Persécution
du
Saint-Sacrement.
— Sacrilèges
et blasphèmes. —
Prosélytisme.
— Relaps. — Visite obligatoire du curé. — Mortarisme. — Le droit des pères de famille. — Enfants de sept ans. — Suspects. — Régime de l’ inquisition. — Opiniâtres. — Expulsions. — Transportations. — Couvents. Hôpitaux. — Prisons. |
L’édit de
Nantes autorisait les huguenots à vivre et
demeurer dans toutes les villes et lieux du
royaume, sans être enquis, vexés,
molestés, ni astreints à
faire chose, pour le fait de
religion, contraire à leur conscience, ni,
pour raison d’icelle,
être
recherchés en maisons et lieux où ils
voudraient habiter.
Pour les huguenots, cette liberté de
conscience fut, au début,
aussi
complète
qu’elle pouvait
l’être dans un pays où
l’Église et l’État
étant unis par les liens les plus
étroits, la loi avait une croyance
religieuse.
Ainsi, par respect pour les prescriptions de
l’Église catholique, les huguenots
devaient s’abstenir de vendre publiquement et
d’étaler de la viande pendant la
durée du carême et pendant les autres
jours d’abstinence. S’ils se trouvaient
en voyage pendant les jours où
l’Église catholique interdit
l’usage de la viande, ils devaient faire
maigre,
bon gré,
mal
gré, car il était défendu aux
taverniers et hôteliers de fournir, ces
jours-là, viande, volaille, ou gibier
à ceux qui venaient manger ou loger chez
eux.
Pour la même raison du respect dû
à la religion d’État, les
huguenots ne pouvaient aller au cabaret pendant la
durée des offices catholiques.
Une loi de 1814, qui n’a été
abrogée qu’en 1877, reproduisit cette
interdiction d’aller au cabaret pendant les
offices catholiques. Tous ceux qui ont fait une
campagne électorale, sous le règne
des hommes du 16 mai, ont pu constater avec quelle
hâte comique, les réunions
d’électeurs tenues dans les auberges,
cafés ou cabarets, étaient
obligées de se disperser, dès que les
cloches sonnaient la grand’messe
ou les vêpres, pour se mettre en règle
avec cette loi de 1814.
Pendant les jours fériés de
l’Église catholique (si
fréquents au XVIIe siècle,
que
Louis XIV dut en
diminuer le nombre avec l’assentiment plus ou
moins volontaire du clergé), les huguenots
ne pouvaient ni vendre, ni étaler, ni tenir
boutique ouverte, ni travailler, même dans
les chambres ou maisons fermées, en aucun
métier dont le bruit pût être
entendu au dehors.
Cette interdiction de travailler pendant les jours
fériés avait été
reproduite par la Restauration et c’est la
République qui a dû abroger, la loi
qui édictait cette interdiction. Il y a
encore aujourd’hui bien des partisans du repos obligatoire
du
dimanche,
qui, en
faveur de l’interdiction hebdomadaire du
travail, invoquent, non un motif religieux, mais
l’intérêt de l’ouvrier
lui-même. Sans doute il serait
désirable que tout travailleur pût se
reposer vingt-quatre heures par semaine, que ce
fût le dimanche comme le veulent les
catholiques et les protestants, le samedi comme le
veulent les juifs, le vendredi comme le font les
musulmans, peu importerait.
Mais l’organisation des grands services
publics, comme les chemins de fer, les postes, les
télégraphes, ne permettent point
l’arrêt complet de la vie nationale
à un jour déterminé.
En outre, certains ouvriers; — soit que leur
travail, comme celui des hauts-fourneaux par
exemple, ne puisse subir d’interruption, soit
qu’il leur faille travailler sans
relâche, pour subvenir aux besoins de leurs
familles avec des salaires insuffisants,
— sont obligés
de travailler
sept jours sur sept; d’autres, après
avoir travaillé six jours pour leurs
patrons, travaillent le septième jour pour
eux-mêmes; de quel droit les empêcher
de le faire? Si le
législateur
imposait
aux salariés un jour de repos obligatoire,
il serait
moralement
tenu de leur allouer, en même temps, une
indemnité équivalente à la
rémunération de la journée de
travail qu’il leur ferait perdre par cette
prescription arbitraire.
Ce qui était vraiment obliger les huguenots
à faire chose
contre leur conscience, c’était
de les astreindre
à laisser tendre
leurs maisons les jours de fêtes catholiques
sur le chemin que devaient suivre les processions;
on tendait leurs maisons, malgré eux, ils
étaient même contraints de payer les
frais de cette décoration forcée,
bien que l’édit de Nantes portât,
qu’ils ne contribueraient aucune chose pour ce
regard.
Mais ce qui devint pour les huguenots une
véritable persécution ce fut la
persistance que l’on mit à vouloir les
contraindre à se mettre en
posture de respect (chapeau
bas ou à genoux) quand
ils se trouvaient sur le passage d’un
prêtre allant donner le viatique à un
malade, ou d’une procession dans laquelle
était porté le Saint-Sacrement.
De nos jours encore on a vu plus d’une fois se
produire des scènes de violence
regrettables, quand des prêtres trop
zélés ou des fidèles
échauffés ont voulu obliger les
passants à se découvrir devant le
Saint-Sacrement porté dans une procession.
C’est, pour éviter ces scènes
fâcheuses que, dans les villes où il y
a exercice de plusieurs cultes, on interdit aux
processions catholiques de sortir dans les rues, et
que, dans certaines grandes villes, le viatique est
porté aux malades sans
cérémonie, inostensiblement.
Sous Louis XIV et
sous Louis XV,
l’ardeur des passions religieuses renouvelait
presque chaque jour de violentes querelles entre
les catholiques et les protestants, ceux-ci
refusant d’accorder une marque de respect
à ce qu’ils appelaient un
Dieu de pâte.
Le Synode de Charenton en 1645 avait
sévèrement censuré les
huguenots qui, à la rencontre du
Saint-Sacrement, ôtaient le chapeau, et, pour
éviter le reproche d’avoir salué
un objet qu’ils tenaient pour une
idole, disaient qu’ils rendaient
cet
honneur, non à
l’hostie, mais au prêtre qui la portait
et à la compagnie qui le
suivait.
« Le Synode, dit Elie Benoît, faisant de
cet acte de révérence, et de cette
équivoque honteuse, une affaire capitale,
représenta cette complaisance qu’on
avait pour les catholiques avec des couleurs qui
devaient en
donner
l’horreur. »
C’était donc une obligation de conscience
pour
les protestants,
ou de
fuir la rencontre du Saint-Sacrement, ou,
s’ils ne pouvaient l’éviter, de se
laisser condamner à l’amende
édictée contre ceux qui refusaient de
se mettre en posture
de respect.
Les condamnations étaient fréquentes,
car la populace se faisait un jeu
d’empêcher les huguenots de
s’enfuir à l’approche du
Saint-Sacrement. À Fécamp,
même, un protestant ayant été
poursuivi jusqu’au fond de l’allée
d’une maison où il était
réfugié par le curé et par le
vicaire qui portaient le Saint-Sacrement, se vit
condamné pour avoir refusé de
s’agenouiller devant l’idole.
À Metz,
raconte Olry,
pour surprendre plus facilement les protestants, on
épargnait
le son de
la petite
clochette, agitée d’habitude par la
personne précédant le prêtre
qui portait le Saint-Sacrement. La terreur de subir
cette fâcheuse rencontre était devenue
telle que les domestiques huguenots, quand ils
entendaient le son des clochettes attachées
aux tombereaux destinés à enlever les
immondices, rentraient à la hâte au
logis au lieu de venir apporter les ordures
à ces tombereaux.
Louvois qui connaissait l’invincible
répugnance qu’éprouvaient les
calvinistes et les luthériens à se
mettre à genoux, lors du passage du
Saint-Sacrement, avait su éviter aux soldats
étrangers au service de Louis XIV, la
fâcheuse alternative de
désobéir à leurs chefs ou de
faire chose
contre
leur conscience.
Par une lettre circulaire adressée aux
commandants de troupes, il leur enjoignait de faire
retirer les troupes suisses ou
étrangères dans
lesquelles il y aurait des
hérétiques, des
postes qui se trouvaient sur le
passage des processions ; si dans ces troupes
catholiques, ajoutait-il,
« il y
avait
quelques hérétiques officiers ou
soldats mêlés, Sa
Majesté trouvera bon que
vous dissimuliez que les officiers ou soldats
hérétiques se
retirent auparavant que la
procession passe. Il
reste à vous informer de l’intention du
roi, à l’égard des postes devant
lesquels le Saint-Sacrement passera lorsqu’on
le portera aux malades, Sa Majesté trouvera
bon qu’en ce cas, il n’y ait que les
catholiques
qui sortent pour prendre les armes et se mettre
à genoux; que
si, tout ce qui
se
trouvait dans
un corps de garde se trouvait hérétique,
l’intention
de Sa
Majesté est que ledit corps
de garde ne
prenne pas
les armes... »
De nos jours, les sentiments des protestants
n’ont pas changé sur cette sorte de cas
de conscience, et l’on a vu en 1881,
le
caporal Taquet, un protestant, commandé
pour assister à une cérémonie
religieuse, refuser de s’agenouiller au moment
de la bénédiction du Saint-Sacrement.
Taquet, pour avoir désobéi à
l’ordre donné par son chef, fut
condamné à quatre jours de salle de
police. Il eût mieux valu ne pas commander un
protestant pour escorter la procession de la
Fête-Dieu, afin de ne pas mettre un
sous-officier dans cette pénible alternative
ou de désobéir à l’ordre
que lui donnait son chef de s’agenouiller
devant le Saint-Sacrement, ou
d’exécuter cet ordre et de faire ainsi chose
contraire
à
sa
conscience. Depuis l’incident Taquet, on
s’abstient, avec raison, de commander les
troupes pour servir d’escorte dans les
cérémonies religieuses.
Pour éviter même, que les soldats
appelés à rendre les honneurs
militaires aux morts ne se trouvent, dans
l’enceinte des édifices religieux,
obligés de faire chose
contraire à la conscience de
quelques-uns
d’entre eux, le général Campenon
a publié la circulaire suivante :
Paris, 7 décembre 1883.
Mon cher général,
« J’ai été consulté
sur l’interprétation à donner
aux articles 329 et 330 du décret du 23
octobre 1883, relatif aux honneurs funèbres
à rendre aux militaires et marins morts en
activité de service. Ces
articles stipulent que les troupes
commandées pour rendre les honneurs sont
conduites à la maison mortuaire et
accompagnent le corps jusqu’au
cimetière; mais ils sont muets sur ce que
ces troupes doivent faire durant le temps pendant
lequel le corps stationne dans
l’édifice où
s’accomplissent, le cas échéant,
les cérémonies du culte auquel
appartenait le défunt.
J’ai l’honneur de vous faire
connaître, après examen de cette
question, qu’il ressort des explications qui
m’ont été fournies à la
suite de la publication du décret du 28
octobre. 1883, que le conseil d’État,
en supprimant l’article 326 de
l’ancien décret
du
13
octobre 1863, concernant les honneurs â
rendre par les troupes pendant les services
religieux, a admis que les troupes
désignées pour rendre les honneurs
funèbres aux militaires et marins
décédés en activité de
service resteraient en dehors des édifices
du culte pendant la durée du service
religieux.
Le service terminé, ces troupes accompagnent
le corps jusqu’au cimetière,
à
la porte duquel
elles
rendent,
avant d’être reconduites à leurs
quartiers, les mêmes honneurs
qu’à la maison mortuaire, honneurs
spécifiés à l’article 329
précité du décret du 23
octobre 1883. »
Sous Louis XIV, les aumôniers des
galères firent de l’obligation de se
mettre en posture de respect devant l’hostie
consacrée, un cruel moyen de
persécution contre les huguenots
condamnés aux galères pour cause de
religion. Les galériens
enchaînés à leurs bancs,
assistaient, bon gré mal gré,
à la messe que l’aumônier disait
chaque matin et lorsque les huguenots refusaient de lever
le
bonnet, au moment
de
l’élévation, on les
bâtonnait cruellement parfois
jusqu’à la mort.
Voici la navrante description de ce supplice de la
bastonnade faite par le galérien huguenot
Marteilhe : « On fait dépouiller
tout nu, de la ceinture en haut, le malheureux qui
doit recevoir la bastonnade. On lui fait mettre le
ventre sur le coursier (galerie étroite et
élevée placée au milieu de la
galère), les jambes pendantes dans son banc
et ses deux bras dans le banc à
l’opposite. On lui fait tenir les jambes par
deux forçats, et les deux bras par deux
autres et le dos en haut et tout à
découvert et sans chemise. Le comite (chef
de la chiourme) est derrière lui qui frappe
sur un robuste Turc pour
animer celui-ci
à frapper de toutes
ses forces avec une grosse corde sur le dos du
pauvre patient. Ce Turc est aussi tout nu et sans
chemise, et comme il sait qu’il n’y
aurait pas de ménagement pour lui s’il
épargnait le moins du monde le pauvre
misérable qu’on châtie avec tant
de cruauté, il applique ses coups de toutes
ses forces, de sorte que chaque coup qu’il
donne fait une contusion qui est
élevée d’un
pouce. Rarement
un de ceux qui sont
condamnés à un pareil supplice en
peut-il supporter dix à douze coups sans
perdre
la parole
et le mouvement; cela
n’empêche pas que l’on continue
à frapper sur ce pauvre corps, sans
qu’il crie ni remue, Vingt ou trente coups
n’est que pour les peccadilles, mais j’ai
vu qu’on en donnait cinquante et même
cent, mais ceux-là n’en reviennent
guère. »
« Dès les premiers coups, dit
Bion, aumônier des galères, la vue du
corps du supplicié était telle que
des galériens endurcis, des malfaiteurs, des
meurtriers, en détournaient les yeux. Les
coups semblent terriblement
pesants, dit un
des patients, le sang
découle et le dos s’enfle de trois ou
quatre doigts. »
Après avoir reçu deux bastonnades
successives, le forçat huguenot David de
Serres écrit :
«Je vous dirai, sur la douleur dont on ne peut
parler que par expérience, que c’est
quelque chose de
bien
aigu et de bien pénétrant. Elle
vous
pénètre jusqu’aux os,
jusqu’au plus profond du coeur et de
l’âme. Mon coeur défaillit
à la fin de chaque bastonnade et mon
âme fut
sur
le bord de mes lèvres, ce
me semblait, pour abandonner sa
misérable cabane qu’elle voyait
détruire.... à me voir on eût
dit à la lettre, qu’une
forte charrue
m’eût labouré le dos, en
traînant son soc sur ma peau toute
nue.»
«L’Hostalet, porté à
l’hôpital après avoir
été bâtonné ainsi, dit :
« Je ne suis pas encore guéri de mes
plaies car, entre la chair et les os, il
y a des
amas de
chair meurtrie comme des noisettes, tellement que
cela se réduit en flocons fort mauvais.
»
Après deux bastonnades Elie Maurin resta,
suivant ses propres expressions, dans
une grande débilité
de cerveau.
Quant à Sabatier, resté longtemps
à l’hôpital entre la vie et la
mort à la suite d’une terrible
bastonnade, voici ce que dit de lui Marteilhe qui
l’avait retrouvé en Hollande :
« Il en revint, mais toujours si
valétudinaire, si
faible de cerveau qu’on
l’a vu
diverses années
en
ce
pays, hors d’état de soutenir la
moindre conversation et ayant la
parole si basse qu’on ne
pouvait l’entendre. »
L’aumônier des galères, Bion raconte
comment la vue de ce terrible
supplice si courageusement supporté par les
forçats huguenots, l’amena à se
convertir au protestantisme
« Je fus, après cette
exécution, envoyé dans la chambre de proue (1),
sous prétexte de voir les
malades.
J’y trouvai le chirurgien occupé
à visiter les plaies de ces martyrs. Il est
vrai qu’à la vue du triste état
où étaient leurs corps, je versai des
larmes. Ils s’en aperçurent, et,
quoique à peine ils pussent prononcer une
parole, étant plus près de la mort
que de la vie, ils me dirent qu’ils
m’étaient obligés de la douceur
que j’avais toujours eue pour eux.
J’allais à dessein de les consoler,
mais j’avais plus besoin de consolation
qu’eux-mêmes... J’avais occasion de
les visiter tous les jours, et, tous les jours,
à la vue de leur patience dans la
dernière des misères, mon coeur me
reprochait mon endurcissement et mon
opiniâtreté à demeurer dans une
religion où depuis longtemps
j’apercevais beaucoup d’erreurs et
surtout une
cruauté qui a
le caractère opposé à
l’Église de Jésus-Christ. Enfin,
leurs plaies
furent
autant de bouches qui m’annonçaient la
religion réformée, et leur sang fut
pour moi une semence de
régénération.
Cette cruelle persécution, exercée
pour obliger les forçats huguenots à
lever le
bonnet, en
signe de
respect pour l’idole, tantôt
abandonnée,
tantôt
reprise, ne cessa qu’en 1709, la
constance des victimes ayant lassé
l’obstination des persécuteurs. On a
peine à s’expliquer cette persistante
prétention des catholiques à vouloir
obliger, sous peine de cruelles punitions, les
huguenots à se mettre en posture
de respect, devant
l’hostie que ceux-ci ne
considèrent que comme un
morceau de pâte. Mais,
lorsque la loi
a une croyance religieuse, elle crée
des délits
et des crimes surnaturels, elle
punit
aussi bien l’irrévérence envers
l’hostie
que
sa profanation qu’elle qualifie de sacrilège,
elle punit
même
la raillerie contre un des dogmes de la religion
d’État, raillerie qu’elle qualifie
de blasphème.
Les huguenots à qui leur religion interdit
de croire à l’immaculée
conception, ne pensaient pas commettre un crime ou
un délit, lorsqu’ils disaient
qu’il fallait être visionnaire pour
croire à une naissance sans douleurs, sans
infirmités naturelles. Cependant pour avoir
ainsi parlé, ils étaient poursuivis
comme ayant proféré des blasphèmes contre
la
pureté de la Vierge, et, pour ce
délit surnaturel, étaient
passibles
des peines
terribles édictées contre les
blasphémateurs : langue coupée,
percée d’un fer rouge ou
arrachée. De même que le
blasphème, le sacrilège, crime
surnaturel, est
puni de peines basées sur
l’opinion, non de ceux qui, commettent ce
crime, mais de ceux qui le punissent. —
C’est pourquoi la loi, quand elle a une
croyance religieuse, frappe des mêmes peines
le sacrilège conscient
ou
inconscient;
peu importent aux juges et la croyance
de celui qui a profané une hostie, et les
circonstances qui ont accompagné cette
profanation qui est regardée comme
constituant une voie de fait contre
Jésus-Christ lui-même. C’est le
dogme catholique de la
présence réelle, passé
dans la loi, qui fait le
crime et le qualifie.
Un prêtre de Paris, dit une relation
attribuée à Jurieu, avait mis de
côté pendant trois ans toutes les
hosties consacrées en disant la messe ;
puis, un beau jour, avec sa collection
d’hosties il était passé en
Hollande. — Là, il fit une
conférence contre la présence
réelle devant une nombreuse assistance, et,
à l’appui de son discours contre l’idole
de
pâte, « il
prit une des hosties qu’il avait
apportées, la brisa, et, en laissant tomber
les fragments par terre, dit à ses auditeurs
qu’ils prissent garde, s’il sortait du
sang, des os brisés de cette idole. »
Ce
sacrilège n’aurait
pas
été autrement puni que celui des
malheureux huguenots qui, traînés
à l’église et ayant
recraché l’hostie qu’on leur avait
mise de force dans la bouche, furent
impitoyablement envoyés au bûcher.
Lièvre, dans son histoire du Poitou, cite
entre autres, l’exemple suivant de cette
inique cruauté :
«Guizot, un vieillard de soixante-dix ans, qui
avait abjuré par contrainte, tombe malade;
le curé accourt, Guizot rétracte son
abjuration et refuse de recevoir la communion, le
curé lui met de force l’hostie
dans
la bouche et Guizot
la crache ; malheureusement pour lui la maladie ne
fut pas mortelle. Poursuivi comme sacrilège,
Guizot fut condamné au feu et mourut avec le
courage d’un martyr. »
La folie religieuse n’est même pas une
circonstance atténuante, en pareil cas, et
d’Argenson n’eût pas
hésité à faire brûler la
femme Dubuisson, s’il n’eût
été retenu par des
considérations politiques.
Cette femme, dit le lieutenant de police,
après s’être mis dans
l’esprit qu’elle
était sainte, communiait
tous les
jours depuis plus de six mois, sans
aucune préparation et même
après avoir mangé; le
procédé pourrait mériter les
derniers
supplices, suivant
la
disposition des lois. Mais on ne pourrait rendre publique
la
punition de ces
crimes, sans faire injure à la religion, et
donner lieu aux
mauvais discours des
libertins et des protestants mal convertis.
En conséquence d’Argenson conclut
à ce que cette femme soit envoyée au
gouffre de l’hôpital général où
elle
trouvera la punition non
publique de ses sacrilèges.
La profanation des vases sacrés et des
saintes huiles constituait aussi un
sacrilège que la loi punissait au XVII°
siècle de la peine du bûcher. Nous
trouvons, dans les mémoires du forçat
protestant Martheilhe, l’histoire d’un crime
de ce genre commis par un esclave
turc
des galères, et commis inconsciemment.
Ce Turc
nommé Galafas, avait
acheté, de voleurs qui
l’avaient dérobée dans
l’église de Dunkerque, une boite
d’argent contenant les saintes huiles
destinées à l’administration des
sacrements. Galafas, sachant que
c’était chose volée, aplatit la
boîte à coups de marteau pour en
dissimuler la forme, et, pour ne rien perdre, graissa
ses
souliers
avec le coton imbibé
d’huile
qu’elle
contenait.
Si j’avais
eu de
la salade, dit-il
aux
prêtres qui l’interrogeaient, je
l’aurais
garnie de cette huile, car je l’ai
goûtée et elle était
très bonne. » Galafas
traduit en justice fut
condamné à être
brûlé
vif. Mais les
Turcs
des galères de Dunkerque, ayant
trouvé moyen de faire tenir une lettre
à Constantinople au grand Seigneur, celui-ci
aussitôt fit appeler l’ambassadeur de
France et lui déclara que, si on faisait
mourir Galafas, pour un fait de cette nature que
les
Turcs ignorent
être un crime, lui,
grand Seigneur, ferait mourir du
même supplice cinq cents chrétiens
esclaves français. Cet argument
péremptoire du grand
Seigneur sauva
Galafas qui fut racheté des galères
et retourna à Constantinople.
Malgré cette leçon de jurisprudence
qu’il avait reçue, Louis XIV n’en
continua pas moins à punir de
même tous les
sacrilèges,
qu’ils fussent conscients ou inconscients.
La Restauration elle-même, qui avait
ressuscité le crime du sacrilège, n’admettait
pas
davantage cette
distinction équitable à faire pour
les auteurs de ces crimes surnaturels,
entre
celui qui avait fait un outrage calculé
à
la religion,
et celui qui avait commis un sacrilège,
ignorant que c’était un crime aux yeux
du législateur.
L’édit de Nantes stipulait que tous
ceux qui avaient antérieurement
abjuré, pour passer soit du catholicisme au
protestantisme, soit du protestantisme à la
foi catholique, auraient toute liberté de
revenir à leur foi première, sans
pouvoir être recherchés ni
molestés à raison de leur nouveau
changement de religion. La même
faculté était donnée aux
prêtres et personnes religieuses, et
l’on reconnaissait la validité des
mariages contractés par eux devant un
ministre protestant, c’était là
une disposition qui pouvait paraître
d’un libéralisme excessif, sous le
régime d’une religion
d’État, puisqu’en l’an de
grâce 1883, alors que les lois ne
reconnaissent plus de voeux perpétuels, on a
vu un procureur de la République soutenir
cette thèse que la qualité de
prêtre, même défroqué,
est une cause de nullité de mariage.
Ces diverses dispositions de l’édit de
Nantes avaient été
considérées comme s’appliquant
aussi bien à l’avenir qu’au
passé. Le cardinal de Richelieu avait
même déterminé les formes dans
lesquelles devait se faire l’abjuration des
catholiques et un édit de 1663 constate que,
depuis l’édit de Nantes, beaucoup de
catholiques s’étaient faits protestants
et que des prêtres et des personnes
religieuses avaient abjuré et
s’étaient mariées devant un
ministre.
Louis XIV n’osa en venir tout d’abord
à rapporter ces dispositions formelles de
l’édit, bien que le clergé
catholique protestât sans cesse contre
l’égalité du droit
d’abjuration pour les catholiques et pour les
protestants. Mais il apporta successivement toutes
les entraves imaginables au droit de
prosélytisme des protestants, en même
temps qu’il employait les moyens les moins
honnêtes pour amener l’abjuration,
des religionnaires.
Alors que la caisse des conversions
administrée par Pélisson, protestant
converti, tenait boutique ouverte
pour l’achat
des abjurations, il
était interdit aux ministres et consistoires
de corrompre les
pauvres catholiques
en les faisant participer à leurs
aumônes; on défendait aux ministres et
anciens d’aller dans les maisons, soit de
jour, soit de nuit, si ce n’est pour visiter
les malades huguenots et faire fonctions de leur
ministère. Quant aux malades pauvres, de la
religion réformée, ils ne pouvaient
être recueillis et soignés par leurs
co-religionnaires, ils devaient être
envoyés dans les hôpitaux catholiques.
Alors qu’on provoquait l’abjuration des
huguenots par l’appât des grades, des
places et des pensions, on défendait aux
huguenots d’employer pour amener la conversion
d’un catholique; même l’appât
du mariage avec une huguenote. Puis on en vint
à interdire les mariages mixtes ou bigarrés,
à
déclarer nul tout mariage entre catholique
et huguenot célébré
contrairement à cette défense.
Nous avons rappelé de combien de fonctions
et de professions les huguenots furent exclus par
suite de cette préoccupation
de mettre
les protestants dans
l’impossibilité d’user du crédit que
pouvait
leur
donner telle situation officielle ou telle
profession, pour empêcher les conversions de
leurs co-religionnaires. Par suite de la même
préoccupation il fut interdit aux pasteurs
d’exercer leur ministère dans le
même lieu pendant plus de trois ans, une trop
longue résidence leur
donnant une puissance absolue sur
l’esprit de leurs
co-religionnaires.
Pour empêcher les maîtres d’user
de leur crédit près
de
leurs
domestiques et de faire du prosélytisme
auprès d’eux, on eut recours aux
injonctions les plus contradictoires. Un domestique
catholique ne put abjurer que six mois après
avoir quitté le service d’un
maître huguenot, et il devait
s’écouler un nouveau délai de
six mois avant que ce domestique pût entrer
au service d’un autre huguenot. Puis on
interdit aux catholiques d’entrer au service
des huguenots « attendu, disait
l’édit, que plusieurs de
la religion
prétendue
réformée, après avoir perverti leurs
domestiques
catholiques,
les obligent de passer dans les pays
étrangers pour quitter leur religion. »
Quelques mois plus tard, nouvel édit
ordonnant au contraire, aux huguenots et aux
nouveaux convertis, de congédier leurs
domestiques protestants pour en prendre des
catholiques, « attendu que ce qui
était très utile alors » (six
mois plus tôt) pour empêcher la
perversion de nos sujets catholiques, dit la
déclaration royale, pourrait retarder
à présent la conversion de ceux de la
religion prétendue réformée
engagés au service du petit nombre de
prétendus réformés qui sont
malheureusement restés jusqu’ici dans
leur erreur. Pareillement serait dangereux de
laisser aux nouveaux convertis la liberté de
se servir de domestiques de ladite religion. »
Les peines édictées pour
contraventions à cette injonction
étaient, pour le maître, mille livres
d’amende; pour une domestique le fouet
et la marque, pour le
serviteur
mâle les
galères.
Dans sa haine pour le protestantisme, le roi alla
jusqu’à défendre aux huguenots
d’instruire les mahométans et les
idolâtres dans leur fausse doctrine. «
Afin d’empêcher qu’on n’abuse
de leur ignorance pour les engager dans une
religion contraire
à leur salut, voulons, dit
le roi, que tous mahométans
et idolâtres qui voudront se faire
chrétiens ne puissent être instruits,
ni faire profession d’autre religion que de la
catholique.
Enfin, Louis XIV établit des
catégories de catholiques de droit :
1° Les enfants exposés
: « parce que
ayant
été malheureusement abandonnés
de leurs pères, et par ce moyen devenant
sous notre puissance comme
père commun de nos
sujets, nous ne
pouvons les faire élever que dans la
religion que nous professons » .
2°Les
bâtards, même
nés d’une
mère protestante.
« Attendu qu’il n’y a personne qui
puisse exercer sur ces enfants
une puissance légitime.
»
3° Les enfants, nés de père et
de mère appartenant à la religion
protestante; lorsque leur père avait
abjuré avant qu’ils eussent atteint
l’âge de quatorze ans.
4° Les enfants dont les pères
étaient morts protestants mais dont les
mères étaient catholiques «pour
donner aux dites veuves, dans la perte de leurs
maris, cette consolation de pouvoir procurer
à leurs enfants, l’avantage
d’être élevés dans la
véritable religion. »
Quant aux orphelins huguenots, dont le père
et la mère étaient morts protestants,
ne trouvant pas de prétexte pour les
déclarer catholiques de
droit, on s’était
borné
à leur imposer des tuteurs et curateurs
catholiques, « certains tuteurs et
curateurs réformés ayant abusé
de la puissance que cette qualité leur
donnait sur leurs pupilles, pour
les détourner des bons
desseins qu’ils témoignaient de se
convertir à la religion
catholique. »
Cette persistante préoccupation de vouloir
assurer le salut de ceux de ses sujets qu’il
estimait être dans l’erreur, amena Louis
XIV à porter la plus grave atteinte à
la liberté de conscience des huguenots,
ainsi garantie par le quatrième article
particulier de l’édit de Nantes :
« Ne seront tenus ceux de ladite religion de
recevoir exhortations, lorsqu’ils
seront
malades, d’autres que de la même
religion. Sous
prétexte
de violences exercées, en plusieurs
occasions, par ceux de la religion prétendue
réformée pour empêcher la
conversion de leurs malades qui voulaient rentrer
avant leur mort dans le sein de
l’Église, le roi, par une
déclaration du 2 avril 1666, autorisa les
curés, "assistés des juges,
échevins ou consuls à se
présenter aux malades pour
recevoir leur déclaration.
Il arrivait souvent que les curés,
emportés par leur zèle convertisseur,
se rendaient auprès des malades huguenots,
sans avoir même réclamé
l’assistance des magistrats.
C’est ce qui advint à Rouen ; un
curé ayant pénétré
près d’un malade, sans être
accompagné d’un magistrat, et suivi du
menu
peuple du
quartier, ce malade
avait refusé de le recevoir.
Ce qui ayant fait mutiner cette populace, deux
magistrats assistés de deux sergents y
étaient allés, et étaient
montés à la chambre du malade qui
leur avait déclaré n’avoir eu
aucune pensée de faire appeler le
curé ni de changer de religion ; sur quoi
les magistrats, qui avaient d’abord fait
sortir les parents jusqu’à la femme du
malade, les avaient fait rentrer et ayant
trouvé un ministre au bas de
l’escalier, lui avaient dit qu’il pouvait
monter puisque le malade le demandait.
À Paris même, sous les yeux d’une
police ombrageuse, le clergé
négligeait parfois de requérir
l’assistance d’un magistrat. pour aller
tourmenter les malades protestants. Un passementier
étant à l’agonie, deux
religieuses et le vicaire de Saint-Hippolyte
veillent pénétrer auprès du
malade, malgré l’opposition de la femme
de celui-ci. Ils insultent cette femme, et la
canaille qui les avait accompagnés se met en
mesure de piller la maison, si bien qu’il faut
recourir à l’intervention de la police
pour que le malheureux puisse mourir en paix.
Le ministre Claude fut lui-même obligé
de se retirer d’auprès d’une
malade que persécutaient des prêtres
appuyés par la populace. Le commissaire
appelé après avoir demandé
quatre fois à la malade quelle était
sa volonté, fit enfin retirer ces
prêtres, et Claude revint consoler la
mourante qui expira une demi-heure plus tard.
À Caen, un curé et un vicaire
s’étant établis d’autorité, malgré
le
mari, auprès de la femme Brisset,
tombée en une sorte de
léthargie
et ne pouvant ni leur
répondre, ni même les entendre, firent
chasser d’auprès d’elle par le
lieutenant particulier, son mari et ses filles,
puis déclarèrent la malade convertie
et la firent enterrer comme catholique. Elie
Benoît raconte l’histoire d’une
pauvre femme que l’on avait interrogée
pendant qu’elle avait le délire de la
fièvre, et déclarée
catholique. Elle revient à elle et voit au
pied de son lit un crucifix: elle comprend
qu’on a abusé de son état pour
prétexter qu’elle a changé de
religion. Elle veut se sauver par la fenêtre,
la porte étant fermée à
clé, elle tombe d’un troisième
étage et se tue.
En Poitou, dit Jurieu, un marguillier et un
curé ayant chassé les enfants
d’un vieillard mourant, après les avoir
menacés de pendaison s’ils revenaient,
tentèrent en vain pendant plusieurs jours de
convertir le malade. Le pauvre homme,
abandonné par eux et privé de ses
enfants qui s’étaient
réfugiés dans le bois, mourut de
froid, de misère et de faim et l’on
trouva qu’il
s’était mangé les
mains.
Sur les plaintes faites par les protestants contre
les curés qui commettaient cette double
infraction à la loi, de se présenter
aux malades sans être accompagnés
d’un magistrat, et, au lieu de se borner
à recevoir la déclaration de ceux-ci,
de leur faire des
exhortations, ce qui
était contraire à l’édit
de Nantes, la loi fut ainsi modifiée :
« Voulons et nous plaît que nos
baillis, sénéchaux et autres premiers
juges des lieux, ensemble les baillis,
sénéchaux, prévôts,
châtelains et autres chefs de justice
seigneuriale de notre royaume qui auront avis
qu’aucuns de nos sujets de ladite religion
prétendue réformée demeurant
aux dits lieux, seront malades ou en danger de
mourir, soient tenus de se transporter vers lesdits
malades, assistés de nos procureurs ou des
procureurs fiscaux et de deux témoins, pour
recevoir leur déclaration, et savoir
d’eux s’ils veulent mourir dans ladite
religion; et, en cas que lesdits de la r. p. r.
désirent se faire instruire en la religion
catholique, voulons que lesdits juges fassent venir
sans délai et au désir des malades,
les ecclésiastiques, ou autres qu’ils
auront demandés, sans que leurs parents y
puissent donner aucun empêchement. »
Cette prescription mettait fin aux scènes de
scandale et de violence provoquées par les
curés venant auprès des malades sans
avoir été appelés, mais il
mettait le moribond à la discrétion
d’un magistrat, souvent peu scrupuleux et tout
disposé à favoriser le
prosélytisme in extremis du curé.
Le moribond dont la famille entourait le lit de
douleur, tout à coup, sans avoir
été prévenu, voyait entrer le
magistrat dont la présence lui
annonçait que sa dernière heure
était proche. On faisait retirer tous les
siens, et ce malheureux, qui n’avait plus de
force que pour mourir, se trouvait seul en face du
magistrat, souvent aussi ardent convertisseur que
le prêtre, il lui fallait subir un long et
délicat interrogatoire. En dépit de
la fièvre qui le minait et le privait de
l’usage de ses facultés, il devait
calculer chaque mot des réponses à
faire aux questions captieuses qui lui
étaient posées. Qu’une de ses
réponses pût être
interprétée dans un sens favorable
aux désirs de son interrogateur, c’en
était assez, on s’écriait: le
malade veut se convertir! il appartenait dès
lors au clergé, les siens étaient
éloignés de sa couche d’agonie,
et, alors même qu’il mourait, sans avoir
repris connaissance, il était enterré
comme catholique, et ses enfants étaient
enlevés à leur mère huguenote,
pour être élevés dans la
religion dans laquelle leur père
était censé être mort.
Cette barbare pratique de la visite des malades
devint l’instrument de la plus odieuse et
cruelle persécution, lorsque le
clergé eut obtenu ce qu’il
réclamait instamment, l’interdiction
d’abjurer la foi catholique aussi bien pour
les anciens catholiques que pour les nouveaux
convertis.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |