Quand
les
pasteurs manquaient, c’étaient des
artisans, des femmes, des enfants qui les
remplaçaient et faisaient aux fidèles
des exhortations, ou leur lisaient des
prières,
C’est
surtout à partir
de 1715, après la fondation à
Lausanne, du séminaire des pasteurs du
désert, que l’on aurait pu appeler
l’école des martyrs — que la
célébration du culte proscrit reprit
partout avec suite et régularité,
bien que l’on ne sût jamais si la
prière commencée dans la
réunion tenue sous la couverture du ciel,
serait ou non interrompue par la sanglante
intervention des soldats.
«
Les anciens avaient la charge de convoquer les
assemblées. Le matin ou dans la
journée un homme passait. Il trouvait un
frère, lui annonçait qu’un
prêche devait avoir lieu à telle heure
et dans tel endroit, puis disparaissait. Cependant,
portes closes, on se communiquait la bonne
nouvelle. Enfin la nuit venait, alors mille
craintes, quelque espion ou quelque faux
frère n’avait-il pas appris la
convocation de l’assemblée ? Vers dix
heures, on partait de la ville ou du village, non
par bande, cela eût pu donner des
soupçons, mais séparément,
sauf à se réunir plus tard en quelque
endroit isolé. La course était
longue, une lieue, deux lieues. Les femmes
étaient harassées et les enfants
avaient peine à suivre; chose grave ! les
abandonner en route, ou les renvoyer à la
maison, c’était les exposer à
être surpris par les troupes, les livrer aux
interrogatoires qui pouvaient avoir ce
résultat de faire surprendre
l’assemblée. Il fallait alors que les
hommes robustes de la troupe portassent les enfants
sur leurs épaules. L’assemblée
était lente à se réunir,
cependant on disposait les sentinelles pour donner
l’alarme et éviter la
surprise.
Pour
revenir au logis, on prenait les mêmes
précautions qu’au départ. Les
femmes rentrées à la maison, lavaient
avant le jour leurs vêtements et ceux de
leurs maris souillés par la boue du chemin,
afin que rien ne pût faire soupçonner
la sortie nocturne.
Peu
à peu les assemblées devinrent de
plus en plus nombreuses, et presque publiques,
lorsque le gouvernement, par suite de quelque
guerre avec l’étranger, n’avait
pas la libre disposition de ses
troupes.
Comment
en eût-il été autrement alors
que les exigences inadmissibles du clergé
catholique chargé de la tenue des registres
de l’état civil, mettait les huguenots
dans la nécessité de recourir aux
pasteurs pour faire constater la naissance de leurs
enfants et pour faire bénir leurs
mariages ?
En
1745, Rabaut écrit : « On me mande de
Montauban que les protestants y donnent des marques
extraordinaires de zèle; ils font des
assemblées de trente mille personnes. Un
dimanche du mois dernier on y bénit cent
quatre-vingt-un mariages, le dimanche suivant
soixante, et celui d’après quatorze.
»
Deux
ans
plus tôt, il écrivait à Court
« Je voudrais de tout mon coeur que vous
passiez le dimanche matin au chemin de Montpellier,
près de la ville de Nîmes, lorsque
nous faisons quelque assemblée pour cette
dernière église, à la place
nommée vulgairement la fon de Langlade
où vous avez prêché si souvent;
vous verriez autant que votre vue pourrait
s’étendre le long du chemin, une
multitude étonnante de nos pauvres
frères, la joie peinte sur le visage,
marchant avec allégresse pour se rendre
à la maison du Seigneur.
Vous
verriez des vieillards, courbés sous le faix
des années, et qui peuvent à peine se
soutenir, à qui le zèle donne du
courage et des forces et qui marchent d’un pas
presque aussi assuré que s’ils
étaient à la fleur de leur âge.
Vous verriez des calèches et des charrettes,
pleines d’impotents, d’estropiés
ou d’infirmes qui, ne pouvant se
délivrer des maux de leurs corps, vont
chercher les remèdes nécessaires
à ceux de leurs âmes.
»
Ces
assemblées publiques se tenaient à la
veille de la violente persécution que le duc
de Richelieu allait exercer dans le Languedoc
contre les huguenots, et dont la rigueur fut telle
que Rabaut lui-même songea un instant
à émigrer en Irlande avec la majeure
partie des fidèles de son église.
Mais cette recrudescence de persécution ne
pouvait durer, elle constituait un véritable
anachronisme en présence du progrès
que faisaient chaque jour les idées de
tolérance, malgré les efforts du
clergé et ses incessantes
réclamations pour que l’on maintint la
rigoureuse application des lois barbares
édictées contre les
huguenots.
Les
soldats en vinrent, ainsi que le constate avec
surprise le secrétaire d’État
Saint-Florentin, à avoir le
préjugé, qu’ils
n’étaient pas faits pour
inquiéter les religionnaires.
Les
officiers, dit Rulhières, ralentissaient la
marche de leurs détachements pour donner aux
religionnaires assemblés le temps de fuir.
Ils avaient soin de se faire voir longtemps avant
de pouvoir les atteindre. Ils prenaient des routes,
perdues et par lesquelles ils cherchaient à
égarer leurs soldats.
En
1768, quatre-vingts huguenots d’Orange sont
surpris dans une grotte par des soldats qui les
couchent en joue, ils continuent à chanter
leurs psaumes ; quatre chefs de famille sortant de
la grotte, se livrent aux soldats, à
condition que le reste de l’assemblée
pourra se retirer librement. L’officier
accepte la proposition et conseille à ses
prisonniers de s’évader en route,
promettant de favoriser leur fuite. Ceux-ci
refusent et sont mis en prison ; mais, deux mois
après, ils étaient mis en
liberté, le temps des exécutions
était passé.
Les
gouverneurs de province et les commandants de
troupes veulent cependant parfois intimider par de
vaines menaces, les huguenots qui se rassemblent
pour prier contrairement aux édits non
abrogés.
Un commandant de dragons écrit à
l’intendant le 27 décembre
1765.
« Il
est bon que vous
fassiez assembler chez vous les plus notables
d’entre les religionnaires de Nions, Vinsobre
et Venteral et que, vous leur notifiiez, de la part
de M. le maréchal, que s’ils continuent
de s’assembler au mépris des ordres du
roi, sur le compte qui lui en sera rendu, il les
fera arrêter et les rendra responsables des
assemblées qui se feront, attendu
qu’étant, les plus considérable,
ils ne peuvent que beaucoup influer sur les
démarches de leurs confrères; et
qu’ils seront emprisonnés au moment
qu’ils s’y attendront le moins,
s’ils persistent d’assister aux
assemblées après la défense
qui leur en aura été faite.
C’est avec regret que le maréchal se
décide à cette
extrémité, mais il voit qu’il
faut absolument quelque exemple de cette
espèce, pour mieux imposer et contenir tous
les autres. »
Les
vaines menaces que l’opinion publique ne
permettait plus de mettre à exécution
ne produisaient aucun effet.
Le
gouvernement en vint à négocier avec
les huguenots pour obtenir d’eux qu’ils
s’abstinssent de violer la loi
trop ouvertement. Ainsi,
en 1765, le maréchal
de Tonnerre donnait à ses subordonnés
les instructions suivantes :
« Il
faut employer
adroitement tour à tour la douceur et la
menace en leur faisant envisager (aux huguenots) le
danger où ils s’exposent, s’ils
continuent de se rendre aussi
ouvertement rebelles
aux ordres du roi. MM. les
curés, conduits par un zèle trop
ardent et souvent mal entendu, ne connaissent que la
violence
et le châtiment pour
réprimer
le scandale protestant ; vous vous tiendrez en
garde contre de pareilles insinuations; cependant,
si quelqu’un des protestants se rendait trop
publiquement
réfractaire aux
ordres du
roi, vous le ferez arrêter.
»
« Il
n’est plus
question dès lors, de proscrire
l’exercice du culte domestique qui, en
dépit des lois, a repris droit de
cité. En 1761, à l’occasion de
l’arrestation du pasteur Rochelle, Voltaire
écrit à un protestant Vous ne devez
pas douter qu’on ne soit très
indigné à la cour contre les
assemblées publiques.
On vous permet de
faire dans vos maisons
tout ce qui vous
plaît, cela est bien
honnête.»
M.
de
Vergennes adresse plus tard à
l’intendant de Rouen les instructions
suivantes:
« Le
roi ne veut pas
souffrir que les protestants s’assemblent
ainsi, ni qu’ils donnent
la moindre publicité à
leur culte. Ils doivent rester
dans
l’intérieur de leurs maisons et de
leurs familles. Ce
n’est que par ce moyen
qu’ils pourront se rendre dignes de
l’indulgence et de la bonté de Sa
Majesté.
En
1778, on voit encore le gouvernement flotter
indécis entre l’exécution des
mesures de rigueur, et la crainte de l’effet
que pourra produire cette exécution.
Là, où les huguenots, sont peu
nombreux, il fait arrêter un pasteur ou
fermer une école ; là au contraire,
où ils sont en force, comme dans le
Languedoc, il n’ose prescrire à
l’intendant d’employer ces moyens de
rigueur, autorisés par les lois, ou
seulement quelques-uns d’entre eux, « qu’en
évitant
ceux dont
l’exécution pourrait
exciter une
fermentation qu’il serait peut être
ensuite bien difficile d’éteindre.
» Dans la Saintonge, le ministre prescrit la
démolition du temple de Saint-Fort de
Cosnac, mais il ajoute : « Si vous
prévoyez qu’elle puisse exciter quelque
émeute qu’il soit ensuite trop
difficile d’apaiser, vous voudrez bien la
différer jusqu’à ce
que, sur
l’avis que vous m’en donnerez, j’aie
pu prendre de nouveau les ordres de Sa
Majesté. »
Les
huguenots décorent une grange à
Castelbarbe, près Orthez, la pourvoient
d’une chaire, y célèbrent les
mariages et les baptêmes publiquement.
Le ministre fait
mettre la grange sous scellés et ordonner
l’arrestation de trois prédicants. Puis
il écrit au comte de Périgord :
« J’ai peine à croire que cet
exemple puisse
augmenter le nombre des
émigrations.., L’on
est obligé de
fermer les yeux sur les assemblées au
désert des protestants, même sur les
assemblées peu nombreuses et peu
éclatantes dans
quelques maisons
particulières; mais
qu’ils aient des temples
publiquement connus, tels qu’ils en
construisent, qu’ils y placent des chaires,
c’est ce que le roi ne paraît nullement
disposé à tolérer. »
Quant aux conseils que donne l’intendant
d’envoyer des dragons loger chez les
huguenots, aux lieux où ils ont eu des
assemblées, le ministre les repousse par
cette fin de non-recevoir : « Ne
trouvez-vous pas qu’il serait à
craindre que cette expédition ne
réveillât l’idée des
anciennes dragonnades qui n’ont, dans le
temps, que trop fait de
bruit dans la France
et
dans toute l’Europe:?
Toute
la politique du gouvernement de Louis XVI
était d’empêcher par des mesures
isolées qui ne fissent pas trop de bruit,
les huguenots de braver trop ouvertement, les lois
interdisant dans le royaume tout culte autre que le
catholique ; mais en n’osait plus sévir
contre ceux qui refusaient de porter leurs enfants
à l’église, pour être
baptisés, ni contre ceux qui se mariaient
publiquement devant des pasteurs.
Sans
doute les terribles lois qui avaient
été édictées contre les
huguenots, par Louis XIV étaient toujours
subsistantes, mais elles étaient lettres
mortes, quoi que
pussent
faire le clergé et l’administration. Le
gouvernement avait publiquement donné du
reste, une preuve manifeste qu’il croyait
lui-même à l’abrogation de fait
de ces lois subsistantes, lorsque,en 1775, il avait
fait une démarche officielle auprès
d’un de ces pasteurs du désert que la
loi ne connaissait que pour les envoyer à la
potence. À cette époque, en effet, le
contrôleur général, par
ordre
du roi, avait
envoyé à Paul
Rabaut, le plus influent de ces proscrits, un
exemplaire de la circulaire adressée aux
évêques catholiques afin de
réclamer leur concours pour arrêter le
brigandage qui s’exerçait sur les
blés.
Eût-il
voulu le faire, Louis
XVI n’aurait pu impunément braver
l’opinion publique, en obéissant aux
injonctions que l’orateur du clergé
n’avait pas craint de lui adresser en ces
termes : « Achevez l’oeuvre que Louis le
Grand avait entreprise et que Louis le
Bien-Aimé à continués de vous
est réservé de porter le dernier coup
au calvinisme dans vos États. Ordonnez
qu’on dissipe les assemblées des
schismatiques.
Non
seulement Louis XVI ne pouvait recommencer
l’oeuvre sanglante et vaine de son
arrière grand-père, mais encore il ne
pouvait se refuser à reconnaître
qu’il était impossible de laisser
subsister intégralement une
législation qui frappait de mort civile plus
d’un million de ses sujets.
Dans
le
mémoire que lui adressait en 1786, son
ministre M. de Breteuil, sur la situation faite aux
protestants en France, on peignait ainsi cette
situation : « ces infortunés
également rejetés de nos tribunaux
sous un nom et repoussés de nos
Églises sous un autre nom, méconnus
dans le même temps comme calvinistes et comme
convertis, dans une entière impuissance
d’obéir à des lois qui se
détruisent l’une l’autre, et, par
là destitués du moyen de faire
admettre, ou devant un prêtre, ou devant un
juge les témoignages de leurs naissances, de
leurs mariages et de leurs sépultures, se
sont vus, en quelque sorte, retranchés
de
la race humaine. »
Cette
situation intolérable avait pour causes, non
seulement les dispositions des édits,
basés sur cette fiction légale et
mensongère qu’il n’y avait plus de
protestants en France, mais encore
l’obstination du clergé à
vouloir faire de son privilège de dresser
les actes de l’état civil, un moyen de
conversion ou de reconversion, pour les protestants
et pour les nouveaux convertis.
En
Ce qui
concerne les décès, la loi avait bien
prescrit les formalités à remplir
pour leur constatation devant le juge le plus
voisin, mais par suite du terrible édit de
1713 déclarant relaps, tout huguenot, qui, ayant
abjuré
ou non, refuserait
les sacrements à
son lit de mort, les protestants écartaient
soigneusement tous les témoins du chevet de
leurs parents gravement malades. Et, une fois que
ceux-ci étaient morts, ils
négligeaient de remplir les
formalités prescrites pour ne pas
éveiller l’attention sur les
circonstances d’une mort de nature à
entraîner un procès à la
mémoire du défunt et la confiscation
de ses biens »
Les
parents des morts, dit Rulhières, les
enterraient en secret,
la nuit, dans leurs
propres maisons, sans faire inscrire les
décès sur aucun registre public,
quels que fussent les dangers auxquels ils
s’exposaient par ces sépultures
clandestines. Ils ne tardaient pas, en effet,
à être poursuivis par cette bizarre
espèce d’inquisiteurs, par ces
régisseurs et ces fermiers des biens des
fugitifs, non moins avides de la dépouille
des morts que de celle des fugitifs,
et qui firent saisir
les biens de ceux qui avaient ainsi disparu,
prétendant qu’ils avaient fui, et, sous
ce prétexte, s’emparant des successions
que n’osait leur disputer une famille
embarrassée de sa propre défense.
»
Si,
au
contraire, le décès d’un
protestant avait été constaté
dans les formes prescrites par la loi, la femme que
le défunt avait épousée hors
l’Église, et les enfants nés de
son mariage, se voyaient contester son
héritage par d’avides
collatéraux; et certains parlements
donnaient raison à ces spoliateurs, en
déclarant concubine l’épouse, et
bâtards les enfants légitimes.
Quant
aux naissances, elles devaient être
constatées par les curés dans les
actes baptistaires, l’édit de
révocation ayant
décrété que tout enfant qui
naîtrait de parents réformés
devrait être porté à
l’église pour y être
baptisé.
Mais
les
huguenots furent détournés de faire
porter leurs enfants à l’église,
par l’entêtement que mirent les
curés à vouloir qualifier de bâtards,
les enfants
nés de mariages contractés soit au
désert, soit à
l’étranger. Les huguenots se
décidèrent donc à faire
baptiser leurs enfants par les pasteurs allant
d’assemblée en assemblée; et
ceux-ci avaient l’insolence,
dit un intendant, de
purifier les pères et mères des,
enfants qui avaient été
baptisés par un prêtre catholique.
Pour obliger les parents à faire rebaptiser
par le curé, les enfants baptisés au
désert, on eut recours à
l’argument persuasif des logements militaires;
mais on y renonça pour y substituer le
régime des amendes, après
l’incident, que conte ainsi
Rabaut:
« Les
protestants de la
Gardonneuque, voyant les cavaliers de la
maréchaussée à Lédignan
pour contraindre à la rebaptisation, crurent
qu’il fallait se mettre en bonne posture et
faire trembler, tant les cavaliers que les
prêtres.
« En
conséquence,
ils donnèrent l’alarme aux cavaliers,
et tirèrent quelques coups de fusil aux
prêtres de Ners, de Guillion et de Languon.
Le premier et le second furent dangereusement
blessés, et en sont morts depuis; le dernier
n’eut qu’une légère
égratignure. Les cavaliers
appréhendèrent le même sort,
décampèrent par l’ordre de M.
l’intendant, et, en vertu du même ordre,
restituèrent l’argent qu’ils
avaient déjà retiré des
protestants. »
La
résistance obstinée des huguenots
finit, sur ce point, comme sur tant d’autres,
par avoir raison des prescriptions des édits
les obligeant à faire baptiser leurs enfants
par les curés, mais il en résultait
que, chez eux, les naissances de même que les
décès, n’étaient plus
constatés par un document officiel pouvant
être produit en justice.
Pour
ce qui est des mariages, les curés
catholiques, ne voulant pas admettre que le mariage
est un contrat civil bien antérieur au
christianisme, et absolument indépendant du
sacrement, faisaient de leur privilège
d’officiers d’état civil, un
instrument de conversion. Voyant que les huguenots
ne regardaient le mariage que comme une
cérémonie civile, et se confessaient,
sans scrupule, pour obtenir la
bénédiction nuptiale, ils les firent
communier, puis, exigèrent une abjuration
par écrit. Quelques-uns, dit
l’intendant Fontanieu, obligèrent les
fiancés de jurer qu’ils croyaient leurs
pères et mères
damnés.
Puis
on
en vint à imposer aux fiancés, avant
de les marier, de longues périodes
d’épreuves, à les obliger
à faire des actes de catholicité
pendant des mois et même pendant plusieurs
années.
Dans
le
Béarn, les curés faisaient attendre
la bénédiction nuptiale aux futurs
époux pendant deux, trois et quatre ans. Un
placet adressé par des habitants de
Bordeaux, en 1757, signale l’opposition faite
par un ecclésiastique depuis huit ans, au
mariage de Paul Decasses, ancien
religionnaire.
L’année
précédente, le secrétaire
d’État Saint-Florentin avait
été obligé de prier
l’évêque de Dax d’ordonner
à un de ses prêtres de marier enfin, après
douze
années
d’épreuves, deux
nouveaux
convertis d’Orthez,
Les
fiancés huguenots, pour se soustraire
à de telles exigences, avaient voulu
d’abord se contenter d’un contrat
passé par devant notaire ; mais une loi vint
interdire aux notaires de passer aucun contrat
à moins qu’il ne fût produit un
certificat de catholicité, constatant que le
contrat serait ultérieurement validé
par un mariage béni à
l’église
Quelques
curés, moyennant finances, consentent alors
à marier les huguenots sans exiger
d’eux aucune preuve de
catholicité.
Un
curé du Poitou est condamné à
dix livres d’amende pour exactions à ce
sujet, et menacé de la saisie de son
temporel s’il perçoit à
l’avenir pour le mariage des religionnaires
rien autre chose que les droits légitimement
dus. Plusieurs autres curés sont
incarcérés pour avoir marié
des protestants moyennant de grosses
rétributions. En 1746, un curé de la
Saintonge est condamné aux galères,
comme convaincu : « d’avoir conjoint par
mariage des religionnaires, sans avoir
observé les formalités prescrites par
les lois de l’Église et de
l’État, et d’avoir
délivré des certificats de
célébration de mariage à
d’autres religionnaires, sans que lesdits se
soient présentés devant lui.
»
Le
plus souvent les huguenots s’adressaient
à des aumôniers, à des
prêtres, n’appartenant pas à
leurs paroisses. En 1710,
l’évêque de Cap dénonce au
chancelier Voisin un grand nombre de mariages
célébrés dans son
diocèse (trente dans une seule paroisse) par
des aumôniers de régiment et autres
prêtres; quinze ans plus tard le même
évêque dénonce encore des
mariages faits par un prêtre inconnu.
« Parfois les certificats de mariage
étaient délivrés par de faux
prêtres, empruntant le nom de tel ou tel
ecclésiastique, et l’on voit en 1727,
le prédicant Arnoux condamné aux
galères, comme convaincu d’avoir pris
le nom de Jean Cartier, prêtre aumônier
sur les vaisseaux du roi, et d’avoir fait
plusieurs mariages de religionnaires. »
À partir de 1715, dans le Midi comme dans le
Poitou et la Saintonge, presque tous les mariages
se célébrèrent au
désert devant les pasteurs. À Paris,
les protestants se mariaient dans les chapelles des
ambassadeurs de Suède et de Hollande. Quant
aux huguenots qui se trouvaient à
proximité des frontières, ils
allaient se marier soit à Genève,
soit dans les îles anglaises, parfois
même à Londres.
Le
clergé et la magistrature tenaient ces
mariages pour nuls et non avenus. Les
évêques faisaient assigner les
époux comme concubinaires
publics, donnant le
scandale de vivre et
demeurer ensemble sans avoir été
mariés par leurs
propres
curés.
Les
trois
parlements de Grenoble, de Bordeaux et de Toulouse,
attaquent les mariages au désert par la voie
criminelle, ils condamnent les mariés, les
hommes aux galères,
les femmes à
la prison et font brûler
par la main du
bourreau les
certificats de mariage
délivrés par les pasteurs et produits
par ces mariés. Mais cette inique
jurisprudence ne put se maintenir, en
présence du nombre toujours croissant de
ceux qui contrevenaient aux édits en
recourant au ministère des pasteurs ;
bientôt, ce fut en vain que les
évêques réclamèrent des
mesures de rigueur contre le
brigandage des
mariages au désert,
l’administration fut obligée de rester
sourde à leurs appels. En 1775, on estimait
que les mariages au désert depuis quinze ans
s’élevaient au nombre de plus de cent
mille, et le gouverneur du Languedoc
déclarait que, s’il fallait emprisonner
tous les mariés au désert, les
prisons de la province ne suffiraient pas pour les
contenir.
S’il en était ainsi,
c’est que les huguenots repoussés de
l’Église par les exigences du
clergé, avaient une facilité de plus
en plus grande de faire bénir leurs unions
par les pasteurs, depuis que les assemblées
s’étaient multipliées et
pouvaient se faire presque publiquement. C’est
encore, parce que les synodes et les pasteurs
déclaraient que les huguenots ne pouvaient
se marier qu’au désert ou à
l’étranger, que toute autre voie
était déshonnête et coupable,
quelles que fussent les conventions faites avec les
prêtres catholiques. Censurés
durement, par leurs pasteurs et menacés par
eux d’excommunication, ceux qui avaient
fléchi devant l’idole,
en recevant la
bénédiction nuptiale d’un
prêtre catholique, durent faire
réhabiliter leurs mariages suivant le rite
calviniste.
Mais
les
unions, contractées hors de
l’Église catholique,
n’étant pas reconnues par la loi, les
huguenots ne pouvaient se présenter devant
les tribunaux dans aucune cause où ils
eussent à procéder en qualité
de pères, de maris, d’enfants, de
parents, car jamais ils ne pouvaient prouver leur
état par la production de titres
légalement valables.
Dans
les différents qu’ils avaient entre
eux, ils recouraient souvent à des arbitres;
mais quand ils avaient affaire à des
coreligionnaires de mauvaise foi, ou à des
catholiques les appelant devant les tribunaux, ils
ne pouvaient défendre leurs droits les plus
incontestables contre les actions judiciaires les
moins fondées.
Quelques
parlements, pour écarter les
malhonnêtes prétentions d’avides
collatéraux voulant dépouiller la
femme ou les enfants d’un de leurs parents
mariés au désert, étaient
obligés de se baser sur la possession
d’état de la veuve
ou des orphelins; mais
cet expédient légal mettait sur le
même pied la concubine et
l’épouse, le bâtard et
l’enfant légitime.
Les
ministres de Louis XVI comprirent qu’il
n’était pas possible de laisser plus
longtemps sans état civil, plus d’un
million de Français, la vingtième
partie des citoyens de la France, de les laisser «privés,
ainsi
que le
disait Rulhières, du droit de donner le nom
et les prérogatives d’épouses et
d’enfants légitimes à ceux que
la loi naturelle, supérieure à toutes
les institutions civiles, ne cessaient de
reconnaître sous ces deux
titres. »
En
1787, un édit vint porter remède au
mal; cet édit se bornait, ainsi que le
déclarait son exposé des motifs,
à donner un état civil aux
Français ne professant pas la religion
catholique. Pour arriver à ce
résultat, l’édit accordait aux
non-catholiques le droit d’option entre le
curé et le juge du lieu pour faire constater
sur des registres ad hoc, leurs
décès, leurs naissances et leurs
mariages. Quand une déclaration de mariage
avait été faite dans les formes
prescrites, soit devant le curé, soit devant
le juge, celui-ci devait déclarer les
comparants unis. Pour tous les mariages
contractés hors de l’Église antérieurement
à
l’édit, une
déclaration semblable
suffisait pour qu’ils produisissent tous leurs
effets civils.
Cet
édit réparateur fut cependant
vivement attaqué : au Parlement de Paris; le
conseiller d’Epréminil, conjurant ses
collègues de ne point l’enregistrer,
s’écriait, en leur montrant
d’image du Christ :
—voulez-vous
le crucifier une
seconde fois?
Dans
un
mandement, l’évêque de la
Rochelle le qualifiait ainsi : « cette loi qui
semble confondre et
associer toutes les
religions et toutes les sectes...
cette loi, sur
laquelle nous ne saurions vous peindre notre
douleur et notre peine, en voyant l’erreur
prête
à s’asseoir à
côté de la
vérité. »
On
trouve encore en 1789, dans les cahiers du
clergé, une protestation du clergé de
Saintes, contre cet édit, permettant aux
parents de constater sous une forme purement civile
la naissance de leurs enfants, « ce qui
expose, dit-on, les
enfants même nés
catholiques à ne pas être
baptisés ».
Pour
l’Église, en effet, c’est porter
atteinte à ses droits, que d’accorder,
sans son entremise, un état civil aux
non-catholiques. Le Girondin Barbaroux, au
contraire, estime qu’il est essentiel de
donner; même avec l’intervention de
l’Église, un état civil à
son fils, il le fait baptiser et dit :
Le
baptême n’est rien
aux yeux du
philosophe, mais la cérémonie, quelle
qu’elle
soit, par laquelle
on transmet son nom
à son fils, est bien intéressante
pour un père. »
L’évêque
de la
Rochelle, s’insurgeant contre la loi,
défend même aux prêtres de son
diocèse, de faire une distinction entre leur
qualité d’officiers d’état
civil et leurs fonctions de ministres de la
religion catholique et leur dit :
«
Comment pourriez-vous déclarer, même
au
nom de la
loi,
légitime et indissoluble, une union
contractée contre les règles et les
ordonnances de l’Église? Ne craignez
point de déclarer à ceux qui se
présenteront devant vous, que votre
ministère est spécialement et
même uniquement réservé aux
fidèles. »
Cette
injonction faite par un évêque aux
curés de son diocèse, était la
démonstration péremptoire que
l’on ne pouvait laisser au clergé
catholique la moindre part dans la tenue des
registres de l’état civil. Ce
n’est cependant qu’en 1792 que la loi
décida que les officiers de
l’état civil n’auraient plus aucun
caractère religieux, conformément aux
principes ainsi posés par la constitution de
1791 :
« La
loi ne
considère le mariage que comme un
contrat
Civil. Le pouvoir
législatif
établira pour tous les habitants, sans
distinction, le mode
par lequel les naissances,
les mariages et les décès seront
constatés, et il désignera les
officiers publics qui recevront et conserveront ces
actes. »
Le
mandement lancé par
l’évêque de la Rochelle contre
l’édit qui se bornait, ainsi que le
déclarait Louis XVI, à
donner dans
Son royaume un état civil à ceux qui
ne professent point la vraie religion, fut
déféré
au conseil du roi et
condamné à être supprimé
sur ces sévères conclusions du
procureur du roi :
« C’est
en abusant
des droits du sanctuaire,
c’est en
profanant la mission apostolique, qu’un
évêque, en discutant une loi
qu’il ne doit que respecter, ose exciter dans
son diocèse la résistance à un
édit à jamais mémorable... La
discipline de l’Église et
l’instruction des fidèles imposent aux
évêques le devoir de publier des
mandements, mais ce devoir doit se circonscrire
dans les limites de la police
ecclésiastique. Quand le zèle des
prélats, dans des cas très rares,
s’étend jusqu’aux lois civiles, ce
ne
doit
être, suivant l’esprit du
christianisme, que pour en recommander
l’exécution. »
Les
évêques de nos jours, quand ils
parlent des lois civiles dans leurs mandements,
n’oublient-ils pas aussi trop souvent
qu’ils ne devraient le faire que pour
recommander l’exécution de la
loi?
Je
ne
parle pas bien entendu de
l’évêque député
qui, à la tribune, a déclaré
que si la loi, retirant aux fabriques pour le
donner aux communes, le monopole, et par
conséquent le bénéfice des
inhumations, était votée par les
chambres, il jurait de
ne pas lui
obéir. M. Freppel
peut impunément
oublier à la tribune de la chambre ce que
l’esprit du christianisme lui commande de
faire, comme évêque; mais si, dans un
mandement, il reproduisait l’emprunt oratoire
qu’il a fait à Mirabeau, le
gouvernement de la république, bien que plus
patient que celui de Louis XVI serait bien
obligé de lui rappeler que le rôle
d’un évêque n’est pas de
prêcher la désobéissance
à
la loi.
Dans
le
projet d’édit qui avait
été soumis à Louis XVI, il y
avait une clause permettant aux pasteurs de jouir
de tous leurs droits civils comme les autres
protestants; lors de la publication de
l’édit, cette clause avait disparu,
comme entraînant, en fait, l’abolition
de peines qu’on ne pouvait plus cependant
appliquer, mais dont on ne pouvait pas se retirer
la faculté d’user en des circonstances
plus favorables.
Après 1787, comme
avant, les
pasteurs restèrent donc légalement
passibles du gibet, à raison de
l’exercice de leur ministère, et ceux
qui allaient les entendre pouvaient toujours
être condamnés aux
galères.
Louis
XVI, en sa qualité de roi très
chrétien, n’avait pas pu aller
jusqu’à mettre sur le même pied
toutes les religions, la vérité et
l’erreur. Il n’avait même pas,
comme Henri IV, décidé que le culte public
des protestants serait
toléré à côté de
celui de la religion maîtresse et
dominante.
Il
disait, en effet, dans le préambule de
l’édit donnant un état civil aux
protestants :
« Que
s’il
n’était pas en son pouvoir
d’empêcher qu’il n’y eût
différentes sectes dans ses États, il
avait pris les mesures les plus efficaces pour
prévenir de funestes
associations, et
pour que la religion
catholique qu’il avait le bonheur de
professer, jouit seule dans son royaume des droits
et des honneurs du culte public.
»
La
révolution seule pouvait proclamer et
appliquer les vrais principes, déclarer que
toutes opinions philosophiques et religieuses
étaient égales devant la loi, et
décréter que toutes les religions
jouissaient des droits et des honneurs du culte
public.
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