Caractère
d’humiliation
du culte protestant.
— Maxime du prince de Condé.
— Temples supprimés. —
Ministres interdits. — La
désolation des provinces du midi.
— L’insurrection des
Cévennes. — Les
assemblées. — Les pasteurs du
désert. — Reprise
générale du culte
protestant. — Mariages et
baptêmes. — L’édit
de 1787.
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L’édit de Nantes
n’avait pas, en ce qui concerne
l’exercice du culte, placé sur un pied
d’égalité la religion catholique
et la religion protestante. Le culte catholique
était librement célébré
sur tous les points du royaume et avait partout la
première place, tandis que l’exercice
du culte protestant n’était
autorisé que dans les lieux où il
avait existé avant 1597.
Jusqu’à 1573,
les édits royaux avaient qualifié le
protestantisme de religion
nouvelle, l’édit
de Nantes
l’appela religion prétendue réformée,
puis
défense
fut faite aux pasteurs de prendre un
autre titre que celui de ministres de la religion prétendue
réformée,
et, dans tous
les actes publics, les huguenots durent être
qualifiés de prétendus réformés.
Rien
ne fut
négligé, du reste, pour accuser ce caractère
d’humiliation
qu’on voulait
donner au protestantisme, afin
de mieux marquer la différence de situation
de
la
religion tolérée et de la religion
maîtresse et dominante, de
la réformée qui est
toute fausse et de la
catholique qui est
toute sainte
et toute sacrée, ainsi
que le disait
l’évêque
d’Uzès.
Non seulement on
défendit aux gentilshommes huguenots de se
faire enterrer dans les cimetières
catholiques ou dans les caveaux des églises, sous
prétexte
que
les tombeaux de leurs pères y
étaient ou qu’ils avaient quelque droit
de patronage ou de seigneurie, mais
encore les cimetières
communs aux morts des deux religions, durent
être abandonnés aux catholiques. Les
huguenots qui avaient réclamé
vainement contre l’appellation de prétendus
réformés
qu’on leur
imposait, protestèrent énergiquement,
sans plus de succès, contre cette
prescription d’avoir à enterrer leurs
morts à part, ce
qui les
marquait,
disaient-ils, d’une
tache odieuse et
flétrissante.
« Pourquoi, dit une
requête des églises
réformées, nous assigner des
cimetières à
part? Nos pères
avaient leur droit en
ceux qui étaient déjà, et
étaient publics et communs. Nous
ont-ils
pas laissés
héritiers de leurs droits en cela, aussi
bien
qu’en
cet air français que nous humons, aussi
bien
qu’en
ces villes que nous hantons, aussi bien qu’en
ces maisons que nous
habitons? ».
Aujourd’hui encore,
nous voyons sans cesse de graves difficultés
se produire par suite de la prétention de
l’Église catholique de faire inhumer à
part, tous ceux,
catholiques ou non catholiques, qu’elle
n’a pas pu ou voulu enterrer religieusement.
Cette prétention se base sur ce qu’elle
aurait fait siens, les
cimetières,
propriétés
communales, en leur donnant une
bénédiction générale
qui aurait transformé leur sol en
terre
sainte.
Dans un certain
nombre de
localités on a cru prévenir le retour
de difficultés de ce genre, en attribuant
à chaque culte différent, une portion
du cimetière, mais cette solution n’est
pas satisfaisante, car le mort peut n’avoir,
de son vivant, appartenu à aucun culte. La
ville de Paris a trouvé la vraie solution du
problème. Elle a astreint, le clergé
catholique à bénir chaque fosse isolément,
à ne plus
étendre sa bénédiction au
cimetière tout entier. De cette
façon, catholiques, protestants, juifs,
libres penseurs, sont enterrés côte
à côte et non plus à
part, et le
cimetière est vraiment ce
qu’il doit être, le lieu de repos commun
pour tous les morts.
L’Église
n’admettant pas la
tolérance, même
pour les morts, les
cléricaux de la chambre des
députés faisaient preuve
d’illogisme en 1885, lorsqu’ils
demandaient, à l’occasion de la
proposition d’inhumer Victor Hugo au
Panthéon, que cet édifice
continuât à être consacré
à l’exercice du culte
catholique.
M. Goblet leur
répondait avec raison :
« Ce grand esprit était
profondément religieux. Je rappellerai cet
admirable testament dans lequel, tout en
répudiant tous les dogmes et en
déclinant les prières des
prêtres, il proclamait sa foi en Dieu; mais
parce qu’il croyait en Dieu d’une
manière différente de la vôtre,
vous lui auriez fermé les portes, de votre
église. Je vous le demande, si nous
l’avions porté au Panthéon, restant à
l’état d’église, l’y auriez-vous
reçu? » M. Baudry d’Asson et
plusieurs de ses collègues de la droite, ne
pouvaient s’empêcher de répondre
: non !
Les cléricaux
d’aujourd’hui auraient, dans ce cas, agi
comme le fit en 1814 la royauté de droit
divin, dont le premier soin fut de tirer des
caveaux du Panthéon les corps de Voltaire et
de Rousseau et de les faire jeter à la
voirie.
Au sénat, MM. de
Ravignan et Fresneau allaient jusqu’au bout de
la doctrine catholique de
l’intolérance, lorsqu’ils disaient
que si le Panthéon perdait son
caractère religieux, aucun grand homme chrétien,
ne
consentirait
à être enterré la
dedans.
(sic).
Ainsi une nation ne
pourrait assigner un même lieu de
sépulture, dans un édifice n’ayant
aucun
caractère religieux, à tous ses
grands
hommes catholiques ou non catholiques, parce que,
ainsi que le disait M. de Ravignan, ce serait
infliger aux catholiques une sépulture qui
serait un attentat à leur croyance que de
les faire reposer à côté de
protestants, de juifs, de théistes et
d’athées. C’est l’application
aux morts de cette théorie de
l’Église, que la loi ne peut mettre sur
le même pied l’erreur et la
vérité, théorie
empêchant que la paix et la tolérance
puissent régner dans un pays, non seulement
entre les vivants, mais encore au milieu des
tombeaux.
Pour bien marquer le
caractère d’humiliation du
culte
protestant, même dans
l’intérieur des temples, Louis XIV ne
négligea rien, il fit enlever de ces
édifices religieux, les bancs et
sièges élevés là pour
les gentilshommes, juges, consuls et
échevins,
les fleurs de lys,
armes du roi, des villes et des communautés
placées sur les bancs, murailles et vitres
desdits temples. Il fit défense à
tous juges royaux ou des seigneurs, consuls et
échevins réformés de porter dans les
temples, et
lorsqu’ils y
allaient ou en revenaient, leurs robes rouges,
chaperons et autres marques de
magistrature.
Dans les villes,
sièges d’un archevêché ou
évêché, le temple ne pouvait
être placé à moins d’une
lieue de la dernière maison d’un des
faubourgs. Louis XIV interdit, en outre, de
prêcher et de s’assembler dans les
temples, de n’importe quelle ville, pendant
que les évêques ou archevêques
s’y trouvaient en tournée
pastorale.
Dans les villes,
où il y avait citadelle ou garnison de
troupes royales, il était défendu aux
protestants de s’assembler, au son des
cloches. Du jeudi au samedi, pendant la semaine
sainte, les cloches de tous les temples devaient
s’abstenir de sonner à l’exemple
de celles des églises
catholiques.
Plusieurs temples,
entre
autres celui d’Uzès, furent
démolis, comme étant placés trop près
des
églises
catholiques, dont les offices étaient
troublés par le son des cloches et le chant
des psaumes. Quand une procession, dans laquelle
était porté le Saint-Sacrement,
passait devant un temple, les protestants
assemblés devaient cesser le chant des
psaumes. Enfin on en vint à interdire aux
ministres de parler avec irrévérence,
dans leur prêche, des choses saintes et des
cérémonies de l’église
catholique. Un banc dut être
réservé dans le temple aux
catholiques pour que ceux-ci pussent, dit
l’édit, réfuter au besoin les
ministres, et les empêcher, par leur
présence, d’avancer aucune chose
contraire au respect dû à la religion
catholique.
Que dirait le
clergé catholique, si demain, le
gouvernement républicain mettait en
application une loi, par laquelle un banc devrait
être réservé dans chaque
église aux non-catholiques,
afin que
ceux-ci pussent, au besoin, réfuter les
arguments
du
prédicateur, et, par leur présence,
empêcher le prêtre de dire chose
contraire au respect dû, soit aux croyances
autres que celles du catholique, soit aux
institutions du pays.
On avait eu soin de
limiter, à l’intérieur des
temples, la liberté de l’exercice du
culte protestant, et c’est avec un soin jaloux
qu’on avait interdit toute manifestation
extérieure du culte
toléré.
Il était
défendu aux ministres de paraître au
dehors des temples, en
habit long; on
ne
souffrait même pas que, dans le temple, ils
portassent des soutanes et robes à manches
(ce qui n’appartenait qu’aux
ecclésiastiques et aux officiers de justice,
disait la loi). Ils ne pouvaient faire aucun
prêche, aucune exhortation, dans les rues,
sur les places publiques, même sous les
arbres
des
campagnes, sous quelque
prétexte que ce
fût, exécution de criminels,
inondation, peste, etc.; quand ils allaient
consoler les prisonniers, les ministres ne
pouvaient le faire qu’à voix basse et
dans une chambre séparée; de
même, dans les hôpitaux, ils devaient
faire leurs prières et exhortations aux
malades réformés, à voix assez
basse pour qu’ils ne pussent être
entendus des autres malades.
Cette prescription
était plus que difficile à observer
dans les hôpitaux de l’ancien
régime, où l’on entassait dans
chaque lit six ou huit malades, les convalescents
avec les moribonds, parfois avec les morts
qu’on n’avait pas toujours le temps
d’enlever. Le clergé attaché
à 1’Hôtel-Dieu de Paris ne
laissait les ministres parler aux malades huguenots
qu’en
présence d’un ecclésiastique,
prétendant que sans cette surveillance, les
ministres parlant haut, détournaient, dans
un quart d’heure, plus de malades catholiques
que l’on ne pouvait en édifier en trois
jours. Les protestants ne pouvaient envoyer de
députations spéciales, et il leur
était interdit de faire corps à part
dans toutes les occasions où ils avaient
à paraître en public. Ils ne pouvaient
s’assembler pour faire
des prières publiques, des lectures ou
autres exercices de leur religion que
dans leurs temples et en
présence de leurs ministres. Il
leur
était
défendu de chanter des psaumes à
haute voix, dans
les
rues,
carrefours, places publiques et même aux
fenêtres de leurs maisons. Ce chant des
psaumes ne leur était
permis, dans leurs boutiques et chambres
fermées, qu’à cette condition
qu’il fût fait à voix assez basse
pour ne pouvoir être entendu des voisins et
des passants.
Les cérémonies
de noces, de
baptêmes et d’enterrements, étant
considérées comme de nécessaires manifestations
extérieures
du
culte, étaient réglementées de
manière à bien marquer le
caractère d’humiliation qu’on
voulait
imprimer au culte toléré.
Les
réformés, dit un édit, allant
en marche par les rues, à l’occasion
des noces et des baptêmes, affectent de
se
trouver en nombre
considérable pour se rendre à leurs
temples. Pour faire cesser ce
scandale, il
est décrété
qu’à toutes cérémonies de
noces et de baptêmes, qui seront faites par
des huguenots, il ne pourra y avoir plus
de douze personnes, y compris les
parents qui y
assisteront; il est fait défense de marcher en
grand
nombre par les
rues, en
allant à ces
cérémonies.
Pour les
enterrements, le
nombre des personnes assistant aux convois ne peut
dépasser trente
personnes, y compris
les plus proches parents du défunt, ces
enterrements doivent se faire à six
heures
du matin ou
à six heures du soir, du
mois d’avril au mois
d’octobre, à
huit heures du matin ou
à quatre heures du soir, du
mois d’octobre à la fin
de mars.
Le bailli de Caen
avait
condamné à l’amende les
réformés Baillebache et Daniel,
à raison de la
malversation par
eux
commise :
« D’avoir
couvert le cercueil du corps de la fille dudit
Baillebache d’un drap blanc, semé de
couronnes et guirlandes de romarin et fait porter
les quatre coins d’icelui par quatre filles
tenantes en leurs mains chacune un rameau aussi de
romarin, et ledit Daniel d’avoir aussi
pareillement fait porter les coins d’un drap
étant sur le corps de sa défunte
femme.
Le parlement de
Rouen
confirme ce jugement : Ouï, Ménard,
avocat, qui a dit :
« Qu’il n’appartenait point à
ceux de la religion prétendue
réformée de faire aucune pompe ni
cérémonie dans leurs enterrements,
que c’était un honneur réservé à
ceux qui
professent la
religion du prince ; qu’il n’y pouvait
avoir égalité entre
les deux religions; que la
catholique, qui était la religion
maîtresse et dominante, devait avoir tous
les
honneurs et
tous les avantages; que
la prétendue
réformée doit demeurer dans
l’abaissement, dans le silence et dans
l’obscurité, qu’il
n’était pas
juste que la
servante
se parât des mêmes ornements que sa
maîtresse. »
Ouï l’avocat
général, lequel a
dit :
« Que nous voulons
que ceux de la religion prétendue
réformée, paraissent en toutes
choses, ce qu’ils sont,
c’est-à-dire tolérés, et,
pour
cette
raison, il leur est interdit toutes choses qui sont d’apparence
extérieure;
point
d’exercice public de leur
religion, point de culte extérieur, rien
qui
paraisse; même les
édits leur ordonnent de faire leurs
enterrements sur le soir, afin
d’en retrancher les pompes,
les cérémonies et toutes les vaines
ostentations. »
Ce système d’humiliation
appliqué
par
Louis XIV aux protestants, à l’occasion
des enterrements, nous avons vu sous la
république, un préfet de l’ordre
moral tenter de
le
ressusciter contre les libres penseurs de Lyon. En
1873, M. Ducros, préfet du Rhône, sous
prétexte de nécessités
d’ordre public (prétexte invoqué
au XVII° siècle. pour les protestants),
prit, en effet, un arrêté
décidant que les enterrements civils se
feraient
au plus
tard, à six
heures du matin en été, à sept
heures en hiver; qu’ils
ne pourraient être
suivis par un nombre de personnes excédant
le chiffre qu’il fixait, et qu’ils
devraient se rendre au cimetière par la voie
la plus directe, en
évitant les grandes rues.
Les journaux
cléricaux ne craignirent pas de prodiguer
les éloges à cet arrêté,
injustifiable dans une société
où, en vertu de la loi, tous sont
égaux, et ont droit au même
traitement, quelles que soient leurs croyances
religieuses ou leurs opinions philosophiques. Il
était juste, disaient ces journaux bien
pensants, que les morts libres penseurs fussent
enterrés à l’heure où
étaient enlevés les
immondices de
la ville, attendu que, ayant voulu mourir
comme
des
chiens, ils devaient
être enfouis
comme des chiens.
L’injure
n’était pas nouvelle et elle a toujours
été appliquée, par les
catholiques à ceux qui, protestants ou
libres penseurs, n’avaient point à leur
lit de mort, reçu les sacrements de
l’Eglise catholique. Ainsi on lit dans le Journal
de
l’Étoile :
« En 1590, mourut
aux cachots de la Bastille, maître Bernard
Palissy, prisonnier pour la religion,
âgé de quatre-vingts ans. La tante de
ce bonhomme y étant retournée le
lendemain, voir comment il se portait, trouva
qu’il était mort. Et, lui dit Bussy,
que, si elle voulait le voir, qu’elle le
trouverait avec
ses
chiens sur le
rempart, où il l’avait, fait
traîner comme un
chien qu’il
était. »
On lit encore dans
un
mémoire qui se trouve aux archives
générales.
En 1699, le sieur Bertin de Montabar, gentilhomme
de la religion prétendue
réformée, des plus obstinés,
lequel était âgé de
quatre-vingts ans, mourut, sans avoir voulu
souffrir que son curé
ni
aucun prêtre le
vissent... Son obstination ayant fait refuser
à ses enfants la permission de le faire
enterrer en terre sainte, on l’a
enterré dans son jardin auprès
du lieu où avait
été enterré son chien.
»
C’est par suite de
la même préoccupation d’imposer
un caractère de flétrissure à
l’enterrement des non catholiques
qu’à Paris, jusqu’à la
Révolution, les protestants et les artistes
de la Comédie-Française, excommuniés
ordinaires du roi, durent
être enterrés sans
pompe, la nuit, et inhumés dans un
chantier.
S’inspirant de la
doctrine qui avait dicté jadis
l’arrêt rendu dans l’affaire
Baillebache : la
religion catholique a le privilège de tous
les honneurs et de tous les avantages, les
ministres
de la
guerre, sous l’ordre
moral, MM.
Berthauld et du Barrai, firent
pour la question des honneurs militaires, ce que le
préfet Ducros avait fait pour les
inhumations des libres penseurs à
Lyon.
Arguant de je ne
sais
quelle équivoque de texte, ces ministres
décidèrent que le piquet
d’honneur accordé par la loi aux
religionnaires morts, devait être
refusé à ceux qui étaient
conduits directement de leur domicile au
cimetière, sans passer par
l’église, le temple ou la synagogue.
C’est en vertu de cette décision que le
député Brousse et le compositeur
Félicien David furent privés des
honneurs militaires.
Ces tentatives
faites
hier pour noter d’infamie les obsèques
des libres penseurs, ou tout au moins pour leur
imprimer un caractère d’humiliation, suffisent
pour
montrer ce que serait
devenu le principe de l’égalité
de tous les citoyens et de toutes les opinions
devant la loi, si l’on eût réussi
à restaurer, avec le roi très
chrétien Henri V, le gouvernement des
curés.
Un jour, le prince
de
Condé, ayant eu une vive discussion à
propos de religion avec la princesse de la
Trémouille, lui avait conseillé, pour
se défaire de ses entêtements
huguenots, de rester six mois sans aller au
prêche et sans voir le ministre.
L’affaire fit grand bruit et la maxime
du prince de Condé eut
beaucoup de
succès auprès des
évêques et des intendants, qui,
convaincus que la religion n’est qu’une
affaire d’habitude, rivalisèrent
d’ardeur pour mettre les huguenots dans
l’impossibilité d’aller aux
prêches et de voir des ministres, par la
suppression d’un grand nombre de temples et
l’interdiction de nombreux
ministres.
On supprima tous les
temples, dans les lieux où l’on ne put
prouver par
titres que le
culte
protestant avait été
célébré avant
l’édit de Nantes, et cette preuve écrite
était
d’autant plus difficile à faire que la
plupart des titres avaient été
détruits ou perdus au cours des guerres de
religion.
Les protestants se
trouvant souvent disséminés par
groupes peu nombreux au milieu des populations
catholiques, les annexes, ou lieux d’exercices
secondaires, n’avaient pas de ministres
attitrés, mais un pasteur venait, à
des jours déterminés, prêcher
dans chacune de ces annexes. Un édit
défendit aux ministres de prêcher dans
plus d’un lieu. Les églises
s’étant cotisées, les plus
riches venant au secours des plus pauvres, chaque
annexe put avoir son pasteur.
Un nouvel édit
vint interdire à chaque église de
contribuer aux dépenses des autres, attendu
que, au moyen des cotisations, les ministres devenaient
beaucoup
plus
fréquents qu’il ne convenait
à une religion qui n’était que
tolérée. Pour
empêcher que ces
cotisations ne pussent continuer à se faire
secrètement, il fut interdit aux
consistoires de se réunir, hors la
présence d’un juge royal, et de voter,
même pour aumônes, aucune imposition
nouvelle.
Pour qu’un temple
fût fermé et ses ministres interdits,
il suffisait qu’un huguenot ayant
abjuré ou que l’on
prétendait avoir abjuré eût
assisté au prêche. Il eût fallu
que les ministres se tinssent à la porte des
temples pour demander à quiconque voulait
entrer, avez-vous abjuré? Tout
nouveau
converti qui, pour n’importe
quel
motif, entrait
dans
un temple devait être poursuivi comme relaps
ainsi
qu’en
témoigne la lettre suivante, écrite
le 25 janvier 1682, par le chancelier Letellier, au
procureur général du parlement de
Paris :
« Je me suis souvenu
que je ne vous avais pas mandé les
intentions du roi sur le mémoire qu’a
envoyé ici le sieur de Marillac, concernant
les nouveaux convertis qu’on a surpris
retournant dans les temples:
Pour
y
satisfaire, je dois vous
faire
savoir que Sa
Majesté désire qu’on ne
fasse
pas de distinction de
ceux qui y sont retournés, disant
qu’ils veulent vivre dans la religion
protestante d’avec ceux qui prétendent
n’y avoir été que par
curiosité
ou pour parler à leurs amis, et
sans
dessein de
changer, et qu’il faut que les
uns et les autres soient
châtiés suivant ce
qui est porté à la déclaration
qui pèse les peines des
relaps. »
Arnould, intendant
de la
Rochelle, pour arriver à faire fermer
plusieurs temples, se servait d’une nouvelle
convertie qu’il envoyait assister aux
prêches. Ce sont les services rendus à
la cause de la
religion par
cette
femme que Bégon, intendant de Rochefort,
invoquait pour demander au roi d’accorder un
secours à cette personne si méritante
:
M. Arnould,
écrivait-il, s’est utilement
servi de Marie
Bonnaud, pendant les
années 1684 et 1685, pour
trouver des preuves de faits
suffisants pour parvenir à la
démolition des temples, et
c’est par son moyen, que celui
de la Rochelle et plusieurs autres ont
été détruits au mois
d’octobre 1685. »
Avec le désordre
régnant dans l’oeuvre des conversions,
on comprend combien était grand le nombre
des relaps, vrais
ou
prétendus, dont la présence au
prêche suffisait pour provoquer la
démolition des temples et
l’interdiction des ministres.
Il n’est donc pas
surprenant que, sous prétexte
d’infractions aux édits, on fût
arrivé à réduire dans une
proportion considérable les lieux
d’exercice et que le nombre des temples, qui
avait été de 760 en 1598, fût
descendu en 1684 à 50 ou 60.
À ce moment
l’évêque de Lodève disait
: « La condamnation des ministres, la
démolition des temples est le plus sûr
moyen d’humilier la religion prétendue
réformée et de la finir en
France.
Il n’y a
qu’à laisser faire le roi qui est
conduit par
l’esprit de Dieu, et avant peu de temps, nous
aurons la consolation de
ne plus voir qu’un autel dans
l’État. »
Par suite de ces
fermetures multipliées de temples, les
huguenots venaient de fort loin en troupes aux
temples encore debout, menant avec eux leurs
enfants qu’ils voulaient faire baptiser et qui
parfois mouraient gelés en route sur le sein
des mères.
Un édit
défend aux temples survivants d’avoir
un plus grand nombre de ministres que par le
passé et pour éviter l’affluence
du peuple dans les lieux d’exercice et le scandale
causé par
le
passage des huguenots se rendant à des
temples éloignés, ordonne
qu’à l’avenir les protestants ne
pourront plus aller aux temples qui se trouveraient
dans les baillages ou
sénéchaussées où ils
n’ont pas leur principal domicile, et
n’ont pas fait leur demeure ordinaire pendant
un an entier sans discontinuer ».
Là, où ils auront été
soufferts, ajoute l’édit, l’exercice
sera
interdit et le temple sera
démoli.
Cette clause peut
donner
une idée de la multiplicité des
moyens employés pour amener la fermeture des
temples; quant aux ministres, on les interdisait
sous les plus vains prétextes; ainsi Brevet,
ministre à Dampierre, fut interdit pour
avoir fait la prière à un malade qui,
au dire du curé du lieu, avait
l’intention de se
convertir.
Cette lettre de Louvois à Baville suffit
pour montrer avec quelle impartialité
le
gouvernement devait décider
du bien ou mal fondé des contraventions aux
édits, invoquées pour obtenir la
fermeture ou la démolition d’un temple
:
« Sa
Majesté trouve bon que vous travailliez
incessamment à faire le procès aux
temples de... et
elle
apprendra avec beaucoup de plaisir qu’il se
soit trouvé de quoi les
condamner.
Les intendants
s’ingéniaient à trouver les
moyens de faire
plaisir au roi, et,
dans ses mémoires, Foucault se fait gloire
d’avoir trouvé un expédient de
la plus insigne mauvaise foi pour arriver à
supprimer, dans tout le Béarn,
l’exercice du culte protestant.
« Je fis voir au
roi, dit-il, qu’il y avait un trop grand
nombre de temples et qu’ils étaient
rapprochés les uns des autres, qu’il
suffirait
d’en laisser cinq. J’affectais de ne
laisser subsister justement,
au nombre des
cinq, que des
temples dans lesquels les
ministres étaient tombés dans des
contraventions qui
emportaient la peine de la démolition, dont
la
connaissance
était renvoyée au Parlement, en sorte
que, par ce moyen, il
ne devait plus rester de temples en
Béarn. » En
attendant la décision du
Parlement, Foucault proposait d’obliger les
ministres des autres temples supprimés
comme superflus, à
s’éloigner de dix
lieues de leur
résidence, ce qui les
chasserait de la province attendu, disait-il, que
le Béarn n’a que
onze lieues de long sur
sept à huit de large.
Les évêques
poursuivaient le même but avec autant
d’ardeur que les intendants, et n’avaient
pas plus de scrupules que ceux-ci Sur la
moralité des moyens à employer pour
arriver à ce but.
Voici, par exemple,
comment l’évêque de Valence
parvint à supprimer dans son diocèse
l’exercice du culte protestant :
« J’attaquai,
dit-il, les temples qui avaient contrevenu, et
j’obtins le rasement de plusieurs. Je fus si heureux
que, dans
moins de
deux ans, de quatre-vingts temples que j’avais
dans les diocèses de Valence et de
Dié, il n’en restait qu’environ dix ou
douze. Quand je
fus à
l’assemblée (en 1683) je n’en
avais plus que deux. Le
Tellier m’en donna
un,
qu’il fit juger
dans le conseil, et je suppliai si puissamment Sa
Majesté de m’accorder
l’autre, que je
l’obtins
de sa piété et de sa bonté; de
sorte que, avant la révocation de
l’édit de Nantes, je me glorifiais fort d’avoir
détruit
l’exercice des temples dans mon
diocèse. »
C’est dans
l’intérêt de la justice que cet
évêque réclamait la destruction
du dernier temple existant dans son diocèse
« parce que, disait-il au roi, ce temple se
trouve si fatalement
situé, qu’il
fait, lui seul,
rétablir et subsister tous les temples qui
ont été démolis par vos ordres
et vous rendez ainsi l’exercice à tous
les lieux qui en ont été
privés, d’une manière qui leur
est aussi
commode.
Ces gracieusetés
de ministre et de roi à évêque
avaient pour résultat de réduire au
désespoir des milliers de protestants
arbitrairement privés de tout exercice de
leur culte.
Dès 1683, plus de cent mille protestants,
par suite des fermetures de temples et des
interdictions de ministres, se trouvaient, sinon
légalement, du moins en
fait, privés de
l’exercice
public de leur culte.
À
l’instigation de Brousson, avocat toulousain
qui plaidait avec passion la cause des temples
menacés, seize pasteurs du Languedoc, du
Vivarais, du Dauphiné et des Cévennes
se réunissent à Toulouse le 3 mai
1683. La réunion décide que, à
un jour donné, l’exercice du culte sera
repris partout où il a été
aboli, soit sur les ruines des temples
démolis, soit à côté des
temples qu’on a fermés.
C’était l’organisation de la
résistance passive que
les
seize directeurs justifiaient
ainsi dans une adresse à Louis XIV : «
Les déclarations que les ennemis des
suppliants ont obtenues avec tant de surprise, leur
défendent de s’assembler pour rendre
à Dieu le service qu’ils lui doivent.
Dans l’impuissance où les suppliants se
trouvent, Sire, d’accorder
la
volonté
de Dieu avec ce que l’on exige
d’eux, ils se voient contraints par leur
conscience de s’exposer à toutes sortes
de maux pour continuer de donner gloire à la
souveraine majesté de Dieu qui veut
être servie selon sa parole.
»
Brousson n’avait pas
dissimulé à ses co-religionnaires
que, par suite de cette résolution, il y
aurait des martyrs, « mais, ajoutait-il, dix
ou vingt personnes n’auront pas plutôt
souffert la mort et scellé de leur propre
sang la vérité de la religion
qu’elles professent que le roi ne jugera pas
à propos de pousser la chose plus loin, pour
ne pas
faire une
grande brèche à son
royaume.
Malheureusement la
grande
majorité des protestants avait
accepté la doctrine de
l’obéissance absolue aux ordres du roi quels
qu’ils
fussent,
et
n’était pas en disposition de suivre
ces mâles conseils, en sorte que les
assemblées furent peu nombreuses, et que
ceux qui avaient désobéi aux
édits se virent hautement
désavoués par leurs
co-religionnaires.
Ruvigny,
député général des
protestants, lui-même, qualifie de criminelle
la
conduite de ceux
qui avaient repris l’exercice de leur culte et
avaient ainsi commis une offense envers
Dieu lui-même, en violant
le respect
dû au roi et à ses édits. Il
traduisait du reste les sentiments des trop
nombreux huguenots qui abjurèrent plus tard
et crurent justifier leur abjuration en la motivant
ainsi : pour
obéir à la volonté du
roi.
Les catholiques,
s’étant inquiétés des
rassemblements des protestants, avaient
dispersé plusieurs des assemblées
tenues par ceux-ci, dès lors on n’alla
plus qu’armé aux assemblées de
prières et la lutte entre les catholiques et
les protestants prit bientôt en
conséquence le caractère d’une
guerre civile.
Louvois met des
troupes
en marche pour châtier les
rebelles (les
protestants), accusés
d’avoir pris l’offensive; mais
l’intendant d’Aguesseau parcourt le pays,
obtient des protestants qu’ils se dispersent,
posent les armes, et il demande au gouvernement une
amnistie.
L’amnistie est
accordée, mais elle n’était
qu’un leurre, car elle ne s’appliquait,
ni aux ministres, ni aux notabilités
protestantes compromises, ni à ceux qui
avaient été arrêtés et
se trouvaient dans les prisons. Dans le Vivarais et
les Cévennes, les protestants, voyant que
malgré l’amnistie leurs
co-religionnaires étaient roués,
pendus ou envoyés aux galères
reprennent les armes.
Louvois ordonne aux
troupes qu’il envoie, de causer une
telle
désolation dans
le pays que les autres
religionnaires fussent contenus par l’exemple
qui s’y ferait. Il avait chargé de la
besogne de Noailles qui, de son aveu, mettait trop
de
bois au feu, et
Saint-Ruth qui, au
dire de d’Aguesseau, fit une véritable
chasse à la
proie humaine. Après
les massacres en rase
campagne, les supplices se multipliaient; le
pasteur Brumer fut massacré, son
collègue Homel, directeur pour le Vivarais,
livré par un traître, fut roué
vif; Brousson et les autres directeurs avaient
dû fuir en Suisse; plusieurs furent
exécutés par contumace, et plus de
cent trente pasteurs furent impliqués dans
les poursuites survenues à la suite de cette
affaire.
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