Il promettait le
contraire de ce qu’il avait
l’intention de faire, il en était
déjà aux infractions secrètes qui
n’éclatent
point; il
en vint plus tard aux démonstrations et aux
hostilités publiques, à la
révocation de l’édit de Nantes,
et enfin aux mesures de violence les plus odieuses
qu’on eût jamais vues.
Pour nous, habitués aux rigides principes de
la morale du monde moderne, pour laquelle un chat
est toujours un chat et Rollot toujours un fripon,
nous sommes révoltés de ces cyniques
et malhonnêtes pratiques de Louis XIV. Mais
il ne faut pas oublier que la morale de
l’ancien régime était
basée sur ce commode axiome que la fin
justifie les
moyens, et l’on
constate une absence de sens moral, tout
aussi surprenante, chez les membres
les plus distingués du clergé, de la
magistrature et de l’administration aux
XVII° et XVIII° siècles.
Ainsi, par exemple, ceux qui voulaient, sans
violence,
ramener le
royaume
à l’unité religieuse
tentèrent à maintes reprises
d’amener la réunion des deux cultes,
par une transaction consentie par une sorte de
congrès entre catholiques et
protestants.
Eh bien, tous ces projets de réunion dont le
premier échoua presque au lendemain de la
promulgation de l’édit de Nantes, et dont
le dernier fut imaginé par
l’intendant d’Aguesseau, à la
veille de la révocation, tous ces projets
reposaient sur la fraude et
pas un
de leurs auteurs
n’avait conscience de leur
immoralité.
Il s’agissait toujours de faire figurer à
l’assemblée
projetée un certain nombre de ministres gagnés
à
l’avance, lesquels,
moyennant certaines
concessions de l’Église catholique,
comme la suppression,
du
culte
des images, des prières pour les morts,
etc., se seraient déclarés
réunis à l’Église catholique.
Le Gouvernement, une fois l’accord intervenu,
aurait
révoqué l’édit de Nantes
comme devenu inutile, et le tour eût
été joué. Cette honteuse
comédie de conférence entre docteurs
catholiques, et ministres gagnés
à l’avance eût-elle
eu
tout le succès qu’on en attendait, la
réunion une fois prononcée, les
concessions faites aux protestants eussent
été tenues pour lettres mortes, en
vertu de cette théorie commode que, dans les
traités, on promet le
contraire de ce
qu’on veut tenir.
Au début de la campagne des conversions,
extorquées par la violence, on permit de
même aux protestants de mettre à leur
abjuration toutes les restrictions imaginables;
mais quand la conversion générale fut
accomplie, l’Église catholique si
facile d’abord, déclara
fièrement qu’elle
n’éteindrait même pas un cierge
pour donner satisfaction aux scrupules des
convertis.
Pessata la
festa,
gabbato il santo.
Ces ménagements de la première heure,
ne tirant pas à conséquence pour
l’avenir, nous les retrouvons chez
Fénélon qui, au début de sa
mission en Saintonge, diffère l’ave
maria dans ses
sermons et
les invocations de saints dans les prières
publiques, faites en chaire, afin de ne pas
effaroucher son auditoire de nouveaux
convertis.
Nous les retrouvons encore dans la lettre que Mme
de Maintenon écrit à
l’abbé Gobelin qu’elle avait
chargé de convertir son parent, M. de
Sainte-Hermine: « Mettez-vous bien dans
l’esprit, écrit-elle, son
éducation huguenote, ne lui dites d’abord
que le
nécessaire sur l’invocation des saints,
les indulgences et sur les autres points qui
le
choquent si
fort ».
Fénélon appelé à la
rescousse pour cette conversion, se fait
l’avocat du diable, et avec un autre
prêtre, joue devant Sainte-Hermine une parade
de conférence religieuse :
« M. Langeron et moi, dit-il, nous avons
fait devant lui des conférences assez fortes
l’un contre l’autre, je
faisais le protestant et je
disais tout ce
que les ministres disent de plus
spécieux.
Fénelon avait, du reste, la manie de ces
parodies de conférences; à la
Tremblade il se vante de se servir utilement
d’un ministre qui
s’était secrètement converti : Nous le
menons
à nos conférences
publiques,
où nous lui
faisons proposer ce
qu’il disait autrefois pour animer les peuples
contre l’Église catholique; cela
paraît si faible et si grossier par les
réponses qu on y fait que le peuple est
indigné contre lui. »
À Marennes, le ministre prêt à
se convertir, consent à une
conférence publique. « Les
matières furent
réglées par écrit, dit
Fénelon;
on s’engagea à mettre le ministre dans
l’impuissance d’aller jusqu’à
la troisième réponse, sans dire des
absurdités. Tout
était prêt, mais le
ministre, par
une abjuration dont il n’a averti personne, a
prévenu le jour de la conférence.
»
Fénélon, furieux de voir sa pieuse
machination échouer, par ce qu’il
appelle la
finesse de ce
ministre,
ameute des convertis contre lui. « Que doit-on
penser, leur disait-il, d’une religion dont
les plus habiles pasteurs aiment mieux
l’abjurer que la défendre? » Ce
ministre n’eût dû abjurer qu’après
la conférence, alors
il eût été
loué par Fénélon.
Une autre fois, c’est un protestant, qui,
prenant les conférences au sérieux,
vient troubler l’ordonnance de la
comédie. « Ces conférences, lui
dit Fénélon, sont pour ceux qui
cherchent la vérité et non pas pour
ceux qui s’obstinent dans l’erreur
», et il fait mettre le gêneur
dehors.
« Le ministre Bernon (à la Rochelle),
écrit encore Fénélon, n’a
pas voulu recevoir la pension que Sa Majesté
donne aux ministres convertis, mais il a cru devoir
donner à ses parents et à ses amis
cette marque de désintéressement pour
être
plus
à même de les persuader; quand il les
verra affermis, il
demandera, dit-il, comme
un
autre, ce
bienfait du roi. En
effet, cette conduite éloigne tout
soupçon et lui attire la
confiance de
beaucoup de gens qui vont tous les
jours lui demander en secret s’il a
éclairci quelque chose dans les longues
conférences qu’il a eues avec nous; il
leur montre les cahiers où il a mis toutes
les objections que les protestants ont coutume de
faire, avec les
réponses que nous lui avons données
à la marge ; par
là il leur fait voir
qu’il n’a rien omis pour la
défense de la cause commune et
qu’il
ne s’est rendu
qu’à l’extrémité.
»
Fénélon vante à Seignelai ce désintéressement,
nécessaire
pour éviter les soupçons qui
pourraient empêcher Bernon d’être
écouté avec fruit et il lui
écrit :
« Il me parait fort à souhaiter :
qu’une conduite si édifiante ne
le
prive pas des
libéralités du roi et que la pension
lui soit gardée, pour la recevoir quand ces
raisons de
charité cesseront.
»
Fénélon n’était pas le
seul à trouver édifiante la
conduite
de misérables,
achetés pour jouer double jeu et trahir
leurs co-religionnaires.
Le chancelier d’Aguesseau, sollicitant une
gratification pour un ancien de
l’église de Cognac dont
on tenait la conversion
secrète, invoque
cette raison à
l’appui de sa demande, qu’on peut se
servir utilement de
cet
homme dans la
suite. Il déclare
qu’il est important que les ministres qui se
convertiront, continuent
quelque temps leurs
fonctions, après avoir secrètement
abjuré.
Le cardinal de Bonsy négocie la conversion
d’un ministre, résolu à se
déclarer, mais il estime qu’il vaudrait
mieux se servir de lui pour
en gagner d’autres avant
qu’il se
déclarât. Je n’ai pu encore le
faire expliquer sur
les conditions », ajoute
le cardinal qui prépare
le marché à conclure.
Saint-Cosme, président du consistoire de
Nîmes, abjure secrètement devant
l’archevêque de Paris; sur
les conseils de cet
archevêque et du duc de Noailles, il
conserve
ses
fonctions deux
ans encore
après
avoir abjuré, trahissant et
dénonçant ses anciens
co-religionnaires. Une conduite si édifiante
est récompensée par une
pension de deux mille livres et le grade de colonel
des milices.
Dans leur animosité contre les huguenots,
les juges en venaient à commettre sans le
moindre scrupule de monstrueuses iniquités.
Le président du parlement de Bordeaux,
Vergnols, après la condamnation d’un
huguenot aux galères perpétuelles, ne
craint pas d’écrire au
secrétaire d’État : «
Je vous envoie une copie ci-jointe d’un
arrêt que nous avons rendu ce matin contre un
ministre mal converti. Je dois bien dire, monsieur,
que la preuve était délicate, même
défectueuse dans
le chef principal, et que
néanmoins le
zèle des juges est allé
au-delà de la règle, pour
faire un exemple. »
Parfois c’est un juge lui-même qui
invente un crime ou un délit pour faire
mettre en cause un huguenot. Ainsi l’intendant
Besons écrit à Colbert : -
« Nous avions cru devoir faire des
procès à ceux qui étaient
accusés d’avoir menacé et
maltraité des personnes pour
s’être converties. Comme l’on est
venu à recoller les témoins,
l’accusation s’est trouvée fausse, le
juge qui
l’avait
faite, ayant
supposé trois témoins et contrefait
leur seing, sans
qu’ils en eussent jamais ouï parler.
»
Cette absence générale de sens moral
se manifeste encore dans la manière dont le
roi et ses collaborateurs appliquent la
règle posée par Richelieu et Mazarin
de réserver tous les droits et toutes les
faveurs pour les catholiques; ou pour les huguenots dociles;
c’est-à-dire
pour ceux
qui, trafiquant de leur conscience, abandonneraient
la religion qu’ils croyaient la meilleure, en demandant
du
retour pour se
faire
catholiques.
Il avait fallu que l’éclat des services
lui forçât la main, pour que Louis XIV
dérogeât en faveur de Turenne, de
Duquesne et de Schomberg à la règle
de n’accorder qu’à des catholiques
ou à des convertis les hauts grades de
l’armée ou de la marine.
Quant aux autres officiers de terre ou de mer
huguenots, on leur laissait inutilement attendre
les grades et l’avancement auxquels leurs
services leur donnaient droit. Beaucoup
d’entre eux, quand on leur montrait que leur
croyance était le seul obstacle à la
réalisation de leurs désirs,
n’avaient pas la même fermeté que
Duquesne et Schomberg, déclinant les offres
les plus tentantes, en disant : « Il doit
suffire au roi que nos
services soient bons catholiques ».
Madame de Maintenon veut faire abjurer son parent
de Villette, un huguenot qui, de
capitaine
de vaisseau, veut passer chef
d’escadre. Elle lui fait donner par Seignelai
un commandement en mer qui doit le tenir
éloigné de France pendant plusieurs
années, et lui permettre de se convertir
sans y mettre une hâte suspecte. Elle
écrit
à de Villette
: « Le roi vous estime autant que vous
pouvez le désirer, et vous pourriez bien le
servir si vous vouliez... Vous manquez à
Dieu, au roi, à moi et à vos enfants,
par votre malheureuse fermeté. » Ses
lettres se succèdent, de plus en
plus
pressantes; elle finit par lui écrire
:
« Songez à une affaire si
importante » .... Convertissez-vous avec Dieu,
et sur la mer, où vous ne serez point
soupçonné de vous être
laissé persuader par complaisance. Enfin,
convertissez-vous de
quelque manière que ce
soit. »
M. de Villette finit par se rendre et se convertit
: douze jours
après, il était nommé chef
d’escadre.
Cependant Mme de Caylus, sa fille, raconte ainsi
dans ses mémoires, cette conversion désintéressée
:
« Mon père s’embarqua sur la mer
et fit pendant cette campagne des réflexions
qu’il n’avait pas encore faites... Mais
ne voulant tirer de sa conversion
aucun mérite pour sa fortune,
à son retour,
il fit abjuration entre les
mains du curé de... Le roi lui ayant fait
l’honneur de lui parler avec sa bonté
ordinaire
sur sa
conversion, mon père répondit avec
trop de sécheresse que c’était
la seule occasion de sa vie où
il n’avait point eu
pour objet de plaire à Sa Majesté.
»
Il faut reconnaître que ce converti,
s’il n’était pas désintéressé, était
du
moins
un habile courtisan.
La conversion de M. de Villette, avec qui l’on
avait cru devoir garder des ménagements
exceptionnels, à raison de sa parenté
avec Mme de Maintenon, n’eut lieu
qu’à la fin de 1684, mais, la tactique
des menaces mêlées aux promesses
était déjà employée
depuis longtemps auprès des officiers de la
marine royale. En effet, dès le 30 avril
1680, la circulaire suivante avait
été envoyée aux intendants des
ports de mer.
« Sa Majesté m’ordonne de vous
dire qu’elle a résolu d’ôter
petit à petit du corps de la marine tous
ceux de la religion prétendue
réformée... Vous pouvez faire
entendre tout doucement à ceux desdits
officiers qui sont de la religion, que Sa
Majesté veut bien encore patienter quelque
temps...; mais que, après cela, son
intention n’est pas de se servir d’eux
s’ils continuent dans leur erreur. »
Seignelai prévient l’officier de marine
Gaffon qu’on lui enlèvera son emploi
s’il n’est pas converti dans trois mois,
et il retire à un lieutenant de vaisseau le
commandement de quatre pinasses, attendu que le
roi, lorsqu’il lui avait donné ce
commandement, ignorait sa qualité de
réformé. En envoyant à
l’intendant de Brest un brevet de lieutenant
et une gratification de 50 livres accordée
au sieur Barban de Gonches, pour prix de sa
conversion, Seignelai ajoute : « Il est
à propos que vous fassiez bien valoir cette
grâce aux autres officiers de la religion
pour que cela serve à les attirer ». Le
16 décembre 1685, le secrétaire
d’État finit par s’impatienter du
retard apporté aux conversions et
écrit à ce même intendant :
« Il faut que vous me fassiez savoir ceux qui
refuseraient de se convertir, que vous leur
déclariez qu’ils n’ont plus pour y
penser que le reste de l’année. »
(15 jours !)
Avant même, que le délai
accordé aux officiers de marine ne soit
expiré, Dobré de Bobigny, un enseigne
de vaisseau, huguenot obstiné est
enfermé le 21 décembre au
château de Brest, et l’intendant
écrit « Je lui ai fait entendre
qu’il ne devait pas s’attendre de sortir
de prison qu’il n’eût fait son
abjuration. » Il n’en sortit, en
effet, qu’en 1693, et ce fut pour se voir
expulsé du royaume comme
opiniâtre.
Louvois, de son côté, avait fait pour
l’armée de terre ce que Seignelai
faisait pour la marine. « Le roi,
écrivait-il, disposera des emplois des
officiers qui n’auront pas fait abjuration
dans un mois. Les derniers ne jouiront pas de la
pension que Sa Majesté accorde aux nouveaux
convertis. »
Le passage suivant d’une des lettres de
l’intendant d’Argouges montre bien
l’esprit de la politique suivie en vertu du
plan de conversion imaginé par Louis
XIV,
« J’ai fait; dit-il, plusieurs voyages
à Aubusson, j’en ai fait emprisonner plusieurs
et
récompenser des
charités
du roi ceux que j’ai cru les mieux convertis,
espérant que des mesures si opposées feraient
bon
effet. » De
même l’évêque de Mirepoix,
pour arriver à faire convertir M. de Loran,
demande que le roi écrive à ce
gentilhomme une lettre mêlée
d’honnêtetés et de menaces, et il
se
charge de
ménager, avec le concours de
l’intendant, l’effet de cette lettre,
pour obtenir le résultat poursuivi.
Par application de cette politique à deux
faces, rigueur pour les opiniâtres, faveurs
pour les dociles, tout prisonnier pour dettes qui
se convertit est mis en liberté ; mais il
reste sous les verrous, s’il demeure huguenot.
Celui qui a un procès en a le gain entre les
mains à sa volonté, les juges lui
donnent raison s’il abjure.
Si au contraire un huguenot, après avoir
commis un crime, voulait échapper à
la rigueur des lois, il n’avait
qu’à se convertir. Ainsi M. de
Chambaran avait été
décrété de prise de corps par
la cour de Rennes pour avoir commis un assassinat.
Une fois sous les verrous, il abjure et le roi lui
accorde des lettres de rémission ainsi
motivées « à
cette cause
qu’il avait fait sincère réunion
à l’église catholique ». Un soldat
ancien
catholique ayant volé, se dit huguenot et
obtient sa grâce au prix d’une
abjuration simulée.
Les évêques et les intendants
rivalisent d’ardeur dans cette campagne de
conversions mercenaires, et
s’entremettent
dans les plus
honteux brocantages, sur le grand marché aux
consciences ouvert par toute la France.
L’archevêque de Narbonne écrit
:
« J’ai découvert que
Bordère fils a ici des attachements et des
liaisons qui faciliteraient sa conversion, si
l’on peut lui faire appréhender un exil
éloigné ou un ordre pour sortir du
royaume. Si vous jugez à propos de
m’envoyer une lettre de cachet pour cela, on
me fait espérer qu’en la lui faisant
voir, on le disposera à écouter, et
qu’ensuite, moyennant
une charge de conseiller
à ce présidial dont
le roi le gratifierait, il ne
serait pas impossible de le gagner. Je
n’ai
pas perdu mon temps pour
le fils de Monsieur d’Arennes, le cadet. Son
ambition serait d’entrer dans la maison du roi avec
un
bâton
d’exempt... si le
roi veut lui faire quelque
gratification pour cela, elle sera
bien
employée. Voyez, si vous jugez à
propos qu’il aille à la cour où
il pourrait faire son abjuration, car
ceux de cette religion
prétendent que quand ils ont fait ce pas on
les néglige un peu. Pour
ce qui est de
l’aîné, la grande
difficulté sera de
le détacher d’une
amourette qu’il
a à Nîmes, en vue du mariage avec une
huguenote. Nous espérons pourtant
l’ébranler par
l’assurance qu’il
obtiendra l’agrément pour un
régiment de cavalerie.
L’évêque de Lodève :
« C’est un malheur que vous ne puissiez
rien faire pour ce pauvre Raymond, qui veut se
convertir; je conçois que vous ne vous
mêliez pas de disposer des emplois de la
compagnie de M. le duc du Maine, mais
peut-être ne serait-il pas impossible que
vous fournissiez à quelqu’un le moyen
de se mêler utilement de l’y placer. Il
pourrait donner pour cela une bonne partie de
l’argent.
L’évêque de Valence
« J’ai promis à M. du Moulac,
gentilhomme du Pousin en Vivarrais, qui a fait
abjuration de l’hérésie de
Calvin entre mes mains, de vous supplier de lui
vouloir bien accorder votre protection; pour lui
faire obtenir la châtellenie de Pousin. Ce
gentilhomme espère, par votre protection,
obtenir pour lui la préférence sur
ceux qui voudraient l’acheter, m’ayant
dit que vous aviez eu la bonté de la lui
faire espérer après sa
conversion.
L’évêque de
Montpellier :
« Vous eûtes la bonté,
Monsieur, de vous employer auprès du roi
pour faire obtenir une pension de six cents livres
à Mlle de Nancrest. Maintenant son
aînée est en état, à
l’exemple de sa soeur, de faire son
abjuration; mais comme elle souhaiterait une
pareille pension de Sa Majesté, j’ai
cru que vous approuveriez que je m’adressasse
à vous une seconde fois pour obtenir cette
grâce. »
On voit Fénélon solliciter de
même, et avec succès, une pension de
deux mille livres pour une demoiselle anglaise,
miss Ogelthorpe. « J’espère,
écrit-il à Le Tellier, que vous
n’aurez pas de peine à toucher le coeur
du roi, je crois même que Dieu, qui a
changé celui d’une demoiselle si
prévenue contre la vraie religion, mettra
d’abord dans celui de Sa Majesté le
désir de faire ce qu’elle a
déjà fait tant de fois pour faciliter
les conversions; une pension lèvera toutes
les difficultés et mettra cette personne en
sûreté pour toute sa vie. »
Quand il s’agissait de gens de qualité,
le chiffre de la pension était assez
élevé; ainsi la pension donnée
au fils aîné du comte de Roye,
à l’occasion de sa conversion,
était de douze mille livres. On accordait
des pensions de conversion, même à des
étrangers, comme l’anglaise Ogelthorpe
ou l’érudit allemand Kuster, qui
reçut une pension de deux mille livres.
On donna tant et tant que l’on ne put plus
payer, et qu’en 1699 Louis XIV fut
obligé de prescrire de ne plus pensionner
que des gens très dignes par leur
qualité et leurs mérites et par un
besoin très effectif.
Cette prudente prescription ne fut pas suivie,
l’ardeur aveugle des convertisseurs ne le
permettait pas ; c’est pourquoi, ainsi que le
dit Rulhières, « la plupart des
pensions ne furent plus payées, l’on
eut cet étrange spectacle de convertis
abusés et de convertisseurs
infidèles. »
Louvois, accablé de réclamations de
convertis abusés, répondait
cyniquement : « Les pensions sont pour
les gens à
convertir et
non pour
ceux qui sont convertis.
Cependant plusieurs de ces pensions de convertis
furent payées jusqu’à la
Révolution, et le 6 avril 1791
l’Assemblée nationale sanctionnait
encore un état de ci-devant pensionnaires,
auxquels il était accordé des
secours, état sur lequel figurait
Christine-Marguerite Plaustrum, née en 1715,
avec cette mention : « Pension de trois
cents livres, accordée à titre de
subsistance et en considération de sa
conversion à la foi
catholique. »
Ce n’était pas seulement par les
honneurs, des grades, des places et des pensions
que l’on avait procédé à
l’achat des consciences. Bien avant la
révocation, on avait créé une
caisse des conversions pour acheter au
rabais les abjurations des petites
gens, et
cela au prix d’une somme modique une fois
payée. Cette
caisse avait
pris un grand développement depuis que le
roi lui avait affecté le tiers du produit
des économats, et on en avait confié
l’administration au converti Pélisson,
ancien serviteur du surintendant Fouquet, ce
brocanteur expert des vertus de la cour. Les
évêques et les intendants rivalisaient
d’ardeur pour obtenir à l’aide des
fonds envoyés par Pélisson le plus
grand nombre possible de conversions à bon
marché.
Pélisson écrit cependant à ses
collaborateurs de province que c’est beaucoup
trop
cher, que
d’avoir,
comme dans les vallées de Pragelas,
acheté sept ou huit cents conversions au
prix de deux mille écus. Il invite les
évêques et les intendants à
imiter ce qui s’est passé dans le
diocèse de Grenoble, où les
abjurations ne sont jamais allées au prix de cent
francs et sont
même
demeurées extrêmement
au-dessous. Il leur
rappelle que
les listes de convertis passent sous les yeux du
roi, et les avertit qu’ils ne peuvent, faire
mieux leur cour à
Sa
Majesté, qu’en faisant produire aux
sommes qu’il leur envoie le plus grand
résultat possible, c’est-à-dire
beaucoup de conversions pour très peu
d’argent. Ces adjurations pressantes
produisirent leur effet, puisque Rulhières a
pu dire, après avoir compulsé toutes
les archives du gouvernement : « Le prix courant
des
conversions
était, dans les pays éloignés,
à six livres par
tête
de
converti, il y en avait à
plus bas prix. La plus
chère
que j’aie trouvée, pour
une famille nombreuse, est à 42
livres. »
« En Poitou, dit Jurieu, de son
côté, certains marchandèrent,
et tel, à qui l’on ne voulait donner qu’une
pistole,
tint ferme
et finit
par obtenir quatre
écus pour se
convertir; mais quelques-uns n’eurent que sept
sols, enveloppés
dans un petit papier.»
Pour grossir, leurs listes, les convertisseurs
usaient en outre de fraudes
pieuses.
La liste des convertis ayant été
signifiée à plusieurs consistoires,
dit Elie Benoît, on put constater que les
mêmes personnes étaient portées
deux fois, que plusieurs indiqués comme
ayant abjuré, avaient toujours
été catholiques, etc.
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