Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

LIBERTÉ DE CONSCIENCE

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Persécution du Saint-Sacrement. — Sacrilèges et blasphèmes. — Prosélytisme.
— Relaps. — Visite obligatoire du curé. — Mortarisme. — Le droit des pères de famille. — Enfants de sept ans. — Suspects. — Régime de l’ inquisition. — Opiniâtres. — Expulsions. — Transportations. — Couvents. Hôpitaux. — Prisons.

 

L’édit de Nantes autorisait les huguenots à vivre et demeurer dans toutes les villes et lieux du royaume, sans être enquis, vexés, molestés, ni astreints à faire chose, pour le fait de religion, contraire à leur conscience, ni, pour raison d’icelle, être recherchés en maisons et lieux où ils voudraient habiter.
Pour les huguenots, cette liberté de conscience fut,
au début, aussi complète qu’elle pouvait l’être dans un pays où l’Église et l’État étant unis par les liens les plus étroits, la loi avait une croyance religieuse.

Ainsi, par respect pour les prescriptions de l’Église catholique, les huguenots devaient s’abstenir de vendre publiquement et d’étaler de la viande pendant la durée du carême et pendant les autres jours d’abstinence. S’ils se trouvaient en voyage pendant les jours où l’Église catholique interdit l’usage de la viande, ils devaient
faire maigre, bon gré, mal gré, car il était défendu aux taverniers et hôteliers de fournir, ces jours-là, viande, volaille, ou gibier à ceux qui venaient manger ou loger chez eux.
Pour la même raison du respect dû à la religion d’État, les huguenots ne pouvaient aller au cabaret pendant la durée des offices catholiques.

Une loi de 1814, qui n’a été abrogée qu’en 1877, reproduisit cette interdiction d’aller au cabaret pendant les offices catholiques. Tous ceux qui ont fait une campagne électorale, sous le règne des hommes du 16 mai, ont pu constater avec quelle hâte comique, les réunions d’électeurs tenues dans les auberges, cafés ou cabarets, étaient obligées de se disperser, dès que
les cloches sonnaient la grand’messe ou les vêpres, pour se mettre en règle avec cette loi de 1814.

Pendant les jours fériés de l’Église catholique (si fréquents au XVII
e siècle, que Louis XIV dut en diminuer le nombre avec l’assentiment plus ou moins volontaire du clergé), les huguenots ne pouvaient ni vendre, ni étaler, ni tenir boutique ouverte, ni travailler, même dans les chambres ou maisons fermées, en aucun métier dont le bruit pût être entendu au dehors.
Cette interdiction de travailler pendant les jours fériés avait été reproduite par la Restauration et c’est la République qui a dû abroger, la loi qui édictait cette interdiction. Il y a encore aujourd’hui bien des partisans du repos
obligatoire du dimanche, qui, en faveur de l’interdiction hebdomadaire du travail, invoquent, non un motif religieux, mais l’intérêt de l’ouvrier lui-même. Sans doute il serait désirable que tout travailleur pût se reposer vingt-quatre heures par semaine, que ce fût le dimanche comme le veulent les catholiques et les protestants, le samedi comme le veulent les juifs, le vendredi comme le font les musulmans, peu importerait.
Mais l’organisation des grands services publics, comme les chemins de fer, les postes, les télégraphes, ne permettent point l’arrêt complet de la vie nationale à un jour déterminé.
En outre, certains ouvriers; — soit que leur travail, comme celui des hauts-fourneaux par exemple, ne puisse subir d’interruption, soit qu’il leur faille travailler sans relâche, pour subvenir aux besoins de leurs familles avec des salaires
insuffisants, — sont obligés de travailler sept jours sur sept; d’autres, après avoir travaillé six jours pour leurs patrons, travaillent le septième jour pour eux-mêmes; de quel droit les empêcher de le faire? Si le législateur imposait aux salariés un jour de repos obligatoire, il serait moralement tenu de leur allouer, en même temps, une indemnité équivalente à la rémunération de la journée de travail qu’il leur ferait perdre par cette prescription arbitraire.
Ce qui était vraiment obliger les huguenots à faire
chose contre leur conscience, c’était de les astreindre à laisser tendre leurs maisons les jours de fêtes catholiques sur le chemin que devaient suivre les processions; on tendait leurs maisons, malgré eux, ils étaient même contraints de payer les frais de cette décoration forcée, bien que l’édit de Nantes portât, qu’ils ne contribueraient aucune chose pour ce regard.
Mais ce qui devint pour les huguenots une véritable persécution ce fut la persistance que l’on mit à vouloir les contraindre à se mettre
en posture de respect (chapeau bas ou à genoux) quand ils se trouvaient sur le passage d’un prêtre allant donner le viatique à un malade, ou d’une procession dans laquelle était porté le Saint-Sacrement.

De nos jours encore on a vu plus d’une fois se produire des scènes de violence regrettables, quand des prêtres trop zélés ou des fidèles échauffés ont voulu obliger les passants à se découvrir devant le Saint-Sacrement porté dans une procession. C’est, pour éviter ces scènes fâcheuses que, dans les villes où il y a exercice de plusieurs cultes, on interdit aux processions catholiques de sortir dans les rues, et que, dans certaines grandes villes, le viatique est porté aux malades sans cérémonie,
inostensiblement. Sous Louis XIV et sous Louis XV, l’ardeur des passions religieuses renouvelait presque chaque jour de violentes querelles entre les catholiques et les protestants, ceux-ci refusant d’accorder une marque de respect à ce qu’ils appelaient un Dieu de pâte.
Le Synode de Charenton en 1645 avait sévèrement censuré les huguenots qui, à la rencontre du Saint-Sacrement, ôtaient le chapeau, et, pour éviter le reproche d’avoir salué un objet qu’ils tenaient pour
une idole, disaient qu’ils rendaient cet honneur, non à l’hostie, mais au prêtre qui la portait et à la compagnie qui le suivait.
« Le Synode, dit Elie Benoît, faisant de cet acte de révérence, et de cette équivoque honteuse, une affaire capitale, représenta cette complaisance qu’on avait pour les catholiques avec des couleurs qui devaient
en donner l’horreur. »
C’était donc une obligation de
conscience pour les protestants, ou de fuir la rencontre du Saint-Sacrement, ou, s’ils ne pouvaient l’éviter, de se laisser condamner à l’amende édictée contre ceux qui refusaient de se mettre en posture de respect.
Les condamnations étaient fréquentes, car la populace se faisait un jeu d’empêcher les huguenots de s’enfuir à l’approche du Saint-Sacrement. À Fécamp, même, un protestant ayant été poursuivi jusqu’au fond de l’allée d’une maison où il était réfugié par le curé et par le vicaire qui portaient le Saint-Sacrement, se vit condamné pour avoir refusé de s’agenouiller devant l’idole. À
Metz, raconte Olry, pour surprendre plus facilement les protestants, on épargnait le son de la petite clochette, agitée d’habitude par la personne précédant le prêtre qui portait le Saint-Sacrement. La terreur de subir cette fâcheuse rencontre était devenue telle que les domestiques huguenots, quand ils entendaient le son des clochettes attachées aux tombereaux destinés à enlever les immondices, rentraient à la hâte au logis au lieu de venir apporter les ordures à ces tombereaux.

Louvois qui connaissait l’invincible répugnance qu’éprouvaient les calvinistes et les luthériens à se mettre à genoux, lors du passage du Saint-Sacrement, avait su éviter aux soldats étrangers au service de Louis XIV, la fâcheuse alternative de désobéir à leurs chefs ou de faire
chose contre leur conscience.
Par une lettre circulaire adressée aux commandants de troupes, il leur enjoignait de faire retirer les troupes suisses ou étrangères
dans lesquelles il y aurait des hérétiques, des postes qui se trouvaient sur le passage des processions ; si dans ces troupes catholiques, ajoutait-il, « il y avait quelques hérétiques officiers ou soldats mêlés, Sa Majesté trouvera bon que vous dissimuliez que les officiers ou soldats hérétiques se retirent auparavant que la procession passe. Il reste à vous informer de l’intention du roi, à l’égard des postes devant lesquels le Saint-Sacrement passera lorsqu’on le portera aux malades, Sa Majesté trouvera bon qu’en ce cas, il n’y ait que les catholiques qui sortent pour prendre les armes et se mettre à genoux; que si, tout ce qui se trouvait dans un corps de garde se trouvait hérétique, l’intention de Sa Majesté est que ledit corps de garde ne prenne pas les armes... »

De nos jours, les sentiments des protestants n’ont pas changé sur cette sorte de cas de conscience, et l’on a vu
en 1881, le caporal Taquet, un protestant, commandé pour assister à une cérémonie religieuse, refuser de s’agenouiller au moment de la bénédiction du Saint-Sacrement. Taquet, pour avoir désobéi à l’ordre donné par son chef, fut condamné à quatre jours de salle de police. Il eût mieux valu ne pas commander un protestant pour escorter la procession de la Fête-Dieu, afin de ne pas mettre un sous-officier dans cette pénible alternative ou de désobéir à l’ordre que lui donnait son chef de s’agenouiller devant le Saint-Sacrement, ou d’exécuter cet ordre et de faire ainsi chose contraire à sa conscience. Depuis l’incident Taquet, on s’abstient, avec raison, de commander les troupes pour servir d’escorte dans les cérémonies religieuses.
Pour éviter même, que les soldats appelés à rendre les honneurs militaires aux morts ne se trouvent, dans l’enceinte des édifices religieux, obligés de faire
chose contraire à la conscience de quelques-uns d’entre eux, le général Campenon a publié la circulaire suivante :

Paris, 7 décembre 1883.
Mon cher général,

« J’ai été consulté sur l’interprétation à donner aux articles 329 et 330 du décret du 23 octobre 1883, relatif aux honneurs funèbres à rendre aux militaires et marins morts
en activité de service. Ces articles stipulent que les troupes commandées pour rendre les honneurs sont conduites à la maison mortuaire et accompagnent le corps jusqu’au cimetière; mais ils sont muets sur ce que ces troupes doivent faire durant le temps pendant lequel le corps stationne dans l’édifice où s’accomplissent, le cas échéant, les cérémonies du culte auquel appartenait le défunt.
J’ai l’honneur de vous faire connaître, après examen de cette question, qu’il ressort des explications qui m’ont été fournies à la suite de la publication du décret du 28 octobre. 1883, que le conseil d’État, en supprimant l’article 326 de l’ancien
décret du 13 octobre 1863, concernant les honneurs â rendre par les troupes pendant les services religieux, a admis que les troupes désignées pour rendre les honneurs funèbres aux militaires et marins décédés en activité de service resteraient en dehors des édifices du culte pendant la durée du service religieux.
Le service terminé, ces troupes accompagnent le corps
jusqu’au cimetière, à la porte duquel elles rendent, avant d’être reconduites à leurs quartiers, les mêmes honneurs qu’à la maison mortuaire, honneurs spécifiés à l’article 329 précité du décret du 23 octobre 1883. »

Sous Louis XIV, les aumôniers des galères firent de l’obligation de se mettre en posture de respect devant l’hostie consacrée, un cruel moyen de persécution contre les huguenots condamnés aux galères pour cause de religion. Les galériens enchaînés à leurs bancs, assistaient, bon gré mal gré, à la messe que l’aumônier disait chaque matin et lorsque les huguenots refusaient de
lever le bonnet, au moment de l’élévation, on les bâtonnait cruellement parfois jusqu’à la mort.

Voici la navrante description de ce supplice de la bastonnade faite par le galérien huguenot Marteilhe : « On fait dépouiller tout nu, de la ceinture en haut, le malheureux qui doit recevoir la bastonnade. On lui fait mettre le ventre sur le coursier (galerie étroite et élevée placée au milieu de la galère), les jambes pendantes dans son banc et ses deux bras dans le banc à l’opposite. On lui fait tenir les jambes par deux forçats, et les deux bras par deux autres et le dos en haut et tout à découvert et sans chemise. Le comite (chef de la chiourme) est derrière lui qui frappe sur un robuste Turc
pour animer celui-ci à frapper de toutes ses forces avec une grosse corde sur le dos du pauvre patient. Ce Turc est aussi tout nu et sans chemise, et comme il sait qu’il n’y aurait pas de ménagement pour lui s’il épargnait le moins du monde le pauvre misérable qu’on châtie avec tant de cruauté, il applique ses coups de toutes ses forces, de sorte que chaque coup qu’il donne fait une contusion qui est élevée d’un pouce. Rarement un de ceux qui sont condamnés à un pareil supplice en peut-il supporter dix à douze coups sans perdre la parole et le mouvement; cela n’empêche pas que l’on continue à frapper sur ce pauvre corps, sans qu’il crie ni remue, Vingt ou trente coups n’est que pour les peccadilles, mais j’ai vu qu’on en donnait cinquante et même cent, mais ceux-là n’en reviennent guère. »
« Dès les premiers coups, dit Bion, aumônier des galères, la vue du corps du supplicié était telle que des galériens endurcis, des malfaiteurs, des meurtriers, en détournaient les yeux. Les coups semblent
terriblement pesants, dit un des patients, le sang découle et le dos s’enfle de trois ou quatre doigts. »
Après avoir reçu deux bastonnades successives, le forçat huguenot David de Serres écrit :
«Je vous dirai, sur la douleur dont on ne peut parler que par expérience, que c’est quelque chose
de bien aigu et de bien pénétrant. Elle vous pénètre jusqu’aux os, jusqu’au plus profond du coeur et de l’âme. Mon coeur défaillit à la fin de chaque bastonnade et mon âme fut sur le bord de mes lèvres, ce me semblait, pour abandonner sa misérable cabane qu’elle voyait détruire.... à me voir on eût dit à la lettre, qu’une forte charrue m’eût labouré le dos, en traînant son soc sur ma peau toute nue.»
«L’Hostalet, porté à l’hôpital après avoir été bâtonné ainsi, dit : « Je ne suis pas encore guéri de mes plaies car, entre la chair et les os,
il y a des amas de chair meurtrie comme des noisettes, tellement que cela se réduit en flocons fort mauvais. »
Après deux bastonnades Elie Maurin resta, suivant ses propres expressions,
dans une grande débilité de cerveau.
Quant à Sabatier, resté longtemps à l’hôpital entre la vie et la mort à la suite d’une terrible bastonnade, voici ce que dit de lui Marteilhe qui l’avait retrouvé en Hollande :
«  Il en revint, mais toujours si valétudinaire,
si faible de cerveau qu’on l’a vu diverses années en ce pays, hors d’état de soutenir la moindre conversation et ayant la parole si basse qu’on ne pouvait l’entendre. »
L’aumônier des galères,
Bion raconte comment la vue de ce terrible supplice si courageusement supporté par les forçats huguenots, l’amena à se convertir au protestantisme
« Je fus, après cette exécution, envoyé dans la chambre de proue (
1), sous prétexte de voir les malades.

J’y trouvai le chirurgien occupé à visiter les plaies de ces martyrs. Il est vrai qu’à la vue du triste état où étaient leurs corps, je versai des larmes. Ils s’en aperçurent, et, quoique à peine ils pussent prononcer une parole, étant plus près de la mort que de la vie, ils me dirent qu’ils m’étaient obligés de la douceur que j’avais toujours eue pour eux. J’allais à dessein de les consoler, mais j’avais plus besoin de consolation qu’eux-mêmes... J’avais occasion de les visiter tous les jours, et, tous les jours, à la vue de leur patience dans la dernière des misères, mon coeur me reprochait mon endurcissement et mon opiniâtreté à demeurer dans une religion où depuis longtemps j’apercevais beaucoup d’erreurs et surtout
une cruauté qui a le caractère opposé à l’Église de Jésus-Christ. Enfin, leurs plaies furent autant de bouches qui m’annonçaient la religion réformée, et leur sang fut pour moi une semence de régénération.

Cette cruelle persécution, exercée pour obliger les forçats huguenots
à lever le bonnet, en signe de respect pour l’idole, tantôt abandonnée, tantôt reprise, ne cessa qu’en 1709, la constance des victimes ayant lassé l’obstination des persécuteurs. On a peine à s’expliquer cette persistante prétention des catholiques à vouloir obliger, sous peine de cruelles punitions, les huguenots à se mettre en posture de respect, devant l’hostie que ceux-ci ne considèrent que comme un morceau de pâte. Mais, lorsque la loi a une croyance religieuse, elle crée des délits et des crimes surnaturels, elle punit aussi bien l’irrévérence envers l’hostie que sa profanation qu’elle qualifie de sacrilège, elle punit même la raillerie contre un des dogmes de la religion d’État, raillerie qu’elle qualifie de blasphème.

Les huguenots à qui leur religion interdit de croire à l’immaculée conception, ne pensaient pas commettre un crime ou un délit, lorsqu’ils disaient qu’il fallait être visionnaire pour croire à une naissance sans douleurs, sans infirmités naturelles. Cependant pour avoir ainsi parlé, ils étaient poursuivis comme ayant proféré des
blasphèmes contre la pureté de la Vierge, et, pour ce délit surnaturel, étaient passibles des peines terribles édictées contre les blasphémateurs : langue coupée, percée d’un fer rouge ou arrachée. De même que le blasphème, le sacrilège, crime surnaturel, est puni de peines basées sur l’opinion, non de ceux qui, commettent ce crime, mais de ceux qui le punissent. — C’est pourquoi la loi, quand elle a une croyance religieuse, frappe des mêmes peines le sacrilège conscient ou inconscient; peu importent aux juges et la croyance de celui qui a profané une hostie, et les circonstances qui ont accompagné cette profanation qui est regardée comme constituant une voie de fait contre Jésus-Christ lui-même. C’est le dogme catholique de la présence réelle, passé dans la loi, qui fait le crime et le qualifie.

Un prêtre de Paris, dit une relation attribuée à Jurieu, avait mis de côté pendant trois ans toutes les hosties consacrées en disant la messe ; puis, un beau jour, avec sa collection d’hosties il était passé en Hollande. — Là, il fit une conférence contre la présence réelle devant une nombreuse assistance, et, à l’appui de son discours contre
l’idole de pâte, « il prit une des hosties qu’il avait apportées, la brisa, et, en laissant tomber les fragments par terre, dit à ses auditeurs qu’ils prissent garde, s’il sortait du sang, des os brisés de cette idole. »
Ce sacrilège n’aurait pas été autrement puni que celui des malheureux huguenots qui, traînés à l’église et ayant recraché l’hostie qu’on leur avait mise de force dans la bouche, furent impitoyablement envoyés au bûcher.
Lièvre, dans son histoire du Poitou, cite entre autres, l’exemple suivant de cette inique cruauté :
«Guizot, un vieillard de soixante-dix ans, qui avait abjuré par contrainte, tombe malade; le curé accourt, Guizot rétracte son abjuration et refuse de recevoir la communion, le curé lui met de
force l’hostie dans la bouche et Guizot la crache ; malheureusement pour lui la maladie ne fut pas mortelle. Poursuivi comme sacrilège, Guizot fut condamné au feu et mourut avec le courage d’un martyr. »

La folie religieuse n’est même pas une circonstance atténuante, en pareil cas, et d’Argenson n’eût pas hésité à faire brûler la femme Dubuisson, s’il n’eût été retenu par des considérations politiques.
Cette femme, dit le lieutenant de police, après s’être mis dans l’esprit
qu’elle était sainte, communiait tous les jours depuis plus de six mois, sans aucune préparation et même après avoir mangé; le procédé pourrait mériter les derniers supplices, suivant la disposition des lois. Mais on ne pourrait rendre publique la punition de ces crimes, sans faire injure à la religion, et donner lieu aux mauvais discours des libertins et des protestants mal convertis.
En conséquence d’Argenson conclut à ce que cette femme soit envoyée au gouffre de l’hôpital
général où elle trouvera la punition non publique de ses sacrilèges.

La profanation des vases sacrés et des saintes huiles constituait aussi un sacrilège que la loi punissait au XVII° siècle de la peine du bûcher. Nous trouvons, dans les mémoires du forçat protestant Martheilhe, l’histoire d’un
crime de ce genre commis par un esclave turc des galères, et commis inconsciemment. Ce Turc nommé Galafas, avait acheté, de voleurs qui l’avaient dérobée dans l’église de Dunkerque, une boite d’argent contenant les saintes huiles destinées à l’administration des sacrements. Galafas, sachant que c’était chose volée, aplatit la boîte à coups de marteau pour en dissimuler la forme, et, pour ne rien perdre, graissa ses souliers avec le coton imbibé d’huile qu’elle contenait.
Si j’avais eu de la salade, dit-il aux prêtres qui l’interrogeaient, je l’aurais garnie de cette huile, car je l’ai goûtée et elle était très bonne. » Galafas traduit en justice fut condamné à être brûlé vif. Mais les Turcs des galères de Dunkerque, ayant trouvé moyen de faire tenir une lettre à Constantinople au grand Seigneur, celui-ci aussitôt fit appeler l’ambassadeur de France et lui déclara que, si on faisait mourir Galafas, pour un fait de cette nature que les Turcs ignorent être un crime, lui, grand Seigneur, ferait mourir du même supplice cinq cents chrétiens esclaves français. Cet argument péremptoire du grand Seigneur sauva Galafas qui fut racheté des galères et retourna à Constantinople.

Malgré cette leçon de jurisprudence qu’il avait reçue, Louis XIV n’en continua pas moins à punir
de même tous les sacrilèges, qu’ils fussent conscients ou inconscients.
La Restauration elle-même, qui avait ressuscité le crime du
sacrilège, n’admettait pas davantage cette distinction équitable à faire pour les auteurs de ces crimes surnaturels, entre celui qui avait fait un outrage calculé à la religion, et celui qui avait commis un sacrilège, ignorant que c’était un crime aux yeux du législateur.
L’édit de Nantes stipulait que tous ceux qui avaient antérieurement abjuré, pour passer soit du catholicisme au protestantisme, soit du protestantisme à la foi catholique, auraient toute liberté de revenir à leur foi première, sans pouvoir être recherchés ni molestés à raison de leur nouveau changement de religion. La même faculté était donnée aux prêtres et personnes religieuses, et l’on reconnaissait la validité des mariages contractés par eux devant un ministre protestant, c’était là une disposition qui pouvait paraître d’un libéralisme excessif, sous le régime d’une religion d’État, puisqu’en l’an de grâce 1883, alors que les lois ne reconnaissent plus de voeux perpétuels, on a vu un procureur de la République soutenir cette thèse que la qualité de prêtre, même défroqué, est une cause de nullité de mariage.
Ces diverses dispositions de l’édit de Nantes avaient été considérées comme s’appliquant aussi bien à l’avenir qu’au passé. Le cardinal de Richelieu avait même déterminé les formes dans lesquelles devait se faire l’abjuration des catholiques et un édit de 1663 constate que, depuis l’édit de Nantes, beaucoup de catholiques s’étaient faits protestants et que des prêtres et des personnes religieuses avaient abjuré et s’étaient mariées devant un ministre.

Louis XIV n’osa en venir tout d’abord à rapporter ces dispositions formelles de l’édit, bien que le clergé catholique protestât sans cesse contre l’égalité du droit d’abjuration pour les catholiques et pour les protestants. Mais il apporta successivement toutes les entraves imaginables au droit de prosélytisme des protestants, en même temps qu’il employait les moyens les moins honnêtes pour amener l’abjuration, des
religionnaires.

Alors que la caisse des conversions administrée par Pélisson, protestant converti, tenait boutique ouverte pour
l’achat des abjurations, il était interdit aux ministres et consistoires de corrompre les pauvres catholiques en les faisant participer à leurs aumônes; on défendait aux ministres et anciens d’aller dans les maisons, soit de jour, soit de nuit, si ce n’est pour visiter les malades huguenots et faire fonctions de leur ministère. Quant aux malades pauvres, de la religion réformée, ils ne pouvaient être recueillis et soignés par leurs co-religionnaires, ils devaient être envoyés dans les hôpitaux catholiques.

Alors qu’on provoquait l’abjuration des huguenots par l’appât des grades, des places et des pensions, on défendait aux huguenots d’employer pour amener la conversion d’un catholique; même l’appât du mariage avec une huguenote. Puis on en vint à interdire les mariages mixtes ou
bigarrés, à déclarer nul tout mariage entre catholique et huguenot célébré contrairement à cette défense.

Nous avons rappelé de combien de fonctions et de professions les huguenots furent exclus par suite de cette préoccupation de
mettre les protestants dans l’impossibilité d’user du crédit que pouvait leur donner telle situation officielle ou telle profession, pour empêcher les conversions de leurs co-religionnaires. Par suite de la même préoccupation il fut interdit aux pasteurs d’exercer leur ministère dans le même lieu pendant plus de trois ans, une trop longue résidence leur donnant une puissance absolue sur l’esprit de leurs co-religionnaires.
Pour empêcher les maîtres d’user de leur
crédit près de leurs domestiques et de faire du prosélytisme auprès d’eux, on eut recours aux injonctions les plus contradictoires. Un domestique catholique ne put abjurer que six mois après avoir quitté le service d’un maître huguenot, et il devait s’écouler un nouveau délai de six mois avant que ce domestique pût entrer au service d’un autre huguenot. Puis on interdit aux catholiques d’entrer au service des huguenots « attendu, disait l’édit, que plusieurs de la religion prétendue réformée, après avoir perverti leurs domestiques catholiques, les obligent de passer dans les pays étrangers pour quitter leur religion. » Quelques mois plus tard, nouvel édit ordonnant au contraire, aux huguenots et aux nouveaux convertis, de congédier leurs domestiques protestants pour en prendre des catholiques, « attendu que ce qui était très utile alors » (six mois plus tôt) pour empêcher la perversion de nos sujets catholiques, dit la déclaration royale, pourrait retarder à présent la conversion de ceux de la religion prétendue réformée engagés au service du petit nombre de prétendus réformés qui sont malheureusement restés jusqu’ici dans leur erreur. Pareillement serait dangereux de laisser aux nouveaux convertis la liberté de se servir de domestiques de ladite religion. » Les peines édictées pour contraventions à cette injonction étaient, pour le maître, mille livres d’amende; pour une domestique le fouet et la marque, pour le serviteur mâle les galères.

Dans sa haine pour le protestantisme, le roi alla jusqu’à défendre aux huguenots d’instruire les mahométans et les idolâtres dans leur fausse doctrine. « Afin d’empêcher qu’on n’abuse de leur ignorance pour les engager dans une religion
contraire à leur salut, voulons, dit le roi, que tous mahométans et idolâtres qui voudront se faire chrétiens ne puissent être instruits, ni faire profession d’autre religion que de la catholique.

Enfin, Louis XIV établit des catégories de catholiques de
droit :
1° Les enfants
exposés : « parce que ayant été malheureusement abandonnés de leurs pères, et par ce moyen devenant sous notre puissance comme père commun de nos sujets, nous ne pouvons les faire élever que dans la religion que nous professons » .
2°Les bâtards, même nés d’une mère protestante.
« Attendu qu’il n’y a personne qui puisse exercer sur ces en
fants une puissance légitime. »
3° Les enfants, nés de père et de mère appartenant à la religion protestante; lorsque leur père avait abjuré avant qu’ils eussent atteint l’âge de quatorze ans.
4° Les enfants dont les pères étaient morts protestants mais dont les mères étaient catholiques «pour donner aux dites veuves, dans la perte de leurs maris, cette consolation de pouvoir procurer à leurs enfants, l’avantage d’être élevés dans la véritable religion. »
Quant aux orphelins huguenots, dont le père et la mère étaient morts protestants, ne trouvant pas de prétexte pour les déclarer catholiques
de droit, on s’était borné à leur imposer des tuteurs et curateurs catholiques, « certains tuteurs et curateurs réformés ayant abusé de la puissance que cette qualité leur donnait sur leurs pupilles, pour les détourner des bons desseins qu’ils témoignaient de se convertir à la religion catholique. »

Cette persistante préoccupation de vouloir assurer le salut de ceux de ses sujets qu’il estimait être dans l’erreur, amena Louis XIV à porter la plus grave atteinte à la liberté de conscience des huguenots, ainsi garantie par le quatrième article particulier de l’édit de Nantes : « Ne seront tenus ceux de ladite religion de recevoir
exhortations, lorsqu’ils seront malades, d’autres que de la même religion. Sous prétexte de violences exercées, en plusieurs occasions, par ceux de la religion prétendue réformée pour empêcher la conversion de leurs malades qui voulaient rentrer avant leur mort dans le sein de l’Église, le roi, par une déclaration du 2 avril 1666, autorisa les curés, "assistés des juges, échevins ou consuls à se présenter aux malades pour recevoir leur déclaration.
Il arrivait souvent que les curés, emportés par leur zèle convertisseur, se rendaient auprès des malades huguenots, sans avoir même réclamé l’assistance des magistrats.

C’est ce qui advint à Rouen ; un curé ayant pénétré près d’un malade, sans être accompagné d’un magistrat, et suivi
du menu peuple du quartier, ce malade avait refusé de le recevoir.
Ce qui ayant fait mutiner cette populace, deux magistrats assistés de deux sergents y étaient allés, et étaient montés à la chambre du malade qui leur avait déclaré n’avoir eu aucune pensée de faire appeler le curé ni de changer de religion ; sur quoi les magistrats, qui avaient d’abord fait sortir les parents jusqu’à la femme du malade, les avaient fait rentrer et ayant trouvé un ministre au bas de l’escalier, lui avaient dit qu’il pouvait monter puisque le malade le demandait.

À Paris même, sous les yeux d’une police ombrageuse, le clergé négligeait parfois de requérir l’assistance d’un magistrat. pour aller tourmenter les malades protestants. Un passementier étant à l’agonie, deux religieuses et le vicaire de Saint-Hippolyte veillent pénétrer auprès du malade, malgré l’opposition de la femme de celui-ci. Ils insultent cette femme, et la canaille qui les avait accompagnés se met en mesure de piller la maison, si bien qu’il faut recourir à l’intervention de la police pour que le malheureux puisse mourir en paix.
Le ministre Claude fut lui-même obligé de se retirer d’auprès d’une malade que persécutaient des prêtres appuyés par la populace. Le commissaire appelé après avoir demandé quatre fois à la malade quelle était sa volonté, fit enfin retirer ces prêtres, et Claude revint consoler la mourante qui expira une demi-heure plus tard.
À Caen, un curé et un vicaire s’étant établis
d’autorité, malgré le mari, auprès de la femme Brisset, tombée en une sorte de léthargie et ne pouvant ni leur répondre, ni même les entendre, firent chasser d’auprès d’elle par le lieutenant particulier, son mari et ses filles, puis déclarèrent la malade convertie et la firent enterrer comme catholique. Elie Benoît raconte l’histoire d’une pauvre femme que l’on avait interrogée pendant qu’elle avait le délire de la fièvre, et déclarée catholique. Elle revient à elle et voit au pied de son lit un crucifix: elle comprend qu’on a abusé de son état pour prétexter qu’elle a changé de religion. Elle veut se sauver par la fenêtre, la porte étant fermée à clé, elle tombe d’un troisième étage et se tue.

En Poitou, dit Jurieu, un marguillier et un curé ayant chassé les enfants d’un vieillard mourant, après les avoir menacés de pendaison s’ils revenaient, tentèrent en vain pendant plusieurs jours de convertir le malade. Le pauvre homme, abandonné par eux et privé de ses enfants qui s’étaient réfugiés dans le bois, mourut de froid, de misère et de faim et l’on trouva
qu’il s’était mangé les mains.

Sur les plaintes faites par les protestants contre les curés qui commettaient cette double infraction à la loi, de se présenter aux malades sans être accompagnés d’un magistrat, et, au lieu de se borner à recevoir la déclaration de ceux-ci, de leur faire
des exhortations, ce qui était contraire à l’édit de Nantes, la loi fut ainsi modifiée :
« Voulons et nous plaît que nos baillis, sénéchaux et autres premiers juges des lieux, ensemble les baillis, sénéchaux, prévôts, châtelains et autres chefs de justice seigneuriale de notre royaume qui auront avis qu’aucuns de nos sujets de ladite religion prétendue réformée demeurant aux dits lieux, seront malades ou en danger de mourir, soient tenus de se transporter vers lesdits malades, assistés de nos procureurs ou des procureurs fiscaux et de deux témoins, pour recevoir leur déclaration, et savoir d’eux s’ils veulent mourir dans ladite religion; et, en cas que lesdits de la r. p. r. désirent se faire instruire en la religion catholique, voulons que lesdits juges fassent venir sans délai et au désir des malades, les ecclésiastiques, ou autres qu’ils auront demandés, sans que leurs parents y puissent donner aucun empêchement. » Cette prescription mettait fin aux scènes de scandale et de violence provoquées par les curés venant auprès des malades sans avoir été appelés, mais il mettait le moribond à la discrétion d’un magistrat, souvent peu scrupuleux et tout disposé à favoriser le prosélytisme in extremis du curé.
Le moribond dont la famille entourait le lit de douleur, tout à coup, sans avoir été prévenu, voyait entrer le magistrat dont la présence lui annonçait que sa dernière heure était proche. On faisait retirer tous les siens, et ce malheureux, qui n’avait plus de force que pour mourir, se trouvait seul en face du magistrat, souvent aussi ardent convertisseur que le prêtre, il lui fallait subir un long et délicat interrogatoire. En dépit de la fièvre qui le minait et le privait de l’usage de ses facultés, il devait calculer chaque mot des réponses à faire aux questions captieuses qui lui étaient posées. Qu’une de ses réponses pût être interprétée dans un sens favorable aux désirs de son interrogateur, c’en était assez, on s’écriait: le malade veut se convertir! il appartenait dès lors au clergé, les siens étaient éloignés de sa couche d’agonie, et, alors même qu’il mourait, sans avoir repris connaissance, il était enterré comme catholique, et ses enfants étaient enlevés à leur mère huguenote, pour être élevés dans la religion dans laquelle leur père était censé être mort.

Cette barbare pratique de la visite des malades devint l’instrument de la plus odieuse et cruelle persécution, lorsque le clergé eut obtenu ce qu’il réclamait instamment, l’interdiction d’abjurer la foi catholique aussi bien pour les anciens catholiques que pour les nouveaux convertis.

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(1) (Il y a sous le pont, à fond de cale, un endroit qu’on appelle la chambre de proue où on ne respire l’air que par un trou large de deux pieds... dans ce lieu affreux toutes sortes de vermines exercent un pouvoir despotique. Toutes les fois que j’y descendais je marchais dans les ombres de la mort... j’étais obligé de me coucher tout de mon long auprès des malades pour entendre en secret la déclaration de leurs péchés, et souvent, en confessant celui qui était à ma droite, je trouvais celui de ma gauche qui expirait sur ma poitrine).
Bion. 
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