Pour donner une idée
de la barbarie de la répression, il suffira
de citer les faits suivants :
« Un jour, dit Cosuac, Saint-Ruth,
après avoir dispersé une bande de
religionnaires, en fit brûler plus de deux
cents qui s’étaient
réfugiés dans une grange. Les
malheureux repoussant avec des perches les
matières combustibles que les soldats
jetaient sur le toit, les dragons embusqués
dans les arbres tiraient sur eux.
La grange brûla et
tous furent étouffés, sauf les quinze
plus vigoureux qui, étant sortis, furent
fusillés ou pendus.
À l’approche des soldats, un autre
jour, des vieillards, des femmes et des enfants se
sauvent et se réfugient dans des
précipices, derrière Mastenac,
Saint-Ruth en trouve le chemin.
Il y eut plusieurs
filles
et femmes violées, dit Elie Benoît;
une entre autres, ayant donné beaucoup de
peine à six dragons par sa résistance
et se jetant sur eux comme une lionne pour se
venger, fut tuée par ces brutaux à
coups de sabre... Catherine Raventel, ayant
été trouvée dans les douleurs
de l’enfantement, les dragons la
tuèrent... On tua tout, hommes et femmes,
tous périrent jusqu’au
dernier. »
L’évêque de Valence
avait demandé qu’on lui, accordât
du moins la grâce des prisonniers qu’il
parviendrait à convertir.
« J’accompagnais l’intendant,
dit-il, dans les endroits où il y avait des
prisonniers, et, dans le temps qu’il les
condamnait à mort et qu’on instruisait
leur procès, je recevais leur abjuration, cela
fit
sauver plus
de deux mille hommes.
Louvois dut être satisfait, et la désolation
du pays en
1683-1684,
fut le digne prélude de la sauvage
dévastation accomplie quelques années
plus tard, pour faire régner la paix
des tombeaux sur les ruines
ensanglantées
des Cévennes, dépeuplées et
converties en désert, sur une étendue
de quarante lieues de long sur vingt de
large.
L’histoire de
l’insurrection des Cévennes ne rentre
pas dans le cadre de ce travail, qui a pour but de
faire l’histoire de la résistance
passive de l’immense majorité des
huguenots, résistance finissant par lasser
les persécuteurs. Mais si la constance
héroïque des martyrs huguenots, au fond
des cachots, sur les bancs des galères,
devant la potence, la roue et le bûcher a
gagné, devant l’opinion publique, la
cause de la liberté de conscience, on ne
peut contester que le souvenir toujours vivant de
la lutte héroïque de quelques milliers
de montagnards contre les armées de Louis
XIV n’ait, pour une large part,
contribué à assurer le succès
définitif de cette grande cause. C’est
pourquoi nous disons ici quelques mots de cette
guerre du désespoir, provoquée par la
longue et cruelle persécution qui suivit la
désolation de 1683.
Deux fois dans
les
provinces du
midi, en 1688 et en 1700, tout un peuple tombe
malade, perd l’esprit à force
d’être persécuté
et torturé
et c’est par
milliers que hommes, femmes, filles et enfants se
mettent à prophétiser. Cette maladie
extatique, éteinte ailleurs, se
perpétue dans les Cévennes, et depuis
Esprit Séguier qui, en 1702, donne le signal
de l’insurrection, jusqu’à Rolland
et Cavalier même, les chefs camisards furent
presque tous prophètes. S’il
fallait
livrer un combat ou
tenter une expédition, on ne le faisait
qu’après avoir consulté les
inspirés, interprètes de
l’Esprit Saint Bombonnoux, un des derniers
chefs camisards, prévient en vain ses gens
du danger qu’ils courent :
« comme
je
n’étais pas prophète, dit-il, on
ne fit
aucune attention à mes pressentiments.
»
La principale cause
qui
amena les Cévenols à se
révolter, dit Court, ce fut la conduite
cruelle et barbare que les ecclésiastiques,
évêques, grands vicaires,
curés, les moines eux-mêmes tenaient
à l’égard des
protestants,
Le plus cruel des tyrans locaux qui
s’ingéniaient à tourmenter les
huguenots, c’était
l’archiprêtre du Chayla qui, bourreau,
et satyre tout à la fois, torturait les
hommes, à la vue de leurs femmes et de leurs
filles, pour les obliger à se livrer
à lui. Contre ses prisonniers
enfermés dans les caves de son château
de Pont-de-Montvert, il épuisait tous les
raffinements de cette science de torture dans
laquelle, dit Court de Gebelin, les prêtres
n’ont point connu de rivaux et ne furent
jamais dépassés. Il leur arrachait un
à un les poils de la barbe, des sourcils,
des cils; il leur liait les deux mains avec des
cordes de coton imbibées d’huile ou de
graisse, qu’il faisait brûler lentement
jusqu’à ce que les chairs fussent
rôties jusqu’aux os. Il leur mettait des
charbons ardents dans les mains qu’il fermait
et comprimait violemment avec les siennes. Il
plaçait ces malheureux dans les ceps (nom
que l’on donnait à deux pièces
de bois entre lesquelles il engageait leurs pieds),
de telle sorte qu’ils ne pouvaient se tenir ni
assis, ni debout sans souffrir les plus cruels
tourments.
Dans la nuit du 24 au 25 juillet 1702, trois
prophètes, Esprit Séguier, Conduc et
Mazel se donnent rendez-vous dans la montagne, une
cinquantaine de huguenots armés de fusils,
de sabres, de faulx ou de bâtons viennent se
joindre à eux. Dieu le veut !
s’écrie le prophète
Séguier, il nous commande de délivrer
nos frères et nos soeurs, et
d’exterminer cet archiprêtre de
Satan.
La bande des
conjurés entre dans le bourg de
Pont-de-Montvert en chantant le psaume de combat,
ils prennent d’assaut la demeure de du Chayla,
enfoncent la porte avec une poutre dont ils font un
bélier, tuent ou dispersent les gardes de du
Chayla, et mettent le feu au
château.
Ils se précipitent
vers les cachots et trouvent les malheureux
prisonniers à moitié morts, les pieds
endoloris pris dans les ceps, n’ayant
même plus la force de prendre la
liberté qu’ils viennent leur apporter.
Leur fureur redouble, ils découvrent du
Chayla, qui, en voulant s’enfuir par une
fenêtre, est tombé et s’est
brisé la jambe. Chacun défile
à son tour devant l’archiprêtre
et le frappe en disant : Voici pour mon
frère envoyé aux galères, pour
ma mère, pour ma soeur enfermées au
couvent, pour mon père que tu as fait
périr sur la roue. Quand on releva le
cadavre de du Chayla, il avait cinquante-deux
blessures faites par chacun de ceux qui avaient une
victime à venger. C’est à la
suite de cette sanglante exécution que
commença la terrible guerre des
Cévennes, guerre du désespoir, entre
quelques milliers de montagnards guidés par
leurs prophètes, et les armées de
Louis XIV.
Pour se rendre compte de ce qu’étaient
ces révoltés, se croyant
inspirés de l’Esprit-Saint ne craignant
ni la mort sur le champ de bataille, ni les
souffrances du supplice sur la roue ou le
bûcher, il suffit de se rappeler la fin du
prophète Esprit ,
Séguier.
— Comment
t’attends-tu à être
traité? lui demande le capitaine Poul qui
l’a fait prisonnier.
— Comme je
t’aurais traité moi-même, si je
t’avais pris, répond le prisonnier
enchaîné.
— Pourquoi
t’appelle-t-on Esprit Séguier? Lui
demandent les juges .
— Parce que
l’esprit de Dieu est avec moi.
—Ton domicile ?
— Au désert, et bientôt au
ciel.
— Demande pardon au roi de ta révolte
!
— Mes compagnons et moi n’avons
d’autre roi que
l’Éternel.
— N’éprouves-tu pas de
remords de tes crimes ?
— « Mon
âme est un
jardin plein
d’ombrage et de fontaines, et je n’ai
point commis de crimes.
Condamné à
avoir le poing coupé et à être
brûlé vif, il meurt avec le courage
d’un martyr, et, monté sur le
bûcher, il revendiquait encore l’honneur
d’avoir porté le premier coup à
l’archiprêtre du Chayla.
Pour venir à bout
de tels hommes, il fallut quatre maréchaux
de France, de véritables armées; et
de nouveaux croisés, les cadets
de la croix, auxquels
une bulle du pape
Clément XI promettait les indulgences
accordées autrefois aux massacreurs des
Albigeois. Voici quelques exploits de ces saints croisés
: Dans le
seul lieu de
Brenoux, dit Court, ils massacrent cinquante-deux personnes.
Il y avait
parmi elles plusieurs femmes enceintes ; ils les
éventrent et portent en procession, à
la pointe de leurs baïonnettes, leurs enfants
arrachés de leurs entrailles fumantes...
Entre Bargenc et Bagnols, les cadets de la croix
s’emparent de trois jeunes filles, leur font
subir le dernier outrage, leur emplissent le corps
de poudre, les bourrent comme une pièce
d’artillerie, y mettent le feu et les font
éclater. »
L’armée régulière, de son
côté, traitait les Cévenols
comme des loups enragés ; après un
combat, le brigadier Poul envoyait à M. de
Broglie deux
corbeilles de têtes pour
être exposées sur
les murs d’une forteresse. Un autre jour, ses
soldats victorieux reviennent avec des chapelets
d’oreilles de Cévenols. Le
maréchal de camp Julien faisait passer au
fil de l’épée des villages
entiers, et c’est lui qui avait trouvé
ce barbare moyen de ne jamais être
gêné par le trop grand nombre des
prisonniers qu’il avait faits : Comme dans nos
marches d’exil, à la moindre alarme,
nous aurions été embarrassés
de nos prisonniers, je
pris la peine de leur casser la tête à
mesure
qu’on me les conduisait, le
roi épargne ainsi les frais
de justice et d’exécution.
»
Lalande, ayant
surpris
une trentaine de camisards blessés dans la
caverne où on les avait cachés, les
fait tous tuer par ses dragons. C’était
l’habitude des soldats d’en agir ainsi.
Bonbonnoux conte, qu’ayant été
surpris avec Cavalier, sa troupe avait
été mise en fuite prés
d’une caverne, où nous avions, dit-il,
partie nos blessés. « Nous
délogeâmes, poursuit-il; nos
blessés qui ne pouvaient point nous suivre,
demeurèrent dans la caverne et furent
bientôt découvert par
des médecins qui
pansèrent leurs plaies d’étrange
manière, ils
les firent tous périr. »
Faut-il s’étonner de ce que les
camisards, appliquant la théorie biblique :
oeil pour œil, dent pour dent, rendaient
meurtre pour meurtre, incendie pour incendie, si
bien que l’évêque de Nîmes,
Fléchier, écrivait : « J’ai
vu de mes fenêtres brûler nos maisons
de campagne impunément, il ne se passe pas
de jour que je n’apprenne à mon
réveil quelque malheur arrivé la
nuit. Plus de quatre mille catholiques ont
été égorgés à la
campagne, quatre-vingts prêtres
massacrés, près de deux cents
églises brûlées.
»
Montrevel fait réduire en cendres quatre
cent soixante-six villages, les maisons
isolées, les granges, les métairies,
on détruit les fours; dans
les huit jours, tous les
habitants de la
campagne; vingt mille personnes environ, doivent
être rendus dans les villes murées
avec leurs bestiaux et tout ce qu’ils
possèdent, et il leur est interdit, sous
peine de mort, de sortir des lieux où ils
sont internés, Pour que ces internés
ne puissent venir en aide aux camisards, on les
rationnait si parcimonieusement que parfois ils
n’avaient plus de quoi vivre. Les
internés de Saint-André, mourant de
faim, se décident un jour à sortir
dans la campagne et rapportent quelques aliments.
Pendant la nuit un détachement de troupes
arrive pour les châtier. On arrache les
malheureux de leurs lits, on les entasse dans
l’église d’où on les, fait
sortir un par un pour les massacrer.
L’exécution finie, on jeta tout, morts
et mourants, hommes, femmes et enfants, dans la
rivière, laissant aux chiens affamés
et aux fauves le soin de faire disparaître
les cadavres.
Les camisards, refoulés dans leurs
montagnes, avaient bien de la peine à vivre
avec le blé que la charité des
paysans leur fournissait et qu’ils cachaient
dans des cavernes. « Notre état,
dit Bonbonnoux, devenait tous les jours plus triste
et plus désolant. L’ennemi avait
renfermé toutes les denrées dans les
villes ou dans les bourgs murés,
renversé les fours de campagne, mis les
moulins hors d’état de moudre,
obligé le paysan qui travaillait dehors de
prendre le pain par poids et mesure, crainte
qu’il ne nous en fournît quelque peu.
Ainsi, nous avions toutes les peines imaginables
pour trouver seulement ce qui était le plus
pressant et le plus nécessaire pour
subsister. Nous faisions fabriquer de ces fers qui
sont entre les deux meules du moulin et que
l’ennemi avait enlevés, nous faisions
rebâtir les fours qu’on avait
démolis, et nous les démolissions de
nouveau pour n’être pas
découverts. »
Ne pouvant venir à
bout, par la force des armes, de ces terribles
Cévenols aussi insoucieux de la mort sur les
champs de bataille que sur le bûcher ou sur
la roue, il avait fallu se résoudre à
faire le désert autour d’eux, afin
qu’ils fussent réduits à mourir
de faim au milieu des montagnes sauvages et
désolées où ils avaient
été refoulés.
Quant aux chefs ou prophètes,
c’était toujours par la trahison que
l’on finissait par avoir raison d’eux.
Bàville écrit, en 1700, à
l’occasion de la prise du prophète
Daniel Raoul et de trois prédicants que lui
avait livrés un faux frère,
gagné à prix d’argent
« On ne peut jamais prendre ces sortes de
gens-là autrement, et toutes les forces du
monde ne servent de rien, parce qu’ils ont des
retraites assurées. Il faut, pour de
l’argent, trouver quelqu’un de ceux qui
les suivent, qui les découvre et les
livre. » Ce n’est point par la force
des armes que le maréchal de Villars vint
à bout de l’insurrection
cévenole; par de vaines promesses,
n’ayant pour garantie que la parole du roi
— garantie dont on a vu plus haut le peu de
valeur, il parvint à priver les
révoltés de leur plus brillant
capitaine, Cavalier. — Roland, ce grand
organisateur de l’insurrection, ne
s’étant pas laissé abuser par de
trompeuses négociations, parce qu’il
exigeait, non de vaines promesses, mais des actes,
le maréchal de Villars, se fit livrer par un
traître le chef qui était
l’âme de la révolte, mais il ne
l’eut pas vivant, Roland se fit
tuer.
Voici le portrait que Peyrat, dans son Histoire des
Pasteurs du désert, fait de Cavalier et de
Roland, les deux grandes figures légendaires
de l’insurrection des Cévennes
:
Roland Laporte,
général des enfants de Dieu,
pâtre cévenol, unissait à
l’indomptable ténacité de
Coligny l’habile et sombre enthousiasme de
Cromwell. S’emparant de cet orageux
élément de l’extase, il en fit
le fondement et la règle d’une
insurrection qu’il organisa, nourrit,
vêtit, abrita, entretint deux ans au
désert, malgré la fureur des hommes
et des saisons; lutta avec trois mille combattants
contre des populations hostiles, soixante mille
ennemis armés, les maréchaux de Louis
XIV, et ne fut enfin abattu que par la
défection, la trahison et la mort. Quel
homme plus obscur sut, avec de plus faibles moyens,
tenter avec plus d’énergie un effort
gigantesque ? Car, l’insurrection,
créée par lui, morte avec lui,
c’était lui-même. Il en
était l’intelligence, l’âme.
Mais, s’il en fut la tête, Cavalier, il
faut le dire, en fut le bras et la plus vaillante
épée. »
Roland n’avait point cet élan, cette
fougue aventureuse, inspirée, cette bravoure
téméraire et chevaleresque qui,
jointe aux à charmes de l’adolescence,
font de Cavalier la plus gracieuse et la plus
héroïque figure du désert...
Roland, fait observer Peyrat, périt la
veille de la bataille d’Hoschstet, et
l’année qui précéda les
grands désastres de Louis XIV ; s’il
eut encore vécu qu’eût-il fait
alors ?
« Ce chef
formidable, grandissant de la ruine du monarque,
lui eût sans doute imposé le
rétablissement de l’édit de
Nantes, il eût rouvert les portes de la
France à cinq cent mille exilés, et,
les réunissant sur la frontière, il
leur eût dit : maintenant défendons la
patrie, notre mère repentante et
vénérée, et repoussons ses
ennemis !
Le spectacle de
cette
lutte de quelques milliers de montagnards contre
les armées de Louis XIV, commandées
par ses meilleurs officiers, le fait inouï
d’un maréchal de France traitant
d’égal à égal, au nom du
roi-soleil, avec Cavalier, un ancien pâtre,
avaient stupéfié l’Europe et
rehaussé le courage des
huguenots qui
s’étaient laissé arracher une
conversion.
Les internements de populations entières,
les transportations en Amérique, les tueries
militaires, le supplice de douze mille
Cévenols envoyés par Bâville
aux galères, au gibet, à la roue, aux
bûchers, l’incendie de cinq cents
villages, la réduction en désert de
quarante à cinquante lieues de pays,
désert dans lequel avaient péri, cent
mille personnes : tels avaient été
les terribles moyens employés pour arriver
à faire régner dans les
Cévennes la paix des tombeaux. Le souvenir
de cette insurrection des Cévennes laissa au
moins aux convertisseurs la crainte salutaire et
persistante, de voir les huguenots des autres
provinces imiter l’exemple des rebelles. Non
seulement sous Louis XIV, mais pendant la
régence, et sous Louis XV, on voit souvent,
en effet, les intendants conseiller de
modérer la persécution, en rappelant
l’insurrection des Cévennes, pour faire
comprendre au Gouvernement qu’il pourrait
être dangereux de pousser les huguenots
à bout.
Pour en revenir à l’histoire de la
campagne poursuivie pour finir le calvinisme, par
la suppression des temples et l’interdiction
des ministres, nous dirons qu’elle continua
plus ardente que jamais par toute la France,
après l’exécution militaire du
Vivarrais et du Dauphiné. Puis après
la première dragonnade du Poitou en 1681-
1682, vinrent la grande dragonnade de 1685,
commencée par l’armée
réunie sur les frontières de
l’Espagne, et enfin l’édit de
révocation, interdisant l’exercice du
culte protestant, supprimant tous les temples et
bannissant tous les ministres hors du
royaume.
Les opiniâtres que
n’avait pu convaincre l’Apostolat
du
sabre étaient
renfermés dans les prisons, dans les
châteaux forts, dans les hôpitaux; dans
les couvents où ils avaient à subir
de nouvelles persécutions, ou bien, ils
erraient de lieu en lieu, cherchant à sortir
du royaume. S’ils réussissaient,
c’étaient les douleurs de l’exil
et les dures épreuves de la misère
à l’étranger; s’ils
échouaient, c’était, pour les
femmes, la détention perpétuelle dans
les prisons ou les couvents; pour les hommes, le
cruel supplice des galères; pour tous, en
outre, la confiscation des biens.
Quand à la grande
masse des protestants, des nouveaux convertis,
ainsi qu’on les appelait depuis qu’on
leur avait arraché une abjuration, ils
semblaient, sinon résignés à
leur sort, du moins incapables de retrouver
l’énergie nécessaire pour
revenir sur le fait accompli.
Le clergé et le roi crurent un instant avoir
cause gagnée et firent frapper de menteuses
médailles en l’honneur de
l’extinction de l’hérésie.
Mais les huguenots avaient l’horreur du culte
catholique qu’on voulait les contraindre
à pratiquer, ils restaient attachés
à la foi qu’on les avait obligés
de renier des lèvres, et ils reprenaient peu
à peu en secret l’exercice du culte
proscrit.
Dans les provinces,
comme
la Bretagne ou la Normandie, où les
huguenots étaient dispersés par
petits groupes, au milieu de nombreuses populations
catholiques, c’étaient des
gentilshommes, des négociants, des artisans,
des femmes qui s’attachaient par des lectures,
par des conférences ou entretiens, à
maintenir leurs co-religionnaires dans leurs
anciennes croyances.
Dans le Poitou; dans la Saintonge et dans les
provinces du Midi, où les huguenots
étaient très nombreux et plus
ardents, ils ne se résignèrent pas
à se borner au culte domestique et se mirent
à faire des assemblées qui devinrent
peu à peu de plus en plus nombreuses. Ces
assemblées se tenaient, parfois dans une
maison isolée, mais le plus souvent dans les
bois ou les cavernes, on y faisait des
prières, on y chantait des psaumes et,
à défaut de ministre, un homme, un
adolescent, une femme faisait une lecture ou
haranguait les fidèles. Quand le roi et le
clergé apprirent la reprise du culte
qu’ils croyaient avoir anéanti, ils
furent pris d’une colère
frénétique; ils firent publier un
édit qui, ainsi que le dit de Felice, aurait
fait honte à des cannibales. Peine de mort
Contre les ministres rentrés en France,
contre les prédicants, contre tous ceux qui
seraient surpris dans une assemblée ; les
galères perpétuelles pour quiconque
prêterait secours ou donnerait asile à
un de ces ministres dont la tête était
mise à prix.
Le marquis de la
Trousse
donnait ces sauvages instructions aux officiers
chargés de surprendre et de dissiper les
assemblées de huguenots :
« Lorsque l’on aura tant fait que de
parvenir au lieu de l’assemblée, il ne
sera pas mal à propos d’en
écharper une partie. » Les
ordres de
Louvois ne sont pas moins barbares :
« S’il
arrive encore que l’on puisse tomber sur de
pareilles assemblées, l’on ordonne aux
dragons de tuer la
plus
grande partie
des religionnaires qu’ils pourront joindre
sans épargner les femmes. »
« Sa Majesté
désire que vous donniez ordre aux troupes...
de ne faire que peu de prisonniers, mais d’en
mettre beaucoup sur le carreau,
n’épargnant pas plus les femmes que les
hommes.
« Il
convient
que... l’on fasse main basse sur eux, sans
distinction d’âge ni de sexe, et que si,
après en avoir tué un grand nombre on
prend quelques prisonniers, on fasse faire
diligemment leur procès. »
Le duc de Broglie, après avoir donné
à l’armée du Languedoc, les
mêmes instructions de charger les
assemblées qui se tiendraient à la
campagne, et de faire main basse dessus sans aucune
distinction de sexe, ajoute, en ce qui concerne les
assemblées particulières qui se
tiennent dans les maisons : « Si
l’assemblée passe le nombre, de quinze
personnes, l’officier qui commande pourra la
charger et en user avec la même
sévérité que si elle se
faisait en campagne. »
Jamais instructions
ne
furent mieux observées, dit Elie
Benoît ; on ne manquait pas de se rendre aux
lieux où on était averti qu’il
se faisait des assemblées et, quand on
pouvait les surprendre, on ne manquait pas de tirer
dessus, quoique le plus souvent on les
trouvât à genoux, attendant le coup
sans fuir, et n’ayant ni le moyen, ni
l’intention de se défendre. Il y en
avait toujours quelque nombre de tués et
encore, un plus grand nombre de blessés,
dont plusieurs allaient mourir dans quelque haie ou
quelque caverne. Les soldats battaient, volaient,
violaient impunément dans ces occasions.. On
a vu des femmes assommées de coups sur la
tête, d’autres à qui on avait
coupé le visage à coups de sabre,
d’autres à qui l’on avait
coupé les doigts pour leur arracher les
bagues qu’elles y portaient, d’autres
à qui on avait fait sortir les entrailles...
)
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |