M. Paulin Paris, qui a
retrouvé aux archives nationales deux listes
de convertis parisiens pour
les
années de 1677 et 1679, a constaté
:
1° Que la liste de 1677, indiquée comme
contenant 515 convertis français, n’en
comprend
en
réalité que 214, parmi lesquels on
trouve cinq Anglais, huit
Belges et
treize Suisses ou Hollandais.
2° Que la liste de 1679, indiquée comme
portant plus de douze
cents noms, n’en
contient que 526, que la moitié de ces 526
noms avaient déjà figuré dans
la liste de 1677, enfin que, parmi ces convertis français,
il y a des Allemands,
des
Danois,
des Piémontais et des
Russes.
Des catholiques, pour empocher deux ou trois
écus payés pour les abjurations, se
dirent huguenots et touchèrent la prime.
Quant aux huguenots peu honnêtes, qui, pour
toucher la prime d’abjuration, mettaient leur
signature ou leur croix au bas d’une
quittance, ils retournaient ensuite tranquillement
au prêche comme auparavant.
Le
scandale des rechutes devient
si
grand que
le roi est obligé d’édicter de
terribles peines contre les relaps, en
motivant
ainsi sa décision
:
« Nous avons été
informé que, dans plusieurs provinces de
notre royaume, il y en a beaucoup, qui,
après avoir abjuré la religion
prétendue réformée, dans
l’espérance de contribuer aux sommes
que nous faisons distribuer aux nouveaux convertis,
y retournent
bientôt après. »
Nul ne se fait illusion d’ailleurs sur la
valeur des conversions obtenues à prix
d’argent, et Fénélon
reconnaît que dès qu’on abandonne
les nouveaux convertis à eux-mêmes,
leurs bonnes dispositions
s’évanouissent en deux
jours. « Si,
par hasard, dit un
intendant, on en voit
paraître
quelques-uns
à l’église, ce sont
ceux qui espèrent se conserver, par
là, leur emploi ou office, et les pensions
qu’ils ont du roi, et d’autres pour
tâcher d’attraper quelque bon sur les
biens de ceux qui ont quitté le royaume, et
encore n’y vont-ils que par
grimace. »
Pour que
Louis XIV
crut à la sincérité des
conversions obtenues au
rabais par la
caisse de Pélisson, il
fallait qu’il y mît une grande
complaisance; cependant Rulhières dit :
« De cette caisse,
comparée
par les huguenots à
la boite de Pandore, sortirent
en effet,
tous les maux dont ils ont à se plaindre. Il
est aisé de sentir que l’achat de ces prétendues
conversions
dans la
lie des calvinistes, les surprises, les fraudes
pieuses qui s’y mêlèrent, et tous
ces comptes exagérés rendus par des
commis infidèles, persuadèrent
faussement au roi que les réformés
n’étaient plus attachés à
leur religion, et que le moindre
intérêt suffisait
pour les
engager à la sacrifier. »
Que le roi
ait pu
croire que tous ses
sujets
huguenots
étaient prêts à trafiquer de
leur foi religieuse pour quelques écus,
c’est déjà difficile à
admettre, mais ce qui passe l’imagination,
c’est de voir que pas un seul des
convertisseurs ne semble soupçonner combien
est odieux et immoral, le trafic des consciences
auquel il se livre.
Quelques-uns vont plus loin encore, ils
spéculent sur la faim, pour faire
des
prosélytes à la religion
catholique.
On lit dans la correspondance des contrôleurs
généraux, à la date du 20
octobre 1685 : «Grâce aux exhortations
de
l’intendant
(aidé par les dragons) et
aux aumônes du
roi,la ville d’Aubusson a
abjuré presque tout entière, mais il
faudra y
répandre encore de l’argent pour
compenser le
départ de plusieurs manufacturiers.
»
Quelques mois auparavant, à Paris, le
commissaire Delamarre apprenant que quelques
ministres interdits s’y trouvent dans une si
grande nécessité qu’on les
prendrait pour des insensés, demande leur
adresse pour voir s’il ne serait pas possible
de les faire aborder par quelque endroit, pour
les
convertir en
secourant leur misère.
Fénélon
envoyé en Saintonge pour reconvertir les
huguenots un peu trop sommairement convertis par
les dragons, conseille des moyens de persuasion
analogues.
Il
écrit à Seignelai :
« Pour les
pauvres, ils viendront facilement si on
leur
fait les
mêmes aumônes qu’ils
recevaient chaque mois du
Consistoire... on
ne
donnerait qu’à ceux qui feraient leur
devoir. Si on
joint
toujours exactement à ces
secours, ajoute-t-il,
des gardes pour
empêcher des déserteurs et la rigueur
de peines (les galères et la confiscation),
il ne restera plus que de faire trouver aux peuples
autant de douceur à
demeurer
dans, le royaume que de péril à
entreprendre d’en sortir. »
On voit
dans la
correspondance des évêques, qu’on
refuse des secours à une veuve
jusqu’à ce que ces enfants aient
abjuré. Qu’on agit de même avec
les membres d’une famille qui sont si pauvres qu’ils
vont
tout
nus, la mère
ayant mieux aimé demeurer nue, que
d’accepter
un habit qu’on lui donnait, à
condition qu’elle
viendrait une fois à la messe, etc.
De son
côté, le terrible proconsul du
Languedoc, Bâville, écrit :
« Les douze mille livres que le roi a eu la
bonté de m’envoyer, pour
faire des aumônes dans les
missions, font
un
effet merveilleux, et
gagnent tous
les
pauvres à la religion. Bien que ce motif ne
soit, pas d’abord très
pur, les
missionnaires savent très
bien le rectifier, et
ils
engagent, par ce
moyen, une
infinité
de personnes à s’instruire et à
fréquenter les sacrements. Elles (les
aumônes) sont d’autant plus utiles
qu’il y a une
misère extrême cette
année dans les
Cévennes, parce que le blé et les
châtaignes ont manqué, et beaucoup de
paysans ne
vivent
à présent que de glands et
d’herbes... — Cette grande
nécessité m’a
fait penser qu’il serait
très utile d’établir, dans le
fond des Cévennes, quatre ou cinq missions
après Pâques
dans lesquelles je ferais
distribuer le pain, ainsi
les pauvres recevraient en
même temps ce secours pour le temporel et
l’instruction.»
Ces
missions
ambulantes pour la conversion des
hérétiques, payées sur la
cassette du roi, avaient commencé sous Louis
XIII, elles continuèrent sous les
règnes de Louis XIV, de Louis XV et de Louis
XVI; des gratifications en argent, données
aux convertis, ajoutaient du poids aux discours des
missionnaires. Voici une ordonnance de comptant
signée de Louis XVI, et portant la date du
1° janvier 1783 : « Garde de mon
trésor royal, M. Joseph Micault
d’Harvelay, payez comptant, au sieur
évêque de Luçon, la somme de
quatre cents livres, pour aider à la
subsistance des missionnaires du Bas Poitou qui
travaillent
à
la conversion des protestants, et
ce pour
la
présente année. »
Il est bon de se rappeler que, depuis les
dernières années du règne de
Louis XIV, il
n’y
avait
plus légalement
un seul
protestant en
France, tout huguenot, ayant abjuré ou non,
étant, de par la volonté du roi, réputé
catholique
! On
conservait cependant les missions travaillant
à la conversion des protestants.
Ce
n’était pas seulement à prix
d’argent qu’on achetait les conversions,
c’était encore, on le sait, à
l’aide de faveurs de
toute
nature
accordées aux huguenots dociles: une
de ces faveurs était
la surséance du
paiement des dettes; un édit accordait,
à tous les huguenots qui feraient
abjuration, un terme et délai de trois ans
pour le paiement du capital de leurs dettes; «
il est défendu à leurs
créanciers, était-il dit, de faire
aucune poursuite contre eux pendant ledit temps,
à peine de nullité, cassation de
procédures et tous dépens ».
Cet étrange édit apporta un trouble
si profond dans le commerce qu’on fut
bientôt obligé de décider que
cette surséance du paiement des dettes ne
pourrait être invoquée ni entre les
nouveaux convertis, ni par les marchands convertis,
pour les affaires qu’ils avaient avec
l’étranger.
Les conversions mercenaires, obtenues,
soit
à prix
d’argent, soit par des faveurs, n’avaient
cependant pas sensiblement diminué le nombre
des huguenots, en sorte que le plan conçu
par Louis XIV pour ramener, sans
violence, son
royaume à
l’unité religieuse menaçait
d’échouer misérablement.
Par malheur, une des faveurs promises aux huguenots
dociles, l’exemption
des
logements
militaires, fut l’occasion de la
jacquerie militaire qui a reçu le nom de dragonnades,
et que
suivirent les
emprisonnements, les confiscations et toutes les
odieuses mesures de violence que nous aurons
à signaler au cours de ce travail. Dans un
des chapitres de ce livre je ferai le récit
détaillé des dragonnades, des
violences
exercées par les
soldats pour arracher une abjuration à deux
millions de victimes qui n’opposaient à
leurs bourreaux d’autre résistance, que
leur constance résignée, leurs larmes
et leurs gémissements.
Les suites
de cette
jacquerie militaire furent choquantes, dit
Michelet; le niveau de la moralité publique
sembla baisser, Le contrôle mutuel des deux
partis n’existant plus, l’hypocrisie ne
fut plus nécessaire, le dessous des moeurs
apparut. Cette succession immense d’hommes vivants,
qui
s’ouvrit
tout à coup, fut une proie. Le roi jeta par
les fenêtres; on se baissa pour ramasser.
Scène ignoble!... La vie de cour ruinait la
noblesse. On n’osait sonder les fortunes; on
n’eût vu dessous que l’abîme.
Le Roi, obligeamment interdit la publicité
des hypothèques, qui eût mis à
jour cette gueuserie des
grands
seigneurs.
Ruinés par le jeu, les loteries, la plupart
attendaient un coup du sort pour remonter.
Plusieurs faisaient le sort au lieu
d’attendre, ou
en
volant au jeu, ou par la poudre de succession. Les
plus
hauts
mendiaient, du lever,
au
coucher,
dévalisaient le roi de tout ce qui venait,
office ou bénéfice. Mais tout cela,
des bribes, des miettes! Ils périssaient,
s’il ne tombait d’en haut une grande
manne imprévue, quelque vaste
confiscation.
« Le miracle apparut au ciel en 1685. Six
cents temples ayant été
détruits, leurs biens, celui des pauvres,
des maisons de charité, devaient passer aux
hôpitaux catholiques... La cour visait ce
morceau. Les jésuites crurent prudent de
demander et faire décider que ces biens
revinssent, non aux hôpitaux, mais au roi,
autrement dit à ceux qu’il favoriserait
ou qui mériteraient en poussant à la
persécution... Après les biens des
temples, ceux des particuliers suivirent; chacun
fut ardent à la proie. Ce fut un gouffre
ouvert, une mêlée où l’on
se jeta pour profiter du torrent qui passait,
ramasser les lambeaux sanglants. »
Avant
Louis XIV, Anne
d’Autriche avait déjà
endetté le trésor public par ses
manificences, les privilèges, les monopoles
qu’elle accordait à son entourage de
hauts mendiants; à une dame de sa cour elle
avait donné un droit d’impôt sur
toutes les messes dites à Paris ; à
sa première femme de chambre, la Beauvais;
elle avait un jour, inconsidérément,
donné les cinq
grosses fermes, c’est-à-dire
tous les
impôts productifs faisant vivre la cour, et
cela en croyant ne lui faire cadeau que d’une
ferme appelée les
Cinq fermes. Et,
dit Madame, mère du
régent, on a sur la régence
d’Anne d’Autriche bien d’autres
historiettes de ce genre.
Tandis que
le peuple,
décimé par des famines
périodiques, mourait de faim sur les grands
chemins, Louis XIV jetait l’argent par les
fenêtres, à l’exemple de sa
mère; et les courtisans avaient soin de se
trouver sous ce qu’il jetait : à Mme
d’Harcourt, le bien d’un suicidé ;
au comte de Marsan, la succession d’un
bourgeois de Paris, bâtard mort sans enfants;
à de Guiche, le produit de la confiscation
des biens possédés par les
Hollandais, en Poitou, pour prix de la
dénonciation qu’il avait faite ;
à de Grammont, deux cent mille livres pour
l’avis qu’il a donné au
contrôleur général, des
malversations commises par les fournisseurs des
troupes d’Alsace. Monsieur, frère du
roi, reçoit plus d’un million pour
avoir demandé la poursuite des
trésoriers de l’extraordinaire,
à qui l’on fait rendre gorge;
c’étaient chaque jour de grosses
gratifications aux courtisans, à
l’occasion du mariage de leurs filles, ou sous
tout autre prétexte; les dettes de jeu de
Monsieur, ou de la Montespan, à payer;
celle-ci, en une seule nuit, perdait neuf
millions
de
livres.. Les
plus
impatients réalisaient leurs
espérances de succession en donnant à
leurs parents, ainsi qu’on le disait alors, un
coup de
pistolet
dans un bouillon. C’était
chose commune pour
les grands seigneurs de vivre aux dépens de
leurs vieilles maîtresses, et Tallemant des
Réaux dit, comme une chose toute simple: le
comte d’Harcourt fut longtemps aux
gages de la femme du chancelier
Séguier; Richelieu, le modèle du
genre, dit Michelet, ne prenait pas moins de douze
louis de chacune de ses maîtresses.
Les plus
hauts
seigneurs, des prélats même, avaient
des mignons comme
Henri
III, mais
ne se flagellaient plus comme lui en public. Un
jour que le roi oublie son chapeau sur un
siège, la boucle de diamants qui ornait le
couvre-chef royal disparaît. Un autre jour,
à Saint-Germain, les vases sacrés de
la chapelle royale sont volés par un
seigneur de la cour. Grandes dames et grands
seigneurs trichaient au jeu; plus d’un
gentilhomme fut envoyé aux galères
comme faux monnayeur, etc.
Tous ces grands seigneurs et ces abbés et
évêques Benoiton, qui
composaient
la cour, sous
l’ancien régime, étaient avant
tout des mendiants besoigneux et insatiables, et
voici le portrait que fait Paul-Louis Courrier de
cette réunion de truands de
haute
volée :
« Quand le gouverneur d’un roi
enfant dit à son élève jadis :
Maître, tout est à vous, ce peuple
vous appartient, corps et biens, bêtes et
gens, faites-en ce que vous voudrez, cela fut
remarqué. La chambre, l’antichambre et
la galerie répétaient : Maître,
tout est à vous, ce qui, dans la langue des
courtisans; voulait dire tout
est pour nous, car
la cour donne tout aux princes,
comme les prêtres tout à Dieu; et ces
domaines, ces apanages, ces listes civiles, ces
budgets ne sont guère autrement pour le roi,
que le revenu des abbayes n’est pour
Jésus-Christ... ». La
cour,
tout le monde sert ou veut servir. L’un
présente la serviette, l’autre le vase
à boire, chacun reçoit ou demande
salaire, tend la main, se recommande, supplie...
mendier n’est pas honte à la cour,
c’est toute la vie du courtisan... Aucun
refus, aucun mauvais succès ne lui fait
perdre courage. Il n’est affront,
dédain, outrage, ni mépris qui le
puissent rebuter.
Éconduit il insiste, repoussé il
tient bon, qu’on le chasse, il revient,
qu’on le batte, il se couche à terre. - Frappe,
mais
écoute,
et
donne; on est encore à inventer un service
assez vil, une action assez lâche, pour que
l’homme de cour, je ne dis pas s’y
refuse, chose inouïe, impossible, mais
n’en fasse point gloire et preuve de
dévouement. ,
Mais le
trésor
royal de Louis XIV avait fini par
s’épuiser par suite de ses folles
dépenses et des largesses faites aux
courtisans, et au moment où tomba la manne
des confiscations huguenotes, on ne pouvait plus
répéter après Mme de
Sévigné « il ne faut pas
désespérer, quoique on ne soit pas le
valet de chambre du roi, il peut arriver,
qu’en faisant sa cour, on
se trouve sous ce qu’il
jette.
Il était temps pour tous ces mendiants
titrés, tonsurés ou mitrés,
que le roi les appelât à la
curée protestante, digne couronnement des
dragonnades. Ce fut un spectacle écoeurant,
et, quelque bas que fût déjà le
niveau de la moralité publique, il baissa
encore à la suite de cette curée; des
moines, des évêques, des gentilshommes
se disputent la succession des consistoires; les
capucins de Corbigny demandent, non seulement les
matériaux du temple, mais, les vases
d’argent et les deniers appartenant au
consistoire A Marennes, les capucins demandent la
cloche du temple. L’évêque de la
Rochelle demande pour son chapitre, les biens de M.
de la Forest, L’évêque de Laon
obtient sur les biens des fugitifs trois mille
livres pour les maîtresses
d’école de son diocèse.
L’évêque de Gap qui veut achever
son palais épiscopal, écrit : Je
n’ose pas vous importuner de mes
bâtiments, cependant,
si, par le moyen des biens
confisqués, vous trouviez le moyen de
loger
un
évêque sur le
pavé, je
vous en
aurais
beaucoup d’obligations. »
L’évêque de Meaux demande le
produit de la démolition des temples de
Nanteuil et de Morcerf, pour
l’hôtel-Dieu et l’hôpital
général de Meaux.
L’abbé de
Polignac reçoit en don du roi les biens du
fils de Ruvigny, devenu duc de Galloway. La fortune
du marquis d’Harcourt est donnée
à l’abbé Feuquières,
neveu de Madeleine Arnaud. Un officier de marine,
la Gacherie, demande les biens d’un protestant
qu’il prétend être mort relaps;
la même demande avait été faite
antérieurement par les religieuses de la
visitation et avait été
repoussée, en présence d’un
certificat de médecin constatant que le
défunt, quelques jours avant sa mort,
était tombé dans une paralysie
générale.
Il n’y a pas jusqu’au cocher de Madame
qui ne
vienne
demander le bien d’un huguenot dont le fils
est ministre en Angleterre.
Quant à
l’intègre de Harlay, voici comment il
sut se faire donner par le roi, la somme que son
ancien ami de Ruvigny, lui avait confiée
avant de partir pour l’Angleterre.
« Le vieux Ruvigny, dit Saint-Simon,
était ami d’Harlay, lors procureur
général, et, depuis, premier
président, et lui avait laissé un
dépôt entre les mains, dans la
confiance de sa fidélité. Il le lui
garda tant qu’il
n’en put abuser; mais
quand il vit l’éclat,
il se trouva modestement embarrassé entre le
fils de son ami et son maître à qui il
révéla humblement sa peine. Il
prétendit
que le roi l’avait su d’ailleurs. Mais le
fait est qu’il
le
dit lui-même, et
que, pour récompense, le roi le
lui donna
comme bien confisqué, et
que cet hypocrite de justice et de
vertu, de désintéressement et de
rigorisme, n’eut
pas honte de se l’approprier et de
fermer les yeux et les oreilles
au bruit qu’excita cette
perfidie. »
De Louville, gentilhomme de l’Anjou qui devait
dix mille livres à de Vrillac, trouve cet
honnête prétexte pour ne pas
rembourser son créancier, que de Vrillac pourrait
employer
cette
somme à préparer son
évasion à l’étranger.
De Marsac,
enseigne
de vaisseau, présente un placet au roi pour
demander la remise d’une rente due par
lui au sieur Boisrousset, pour ce
motif que les parents de son créancier ne
font pas
leur
devoir de catholiques.
Les
parents des
réfugiés ne sont pas moins
âpres à la curée que les
étrangers; de la Corte, officier de marine,
signale son oncle comme fugitif et demande ses
biens; Mme Jaucourt de la Vaysserie gagne la prime
promise aux délateurs, en
dénonçant son mari et ses filles qui
cherchaient à sortir du royaume ; Mlle
Vaugelade se fait allouer une pension sur les biens
séquestrés d’une de ses
parentes.
Henri de Ramsay, pour prix de sa conversion
s’était fait donner les biens de son
père, de sa mère et de ses oncles de
Rivecourt passés à
l’étranger et était ainsi devenu
un des seigneurs les
plus riches du
bas
Poitou. Cependant il laissait son père et sa
mère mourir
dans le dénuement, et
refusait même de rembourser
à son oncle 35 louis, que celui-ci avait
avancés pour faire sortir son père,
de la prison pour dettes de Maëstrich.
Le fils de
Mme de
Saintenac qui avait, grâce à la loi
des confiscations, hérité, par
avance, de l’immense fortune de sa
mère, laissait celle-ci sans
secours à
l’étranger, et
à sa mort il refusa de payer
les dettes qu’elle
avait
laissées.
Fontaine,
réfugié en Angleterre, met sa
signature au bas d’une feuille de papier
timbré et l’envoie à un de ses
parents restés en France, pour qu’il
pût vendre ou louer son domaine. (Je lui
faisais observer, dit Fontaine, qu’il serait
nécessaire de dater cet acte d’une
époque antérieure à mon
départ de France, cette condition
étant indispensable pour empêcher de
confisquer ma propriété). Ce bon
parent suivit ces instructions pour son propre
compte, il s’établit dans la maison de
Fontaine devenue sa propriété en
vertu d’un acte de vente en bonne forme et le
pauvre réfugié n’entendit plus
jamais parler de lui.
Le
testament
d’Alice de Cardot, léguant tous ses
biens à son neveu de Vignolles, ayant
été cassé et sa fortune
confisquée, ce fut alors parmi les parents,
nouveaux convertis de la défunte, à
qui se salirait de plus de turpitudes pour se faire
adjuger cette riche proie. — Bien qu’un
des concurrents eût obtenu de Fléchier
un certificat constatant qu’il était
digne des bontés du roi, Bâville mit
fin à ce combat de vautours autour d’un
cadavre, en faisant décider que,
provisoirement, l’héritage serait
adjugé à l’hôpital
général de Nîmes.
Il serait
facile de
multiplier les exemples de cette nature ceux que
j’ai cités suffisent pour
édifier mes lecteurs.
La
politique de
l’ostracisme des faveurs, suivie contre les
huguenots par Louis XIV, après Mazarin et
Richelieu, politique dont l’habileté
est moins contestable que
l’honnêteté, avait eu, du moins,
un résultat heureux au point de vue de la
tranquillité
du royaume; elle avait ramené au
catholicisme toutes les grandes familles, la
noblesse de cour, tous les ambitieux de pouvoir et
d’honneurs, tous ceux, en un mot, pour qui la
question religieuse n’avait été
considérée que comme un moyen de
parvenir; quant à la bourgeoisie
protestante, voyant toutes les carrières
publiques se fermer peu à peu devant elle,
elle s’était consacrée aux
professions libérales, au commerce,
l’industrie et à l’agriculture, et
s’était
désintéressée de la politique.
Les pasteurs qui avaient succédé aux
seigneurs dans la direction du parti protestant,
non seulement n’avaient rien de l’esprit
turbulent de la noblesse, mais encore avaient
fait
accepter par leurs co-religionnaires cette
dangereuse doctrine que désobéir au
roi c’était désobéir
à Dieu même.
La
transformation du
parti protestant, autrefois si remuant, en une
pacifique secte religieuse explique comment, depuis
la prise de la Rochelle, le roi de France avait
toujours trouvé dans les
réformés ses sujets les plus
fidèles et les plus surs. Les huguenots
avaient refusé de s’associer à
la révolte du catholique Montmorency, et
vingt ans plus tard, lors des troubles de la
Fronde, ils étaient restés sourds aux
appels de l’ancien chef du parti protestant,
]e prince de Condé.
Louis XIV, en confirmant l’édit de
Nantes, disait : « Nos sujets de la
religion réformée nous ont
donné des preuves de leur affection et
fidélité, notamment dans les
circonstances
présentes »; et
en
1666, écrivant à
l’électeur de Brandebourg, il affirmait
encore ses bonnes dispositions en faveur des
réformés «pour leur
témoigner, disait-il, la satisfaction que
j’ai eue de leur obéissance et de leur
zèle pour mon service depuis la
dernière pacification de 1660 ».
Mais, moins les protestants devenaient dangereux
pour la tranquillité du royaume, plus chacun
croyait pouvoir tenter contre eux.
Le clergé n’étant plus contenu
par la crainte d’une révolte possible
des réformés, pressait de plus en
plus vivement chaque jour le roi de prendre les
mesures nécessaires pour faire périr
le plus promptement possible le protestantisme.
« Si vous cherchez, dit Rulhières, dans
la collection du clergé cette longue suite
de lois, toujours plus sévères contre
les calvinistes, que, de cinq ans en cinq ans,
à chaque renouvellement périodique de
ses assemblées, il achetait du
Gouvernement,
vous y observerez que
ses demandes avaient quelque modération tant
que
les
calvinistes pouvaient être redoutés, mais
qu’elles
tendirent
vers une persécution ouverte aussitôt
qu’ils devinrent des citoyens
paisibles.
Les
cléricaux
sont donc mal fondés à
prétendre que, par leur esprit remuant et
indiscipliné, les protestants ont mis Louis
XIV dans la nécessité de tenter la
réalisation de cette utopie: le retour. du
royaume à l’unité de foi
religieuse.
C’est une erreur tout aussi injustifiable que
commet le fouriériste Toussenel quand il
déclare que Louis XIV s’est
montré grand homme d’État, en
voulant supprimer le protestantisme, ami de la
féodalité et constituant un
insurmontable obstacle à l’unité
de la France.
Les
protestants,
depuis la prise de la Rochelle, ne constituaient
plus un État dans l’État, et
Louis XIV les persécuta, non par politique,
puisqu’ils étaient devenus ses plus
fidèles sujets, mais pour raisons purement
religieuses.
« Louis, le modèle des rois, dit
Paul-Louis Courier, vivait, c’est le mot,
à la Cour, avec la femme Montespan, avec la
fille La Vallière, avec toutes les femmes et
les filles que son bon plaisir fut
d’ôter à leurs maris, à
leurs parents. C’était le temps alors
des moeurs, de la religion, et il
communiait tous les jours. Par
cette
porte
entrait sa maîtresse le soir, et le matin son
confesseur. »
La besogne était rude pour le confesseur,
dit Michelet, car le roi possédait publiquement
à la fois
trois femmes; la reine, La Vallière et la
Montespan, elles
communièrent ensemble, à Notre-Dame
de Liesse,
la reine récemment accouchée, La
Vallière grosse de six mois, la Montespan
dans les premiers troubles d’une grossesse. Il
fallut remplacer le père Amat qui avait des
scrupules, par le père Ferrier, puis par le
père Lachaise, deux jésuites qui
trouvèrent tout naturel que le roi
prononçât la séparation de
corps et de biens entre M. de Montespan et sa
femme, qu’il fît légitimer ses
bâtards du
vivant de la reine, etc.,
et surent, pendant vingt ans,
concilier les exigences de l’Église
avec celles des passions du roi.
Pour
mettre sa
conscience en tranquillité, Louis XIV qui
avait beaucoup de péchés à
expier établissait une sorte de compensation
entre le bien qu’il obligeait ses sujets
à faire et le mal qu’il faisait
lui-même. C’est ainsi que ce prince,
doublement adultère, rendait une ordonnance
portant mutilation du nez et des oreilles pour les
filles de mauvaise vie et motivait ainsi une
déclaration contre les blasphémateurs
: «Considérant qu’il n’y a
rien qui puisse davantage attirer la
bénédiction du ciel sur notre
personne et sur notre État que de garder et
faire garder par tous nos sujets inviolablement ses
saints
commandements et
faire punir avec sévérité ceux
qui s’emportent à cet excès de
mépris que de blasphémer, jurer et
détester son saint nom, ni proférer
aucune parole contre l’honneur de la
très sacrée vierge, voulons et nous
plaît, etc. »
C’est l’application du commode
système en vertu duquel le compagnon
d’un enfant royal est fouetté toutes
les fois que son auguste camarade a fait une faute,
du système en vertu duquel, font
pénitence, par délégation, les
deux vieilles galantes repenties dont Dangeau conte
ainsi l’histoire
« La
duchesse
d’Olonne et la maréchale de la
Ferté sa soeur, célèbres
toutes deux par leurs galanteries, devenues
vieilles et touchées par un sermon
qu’elles venaient d’entendre un jour de
mercredi des cendres, songeaient
sérieusement à l’oeuvre de leur
salut.. «Ma soeur, dit la maréchale,
que ferons-nous donc? Car il faut faire
pénitence, » Après beaucoup
de raisonnements et de perplexités : «
Ma soeur, reprit, l’autre, tenez, voilà
ce qu’il faut faire faisons
jeûner nos gens!
»
De même, Louis XIV croyait racheter ses
péchés, en provoquant par tous les
moyens la conversion des huguenots de son royaume,
en faisant pénitence sur le dos de ses
sujets hérétiques.
Rulhières constate que cette
préoccupation d’intérêt
personnel est bien le motif déterminant de
la croisade à l’intérieur,
entreprise par Louis XIV. « Il avait,
dit-il, formé le dessin de convertir les
huguenots, comme trois siècles plus
tôt et du temps de Philippe-Auguste et de
Saint-Louis, il eût, en
expiation de ses
péchés, fait
voeu d’aller
conquérir la Terre Sainte. »
Quant à
possibilité de trouver une justification de
l’édit de révocation, on ne
saurait trouver de témoignage moins suspect
que celui de Saint-Simon, puisque c’est lui
qui déconseilla le régent du rappel
des huguenots et qu’il dit, dans ses
mémoires, que Louis XIV avait fait la faute
de révoquer l’édit de Nantes,
beaucoup plus dans la manière de
l’exécution que dans la chose
même.
Or, Saint-Simon reconnaît qu’il n’y
avait nulle raison, nul prétexte même,
de déchirer le contrat passé entre
les catholiques et les protestants sous la garantie
de la signature royale, et il apprécie ainsi
la faute commise par Louis XIV dans
l’exécution de la révocation de
l’édit de Nantes :
« Qui eût su un mot de ce qui ne se
délibérait que entre le confesseur,
le ministre alors comme unique et
l’épouse nouvelle et chérie, et
qui de plus, eût osé contredire?
C’est ainsi que sont menés à
tout, par une voie ou par une autre, les rois
qui... ne se communiquent qu’à deux ou
trois personnes, et bien souvent à moins, et
qui mettent, entre eux et tout le reste de leurs
sujets, une barrière insurmontable.
La
révocation
de l’édit de Nantes, sans
le moindre prétexte et
sans aucun besoin, et
les diverses déclarations qui la suivirent
furent les fruits de ce complot affreux, qui
dépeupla un quart du royaume, qui ruina son
commerce ; qui l’affaiblit dans toutes ses
parties, qui le mit si longtemps au pillage et
public et avoué des dragons,
qui
autorisa les tourments et
les supplices dans lesquels ils firent
réellement mourir tant d’innocents de
tout sexe, et par milliers, qui ruina un peuple si
nombreux, qui déchira un monde de familles,
qui arma les parents contre les parents pour avoir
leurs biens et les laisser mourir de faim, qui fit
passer nos manufactures aux étrangers, fit
fleurir et regorger leurs Etats aux dépens
du nôtre et leur fit bâtir de nouvelles
villes, qui donna le spectacle d’un si
prodigieux peuple, proscrit, nu, fugitif, errant,
sans crime, cherchant asile loin de sa patrie ; qui
mit nobles, riches, vieillards, gens souvent
très estimés pour leur
piété, leur savoir, leur vertu, des
gens aisés, faibles, délicats,
à la rame et sous le nerf très
effectif du comite pour cause unique de religion :
enfin qui, pour comble de toutes horreurs, remplit
toutes les provinces du royaume de parjures et de
sacrilèges, où tout retentissait des
hurlements de ces infortunées victimes de
l’erreur pendant que tant d’autres
sacrifiaient leur conscience à leurs biens
et à leur repos, et achetaient l’un et
l’autre par des abjurations
simulées,
d’où, sans intervalle,
on les traînait à adorer ce
qu’ils ne croyaient point et à recevoir
réellement le divin corps du saint des
saints, tandis qu’ils demeuraient
persuadés qu’ils ne mangeaient que du
pain qu’ils devaient encore abhorrer.
Presque
tous les
évêques se prêtèrent
à cette pratique subite et impie, beaucoup y
forcèrent, la plupart animèrent les
bourreaux, forcèrent les conversions :
Le roi s’applaudissait de sa puissance et de
sa piété. Il se croyait au temps de
la prédication des apôtres et il
s’en attribuait tout l’honneur. Les
évêques lui écrivaient des
panégyriques, les jésuites en
faisaient retentir les chaires et les missions.
Toute la France était remplie d’horreur
et de confusion et jamais tant de triomphes et de
joie, jamais tant de profusions de louanges... nos
voisins exultaient de nous voir ainsi nous
affaiblir et nous détruire nous-mêmes,
profitaient de notre folie, et bâtissaient
des desseins sur la haine que nous nous attirions
de toutes les puissances protestantes. »
Quelles
que pussent
être les désastreuses
conséquences de cette cruelle
persécution religieuse, elles
n’étaient pas de nature à
arrêter Louis XIV dans la voie
déplorable où il s’était
engagé. On lit, en effet, dans les
mémoires du duc de Bourgogne, que dans le
conseil où fut décidée la
révocation de l’édit de Nantes,
le Dauphin
ayant observé que, en
admettant que la paix ne fût pas
troublée, un grand nombre de protestants
sortiraient du royaume, ce qui nuirait au commerce
et à l’industrie et, par là
même, affaiblirait l’État, le roi
trouva la question
d’intérêt peu digne de
considération comparée
aux avantages
d’une mesure qui rendrait à la religion
sa splendeur, à l’État sa
tranquillité et à
l’autorité tous ses droits.
Il n’y a donc pas à
s’étonner si Louis XIV refusa
obstinément de revenir sur ses pas, quand il
vit que la conversion de ses sujets huguenots
n’était qu’une vaine apparence et
que son ardeur inconsidérée à
ramener, coûte que coûte, la France
à l’unité religieuse, avait
ruiné le royaume.
Il ne s’obstina que davantage à
poursuivre un but impossible par le viol journalier
des consciences, et la collection des édits
qu’il fit contre ses sujets huguenots, faits
par force catholiques, ou légalement
réputés catholiques sans avoir jamais
abjuré, est un monument monstrueux
d’iniquité et de déraison.
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