Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

LIBERTÉ DU CULTE

suite

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Pour donner une idée de la barbarie de la répression, il suffira de citer les faits suivants :
« Un jour, dit Cosuac, Saint-Ruth, après avoir dispersé une bande de religionnaires, en fit brûler plus de deux cents qui s’étaient réfugiés dans une grange. Les malheureux repoussant avec des perches les matières combustibles que les soldats jetaient sur le toit, les dragons embusqués dans les arbres tiraient sur eux.

La grange brûla et tous furent étouffés, sauf les quinze plus vigoureux qui, étant sortis, furent fusillés ou pendus.

À l’approche des soldats, un autre jour, des vieillards, des femmes et des enfants se sauvent et se réfugient dans des précipices, derrière Mastenac, Saint-Ruth en trouve le chemin.

Il y eut plusieurs filles et femmes violées, dit Elie Benoît; une entre autres, ayant donné beaucoup de peine à six dragons par sa résistance et se jetant sur eux comme une lionne pour se venger, fut tuée par ces brutaux à coups de sabre... Catherine Raventel, ayant été trouvée dans les douleurs de l’enfantement, les dragons la tuèrent... On tua tout, hommes et femmes, tous périrent jusqu’au dernier. »
L’évêque de Valence avait demandé qu’on lui, accordât du moins la grâce des prisonniers qu’il parviendrait à convertir. « J’accompagnais l’intendant, dit-il, dans les endroits où il y avait des prisonniers, et, dans le temps qu’il les condamnait à mort et qu’on instruisait leur procès, je recevais leur abjuration, cela fit sauver plus de deux mille hommes.

Louvois dut être satisfait, et la
désolation du pays en 1683-1684, fut le digne prélude de la sauvage dévastation accomplie quelques années plus tard, pour faire régner la paix des tombeaux sur les ruines ensanglantées des Cévennes, dépeuplées et converties en désert, sur une étendue de quarante lieues de long sur vingt de large.
L’histoire de l’insurrection des Cévennes ne rentre pas dans le cadre de ce travail, qui a pour but de faire l’histoire de la résistance passive de l’immense majorité des huguenots, résistance finissant par lasser les persécuteurs. Mais si la constance héroïque des martyrs huguenots, au fond des cachots, sur les bancs des galères, devant la potence, la roue et le bûcher a gagné, devant l’opinion publique, la cause de la liberté de conscience, on ne peut contester que le souvenir toujours vivant de la lutte héroïque de quelques milliers de montagnards contre les armées de Louis XIV n’ait, pour une large part, contribué à assurer le succès définitif de cette grande cause. C’est pourquoi nous disons ici quelques mots de cette guerre du désespoir, provoquée par la longue et cruelle persécution qui suivit la désolation de 1683.

Deux
fois dans les provinces du midi, en 1688 et en 1700, tout un peuple tombe malade, perd l’esprit à force d’être persécuté et torturé et c’est par milliers que hommes, femmes, filles et enfants se mettent à prophétiser. Cette maladie extatique, éteinte ailleurs, se perpétue dans les Cévennes, et depuis Esprit Séguier qui, en 1702, donne le signal de l’insurrection, jusqu’à Rolland et Cavalier même, les chefs camisards furent presque tous prophètes. S’il fallait livrer un combat ou tenter une expédition, on ne le faisait qu’après avoir consulté les inspirés, interprètes de l’Esprit Saint Bombonnoux, un des derniers chefs camisards, prévient en vain ses gens du danger qu’ils courent : « comme je n’étais pas prophète, dit-il, on ne fit aucune attention à mes pressentiments. »
La principale cause qui amena les Cévenols à se révolter, dit Court, ce fut la conduite cruelle et barbare que les ecclésiastiques, évêques, grands vicaires, curés, les moines eux-mêmes tenaient à l’égard des protestants,

Le plus cruel des tyrans locaux qui s’ingéniaient à tourmenter les huguenots, c’était l’archiprêtre du Chayla qui, bourreau, et satyre tout à la fois, torturait les hommes, à la vue de leurs femmes et de leurs filles, pour les obliger à se livrer à lui. Contre ses prisonniers enfermés dans les caves de son château de Pont-de-Montvert, il épuisait tous les raffinements de cette science de torture dans laquelle, dit Court de Gebelin, les prêtres n’ont point connu de rivaux et ne furent jamais dépassés. Il leur arrachait un à un les poils de la barbe, des sourcils, des cils; il leur liait les deux mains avec des cordes de coton imbibées d’huile ou de graisse, qu’il faisait brûler lentement jusqu’à ce que les chairs fussent rôties jusqu’aux os. Il leur mettait des charbons ardents dans les mains qu’il fermait et comprimait violemment avec les siennes. Il plaçait ces malheureux dans les ceps (nom que l’on donnait à deux pièces de bois entre lesquelles il engageait leurs pieds), de telle sorte qu’ils ne pouvaient se tenir ni assis, ni debout sans souffrir les plus cruels tourments.


Dans la nuit du 24 au 25 juillet 1702, trois prophètes, Esprit Séguier, Conduc et Mazel se donnent rendez-vous dans la montagne, une cinquantaine de huguenots armés de fusils, de sabres, de faulx ou de bâtons viennent se joindre à eux. Dieu le veut ! s’écrie le prophète Séguier, il nous commande de délivrer nos frères et nos soeurs, et d’exterminer cet archiprêtre de Satan.

La bande des conjurés entre dans le bourg de Pont-de-Montvert en chantant le psaume de combat, ils prennent d’assaut la demeure de du Chayla, enfoncent la porte avec une poutre dont ils font un bélier, tuent ou dispersent les gardes de du Chayla, et mettent le feu au château.
Ils se précipitent vers les cachots et trouvent les malheureux prisonniers à moitié morts, les pieds endoloris pris dans les ceps, n’ayant même plus la force de prendre la liberté qu’ils viennent leur apporter. Leur fureur redouble, ils découvrent du Chayla, qui, en voulant s’enfuir par une fenêtre, est tombé et s’est brisé la jambe. Chacun défile à son tour devant l’archiprêtre et le frappe en disant : Voici pour mon frère envoyé aux galères, pour ma mère, pour ma soeur enfermées au couvent, pour mon père que tu as fait périr sur la roue. Quand on releva le cadavre de du Chayla, il avait cinquante-deux blessures faites par chacun de ceux qui avaient une victime à venger. C’est à la suite de cette sanglante exécution que commença la terrible guerre des Cévennes, guerre du désespoir, entre quelques milliers de montagnards guidés par leurs prophètes, et les armées de Louis XIV.

Pour se rendre compte de ce qu’étaient ces révoltés, se croyant inspirés de l’Esprit-Saint ne craignant ni la mort sur le champ de bataille, ni les souffrances du supplice sur la roue ou le bûcher, il suffit de se rappeler la fin du prophète Esprit , Séguier.

Comment t’attends-tu à être traité? lui demande le capitaine Poul qui l’a fait prisonnier.
Comme je t’aurais traité moi-même, si je t’avais pris, répond le prisonnier enchaîné.
Pourquoi t’appelle-t-on Esprit Séguier? Lui demandent les juges .
Parce que l’esprit de Dieu est avec moi.
Ton domicile ?
— Au désert, et bientôt au ciel.
— Demande pardon au roi de ta révolte !
— Mes compagnons et moi n’avons d’autre roi que l’Éternel.

N’éprouves-tu pas de remords de tes crimes ?
« Mon âme est un jardin plein d’ombrage et de fontaines, et je n’ai point commis de crimes.

Condamné à avoir le poing coupé et à être brûlé vif, il meurt avec le courage d’un martyr, et, monté sur le bûcher, il revendiquait encore l’honneur d’avoir porté le premier coup à l’archiprêtre du Chayla.
Pour venir à bout de tels hommes, il fallut quatre maréchaux de France, de véritables armées; et de nouveaux croisés, les cadets de la croix, auxquels une bulle du pape Clément XI promettait les indulgences accordées autrefois aux massacreurs des Albigeois. Voici quelques exploits de ces saints croisés : Dans le seul lieu de Brenoux, dit Court, ils massacrent cinquante-deux personnes. Il y avait parmi elles plusieurs femmes enceintes ; ils les éventrent et portent en procession, à la pointe de leurs baïonnettes, leurs enfants arrachés de leurs entrailles fumantes... Entre Bargenc et Bagnols, les cadets de la croix s’emparent de trois jeunes filles, leur font subir le dernier outrage, leur emplissent le corps de poudre, les bourrent comme une pièce d’artillerie, y mettent le feu et les font éclater. »

L’armée régulière, de son côté, traitait les Cévenols comme des loups enragés ; après un combat, le brigadier Poul envoyait à M. de Broglie
deux corbeilles de têtes pour être exposées sur les murs d’une forteresse. Un autre jour, ses soldats victorieux reviennent avec des chapelets d’oreilles de Cévenols. Le maréchal de camp Julien faisait passer au fil de l’épée des villages entiers, et c’est lui qui avait trouvé ce barbare moyen de ne jamais être gêné par le trop grand nombre des prisonniers qu’il avait faits : Comme dans nos marches d’exil, à la moindre alarme, nous aurions été embarrassés de nos prisonniers, je pris la peine de leur casser la tête à mesure qu’on me les conduisait, le roi épargne ainsi les frais de justice et d’exécution. »
Lalande, ayant surpris une trentaine de camisards blessés dans la caverne où on les avait cachés, les fait tous tuer par ses dragons. C’était l’habitude des soldats d’en agir ainsi. Bonbonnoux conte, qu’ayant été surpris avec Cavalier, sa troupe avait été mise en fuite prés d’une caverne, où nous avions, dit-il, partie nos blessés. « Nous délogeâmes, poursuit-il; nos blessés qui ne pouvaient point nous suivre, demeurèrent dans la caverne et furent bientôt découvert par des médecins qui pansèrent leurs plaies d’étrange manière, ils les firent tous périr. »

Faut-il s’étonner de ce que les camisards, appliquant la théorie biblique : oeil pour œil, dent pour dent, rendaient meurtre pour meurtre, incendie pour incendie, si bien que l’évêque de Nîmes, Fléchier, écrivait : « J’ai vu de mes fenêtres brûler nos maisons de campagne impunément, il ne se passe pas de jour que je n’apprenne à mon réveil quelque malheur arrivé la nuit. Plus de quatre mille catholiques ont été égorgés à la campagne, quatre-vingts prêtres massacrés, près de deux cents églises brûlées. »


Montrevel fait réduire en cendres quatre cent soixante-six villages, les maisons isolées, les granges, les métairies, on détruit les fours;
dans les huit jours, tous les habitants de la campagne; vingt mille personnes environ, doivent être rendus dans les villes murées avec leurs bestiaux et tout ce qu’ils possèdent, et il leur est interdit, sous peine de mort, de sortir des lieux où ils sont internés, Pour que ces internés ne puissent venir en aide aux camisards, on les rationnait si parcimonieusement que parfois ils n’avaient plus de quoi vivre. Les internés de Saint-André, mourant de faim, se décident un jour à sortir dans la campagne et rapportent quelques aliments. Pendant la nuit un détachement de troupes arrive pour les châtier. On arrache les malheureux de leurs lits, on les entasse dans l’église d’où on les, fait sortir un par un pour les massacrer. L’exécution finie, on jeta tout, morts et mourants, hommes, femmes et enfants, dans la rivière, laissant aux chiens affamés et aux fauves le soin de faire disparaître les cadavres.

Les camisards, refoulés dans leurs montagnes, avaient bien de la peine à vivre avec le blé que la charité des paysans leur fournissait et qu’ils cachaient dans des cavernes. « Notre état, dit Bonbonnoux, devenait tous les jours plus triste et plus désolant. L’ennemi avait renfermé toutes les denrées dans les villes ou dans les bourgs murés, renversé les fours de campagne, mis les moulins hors d’état de moudre, obligé le paysan qui travaillait dehors de prendre le pain par poids et mesure, crainte qu’il ne nous en fournît quelque peu. Ainsi, nous avions toutes les peines imaginables pour trouver seulement ce qui était le plus pressant et le plus nécessaire pour subsister. Nous faisions fabriquer de ces fers qui sont entre les deux meules du moulin et que l’ennemi avait enlevés, nous faisions rebâtir les fours qu’on avait démolis, et nous les démolissions de nouveau pour n’être pas découverts. »

Ne pouvant venir à bout, par la force des armes, de ces terribles Cévenols aussi insoucieux de la mort sur les champs de bataille que sur le bûcher ou sur la roue, il avait fallu se résoudre à faire le désert autour d’eux, afin qu’ils fussent réduits à mourir de faim au milieu des montagnes sauvages et désolées où ils avaient été refoulés.

Quant aux chefs ou prophètes, c’était toujours par la trahison que l’on finissait par avoir raison d’eux. Bàville écrit, en 1700, à l’occasion de la prise du prophète Daniel Raoul et de trois prédicants que lui avait livrés un faux frère, gagné à prix d’argent « On ne peut jamais prendre ces sortes de gens-là autrement, et toutes les forces du monde ne servent de rien, parce qu’ils ont des retraites assurées. Il faut, pour de l’argent, trouver quelqu’un de ceux qui les suivent, qui les découvre et les livre. » Ce n’est point par la force des armes que le maréchal de Villars vint à bout de l’insurrection cévenole; par de vaines promesses, n’ayant pour garantie que la parole du roi — garantie dont on a vu plus haut le peu de valeur, il parvint à priver les révoltés de leur plus brillant capitaine, Cavalier. — Roland, ce grand organisateur de l’insurrection, ne s’étant pas laissé abuser par de trompeuses négociations, parce qu’il exigeait, non de vaines promesses, mais des actes, le maréchal de Villars, se fit livrer par un traître le chef qui était l’âme de la révolte, mais il ne l’eut pas vivant, Roland se fit tuer.


Voici le portrait que Peyrat, dans son Histoire des Pasteurs du désert, fait de Cavalier et de Roland, les deux grandes figures légendaires de l’insurrection des Cévennes :

Roland Laporte, général des enfants de Dieu, pâtre cévenol, unissait à l’indomptable ténacité de Coligny l’habile et sombre enthousiasme de Cromwell. S’emparant de cet orageux élément de l’extase, il en fit le fondement et la règle d’une insurrection qu’il organisa, nourrit, vêtit, abrita, entretint deux ans au désert, malgré la fureur des hommes et des saisons; lutta avec trois mille combattants contre des populations hostiles, soixante mille ennemis armés, les maréchaux de Louis XIV, et ne fut enfin abattu que par la défection, la trahison et la mort. Quel homme plus obscur sut, avec de plus faibles moyens, tenter avec plus d’énergie un effort gigantesque ? Car, l’insurrection, créée par lui, morte avec lui, c’était lui-même. Il en était l’intelligence, l’âme. Mais, s’il en fut la tête, Cavalier, il faut le dire, en fut le bras et la plus vaillante épée. »

Roland n’avait point cet élan, cette fougue aventureuse, inspirée, cette bravoure téméraire et chevaleresque qui, jointe aux à charmes de l’adolescence, font de Cavalier la plus gracieuse et la plus héroïque figure du désert... Roland, fait observer Peyrat, périt la veille de la bataille d’Hoschstet, et l’année qui précéda les grands désastres de Louis XIV ; s’il eut encore vécu qu’eût-il fait alors ?

« Ce chef formidable, grandissant de la ruine du monarque, lui eût sans doute imposé le rétablissement de l’édit de Nantes, il eût rouvert les portes de la France à cinq cent mille exilés, et, les réunissant sur la frontière, il leur eût dit : maintenant défendons la patrie, notre mère repentante et vénérée, et repoussons ses ennemis !
Le spectacle de cette lutte de quelques milliers de montagnards contre les armées de Louis XIV, commandées par ses meilleurs officiers, le fait inouï d’un maréchal de France traitant d’égal à égal, au nom du roi-soleil, avec Cavalier, un ancien pâtre, avaient stupéfié l’Europe et rehaussé le courage des
huguenots qui s’étaient laissé arracher une conversion.

Les internements de populations entières, les transportations en Amérique, les tueries militaires, le supplice de douze mille Cévenols envoyés par Bâville aux galères, au gibet, à la roue, aux bûchers, l’incendie de cinq cents villages, la réduction en désert de quarante à cinquante lieues de pays, désert dans lequel avaient péri, cent mille personnes : tels avaient été les terribles moyens employés pour arriver à faire régner dans les Cévennes la paix des tombeaux. Le souvenir de cette insurrection des Cévennes laissa au moins aux convertisseurs la crainte salutaire et persistante, de voir les huguenots des autres provinces imiter l’exemple des rebelles. Non seulement sous Louis XIV, mais pendant la régence, et sous Louis XV, on voit souvent, en effet, les intendants conseiller de modérer la persécution, en rappelant l’insurrection des Cévennes, pour faire comprendre au Gouvernement qu’il pourrait être dangereux de pousser les huguenots à bout.


Pour en revenir à l’histoire de la campagne poursuivie pour finir le calvinisme, par la suppression des temples et l’interdiction des ministres, nous dirons qu’elle continua plus ardente que jamais par toute la France, après l’exécution militaire du Vivarrais et du Dauphiné. Puis après la première dragonnade du Poitou en 1681- 1682, vinrent la grande dragonnade de 1685, commencée par l’armée réunie sur les frontières de l’Espagne, et enfin l’édit de révocation, interdisant l’exercice du culte protestant, supprimant tous les temples et bannissant tous les ministres hors du royaume.

Les opiniâtres que n’avait pu convaincre l’Apostolat du sabre étaient renfermés dans les prisons, dans les châteaux forts, dans les hôpitaux; dans les couvents où ils avaient à subir de nouvelles persécutions, ou bien, ils erraient de lieu en lieu, cherchant à sortir du royaume. S’ils réussissaient, c’étaient les douleurs de l’exil et les dures épreuves de la misère à l’étranger; s’ils échouaient, c’était, pour les femmes, la détention perpétuelle dans les prisons ou les couvents; pour les hommes, le cruel supplice des galères; pour tous, en outre, la confiscation des biens.
Quand à la grande masse des protestants, des nouveaux convertis, ainsi qu’on les appelait depuis qu’on leur avait arraché une abjuration, ils semblaient, sinon résignés à leur sort, du moins incapables de retrouver l’énergie nécessaire pour revenir sur le fait accompli.

Le clergé et le roi crurent un instant avoir cause gagnée et firent frapper de menteuses médailles en l’honneur de l’extinction de l’hérésie. Mais les huguenots avaient l’horreur du culte catholique qu’on voulait les contraindre à pratiquer, ils restaient attachés à la foi qu’on les avait obligés de renier des lèvres, et ils reprenaient peu à peu en secret l’exercice du culte proscrit.

Dans les provinces, comme la Bretagne ou la Normandie, où les huguenots étaient dispersés par petits groupes, au milieu de nombreuses populations catholiques, c’étaient des gentilshommes, des négociants, des artisans, des femmes qui s’attachaient par des lectures, par des conférences ou entretiens, à maintenir leurs co-religionnaires dans leurs anciennes croyances.

Dans le Poitou; dans la Saintonge et dans les provinces du Midi, où les huguenots étaient très nombreux et plus ardents, ils ne se résignèrent pas à se borner au culte domestique et se mirent à faire des assemblées qui devinrent peu à peu de plus en plus nombreuses. Ces assemblées se tenaient, parfois dans une maison isolée, mais le plus souvent dans les bois ou les cavernes, on y faisait des prières, on y chantait des psaumes et, à défaut de ministre, un homme, un adolescent, une femme faisait une lecture ou haranguait les fidèles. Quand le roi et le clergé apprirent la reprise du culte qu’ils croyaient avoir anéanti, ils furent pris d’une colère frénétique; ils firent publier un édit qui, ainsi que le dit de Felice, aurait fait honte à des cannibales. Peine de mort Contre les ministres rentrés en France, contre les prédicants, contre tous ceux qui seraient surpris dans une assemblée ; les galères perpétuelles pour quiconque prêterait secours ou donnerait asile à un de ces ministres dont la tête était mise à prix.

Le marquis de la Trousse donnait ces sauvages instructions aux officiers chargés de surprendre et de dissiper les assemblées de huguenots :
« Lorsque l’on aura tant fait que de parvenir au lieu de l’assemblée, il ne sera pas mal à propos
d’en écharper une partie. » Les ordres de Louvois ne sont pas moins barbares :
« S’il arrive encore que l’on puisse tomber sur de pareilles assemblées, l’on ordonne aux dragons de tuer la plus grande partie des religionnaires qu’ils pourront joindre sans épargner les femmes. »
« Sa Majesté désire que vous donniez ordre aux troupes... de ne faire que peu de prisonniers, mais d’en mettre beaucoup sur le carreau, n’épargnant pas plus les femmes que les hommes.
« Il convient que... l’on fasse main basse sur eux, sans distinction d’âge ni de sexe, et que si, après en avoir tué un grand nombre on prend quelques prisonniers, on fasse faire diligemment leur procès. »

Le duc de Broglie, après avoir donné à l’armée du Languedoc, les mêmes instructions de charger les assemblées qui se tiendraient à la campagne, et de faire main basse dessus sans aucune distinction de sexe, ajoute, en ce qui concerne les assemblées particulières qui se tiennent dans les maisons : « Si l’assemblée passe le nombre, de quinze personnes, l’officier qui commande pourra la charger et en user avec la même sévérité que si elle se faisait en campagne. »

Jamais instructions ne furent mieux observées, dit Elie Benoît ; on ne manquait pas de se rendre aux lieux où on était averti qu’il se faisait des assemblées et, quand on pouvait les surprendre, on ne manquait pas de tirer dessus, quoique le plus souvent on les trouvât à genoux, attendant le coup sans fuir, et n’ayant ni le moyen, ni l’intention de se défendre. Il y en avait toujours quelque nombre de tués et encore, un plus grand nombre de blessés, dont plusieurs allaient mourir dans quelque haie ou quelque caverne. Les soldats battaient, volaient, violaient impunément dans ces occasions.. On a vu des femmes assommées de coups sur la tête, d’autres à qui on avait coupé le visage à coups de sabre, d’autres à qui l’on avait coupé les doigts pour leur arracher les bagues qu’elles y portaient, d’autres à qui on avait fait sortir les entrailles... )

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