles catholiques de Paris sans
céder, on les envoie dans un couvent
d’Ancenis, et l’évêque de
cette ville reçoit de Pontchartrain cette
instruction : « On
leur donne trois mois pour se
rendre
raisonnables, à la suite desquels on les
mettra à l’hôpital
général pour le
reste de leurs jours.
»
Avec le désordre des temps, dit Michelet,
que devenait une femme à
l’hôpital, dans cette profonde mer des
maladies, des vices, des libertés, du crime,
la Gomorrhe des mourants?
On faisait tout pour ne pas être jeté
dans ces maisons de mort qu’on appelait alors
des hôpitaux; ainsi, en temps de famine il
fallait que les troupes fissent des battues pour
ramasser les vagabonds et les mendiants,
préférant la mort à
l’hôpital.
Là, couchaient côte à
côte, dans le même lit, cinq ou six
malheureux, parfois plus, les sains avec les
malades, les vivants avec les morts qu’on
n’avait pas toujours le temps d’enlever;
dans ces foyers d’infection toute maladie
contagieuse, se propageant librement,
s’éternisait ; — à Rouen,
en 1651, plus de 17 000 personnes furent
enlevées par la peste dans les
hôpitaux. L’hôpital de la
Santé, dit Feillet, n’était plus
qu’un sépulcre, les pauvres qui
étaient frappés du mal dans leur
logis, aimaient mieux y périr sûrement
que d’être portés dans un lieu
où ils se trouvaient huit ou dix dans un
même lit, quelquefois
un seul vivant au milieu
de sept ou huit morts.
Nulle
précaution pour empêcher les maladies
contagieuses de se propager dans
l’hôpital et au dehors. En 1652, les
administrateurs des hôpitaux de Paris, vu
l’affluence des malades (il en était
arrivé 200 en un seul jour à
l’Hôtel-Dieu où il y en avait
déjà 2 400), décident que
l’hôpital Saint-Louis,
spécialement destiné aux pestiférés, sera
ouvert
aux
blessés; tant pis pour les blessés,
on se bornera à interdire autant que
possible la communication avec le dehors. Voici
comment on se préoccupait peu de
préserver la population du dehors des
maladies régnant dans les hôpitaux.
« On vendait aux pauvres, dit Feillet, les
habits de ceux qui étaient morts à
l’hôpital, sans
les assainir, après
les avoir tirés du
dépôt infect où ils avaient
été entassés
pêle-mêle, et dont le seul nom la
pouillerie inspire
l’horreur... on en vendait annuellement pour
cinq cents livres; qu’on se figure combien de
misérables haillons, couverts de vermine, et
recelant dans leurs plis les germes funestes des
maladies, représente cette somme. »
Les
hôpitaux
n’étaient pas seulement des foyers
d’infection, ils ne différaient en rien
des maisons de correction. Le malade, le pauvre, le
prisonnier qu’on y jetait, était
considéré comme un pécheur
frappé de Dieu, qui, d’abord, devait
expier. Il subissait de cruels traitements.
On y entassa les huguenots après les
dragonnades, et ils eurent à y souffrir
cruellement. La veuve de Rieux, envoyée
à l’hôpital
général, en février 1698,
résista à tout, et en septembre 1699,
d’Argenson écrit : « On n’a
pu lui inspirer des sentiments plus
modérés, ni même lui faire désirer la
maison
des
nouvelles catholiques, tant elle appréhende
d’être instruite et de ne pas mourir
dans son erreur... Elle est d’un âge très
avancé
et
cette circonstance doit d’autant plus, exciter
le zèle des
ecclésiastiques
qui la
soignent. »
L’hôpital
qui devint pour les huguenots la maison de torture
la plus tristement célèbre et
redoutée, fut celui de Valence,
hôpital-prison, dirigé par le sieur
Guichard, seigneur d’Herapine la
Rapine,
comme l’appelaient les
huguenots, un des bourreaux les plus cruellement
inventifs qui se soient jamais
rencontrés.
D’Hérapine fit si cruellement
jeûner Joachin d’Annonay que ce
malheureux, dans les transports de la faim, se
mangea la main et mourut deux jours après de
douleur et de misère; une autre de ses
victimes, un jeune homme de vingt-et-un ans mourut
aussi de faim dans son cachot. Il enferma
Ménuret, avocat à Montélimar,
dans une basse-fosse humide où le jour ne
pénétrait que par une étroite
lucarne et le maltraita cruellement ; un jour enfin
il lui fit donner .tant et de si forts coups de
nerf de boeuf par ses estafiers que, quelques
heures après, on le trouva mort dans son
cachot. La demoiselle du Cros, et quelques-unes de
ses compagnes qui avaient voulu, comme elle, fuir
à l’étranger, sont
livrées à d’Hérapine et
aux six furies exécutrices de ses ordres
impitoyables.
« Dès
leur arrivée on les
dépouilla de leurs chemises qu’on
remplaça par de rudes cilices de crin qui
leur déchirèrent la peau et
engendrèrent des ulcères par tout
leur corps ; puis il les obligea de mettre des
chemises qu’il envoya quérir à
l’hôpital, lesquelles avaient
été plusieurs semaines sur des corps
couverts de gale, d’ulcères et de
charbon ; pleines de pus et de poux.
N’ayant pour nourriture que du pain et de
l’eau, surchargées de travail, ces
prisonnières étaient encore
accablées des plus mauvais traitements. Un
des supplices favoris de d’Hérapine,
après les coups de nerf de boeuf qu’il
leur faisait appliquer, sur la chair, en sa
présence, consistait à les plonger dans
un bourbier
d’où on
ne les tirait que quand elles avaient perdu
connaissance. La mort délivra la jeune du
Cros de son martyr. Quant à ses amies,
couvertes de plaies de la tête aux pieds, et
n’ayant plus figure humaine, elles finirent
par abjurer, et furent transportées dans un
couvent. »
Nous avons
les
relations laissées par deux des victimes de
d’Hérapine, Jeanne Raymond, née
Terrasson, et Blanche de Gamond ; voici quelques
extraits de ces relations navrantes :
« La Rapine ne cessait de nous visiter,
dit Jeanne Raymond, toujours accompagné de
trois ou quatre estafiers et de
cinq ou
six mal
vivantes dont il se servait pour l’aider à
nous
battre
et à nous torturer; les
satellites avaient toujours leurs
mains pleines de paquets
de verges dont
ils donnaient les
étrivières sur le corps nu à
tous ceux que leur barbare
maître livrait à leur fureur. Ils ne
cessaient de frapper que lorsque le sang ruisselait
de tous côtés.
L’on commença par une de mes
chères compagnes (pour avoir chanté
un psaume) qu’on fit mettre à genoux
dans une petite allée qui régnait le
long de nos cachots, et là, elle fut
frappée jusqu’à ce qu’elle
tombât presque morte sur les carreaux. En la
remettant dans le cachot, on m’en fit sortir
pour exercer sur mon dos le même traitement,
ce qui étant fait, on en fit de même
aux autres deux qui restaient encore. Je fus
accusée ensuite d’avoir dit quelque
parole d’encouragement à l’une de
celles qui étaient dans les autres cachots,
ce qui fit que la Rapine, ranimant sa fureur, me
fit sortir de nouveau du cachot et
recommença à me frapper derechef avec
un bâton, jusqu’à ce que,
n’en pouvant plus, il ordonna à deux de
ses satellites de continuer à me battre,
chacune avec un bâton, ce qu’elles
continuèrent à faire jusques aussi
qu’elles en furent lasses et qu’elles
eurent mis mon corps aussi
noir qu’un
charbon.
Quelque temps après, étant
accusée d’avoir parlé à
quelqu’une de mes compagnes, la soeur Marie
qui faisait l’office de bourreau, vint contre
moi, me prit par derrière, me frappa de tant
de coups de bâton, surtout à la
tête, me donna tant de soufflets et de coups
de poing au visage, qu’il enfla
prodigieusement et dans ce pitoyable état,
il n’est point de menaces qu’elle ne me
fit... Comme tous ses mauvais traitements
n’opéraient pas, la Rapine me dit que
j’irais de nouveau dans le cachot et que
j’y crèverais dans moins de six
semaines... On m’obligea d’en nettoyer
deux autres qui étaient attenant à
celui-ci. Je m’aperçus, en les
nettoyant, que les clous de l’une des portes
étaient fort gros, posés les uns tout
près des autres et que leurs pointes
n’étaient pas redoublées.
J’en demandai la raison et l’on me dit
que la Rapine s’en servait pour tourmenter qui
bon lui semblait en les mettant entre
les murailles
et la
porte, et les
serrant contre
ces clous. Je
faillis
être dévorée par la vermine dans
ce
cachot. Non
seulement on plaçait à
côté des cachots des chiens qui, par
leurs aboiements importuns, achevaient d’y
ôter tout repos, mais on logeait parfois ces
chiens dans les cachots mêmes avec les
prisonniers, ce qui causait à ces malheureux
des terreurs mortelles, car ces chiens, surtout
deux d’entre eux, du poil et de la grosseur
d’un vieux loup, étaient si furieux que
peu d’étrangers échappaient
à leurs dents.
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