En 1670, l’orateur de
l’assemblée générale du
clergé, en même temps qu’il
déclarait que les évêques ne
pouvaient, sans
être criminels,
refuser de se rendre aux désirs
d’enfants de
moins de
douze ans, voulant se convertir à la
religion catholique, malgré leurs parents,
disait, sans se rendre compte de son
inconséquence:
« Tout est perdu à jamais par la
funeste liberté qui donne lieu aux
catholiques de votre royaume de faire banqueroute
à leur religion. »
Louis XIV, pour donner satisfaction aux vives
remontrances du clergé, décide que
les dispositions de l’édit de Nantes
relatives aux immunités accordées
à ceux qui, après avoir
abjuré, seraient retournés à
leur religion première, ne s’appliquent
qu’au passé.
Que tout réformé qui aura une fois
fait abjuration pour professer la religion
catholique, ne pourra jamais plus y renoncer et
retourner à la religion
réformée.
« Voulons et nous plaît,
décrète-t-il, que nos sujets, de
quelque qualité, condition, âge et
sexe qu’ils soient, faisant profession de la
religion catholique, ne puissent jamais la quitter
pour passer en la religion prétendue
réformée. »
Nul
catholique ne
pouvant plus se faire protestant, et nul
protestant, ayant abjuré ne pouvant revenir
à sa foi première, les huguenots de
naissance avaient seuls désormais le droit
de se dire protestants.
C’était trop encore. Après la
suppression de l’exercice public du culte
protestant, un incroyable édit vint
déclarer catholiques tous les huguenots
restés en France à la suite de cette
suppression, leur séjour dans le royaume
étant une preuve plus que suffisante
qu’ils avaient embrassé la religion
catholique.
Pour se rendre compte de l’odieuse et
imprudente iniquité d’un tel
édit, il faut se rappeler que les huguenots
ne pouvaient quitter le royaume sans être
passibles des galères et de la confiscation
des biens, et que l’article XI de
l’édit révocatoire, portant
suppression de leur culte public, les autorisait
à rester dans les villes et lieux du
royaume, à y continuer leur commerce et
jouir de leurs biens, sans pouvoir être
troublés ni empêchés sous
prétexte de leur religion. »
Quoi qu’il en soit, à la suite de cet
inqualifiable édit; nul n’ayant plus le
droit de dire qu’il voulait mourir protestant,
la visite obligatoire du curé aux malades
provoqua chaque jour des drames émouvants au
chevet des mourants.
Le clergé
usa
de son droit avec la dernière rigueur, et
mit autant d’ardeur à vouloir imposer
l’administration des sacrements aux huguenots
qui n’en voulaient pas qu’il en apporta
plus tard à la refuser aux
jansénistes qui la demandaient sans pouvoir
l’obtenir. Rulhières, à ce
propos, conte cette plaisante anecdote:
« Il se trouva dans le même hôtel
deux malades dont l’un, janséniste,
demandait au curé les sacrements, ne pouvait
les obtenir et menaçait de s’adresser
aux magistrats; et l’autre, Calviniste,
refusait la communion et repoussait le curé
qui le menaçait des galères s’il
en relevait, ou de le faire traîner sur la
claie, s’il Mourait. Le maître
d’hôtel, alarmé de ces
scènes fâcheuses, qui pouvaient avoir
des suites plus fâcheuses encore, imagina de
changer secrètement
les deux malades de lit, et tout le
trouble fut
apaisé. »
Aujourd’hui (en 1886), comme au XVIII°
siècle, nous voyons l’Église
mettre autant d’ardeur à refuser les
sacrements aux gens qui les réclament,
qu’à les administrer, in
articulo mortis,
à des hommes qui, comme
Littré, par exemple, ont, pendant tout le
cours d’une longue existence, fait profession
de libre-pensée.
Le docteur
Robin;
collaborateur et ami de Littré, ne put
s’empêcher d’écrire à
l’occasion de l’enterrement religieux de
Littré, libre-penseur comme il
l’était lui-même : «
Littré a toute sa vie demandé des
obsèques civiles, nous accompagnerons son
corps jusqu’à l’Église
seulement. » — Le docteur Robin, pour
éviter une mésaventure semblable,
avait inséré dans son testament cette
prescription formelle : «J’exige
absolument de mes héritiers que mon
enterrement soit un enterrement civil, quel que
soit le lieu où je meure. »
Cependant sa famille l’a fait enterrer religieusement,
bien qu’elle ne pût
alléguer sa conversion quasi-posthume,
puisque il était mort à la suite
d’une attaque d’apoplexie, sans avoir un
seul instant recouvré l’usage de la
parole, mais, elle n’avait pas, dit-elle, pris
connaissance de ses papiers. Tout au contraire,
l’israélite Léon Gozlan,
près duquel un rabbin faisait la
veillée des morts; fut enterré
catholiquement parce que sa famille trouva dans ses
papiers la preuve qu’il avait
été baptisé dans son
enfance.
Quelques semaines avant la mort du docteur Robin,
on avait vu un Lepère libre-penseur,
frappé d’un mal subit qui, dès
le début de sa courte maladie, lui avait
enlevé toute connaissance, recevoir, sans
s’en douter, l’assistance d’un
prêtre et être enterré comme
catholique.
Aussitôt le Figaro,
moniteur du monde religieux et du monde galant,
s’est empressé de dire : « M.
Lepère que l’on a enterré hier
avec tous les sacrements de la religion
chrétienne, est, en somme, revenu
aux anciennes croyances de sa
prime jeunesse. »
M. Rathier, ami de M. Lepère et comme lui
député de l’Yonne, a cru devoir
rétablir la vérité des faits,
en rappelant que, pendant les dernières
années de sa vie, M. Lepère avait
été fidèle à ses
convictions, qui
associaient la libre pensée à sa foi
républicaine,
que, s’il avait été
enterré comme catholique,
c’était parce qu’un prêtre
lui avait été imposé,
alors qu’il n’avait plus
connaissance de ce qui se passait autour de
lui.
Le plus
souvent les
familles des libres-penseurs, soit par conviction
religieuse, soit par respect humain, se sont ainsi
les complices de l’Église venant
exercer son prosélytisme de la
dernière heure près d’un
moribond inconscient de sa conversion
quasi-posthume. Si au contraire, comme c’est
son devoir de le faire, la famille veille à
ce que le moribond soit mis à l’abri de
ces tentatives de pseudo-conversions,
les cléricaux protestent
contre l’atteinte ainsi portée à
la liberté de prosélytisme de
l’Église.
C’est ainsi que, à l’occasion de
la mort de Victor Hugo, M. Fresneau ne craignait
pas de dire à la tribune du
Sénat:
« Il s’est établi un usage, contre
lequel je proteste de toute l’énergie
de ma conscience et de ma raison; je veux parler du
droit que l’incrédulité
s’est arrogé, de se donner des gardes
du corps pour surveiller les derniers moments des
malades, petits ou grands, humbles ou illustres.
Grâce à cette coutume qui
représente assez exactement
les violences reprochées à nos
pères, et comme l’introduction des
dragonnades dans la vie
privée, nous
ne pouvons savoir ce qui s’est passé
à la dernière heure de celui (VICTOR
HUGO) que vous prétendez honorer à
votre manière. »
De cette insinuation que Victor Hugo eût pu
se convertir, s’il n’eût pas
été entouré de sa famille,
à l’affirmation qu’à sa
dernière heure il a voulu se convertir, il
n’y a qu’un pas, et ce pas ayant
été fait par Le Monde, organe
officiel de la royauté de droit divin, le
pieux journal s’est attiré ce rude
démenti de M. Lockroy :
« Les drôles qui dirigent un journal
religieux intitulé Le Monde, ont osé
imprimer que Victor Hugo à son lit de mort a
demandé un prêtre. Je n’ai pas
besoin de dire qu’ils en ont menti. Voici du
reste la lettre que je reçois à ce
sujet du docteur Germain Sée : Si vous avez
lu Le Monde d’hier, vous y trouverez une
monstruosité, sur le désir
qu’aurait manifesté le Maître, de
se confier à un prêtre, et une
prétendue déclaration de mon ami
Vulpian; je vous autorise, au nom de Vulpian,
à donner le plus formel démenti aux
paroles qu’on lui avait prêtées
à titre de
révélation. »
Il est
évident
que si, malgré les précautions prises
par la famille pour mettre le mourant à
l’abri de toute tentative suspecte, on a pu
tenter d’accréditer la légende
du désir de conversion de Victor Hugo, cette
conversion eût passé pour un fait
accompli, si, comme au bon vieux temps, un
magistrat complaisant assisté d’un
prêtre catholique, eut pu, lorsque le
maître agonisait, écarter sa famille
et interpréter habilement, soit ses
réponses les plus insignifiantes à
des questions captieuses, soit son silence
même. Alors Victor Hugo eût
été, bon gré mal gré,
tenu pour bien et dûment converti, et
l’Église aurait enterré comme
catholique, celui qui avait solennellement
déclaré qu’il déclinait
les prières des prêtres.
N’en
déplaise à M. Fresneau, ce sont les
odieuses pratiques de l’ancien régime
à l’égard des mourants qui
peuvent, à bon droit, être
qualifiées d’introduction des
dragonnades dans la vie privée, et
c’est manifester le désir du retour
à de telles pratiques, que de
s’indigner de ce que les familles se fassent
les gardes du corps de leurs malades, pour leur
permettre de mourir en paix.
Sous la monarchie de droit divin, les Parlements,
s’ils n’avaient point songé
à interdire à l’Église
d’administrer les sacrements à ceux qui
ne les réclamaient pas, ou même les
refusaient, avaient commis l’erreur de vouloir
enjoindre aux curés, par arrêts,
d’administrer les sacrements aux
jansénistes qui les réclamaient. Les
pamphlétaires du temps raillaient ainsi
cette erreur juridique : « les Parlements
veulent décider du corps de
Jésus-Christ comme d’une question de
boues et de lanternes.
En 1883, M. Bernard Lavergne, alors qu’il
demandait au garde des sceaux de sévir
contre un curé, refusant d’administrer
un mourant parce que celui-ci ne voulait pas
promettre de retirer ses enfants des écoles
de l’État pour les envoyer aux
écoles congréganistes, ne tombait pas
dans la même erreur que les anciens
Parlements. Il ne demandait pas qu’on
obligeât le curé à administrer
ce mourant, mais que l’on infligeât une
peine disciplinaire à ce prêtre, fonctionnaire
salarié
par
l’État,
qui abusait de sa situation pour faire tort aux
écoles de l’État.
De même,
lorsque dans l’élection
sénatoriale du Finistère, les
prêtres ont cherché à
influencer le vote des électeurs en
menaçant ceux qui voteraient pour les
candidats républicains, de leur refuser
l’absolution et la communion, ils se sont
exposés à être poursuivis, pour
violation des prescriptions de la loi
électorale. Mais, presque toujours, le
gouvernement s’abstient de punir
disciplinairement ou de faire poursuivre les
prêtres, qui ont abusé de leur
situation d’agents d’un service public,
se faisant une arme politique du refus des
sacrements. Il sait que, si l’Église
doit être seule maîtresse de
déterminer les conditions qu’elle veut
mettre à l’administration des
sacrements, elle use à ses risques et
périls de son droit, et que, lorsque ses
refus de sacrements ont manifestement un motif
politique, ces refus imprudents ne tardent point
à augmenter le nombre des déserteurs
du catholicisme. N’a-t-on pas vu tout
récemment, en 1885, un des catholiques
électeurs du catholique département
du Finistère, répondre à son
curé qui le menaçait de lui refuser
ses Pâques s’il votait mal : Eh bien!
je
m’en
passerai !
Pour en
revenir
à la visite obligatoire
du curé, pour tous les
malades, on ne peut mieux faire ressortir la
cruelle iniquité de cette prescription
légale qu’en rappelant
l’énormité des peines
édictées contre le malade huguenot,
qui refusait de se laisser administrer les derniers
sacrements : -
« Voulons et nous plaît, dit une
déclaration du roi de 1713, que tous nos
sujets, nés de parents qui ont
été de la r. p. r. avant ou depuis la
révocation de l’édit de Nantes,
qui, dans leurs maladies auront refusé aux
curés, vicaires ou autres prêtres de
recevoir les sacrements de l’Église, et
auront déclaré qu’ils veulent
persister et mourir dans la religion
prétendue
réformée, soit
qu’ils aient fait
abjuration ou non, ou
que les actes n’en puissent être
rapportés, soient réputés relaps
et sujets aux peines portées
par notre déclaration du 29 avril
1686. »
Or voici
les peines
édictées par cette
déclaration, contre les malades relaps :
« Au cas que lesdits malades viennent
à recouvrer la santé, voulons que le
procès leur soit fait et parfait par les
juges, et qu’ils les condamnent, à
l’égard des hommes, aux
galères perpétuelles
avec confiscation des biens,
et à l’égard des
femmes et filles, à faire amende honorable
et à être enfermées
avec
confiscation de leurs biens
; quant aux malades ayant fait les
mêmes refus et déclarations qui seront
morts dans cette malheureuse disposition, nous
ordonnons que le procès sera fait aux
cadavres ou à leur mémoire.., et
qu’ils seront traînés
sur la claie,
jetés à la voirie, et leurs biens
confisqués. »
Rien n’avait été
négligé pour que les malades ne
pussent se soustraire à la terrible visite
du curé qui devait si souvent avoir pour eux
les plus funestes conséquences. Non
seulement les baillis, sénéchaux et
prévôts devaient prévenir le
curé du lieu dès qu’ils
apprenaient qu’un huguenot était
malade, mais encore la même obligation
incombait au médecin appelé pour
soigner le malade.
Les
prescriptions
suivantes dont l’infraction rendait le
médecin passible de trois cents livres
d’amende pour la première fois,
d’une suspension de trois mois pour la seconde
et de la déchéance pour la
troisième, assuraient
l’exécution des obligations
imposées aux médecins par la loi
:
« Voulons et nous plaît que tous
les médecins de notre royaume soient tenus
dès le second jour qu’ils visiteront
les malades attaqués de fièvre ou
autre maladie, qui, par sa nature peut avoir trait
à la mort, de les avertir de se confesser,
ou de leur en faire donner avis par leur famille ;
et, en cas que les malades ou leur famille, ne
paraissent pas disposés à suivre cet
avis, les médecins seront tenus d’en
avertir le
curé ou le vicaire
de la paroisse dans laquelle les
malades demeurent...Défendons
aux médecins
de les visiter un troisième
jour, s’il ne
leur paraît pas un certificat signé du
confesseur desdits malades, qu’ils ont
été confessés, ou du moins
qu’il a été appelé pour
les voir et qu’il les a vus, en effet, pour
les préparer à recevoir les
sacrements. » Ainsi, le médecin,
s’il n’avait pas la preuve que son malade
avait pris soin d’assurer le salut de son
âme en réclamant les sacrements,
devait dès le troisième jour
l’abandonner, le
laisser périr sans secours,
sous peine d’encourir
lui-même, soit une grosse amende, soit
même, à la seconde récidive,
sous peine de se voir interdire l’exercice de
la médecine !
Les
familles, pour se
mettre à l’abri de la visite du
curé qui constituait pour te mande une
cruelle épreuve, et, pour elles-mêmes,
le danger de la confiscation des biens, se
résignaient souvent à ne pas avoir
recours au médecin, précurseur
inévitable du curé. Puis quand le
malade, à l’agonie, était sans
connaissance, elles faisaient appeler le
curé qui ne pouvait plus constater un refus
de sacrement.
Le gouvernement, pour l’exemple, voulut faire
le procès à la mémoire de
quelques huguenots comme suspects
d’avoir voulu mourir sans sacrements, parce
qu’ils n’avaient pas appelé de
médecins. Mais il dut s’arrêter
dans cette voie où ne l’auraient pas
suivi les magistrats les plus complaisants. Pour
trancher la difficulté, Geudre, intendant de
Montauban, proposait à la Vrillère de
faire rendre un édit, en vertu duquel serait
censé mort dans la religion
réformée, et par conséquent
passible de la confiscation des biens, tout nouveau
converti qui, dans sa dernière maladie,
n’aurait pas fait une déclaration
expresse de sa foi catholique, devant les notaires
ou les juges des lieux.
Le procureur du roi à Nantes, voulait
même faire le procès à la
mémoire d’un nouveau converti, lequel
après avoir fort bien soupé
était mort,... sans doute
d’indigestion.
« Il n’a pas, disait ce procureur du roi,
déclaré vouloir mourir dans la
religion réformée, mais
l’on n’a pas de marques
qu’il soit mort dans les véritables
sentiments catholiques...
Si l’on peut découvrir
des marques plus convaincantes, on fera le
procès à sa mémoire et, même sur
les
preuves que je vous marque, si vous le jugez
à propos. »
Un homme
qui meurt
subitement, après avoir fort bien
soupé, considéré comme relaps
parce qu’il n’a pas, en mourant,
donné des marques suffisantes de ses
sentiments catholiques, cela ne passe-t-il pas les
dernières limites de l’odieux et de
l’absurde?
Les malades qui n’avaient pu se soustraire
à la visite du curé, recouraient
à tous les subterfuges et à toutes
les équivoques pour éviter, à
eux-mêmes, un traitement infamant, et
à leurs héritiers la confiscation des
biens.
Il y en a, dit l’intendant Gendre, qui font
les muets, plusieurs qui affectent les
fièvres chaudes. «Quand les
prêtres visitent les réformés,
écrit un curé, ils font les derniers
efforts pour les recevoir hors de lit pour faire
voir qu’ils ne sont pas si malades, jusque
là qu’il y en a plusieurs qui meurent
debout.
L’un, dissimulant ses souffrances, dit au
curé qui le presse de se confesser, il
n’est
pas
encore temps, il
était mort le lendemain quand le curé
revint pour renouveler ses instances. Un autre,
après avoir renvoyé plusieurs fois le
curé en disant qu’il
n’était pas si
mal, à la
question qui lui est posée à
l’agonie, s’il veut mourir dans la
religion catholique, répondit maigrement,
dit un procès verbal, il
n’y en a qu’une, sans vouloir
s’expliquer autrement.
Souvent
l’odieuse persécution qu’ils
avaient à subir à leur lit de mort,
de la part du magistrat et du curé,
était pour les huguenots, l’occasion de
manifester enfin leurs véritables sentiments
qu’ils avaient dû dissimuler pendant des
années.
Le curé de Paimboeuf, tourmentant une
convertie pour l’amener à recevoir les
sacrements, eut la cruauté de lui dire
« qu’elle ne se flattât point sur
une longue vie, d’autant que sa maladie
était mortelle et
quelle ne pouvait point passer la
nuit. »
Sur les dix heures du soir, la malade tombe en
agonie et elle dit des paroles injurieuses au
prêtre et aux curieux qui étaient,
venus avec celui-ci, et la tourmentaient encore,
à minuit elle était morte.
À Metz, un
maître cordonnier menacé du lieutenant
criminel par le curé; congédie ainsi
son tourmenteur : « Je vous donne le bonsoir,
que Dieu vous conduise; vous me rompez la
tête depuis une heure et demie. Il voulut
souffler la chandelle, bientôt après
il expira.
« Madame de la Rochelandière, dit
Lambert de Beauregard, étant tombée
malade à Lyon, son hôte avertit le
curé de la paroisse qui ne manqua pas de
venir vers elle avec beaucoup de monde pour la
solliciter à se confesser et ensuite
à recevoir le viatique. Mais elle s’en
défendit vigoureusement, quoiqu’elle
commençât bientôt
d’agoniser et
qu’elle fût en l’âge de
soixante-quinze ans. On s’avisa même de
la tirer du lit et de la mettre sur une chaise, en
lui criant à haute voix qu’il fallait
obéir, et qu’autrement, on
traînerait son corps sur une
claie, et qu’on la jetterait aux
bêtes, à
quoi elle répondit que l’on fit ce que
l’on voudrait, que même, si on ne
voulait
pas
attendre de la traîner qu’elle fut
morte, que l’on la traînât toute
vivante et que l’on la jetât à la
voirie toute vive,
que, pour cela, elle ne renierait jamais son
sauveur. Tellement, qu’étant morte
bientôt après, on ne manqua pas de la
traîner et ensuite de la jeter dans le
Rhône.
Un
octogénaire, le comte de Nouvion, ancien
lieutenant colonel, ayant rétracté
par écrit son abjuration, était
gravement malade. On lui envoie le bourreau
qui lui déclare avoir ordre de le
traîner sur la claie dès
qu’il aura rendu le
dernier soupir.
Nouvion répond qu’il n’est
pas besoin d’attendre
qu’il soit mort,
qu’il est tout prêt. Quelques heures
après on enlevait Nouvion pour le, jeter
dans un couvent où l’on fit en vain
mille efforts pour vaincre sa constance. Dès
qu’il fut mort, les moines jetèrent son
corps dans un chenil où, par ordre de la
justice, une charrette vint le prendre pour le
mener à la ville de Laon où l’on
allait faire le procès à sa
mémoire. « On vit alors, dit
Jurieu, un spectacle affreux. La tête de ce
pauvre corps pendait entre deux roulons de la
charrette, toute sanglante. Toutes les plaies
qu’il avait autrefois reçues se
rouvrirent toutes à la fois et devinrent autant
de
bouches qui
vomissaient le sang et demandaient vengeance de ce
que de si longs services étaient ainsi
récompensés »
À Dijon,
une
femme fut mise sur la claie avant d’avoir
rendu le dernier
soupir et traînée encore demi
vive.
Le cadavre de Mlle de Montalembert, d’une des
plus nobles familles d’Angoulême, fut
traîné nu sur la claie.
À
Montpellier,
dit Jurieu, on a vu le corps d’une
vénérable femme, épouse de M.
Samuel Carquet, médecin, exposé tout
nu le long des rues, soufflant le pavé de
son sang
et de ses
entrailles répandues. Et
quand elle eût
été laissée à la
voirie, deux dragons arrivèrent qui firent
passer et repasser cent fois leurs chevaux sur ce
pauvre corps.
A Rouen, les corps de Pierre Hébert et de la
femme Vivien, furent mis en pièces par la
populace et leurs misérables restes, pendant
plusieurs jours, servirent de jouets aux
écoliers des jésuites. Le cadavre de
Pierre le Vasseur fut écorché,
celui d’Anne Magnan donné à
manger aux chiens
;
d’autres abandonnés, dans la campagne
aux bêtes fauves après avoir
été traînés pendant
plusieurs lieues.
À Dieppe,
le
gardien de la prison chargé de la garde du
corps d’une relapse, agit, dit Elie
Benoît, comme un montreur
d’éléphants, de lions ou
d’autres choses peu ordinaires. Il invita le
monde à venir, moyennant finance, voir
le
corps
d’une damnée;
sept ou huit cents curieux se
rendirent à son appel et cette indigne
exhibition valut quelque profit à cet
ingénieux geôlier.
Il fallait souvent conserver assez longtemps les
corps de ceux à la mémoire desquels
on faisait le procès, et parfois, pour
éviter la putréfaction, les juges
ordonnaient que le corps fût provisoirement
inhumé. À Caen, un arrêt
ordonna de saler,
comme un porc, le corps d’un huguenot
jusqu’à ce que les juges eussent
statué sur le procès fait à sa
mémoire.
Mais on ne prenait pas toujours les
précautions conservatrices
nécessaires; ainsi, six ou sept mois
après la mort de l’orfèvre
l’Alouel, ce ne fut pas le corps de ce
malheureux, mais les débris de son cadavre
qui furent traînés sur la claie
à Saint-Lô. Parfois, dit Elie
Benoît, on traînait par les rues des
corps qui tombaient en pièces et dont la
cervelle ou les entrailles demeuraient sur le
pavé.
Quand on traîna sur la claie, à Metz,
les restes de M. de Chenevières, conseiller
au parlement, mort à quatre-vingts ans,
entouré de l’estime de tous, le peuple,
dit Olry, fit entendre des cris lamentables en
voyant ce pauvre corps exposé tout nu sur la
claie, avec les entrailles séparées
du corps et mises dans un petit cercueil
placé auprès de lui.
Ces
révoltantes exécutions indignaient
les catholiques eux-mêmes et inspiraient aux
nouveaux convertis l’horreur d’une
religion, qui provoquait de tels outrages aux
morts.
Dès 1687, le secrétaire
d’État écrivait aux intendants :
« La loi sur les relaps n’a pas eu tout
le succès qu’on en espérait. Sa
Majesté trouve à propos que vous
fassiez entendre aux ecclésiastiques
qu’il ne faut pas que, dans ces occasions, ils
appellent si facilement les juges pour être
témoins, afin de ne
pas être obligé de
faire exécuter la déclaration dans
toute son étendue.
Le gouvernement voulait se réserver la
faculté de faire le procès à
la mémoire des relaps, pour pouvoir
confisquer les biens de ceux-ci, sans être
obligé de faire traîner leur corps
sûr la claie, ce qui révoltait
l’opinion publique. C’est ainsi
qu’en 1699 encore, le secrétaire
d’État donne ces instructions à
un intendant. Sa Majesté m’a
ordonné de vous écrire de dire aux
juges ordinaires de faire le procès à
sa mémoire (une femme relapse); que si son
cadavre avait été conservé et
qu’il fût condamné à
être traîné sur la claie, vous
direz aux juges de ne point exécuter, à
cet
égard seulement, le
jugement.
Mais trop souvent, le zèle
immodéré du clergé donnait
à la rechute de nouveaux convertis trop
d’éclat pour que le gouvernement
crût pouvoir se dispenser d’appliquer
dans toute sa rigueur, la loi sur les relaps. On
vit donc longtemps encore, du moins en province, le
déplorable spectacle de cadavres
traînés sur la claie et jetés
à la voirie.
On tenta même de les traîner à
Paris et Rapin Thoiras écrit en 1693 :
« M. de la Bastide me marque qu’un
nouveau converti étant mort à Paris,
sans avoir voulu confesser ni communier, on
l’avait
mis
sur une claie pour le traîner, mais
qu’à ce spectacle
inhumain, le peuple se mutina et
l’enlevèrent et furent l’enterrer
dans un cimetière, disant qu’il
était indigne d’un grand roi de
souffrir qu’on usât de telles barbaries
contre ses sujets et que, sans doute,
c’était ce qui attirait la
colère de Dieu sur eux. »
Au mois d’août 1700, le préfet de
police d’Argenson, pour se dispenser
d’exécuter l’ordre que lui donnait
le secrétaire d’État de faire dans
toute
sa
rigueur le
procès à la mémoire d’une
prétendue relapse, était encore
obligé de faire valoir les
considérations suivantes :
« Je craindrais que cet exemple de
sévérité mal placée, ne
fit un éclat fâcheux sur le public,
vous savez combien les procès de cette
gravité révoltent
les nouveaux convertis encore
chancelants, et s’ils font ce mauvais
effet dans les provinces, ils
porteront un
bien plus grand
coup dans la
capitale
du royaume, où l’on a sujet de croire
que rien ne se fait, en matière de cette
importance, si le roi ne l’a ordonné
à ses magistrats, par un ordre exprès
et précis. »
Ce ne furent ni le clergé, ni le
gouvernement qui eurent le mérite du
renoncement à cette barbare pratique de
traîner les corps sur la claie; il fallut que
l’opinion publique leur forçât la
main en cette occasion, comme elle l’avait
fait pour l’odieux usage de mener les patients
au supplice avec un bâillon sur la
bouche.
Peu à peu l’application de la loi
prescrivant la visite obligatoire des malades par
le curé, cessa même d’être
faite exactement. Enfin en 1736, une
déclaration, donnant une sanction tacite
à la suppression de l’obligation de la
visite du curé, décida que ceux
auxquels la sépulture ecclésiastique
serait refusée, juifs, mahométans,
protestants ou comédiens, seraient
inhumés en vertu d’une ordonnance du
juge, indiquant l’endroit où devait
avoir lieu l’inhumation.
Pour les
huguenots
qui mouraient à Paris, le refus de
sépulture ecclésiastique était présumé,
et, quand les parents ou les amis du
défunt requéraient le commissaire du
quartier de leur donner un permis
d’inhumation, celui-ci ordonnait
invariablement que le cadavre fût
enterré, secrètement,
sans éclat
ni scandale,
dans le
grand chantier du port au plâtre,
aujourd’hui port de la Râpée.
En province, on était tenu à plus de
précautions et l’on se gardait de
déclarer que le défunt appartenait
à la religion protestante, et avait volontairement
négligé d’appeler
un prêtre à son lit de mort, dans la
crainte de voir faire le procès à sa
mémoire.
Ainsi, par exemple, les enfants Marchegay en 1745,
ayant perdu leur mère, morte en
Vendée, ont soin de faire constater par un
notaire que, peu de jours avant sa mort, la
défunte était sur
pied et en bonne
santé. Puis,
pour obtenir l’autorisation de l’inhumer
dans leurs terres, ils déclarent que le
curé a refusé de laisser inhumer la
défunte dans le cimetière, sans qu’ils
sachent pour quelles raisons,
ce qui les met dans
l’obligation d’avoir recours à la
justice.
L’opinion publique avait obligé le
gouvernement et le clergé à renoncer
à la barbare mesure de traîner sur la
claie le cadavre des relaps, c’est encore elle
qui les contraignit de laisser tomber en
désuétude les édits qui
imposaient aux malades la visite obligatoire du
curé.
La
persécution
la plus cruelle que les huguenots eurent à
subir, aussi bien avant qu’après la
révocation, fut celle des enlèvements
d’enfants, soit que ceux-ci fussent
censés avoir le désir de se
convertir, soit même que, par un
baptême subrepticement donné
l’Église se les fût
appropriés.
Fléchier expose ainsi cette étrange
théorie de l’appropriation
par le
baptême:
« Un Israélite converti, se
trouvant seul dans une maison avec un petit juif,
il le baptisa, avec l’intention de croire et
faire croire ce que l’Église croit et
fait en pareille rencontre. L’enfant
ne sait pas ce
qu’il est, ses
parents n’ont pas consenti ni
été consultés en cette
occasion; cependant, quoi qu’il soit dans la
synagogue, il ne laisse pas d’appartenir
à
l’Église...
Votre Excellence sait mieux que
moi, le parti qu’il y a à
prendre. »
Ce parti, c’était de l’enlever
à ses parents, et, en le faisant
élever dans la religion catholique, de le
rendre à l’Église, à
laquelle il appartenait sans
le savoir.
En vertu
de ce
prétendu droit d’appropriation,
quiconque a reçu le baptême, peut
être, vivant ou
mort,
réclamé par l’Église
comme catholique; c’est ainsi que,
récemment elle réclama le corps de
Léon Gozlan qu’elle enterra
chrétiennement au cimetière
Montmartre, bien que ce fils
d’Israélite fût mort, sans que
personne se doutât qu’il eût
jamais été baptisé.
Tout le monde le croyait juif, dit Philibert
Audebrand; le jour même du
décès la
veillée des morts fut faite par un
rabbin; mais,
durant
la nuit qui suivit, on découvrit dans ses
papiers que sa mère; catholique
elle-même,
l’avait fait baptiser;
à la Suite de
cette révélation tout à fait
inattendue, l’Église
le réclame
à la synagogue. »
De nos jours l’affaire du petit Mortara
enlevé à ses parents et
élevé, malgré
eux, dans la
religion catholique, et cela
dans la capitale du monde catholique, a
montré que l’Église était
toujours fidèle à la doctrine
d’appropriation par le baptême, soutenue
au XVII° siècle par
Fléchier.
La victime de cet enlèvement, le petit juif,
devenu le révérend père
jésuite Mortara, défendait ainsi
lui-même, en 1879, le droit de
l’Église, droit antérieur et
supérieur à celui du père de
famille :
Baptisé,
à l’âge de deux ans, disait-il,
inarticulo mortis; j’appartenais à
l’Église,
qui avait le droit et le devoir de me donner une
instruction conforme au baptême que
j’avais reçu. »
Que diraient un père ou Une mère
catholique, si un juif ou un mahométan
venait leur dire : j’ai enlevé votre
enfant de force, comme l’a été
le petit Mortara, ou je me suis trouvé seul
avec lui — comme le converti avec le petit
juif de Fléchier et je
l’ai circoncis
; de ce moment,
il a
appartenu à la synagogue ou à la
mosquée, qui a le droit de le garder pour
lui donner une instruction conforme à la
circoncision qu’il a subie. Avec cette
doctrine que l’Église, par un
baptême, même forcé ou
clandestin, peut s’approprier un enfant, que
devient le droit des pères de famille ?
On
comprend
qu’en voyant les monarchistes
cléricaux, humbles serviteurs de
l’Église, se poser aujourd’hui en
champions des
droits
des pères de famille,
un républicain de la vieille
roche, défenseur de toutes les
libertés sous tous les régimes, M.
Madier de Montjau, puisse s’indigner et
s’écrier : Si quelque Danton survivait,
en entendant tomber de la bouche de ceux qui sont
les héritiers des persécuteurs
violents du culte païen et de tous les cultes,
autres que le leur; en entendant tomber de la
bouche de ces hommes des protestations au nom de la
tolérance, de la liberté, des droits
du père de famille, de ceux qui
applaudissent à la conversion des jeunes
Lovedas, du jeune Mortara, à la conversion
d’un enfant japonais, baptisé à
Lyon à l’insu de ses parents, oui,
Danton s’écrierait : Tant
d’impudence à la fin
commence à nous
lasser. »
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |