Dans
le
Velai, en 1689, les soldats surprennent une
assemblée qu’ils massacrent. Un vieux
prophète, Marliaux, avait à ce
prêche nocturne deux fils et trois filles
dont l’aînée, enceinte de huit
mois, tenait par la main un petit enfant qui avait
aussi voulu aller prier Dieu au désert...
vers minuit on lui rapporta six cadavres, dont deux
palpitaient encore, une fille qui expira
bientôt après et un petit
garçon qui guérit miraculeusement. Le
prophète passa la nuit en prières au
milieu de sa famille au cercueil qu’il
déposa furtivement le lendemain dans une
même tombe.
« Les
petits enfants, dit
Court, ne trouvaient pas grâce devant les
soldats; ces monstres les perçaient de leur
baïonnette et, les agitant en l’air,
s’écriaient dans un transport de
jovialité féroce : Eh ! Vois-tu se
tordre ces grenouillettes.
En
1703,
à la porte de Nîmes, cent cinquante
protestants se réunissent dans un moulin
pour célébrer leur culte le jour des
Rameaux. L’assemblée se composait en
majeure partie de vieillards, de femmes et
d’enfants; le chant des psaumes trahit sa
présence dans le moulin. — Le
maréchal de Montrevel, averti à deux
heures de l’après-midi, se lève
de table et accourt avec des troupes qui
investissent le moulin. Les soldats
s’acquittant trop mollement au gré de
Montrevel de leur oeuvre de sang, il fait fermer
les portes du bâtiment et y fait mettre le
feu.
« Quels
cris confus, dit
Court, quel spectacle ! quels affreux spectres
s’offrent à la vue! Des gens couverts
de blessures, noircis de fumée et à
demi brûlés par les flammes, qui
tâchent d’échapper à la
fournaise qui les consume ; mais ils n’ont pas
plutôt paru qu’un dragon impitoyable,
qui fait dans cette occasion, par ordre et sous les
yeux d’un maréchal de France,
l’office de bourreau, les repousse avec le fer
dont il est armé. Tous périrent. Une
jeune fille de seize ans qui avait
été sauvée par un laquais de
Montrevel, fut pendue par ordre du maréchal,
qui, sans l’intercession des soeurs de la
Miséricorde, eût aussi fait pendre ce
laquais trop pitoyable. L’évêque
de Nîmes, Fléchier, ne trouve pas un
mot de blâme pour cette terrible
hécatombe humaine laquelle était,
dit-il, la réparation
du
scandale occasionné
par le chant des
psaumes tandis qu’on était à
vêpres.
Près
d’Aix, en 1686,
les soldats cernent une assemblée, font une
décharge concentrique, puis frappent sans
pitié d’estoc et de taille; six cents
cadavres restent sur place, on fait trois cents
prisonnières et les soldats s’amusent
à leur larder le sein et les cuisses
à coups de baïonnettes. Dans une autre
assemblée, en 1689, trois cents personnes
furent massacrées, et l’on compte plus
de trois cents assemblées surprises et
dispersées par les troupes ou par les
communautés catholiques. On sait à
peu près le nombre des victimes légalement
frappées, en
vertu d’une condamnation; on a les noms,
d’environ quinze cents protestants
envoyés aux galères, d’une
centaine de ministres ou prédicants pendus,
roués ou brûlés vifs. Mais qui
pourrait dire le chiffre des malheureux
tombés sur le lieu où ils
s’étaient réunis pour prier,
pendus sur place sans forme ni figure de
procès, tués en route comme embarrassant
la marche des soldats
qui les emmenaient, ou succombant au fond d’un
obscur cachot après des années de
cruelle captivité?
Pendant
plus de soixante années les sauvages
instructions données pour la dispersion des
assemblées furent strictement
exécutées.
Le baron de Breteuil, ministre de Louis XVI,
rappelle dans son mémoire au roi, qu’au
milieu du XVIIIe siècle, des troupes
étaient encore envoyées dans les bois
pour disperser par le
fer et le
feu
ces multitudes de vieillards, de femmes et
d’enfants, de gens sans armes qui
s’assemblaient pour prier Dieu.
« J’ai vu, dit-il, ces propres mots
dans les instructions que donnait aux troupes le
commandant d’une grande
province, connu pour
son extrême
indulgence : Il sera
bon que vous ordonniez,
dans vos instructions particulières aux
officiers qui doivent marcher, de tirer le plus
tard qu’ils pourront sur ceux qui ne se
défendront pas. »
En
1754,
le duc de Richelieu publie encore un ban pour la
dispersion des assemblées dans lequel il est
ordonné « de tirer sur les
assemblées, lorsque l’officier
commandant chaque corps ou détachement jugera
à
propos d’en donner
l’ordre ».
Il
arrivait souvent que les officiers auxquels
était laissé ce terrible pouvoir
discrétionnaire; faisaient tirer sur les
assemblées qu’ils surprenaient en
prières. D’autres, au contraire,
faisaient tirer en l’air, mais laissaient
leurs soldats dépouiller les protestants,
les maltraiter, insulter les femmes, et même
les violer, leur faire l’amour
à la dragonne, suivant
une expression du
temps.
(Lettre
de Court, 4745. Les dragons
entreprirent de faire l’amour à la
dragonne à une jeune fille; des paysans qui
travaillaient à leurs vignes accourent aux
Cris désespérés de la jeune
fille et la délivrent.)
Voici, en effet, ce que raconte Court à
l’occasion d’une assemblée
surprise par les soldats dans le Dauphiné en
1749 et saluée d’une décharge
inoffensive de coups de fusils.
«
Si
les coups de fusils portèrent à faux,
l’avidité des dragons ne le fit pas;
ils enlevèrent aux femmes et aux filles
leurs bagues, les coeurs d’or qu’elles
portent en pendants à leur cou, et leurs
habits, et leurs coiffures, et tout l’argent
qu’ils trouvèrent sur elles, de
même que celui des hommes. » À
cette occasion, Court rappelle ce qui
s’était passé quelques mois plus
tôt dans le diocèse d’Uzès
à une assemblée surprise par les
dragons :
« Plusieurs
femmes ou
filles furent insultées, presque au point,
d’être violées. On leur arracha
les bagues des doigts, les crochets d’argent
de leur ceinture, les colliers de perles
qu’elles portaient à leur cou, et tout
ce qu’elles avaient d’argent
monnayé. »
Dans
les
années qui suivirent la publication de
l’édit de révocation, on
envoyait impitoyablement à la potence, tous
les prisonniers qu’on avait faits aux
assemblées ; il en fut ainsi pour un aveugle
qui avait assisté près de Bordeaux
à une assemblée. En 1689, deux
femmes, nouvelles converties, sont amenées
devant le juge ; on leur demande pourquoi elles
sont retournées aux assemblées —
par curiosité, répondent-elles.
— Eh bien, leur dit le juge avec une cruelle
ironie, avant de prononcer sa sentence, vous
irez
aussi à la potence par
curiosité.
Mais
le
grand nombre des coupables
rendait souvent
impossible l’application de la peine de mort
à tous les prisonniers faits aux
assemblées. Dès le 40 janvier 1687,
Louvois écrit à Bàville :
« Sa Majesté n’a pas cru
qu’il convînt à son service de se
dispenser entièrement
de la
déclaration qui condamne à mort ceux
qui assisteront aux assemblées. Elle
désire que, de ceux qui ont
été à l’assemblée
d’auprès de Nîmes, deux
des
plus coupables
soient condamnés à
mort, et que tous les autres hommes soient
condamnés aux galères. Si les preuves
ne vous donnent point lieu de connaître qui
sont les plus coupables, le roi désire que
vous les fassiez tirer
au sort pour que
deux
d’iceux soient exécutés à
mort.
Plus
tard, l’intendant Foucault fait observer au
ministre à propos d’un homme et de
quatre femmes ayant assisté à une
petite assemblée à Caen, que la peine
de mort semblera un peu rude ; et le ministre
consent à substituer à cette peine,
celle des galères pour l’homme et de
l’emprisonnement pour les femmes.
Cette
substitution de peine devint bientôt la
règle générale; on se dispensa entièrement
de la
déclaration condamnant à mort ceux
qui avaient assisté à une
assemblée, on envoya les hommes aux
galères et les femmes en prison. Les hommes
assurèrent le recrutement de la chiourme des
galères, les assemblées se
multipliant de plus en plus; on envoyait même
des enfants aux galères, car l’amiral
Baudin a relevé sur une feuille
d’écrou du bagne de Marseille, cette
annotation mise en face du nom d’un
galérien condamné pour avoir, étant
âgé
de
plus de douze ans,
accompagne son père et sa
mère au prêche.
Quant
aux
femmes, à partir de 1717, on leur consacra
comme prison la tour de Constance à
Aigues-Mortes, où l’on n’avait pas
à redouter leur évasion
Alors
que
les hôtes des autres prisons recevaient le
pain du roi, les prisonnières de la tour de
Constance devaient payer de leurs deniers le pain,
seul aliment qu’on leur donnât.
« Elles étaient là, dit
Court, abandonnées de tout le monde,
livrées en proie à la vermine,
presque destituées d’habits et
semblables à des squelettes. » La
prison était composée de deux grandes
salles rondes superposées, au milieu
desquelles était une ouverture permettant
à la fumée de sortir, le feu se
faisant au centre de ces salles; ces mêmes
ouvertures servaient aussi à éclairer
et à aérer les deux salles et
permettaient en même temps au vent et
à la pluie d’y entrer. Les lits des
prisonnières placés à la
circonférence et adossés au mur,
étaient sans matelas, garnis seulement de
draps grossiers et de minces couvertures.
Séparées du monde entier, souffrant
de la faim et du froid, ces prisonnières
restaient oubliées dans cet enfer, pendant
de longues années, jusqu’à ce
qu’elles devinssent folles ou que la mort mit
fin à leurs souffrances. Marie Durand, soeur
d’un ministre, délivrée quelques
mois avant les autres prisonnières de la
tour de Constance, avait subi trente-huit
années de captivité, elle ne pouvait
plus marcher ni travailler assise à des
ouvrages à la main, tant sa constitution
avait été affaiblie par les
souffrances et les privations qu’elle avait
endurées.
Au
mois
de janvier 1767, le chevalier de Boufflus, faisant
une tournée d’inspection avec le prince
de Beauvau, gouverneur du Languedoc,
s’arrête avec lui à là
tour de Constance et tous deux
pénètrent dans la prison :
« Nous voyons, dit-il, une grande, salle
privée d’air et de jour, quatorze
femmes y languissaient dans la misère et les
larmes..., je les vois encore à cette
apparition, tomber toutes à la fois aux
pieds du commandant, les inonder de leurs larmes,
essayer des paroles, ne trouver quelques, sanglots,
puis, enhardies par nos consolations, nous raconter
toutes ensemble, leurs communes douleurs;
hélas ! tout leur crime
était
d’avoir été
élevées dans la même religion
que Henri IV. M. de
Beauvau fait
connaître à la cour le spectacle
lamentable auquel il a assisté, mais au lieu
de l’ordre de mise en liberté des
quatorze prisonnières qu’il avait
sollicité, il ne reçoit de Versailles
que la permission de délivrer trois ou
quatre de ces malheureuses. De son propre mouvement
il les fait cependant mettre toutes en
liberté, et explique ainsi au ministre ce
coup d’autorité. « La justice
et l’humanité parlaient également
pour ces
infortunées, je ne me suis pas permis de choisir
entre elles, et,
après leur sortie de la tour, je l’ai
fait fermer, dans l’espoir qu’elle ne
s’ouvrirait plus pour une semblable
cause. »
Le
secrétaire d’État, la
Vrillière, lui fit de vifs reproches et lui
enjoignit même de revenir sur la mesure
qu’il avait prise, faute de quoi il ne
répondait pas de la conservation de sa
place. M. de Beauvau répondit
fièrement : « Le roi est
maître de m’ôter la place
qu’il m’a confiée, mais non de
m’empêcher d’en remplir les devoirs
selon ma conscience et mon
honneur. »
Les
quatorze prisonnières qu’il avait
délivrées restèrent en
liberté et il conserva son gouvernement du
Languedoc, mais ce n’est qu »en 1769
que la prison de la tour de constance fut
définitivement fermée.
Pour
assurer l’exécution de
l’édit de révocation,
interdisant l’exercice public du culte
protestant, on ne s’était pas
borné à édicter contre ceux
qui se rendaient aux assemblées, ces
terribles peines des galères pour les
hommes, de l’emprisonnement perpétuel
pour les femmes.
On
avait
eu recours à tous les moyens pour
empêcher que les assemblées pussent
avoir lieu, de manière à ce
qu’il fût impossible aux protestants de
se réunir, pour prier Dieu à leur
manière, soit dans les maisons, soit sous
la
couverture du ciel.
On
avait
obligé les nouveaux convertis de chaque
communauté à prendre des
délibérations par lesquelles ils
s’érigeaient en inspecteurs les uns des
autres, et s’engageaient à
empêcher que les édits ne fussent
violés. Ainsi, dans une
délibération des habitants de
Saint-Jean-de-Gardonnenque, en date du 17 novembre
1686, on lit :
« Tous
lesdits habitants,
ci-dessus dénommés, s’obligent
à mettre des espions
à toutes les
avenues de la paroisse pour éviter et
empêcher les assemblées de quelques
fugitifs. »
Si
les
nouveaux convertis ne tenaient pas leur promesse et
n’avertissaient point les autorités,
les soldats prévenus par quelques-uns des
faux frères que l’on entretenait
partout à grands frais, ou par un
catholique, arrivaient dans les localités
près desquelles devait se tenir une
assemblée, et, se faisant accompagner par le
curé, procédaient à des
visites domiciliaires. Tout absent était
réputé coupable d’avoir
assisté à l’assemblée
s’il ne pouvait justifier d’un motif
légitime d’absence.
On
avait
pensé, sur l’avis conforme de
Bâville, que le moyen
le plus
efficace pour
empêcher les
assemblées, était de rendre
responsables les communautés sur le
territoire desquelles elles se seraient tenues, et
de condamner à des amendes solidaires tous
les habitants.
En
1712,
deux arrondissements dans lesquels
s’étaient tenues deux
assemblées, surprises par les soldats,
étaient condamnés, l’un à
1500 l’autre à 3 000 livres
d’amende.
En
1754,1’intendant Saint-Priest condamne encore
à mille livres d’amende les habitants
nouveaux convertis de l’arrondissement de
Revel, dans le taillable duquel était
situé le bois où une assemblée
s’était tenue. À la même
époque, les habitants de Clairac, Tonneins
et Nérac, déclarent dans une
supplique, que les amendes arbitraires qu’on
leur inflige, à raison
d’assemblées tenues sur leurs
territoires, les épuisent, et les
mettent
hors d’état de payer leurs
impositions ordinaires.
Peu
à peu les communautés en vinrent,
cependant, à considérer les amendes
qu’on leur infligeait pour avoir souffert des
assemblées sur leurs territoires, comme une
sorte d’abonnement à payer, pour avoir
la faculté de célébrer leur
culte au désert, en violation des
édits.
Pour
prévenir la réunion des
assemblées, la constante
préoccupation du Gouvernement était
d’empêcher, par tous les moyens, que les
huguenots pussent trouver des ministres, ou des
prédicants Faisant fonctions de ministres
pour exercer leur culte au
désert.
Une
ordonnance du 1° juillet 1686, édicte
la peine de mort, contre tout ministre
rentré ou non sorti; la même peine est
appliquée à ceux qui, sans mandat,
viennent spontanément remplir le rôle
de ministres dans les assemblées.
En 1701, Bàville écrit à
l’évêque de Nîmes :
«Le
prophète, monsieur, que vous avez
interrogé ce matin sera bientôt expédié;
j’ai
condamné ce matin à mort quatre
prédicants du Vivarais, et une femme qui
faisait accroire qu’elle pleurait du sang;
j’ai condamné aussi une
célèbre prédicante au
fouet et à la fleur de lys.
Je ne ferai aucune
grâce aux
prédicants...»
J’ai
fait prendre et punir, écrit-il ailleurs,
seize de ces prédicateurs, je n’en
connais plus que deux qui sont fort cassés,
que j’espère arrêter s’ils
paraissent.»
De
1685
à 1762, une centaine de pasteurs,
prophètes ou prédicants furent
cruellement suppliciés, roués ou
pendus, pour avoir prêché au
désert; quant aux prédicantes, on
finit par se borner les enfermer à
l’hôpital comme insensées.
Le dernier martyr de
cet apostolat errant, fut le pasteur Rochette
condamné à être pendu
et
étranglé, le 18
février 1762 «
comme atteint et convaincu d’avoir
fait les
fonctions de ministre
de là religion
prétendue réformée,
prêché, baptisé, fait la
cène et des mariages dans des
assemblées désignées du nom de
désert.
Au
début, voulant terrifier les populations par
l’horreur des supplices, on avait
laissé des patients pendant de longues
heures sur la roue, les os et les membres
brisés, avant de leur donner le coup mortel,
le coup de grâce; mais cette barbarie, loin
d’avoir le succès qu’on en
attendait, avait, grâce à
l’héroïque constance des victimes,
surexcité le fanatisme des religionnaires.
On fut donc obligé, par
politique, d’agir
plus
humainement.
«
La
mort la
plus prompte à ces
gens-là, disait le maréchal de
Villars, à l’occasion du supplice de
Fulcran Bey, est toujours la plus convenable; il
est surtout convenable de ne pas donner à un
peuple gâté le spectacle d’un
prêtre qui crie et d’un patient, qui le
méprise. » L’impitoyable
Bâville avait fini par se ranger
lui-même à cet avis et le pasteur
Brousson ayant été condamné
à être roué vif, Bâville
demanda que le condamné fût
étranglé avant d’être mis
sur la roue, afin, dit-il, de
finir promptement
le spectacle.
Pour
empêcher les patients de haranguer la foule
à leurs derniers moments, on avait
commencé par les mener au supplice avec un
bâillon dans la bouche; l’usage du
bâillon ayant paru trop odieux, dit Elie
Benoît, on laissa aux condamnés l’apparence
d’avoir la
liberté de parler, mais on mit au pied de
l’échelle des tambours qui battaient
jusqu’à ce que le patient eût
expiré.
« Étonnantes
vicissitudes des choses
humaines, s’écrie de Félice, qui
eût dit à Louis XIV que son
arrière-petit-fils, un roi de France, aurait
aussi la voix étouffée par des
tambours sur l’échafaud !
»
Pour
se
saisir des ministres, on ne négligeait rien,
on mettait leur tête à prix; la prime
de trois à cinq mille livres promise au
délateur qui ferait prendre un ministre, fut
portée à dix mille livres, pour
Brousson et pour Court, à vingt mille livres
pour Paul Rabaut, un des derniers et des plus
illustres de ces pasteurs du désert.
Ce
n’était pas seulement par des primes en
argent que l’on cherchait à provoquer
les trahisons; ainsi l’on avait promis un
régiment de dragons à un gentilhomme
s’il faisait prendre Court, et ce
traître avait provoqué une
assemblée près d’Alais afin de
gagner son régiment. Court se rend à
cette assemblée, mais, à
l’arrivée des troupes, il trouve moyen
de s’enfuir, et pour se mettre à
l’abri des poursuites, est obligé de
rester caché pendant vingt-quatre heures
sous un tas d’immondices.
Quant
aux
soldats, on excitait leur zèle en leur
permettant de dépouiller ceux qui faisaient
partie d’une assemblée surprise, et les
officiers qui capturaient un pasteur, pouvaient
espérer un grade, ou une récompense
honorifique. Le lieutenant qui avait pris le
pasteur Bénézet lui ayant dit avec
satisfaction : — Votre prise me procurera
la Croix de Saint-Louis.
—Oui,
réplique
fièrement le futur martyr, ce
sera une croix de
sang qui vous reprochera toujours.
On
entretenait, à beaux deniers comptants, un
service d’espions chargés de surveiller
et de faire prendre ces pasteurs ambulants, si bien
que les intendants avaient la liste de toutes les
maisons où ces pasteurs pouvaient songer
à demander asile.
On
écrit du Poitou à Court :
« les mouches
volent sous toutes
sortes de formes, malgré que nous soyons en
hiver, pour tacher de pincer les
ministres. »
«
Je
sais, dit Paul Rabaut, qu’il y a un nombre
considérable d’espions à mes
trousses. Ils se tiennent tous les soirs aux
endroits où ils s’imaginent, que je
dois passer et y restent jusque bien avant dans la
nuit. » Un soir, il se rend au logis qui lui a
été préparé au moment
d’entrer dans la maison il aperçoit un
homme assis qui lui parait suspect. Il fait
semblant d’entrer dans la maison voisine, et
revient à son asile sans être
aperçu.
Le
lendemain matin, la maison où l’on
avait cru le voir entrer, était investie par
un détachement de soldats. Rabaud
s’empresse de sortir pour gagner une porte de
la ville. r J’observai, dit-il, de marcher au
petit pas, sans que la sentinelle ne
soupçonnât rien, et, pour mieux la
tromper, je chantai tout doucement, mais de
manière qu’elle pût
m’entendre; dès que je fus, hors de la
vue de la sentinelle, je doublai le pas. »
Rabaut rencontre des amis qui le conduisent
à une maison écartée et le
pressent instamment d’y coucher; il refuse et
part à neuf heures du soir; il
n’était pas à cinquante pas de
là que la maison est entourée par des
soldats et fouillée du haut en
bas.
«
Je
viens d’apprendre, écrit-il encore le
19 mai 1752, de deux ou trois endroits
différents qu’on met en usage les
moyens les plus diaboliques pour se défaire
de moi. On emploie des soldats travestis et
d’autres gens de sac et de corde qui,
armés de pistolets, doivent tâcher de
me trouver, ou en ville, ou aux assemblées,
et s’ils ne peuvent pas me saisir vivant, ils
sont chargés de me mander à
l’autre monde par la voie de
l’assassinat. Jugez par là, si
j’ai besoin de redoubler de
précautions.
Les
faux
frères auxquels les pasteurs venaient
demander asile, et que pouvait tenter
l’appât de la prime promise pour leur
capture, constituaient un danger incessant et des
plus sérieux pour ces prédicateurs
ambulants. Grâce au peu
d’épaisseur d’une cloison,
Brousson, caché dans une maison, entend ses
hôtes délibérer entre eux
s’ils doivent ou non le livrer; il
s’empresse d’aller chercher ailleurs un
asile plus sûr.
Le
pasteur Béranger arrive à une ferme
isolée dans le Dauphiné où il
comptait passer la nuit. Il aperçoit un
enfant sur la porte et lui dit :
—mon ami, est-ce qu’il y a des
étrangers dans la maison?
—Non!
—Est-ce que ton père y est?
—Non, il est allé chercher les
gendarmes parce que le ministre doit loger chez
nous ce soir. Bien entendu, Béranger
s’empresse de poursuivre sa route.
Bien
souvent, les pasteurs étaient obligés
de s’adresser à des hôtes dont
ils n’étaient pas sûrs, par suite
de la terreur résultant de la rigoureuse
application de la loi portant que ceux qui leur
donneraient asile, aide ou assistance, seraient
passibles des galères ou même de la
peine de mort.
Voyant
se
fermer toutes les portes devant eux, traqués
comme des fauves, errant de village en village,
obligés de passer des jours et des nuits
dans des bois, des avenues, des granges
isolées, les pasteurs du désert
menaient une rude et terrible existence, souffrant
du froid, de la faim, et toujours sous la menace
imminente de la mort.
« Nous sommes, dit Paul Rabaut, errants
par les déserts et par les montagnes,
exposés à toutes les injures de
l’air, n’ayant que la terre pour lit et
le ciel pour couverture.
« Mon
occupation, dit-il,
est de circuler sans cesse de lieu en lieu, et de
prêcher souvent jusqu’à cinq fois
dans une semaine, quelquefois le jour, mais le plus
souvent la nuit. Notre fatigue est grande :
marcher, veiller, demeurer debout sur une pierre,
presque les trois heures entières,
prêcher en rase campagne. »
L’activité
de Brousson
était prodigieuse; pendant deux ans, il
présida trois ou quatre assemblées
chaque semaine ; il lui arriva pendant quinze
journées consécutives de
prêcher chaque deux nuits, en se reposant le
jour et en employant la nuit d’intervalle
à voyager.
Court
n’était pas moins actif ; pendant deux
mois Il fit plus de cent lieues allant
d’assemblée en assemblée,
à pied, quand ses forces le lui
permettaient, porté par deux hommes quand la
fièvre qui le minait l’empêchait
de marcher.
Il
n’y avait sorte de déguisement que les
pasteurs, obligés de changer souvent de nom
pour dépister les espions,
n’employassent ; ils se travestissaient en
mendiants, en pèlerins, en officiers, en
soldats, en vendeurs de chapelets et d’images
; mais, en route, ils étaient sans cesse
exposés à de fâcheuses
rencontres, et devaient n’attendre leur salut
que de leur sang-froid et de leur esprit
d’à-propos.
Un
pasteur, déguisé en mendiant,
contrefait, le sourd ; un autre ne doit son salut
qu’au sang-froid avec lequel il joue le
rôle de l’ermite dont il avait
revêtu la robe.
Un
jour,
Court entre dans un cabaret; survient le commandant
d’une garnison voisine qui l’interroge
durement. La netteté des réponses de
Court satisfait l’officier qui prie le
prédicant d’attendre qu’il ait
fait son courrier, et lui donne à porter
deux lettres, l’une pour le duc de Roquelaure,
l’autre pour Bâville, le terrible
intendant du Languedoc.
Des
soldats viennent frapper à la porte
d’une maison d’un faubourg de Sedan
où Brousson tenait une assemblée.
Brousson payant d’audace, va ouvrir à
l’officier; on le prend pour le maître
de la maison, et l’on arrête un des
assistants qui, ayant un bâton à la
main, est pris pour le ministre. Brousson se cache
derrière la porte d’une chambre basse
et échappe aux recherches. Avant de sortir
de la maison, l’officier demande à un
enfant de cinq ou six ans de lui dire où
couche le ministre; l’enfant répond
qu’il ne le sait pas. Mais, quelques instants
plus tard, ayant aperçu Brousson, cet enfant
court à l’officier et lui dit :
Monsieur, ici, ici,
en lui montrant la
porte derrière laquelle se tenait
caché le proscrit. L’officier ne
comprend pas ce que veut dire l’enfant et
s’éloigne. Brousson prend les
vêtements d’un palefrenier, se charge
d’un fardeau et peut ainsi traverser, sans
être reconnu, les postes que l’on avait
mis à l’entrée du
faubourg.
Le
prédicant Fouché, caché
à Nîmes, entend publier au son de la
trompette, défense à qui que ce soit
de sortir des maisons, et voit que des sentinelles
sont postées au coin des rues pour que
personne ne puisse échapper à la
visite domiciliaire qu’on va opérer. Au
moment où la sentinelle qui garde sa rue
tourne le dos, il traverse la rue et demande
à une femme qu’il avait aperçue
dans la maison en face de lui, de le cacher dans
son lit, moyennant bonne récompense. La
femme se laisse tenter et le place à
côté d’un enfant qu’elle
avait malade au lit. L’officier qui
procédait à la visite des maisons
arrive et demande à la femme si elle
n’a personne chez elle.
—Un
enfant, dit-elle, au lit, malade. L’officier
fait le tour du lit, voit l’enfant et
n’aperçoit pas Fouché
caché sous la couverture. Touché de
compassion pour l’enfant en voyant la
misère qui règne au logis, cet
officier tire une pièce d’argent de sa
poche, la donne à la mère et sort de
la maison.
Semblable
aventure arrive à Court ; les soldats
frappent à la porte de la maison où
il était réfugié; Il se couche
dans la ruelle du lit de son hôte, à
qui il recommande de faire le malade et
d’envoyer sa femme ouvrir aux soldats: Les
soldats entrent, fouillent les armoires, sondent
les murs et ne trouvent rien. Pendant ce temps, le
faux malade, pâle de peur, entrouvrait ses
rideaux et protestait de la peine qu’il
éprouvait de ne pouvoir se lever pour aider
les soldats dans leurs recherches.
Un
autre
prédicant n’a que le temps de se cacher
dans le pétrin de son hôte, au moment
où les soldats arrivent. Après
l’avoir cherché vainement, ceux-ci
s’attablent autour du pétrin, et ce
n’est qu’après leur départ,
longtemps retardé, que le prédicant
peut sortir de son incommode cachette.
C’était
souvent un
hasard qui sauvait les proscrits : un jour,
Bâville écrit à
l’évêque de Nîmes lui
indiquant où est réfugié
Brousson qu’il veut faire arrêter;
pendant que le prélat reconduit un visiteur,
un gentilhomme nouveau converti lit la lettre
restée ouverte sur une table, Il se
hâte de sortir et de prévenir Brousson
qui a à peine le temps de
déloger.
Une
autre
fois, Court, assis au pied d’un arbre,
préparait un sermon. Il voit les soldats
investir la maison dans laquelle il avait
trouvé asile ; il grimpe à
l’arbre, et, caché par le feuillage, il
assiste invisible aux recherches faites pour
s’assurer de sa personne.
Un
jour,
la métairie où Brousson était
réfugié près de Nîmes
est investie; son hôte n’a que le temps
de le faire descendre dans un puits où une
petite excavation à fleur d’eau
existait. Brousson s’y blottit. Après
avoir fouillé la maison, les soldats
attachent l’un deux qui connaissait la
cachette à une corde, et le descendent dans
le puits. Le soldat, échauffé, une
fois dans le puits, se sent saisi par le froid ;
craignant un accident, se fait retirer avant
d’arriver au fonds du puits, en criant
qu’il n’y a personne dans la cachette.
Brousson est sauvé, alors qu’il se
croyait irrémédiablement
perdu.
Le
prédicant Henri Pourtal se trouvant dans une
maison où il avait fait une petite
assemblée, ne trouve d’autre moyen
d’échapper aux soldats que de monter au
haut de la maison et de passer sur les toits des
maisons voisines. Poursuivi de près, il se
jette dans un puits où, par bonheur, il
n’a de l’eau que jusqu’au cou, mais
il est obligé de demeurer trois heures dans
l’eau glacée. Quand on l’en
retire, demi-mort, il s’aperçoit
qu’en descendant d’une maison à
l’autre il s’est blessé si
gravement à la jambe, qu’il doit rester
six semaines sans pouvoir marcher.
Pendant
trois nuits consécutives, par une pluie
battante, les troupes font une battue dans un bois,
entre Uzès et Alais, où Brousson
s’était réfugié. La
troisième nuit, Brousson dut s’abriter
sous un rocher dans une position si
gênée qu’il ne pouvait ni se
lever ni s’allonger; au matin, percé
jusqu’aux os par la pluie et transi de froid,
il sort de sa cachette pour se rendre à un
village voisin. Il entend des voix,
c’était une troupe de soldats; il
n’a que le temps de se cacher dans les
broussailles. Il voit successivement passer
plusieurs détachements qui vont investir le
village où il comptait se
rendre.
Fouché,
échappé par miracle à ceux qui
venaient l’arrêter dans son asile, sur
la dénonciation d’un traître,
passe une rivière à la nage par un
froid glacial. Transi, à demi-mort, il
marche dans la neige sans savoir où il va,
traverse à minuit un village inconnu,
où il n’ose demander asile et se perd
dans les bois. Il arrive à Audabias, chez un
paysan qui l’a logé autrefois, mais
celui-ci n’ose le garder; aussitôt le
jour paru il faut déloger.
Pressé
par la faim,
harassé de fatigue, Fouché marche
toujours sans savoir où il va. Il rencontre
enfin un homme de sa connaissance qui le campe sous
un rocher dans un bois et va aux provisions.
Pendant deux heures Fouché souffrant du
froid et de la faim l’attend; quand
l’autre revient, Fouché a peine
à mâcher une bouchée de pain
tant il est affaibli, mais une gorgée de vin
qu’il avale le remet, son compagnon le
mène à une métairie; mais il y
a des domestiques papistes et il faut les laisser
coucher avant d’entrer. Fouché reste
encore deux heures exposé à la
rigueur du froid; il entre enfin, on lui
préparé un lit; mais, au moment
où il va porter à sa bouche le
bouillon qu’on lui a fait chauffer, les
soldats arrivent. Il s’échappe en
franchissant une haute muraille; arrivé dans
un petit bois il s’évanouit de
faiblesse et d’épuisement. Ce
n’est qu’au bout de deux heures que les
forces lui reviennent et qu’il peut suivre son
compagnon, qui le mène chez une veuve
à Saint-Laurent. Le lendemain matin,
nouvelle alerte, les soldats qui poursuivaient
Fouché, s’arrêtent pour se
rafraîchir chez cette veuve qui vendait du
vin, mais heureusement ils ne songent point
à faire de recherches; sans quoi
Fouché était perdu.
Le
pasteur Coffin peut s’échapper des
mains de l’officier qui l’avait
arrêté et fuit en Hollande; le
proposant Mézarel, pris par les soldats et
enfermé dans une grange, se met pieds nus et
peut fuir sans bruit; Pradel surpris avec
l’assemblée qu’il
présidait, saute -à cheval et est
longtemps poursuivi par les soldats, entendant les
cris répétés de : à
celui du cheval ! et des coups de fusil; de
même le pasteur Gibert, fuyant d’une
assemblée à cheval avec deux autres
huguenots, voit l’un de ses compagnons
tué à ses côtés, et
l’autre fait prisonnier avec la valise dans
laquelle étaient renfermés ses
papiers, il n’échappe lui-même
aux soldats qu’en se cachant dans un
bois.
Les
périls renaissaient sans cesse et plus
d’un, comme Romans pris deux fois et deux fois
miraculeusement délivré de la prison,
ou comme le futur martyr Brousson, dut
momentanément repasser à
l’étranger quand la persécution
devenait trop ardente; ce n’était pas
une fuite, mais un délai du martyre. Un jour
venait, en effet, pour presque tous les pasteurs du
désert où la malchance, la trahison
les livraient aux mains de l’autorité ;
or, être pris, c’était la mort
sur le gibet ou sur la roue, après les
tortures de la question ordinaire et
extraordinaire.
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