Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE PREMIER

L’ÉDIT DE NANTES

suite

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Il promettait le contraire de ce qu’il avait l’intention de faire, il en était déjà aux infractions secrètes qui n’éclatent point; il en vint plus tard aux démonstrations et aux hostilités publiques, à la révocation de l’édit de Nantes, et enfin aux mesures de violence les plus odieuses qu’on eût jamais vues.
Pour nous, habitués aux rigides principes de la morale du monde moderne, pour laquelle un chat est toujours un chat et Rollot toujours un fripon, nous sommes révoltés de ces cyniques et malhonnêtes pratiques de Louis XIV. Mais il ne faut pas oublier que la morale de l’ancien régime était basée sur ce commode axiome que
la fin justifie les moyens, et l’on constate une absence de sens moral, tout aussi surprenante, chez les membres les plus distingués du clergé, de la magistrature et de l’administration aux XVII° et XVIII° siècles.
Ainsi, par exemple, ceux qui voulaient,
sans violence, ramener le royaume à l’unité religieuse tentèrent à maintes reprises d’amener la réunion des deux cultes, par une transaction consentie par une sorte de congrès entre catholiques et protestants.
Eh bien, tous ces projets de réunion dont le premier échoua presque au lendemain de la promulgation de l’édit de Nantes,
et dont le dernier fut imaginé par l’intendant d’Aguesseau, à la veille de la révocation, tous ces projets reposaient sur la fraude et pas un de leurs auteurs n’avait conscience de leur immoralité.
Il s’agissait toujours de faire figurer
à l’assemblée projetée un certain nombre de ministres gagnés à l’avance, lesquels, moyennant certaines concessions de l’Église catholique, comme la suppression, du culte des images, des prières pour les morts, etc., se seraient déclarés réunis à l’Église catholique.
Le Gouvernement, une fois l’accord
intervenu, aurait révoqué l’édit de Nantes comme devenu inutile, et le tour eût été joué. Cette honteuse comédie de conférence entre docteurs catholiques, et ministres gagnés à l’avance eût-elle eu tout le succès qu’on en attendait, la réunion une fois prononcée, les concessions faites aux protestants eussent été tenues pour lettres mortes, en vertu de cette théorie commode que, dans les traités, on promet le contraire de ce qu’on veut tenir.

Au début de la campagne des conversions, extorquées par la violence, on permit de même aux protestants de mettre à leur abjuration toutes les restrictions imaginables; mais quand la conversion générale fut accomplie, l’Église catholique si facile d’abord, déclara fièrement qu’elle n’éteindrait même pas un cierge pour donner satisfaction aux scrupules des convertis.
Pessata la festa, gabbato il santo.

Ces ménagements de la première heure, ne tirant pas à conséquence pour l’avenir, nous les retrouvons chez Fénélon qui, au début de sa mission en Saintonge, diffère
l’ave maria dans ses sermons et les invocations de saints dans les prières publiques, faites en chaire, afin de ne pas effaroucher son auditoire de nouveaux convertis.
Nous les retrouvons encore dans la lettre que Mme de Maintenon écrit à l’abbé Gobelin qu’elle avait chargé de convertir son parent, M. de Sainte-Hermine: « Mettez-vous bien dans l’esprit, écrit-elle, son éducation huguenote, ne lui dites
d’abord que le nécessaire sur l’invocation des saints, les indulgences et sur les autres points qui le choquent si fort ».
Fénélon appelé à la rescousse pour cette conversion, se fait l’avocat du diable, et avec un autre prêtre, joue devant Sainte-Hermine une parade de conférence religieuse :
« M. Langeron et moi, dit-il, nous avons fait devant lui des conférences assez fortes l’un contre l’autre,
je faisais le protestant et je disais tout ce que les ministres disent de plus spécieux.
Fénelon avait, du reste, la manie de ces parodies de conférences; à la Tremblade il se vante de se servir
utilement d’un ministre qui s’était secrètement converti : Nous le menons à nos conférences publiques, où nous lui faisons proposer ce qu’il disait autrefois pour animer les peuples contre l’Église catholique; cela paraît si faible et si grossier par les réponses qu on y fait que le peuple est indigné contre lui. »

À Marennes, le ministre prêt à se convertir, consent à une conférence publique.
« Les matières furent réglées par écrit, dit Fénelon; on s’engagea à mettre le ministre dans l’impuissance d’aller jusqu’à la troisième réponse, sans dire des absurdités. Tout était prêt, mais le ministre, par une abjuration dont il n’a averti personne, a prévenu le jour de la conférence. »
Fénélon, furieux de voir sa pieuse machination échouer, par ce qu’il appelle
la finesse de ce ministre, ameute des convertis contre lui. « Que doit-on penser, leur disait-il, d’une religion dont les plus habiles pasteurs aiment mieux l’abjurer que la défendre? » Ce ministre n’eût dû abjurer qu’après la conférence, alors il eût été loué par Fénélon.
Une autre fois, c’est un protestant, qui, prenant les conférences au sérieux, vient troubler l’ordonnance de la comédie. « Ces conférences, lui dit Fénélon, sont pour ceux qui cherchent la vérité et non pas pour ceux qui s’obstinent dans l’erreur », et il fait mettre le gêneur dehors.
« Le ministre Bernon (à la Rochelle), écrit encore Fénélon, n’a pas voulu recevoir la pension que Sa Majesté donne aux ministres convertis, mais il a cru devoir donner à ses parents et à ses amis cette marque de
désintéressement pour être plus à même de les persuader; quand il les verra affermis, il demandera, dit-il, comme un autre, ce bienfait du roi. En effet, cette conduite éloigne tout soupçon et lui attire la confiance de beaucoup de gens qui vont tous les jours lui demander en secret s’il a éclairci quelque chose dans les longues conférences qu’il a eues avec nous; il leur montre les cahiers où il a mis toutes les objections que les protestants ont coutume de faire, avec les réponses que nous lui avons données à la marge ; par là il leur fait voir qu’il n’a rien omis pour la défense de la cause commune et qu’il ne s’est rendu qu’à l’extrémité. »
Fénélon vante à Seignelai ce
désintéressement, nécessaire pour éviter les soupçons qui pourraient empêcher Bernon d’être écouté avec fruit et il lui écrit :
« Il me parait fort à souhaiter : qu’une conduite si
édifiante ne le prive pas des libéralités du roi et que la pension lui soit gardée, pour la recevoir quand ces raisons de charité cesseront. »
Fénélon n’était pas le seul à trouver
édifiante la conduite de misérables, achetés pour jouer double jeu et trahir leurs co-religionnaires.

Le chancelier d’Aguesseau, sollicitant une gratification pour un ancien de l’église de Cognac
dont on tenait la conversion secrète, invoque cette raison à l’appui de sa demande, qu’on peut se servir utilement de cet homme dans la suite. Il déclare qu’il est important que les ministres qui se convertiront, continuent quelque temps leurs fonctions, après avoir secrètement abjuré.
Le cardinal de Bonsy négocie la conversion d’un ministre, résolu à se déclarer, mais il estime qu’il vaudrait mieux se servir de lui
pour en gagner d’autres avant qu’il se déclarât. Je n’ai pu encore le faire expliquer sur les conditions », ajoute le cardinal qui prépare le marché à conclure.

Saint-Cosme, président du consistoire de Nîmes, abjure secrètement devant l’archevêque de Paris;
sur les conseils de cet archevêque et du duc de Noailles, il conserve ses fonctions deux ans encore après avoir abjuré, trahissant et dénonçant ses anciens co-religionnaires. Une conduite si édifiante est récompensée par une pension de deux mille livres et le grade de colonel des milices.

Dans leur animosité contre les huguenots, les juges en venaient à commettre sans le moindre scrupule de monstrueuses iniquités. Le président du parlement de Bordeaux, Vergnols, après la condamnation d’un huguenot aux galères perpétuelles, ne craint pas d’écrire au secrétaire d’État : «  Je vous envoie une copie ci-jointe d’un arrêt que nous avons rendu ce matin contre un ministre mal converti. Je dois bien dire, monsieur, que la preuve était délicate,
même défectueuse dans le chef principal, et que néanmoins le zèle des juges est allé au-delà de la règle, pour faire un exemple. »
Parfois c’est un juge lui-même qui invente un crime ou un délit pour faire mettre en cause un huguenot. Ainsi l’intendant Besons écrit à Colbert : -
« Nous avions cru devoir faire des procès à ceux qui étaient accusés d’avoir menacé et maltraité des personnes pour s’être converties. Comme l’on est venu à recoller les témoins, l’accusation s’est trouvée
fausse, le juge qui l’avait faite, ayant supposé trois témoins et contrefait leur seing, sans qu’ils en eussent jamais ouï parler. »
Cette absence générale de sens moral se manifeste encore dans la manière dont le roi et ses collaborateurs appliquent la règle posée par Richelieu et Mazarin de réserver tous les droits et toutes les faveurs pour les catholiques; ou pour les huguenots
dociles; c’est-à-dire pour ceux qui, trafiquant de leur conscience, abandonneraient la religion qu’ils croyaient la meilleure, en demandant du retour pour se faire catholiques.
Il avait fallu que l’éclat des services lui forçât la main, pour que Louis XIV dérogeât en faveur de Turenne, de Duquesne et de Schomberg à la règle de n’accorder qu’à des catholiques ou à des convertis les hauts grades de l’armée ou de la marine.

Quant aux autres officiers de terre ou de mer huguenots, on leur laissait inutilement attendre les grades et l’avancement auxquels leurs services leur donnaient droit. Beaucoup d’entre eux, quand on leur montrait que leur croyance était le seul obstacle à la réalisation de leurs désirs, n’avaient pas la même fermeté que Duquesne et Schomberg, déclinant les offres les plus tentantes, en disant : « Il doit suffire au roi que
nos services soient bons catholiques ».
Madame de Maintenon veut faire abjurer son parent de Villette, un huguenot
qui, de capitaine de vaisseau, veut passer chef d’escadre. Elle lui fait donner par Seignelai un commandement en mer qui doit le tenir éloigné de France pendant plusieurs années, et lui permettre de se convertir sans y mettre une hâte suspecte. Elle écrit à de Villette : «  Le roi vous estime autant que vous pouvez le désirer, et vous pourriez bien le servir si vous vouliez... Vous manquez à Dieu, au roi, à moi et à vos enfants, par votre malheureuse fermeté. » Ses lettres se succèdent, de plus en plus pressantes; elle finit par lui écrire :
« Songez à une affaire si importante » .... Convertissez-vous avec Dieu, et sur la mer, où vous ne serez point soupçonné de vous être laissé persuader par complaisance. Enfin, convertissez-vous
de quelque manière que ce soit. »
M. de Villette finit par se rendre et se convertit :
douze jours après, il était nommé chef d’escadre.
Cependant Mme de Caylus, sa fille, raconte ainsi dans ses mémoires, cette conversion
désintéressée :
« Mon père s’embarqua sur la mer et fit pendant cette campagne des réflexions qu’il n’avait pas encore faites...
Mais ne voulant tirer de sa conversion aucun mérite pour sa fortune, à son retour, il fit abjuration entre les mains du curé de... Le roi lui ayant fait l’honneur de lui parler avec sa bonté ordinaire sur sa conversion, mon père répondit avec trop de sécheresse que c’était la seule occasion de sa vie où il n’avait point eu pour objet de plaire à Sa Majesté. »
Il faut reconnaître que ce converti, s’il n’était pas
désintéressé, était du moins un habile courtisan.

La conversion de M. de Villette, avec qui l’on avait cru devoir garder des ménagements exceptionnels, à raison de sa parenté avec Mme de Maintenon, n’eut lieu qu’à la fin de 1684, mais, la tactique des menaces mêlées aux promesses était déjà employée depuis longtemps auprès des officiers de la marine royale. En effet, dès le 30 avril 1680, la circulaire suivante avait été envoyée aux intendants des ports de mer.
« Sa Majesté m’ordonne de vous dire qu’elle a résolu d’ôter petit à petit du corps de la marine tous ceux de la religion prétendue réformée... Vous pouvez faire entendre tout doucement à ceux desdits officiers qui sont de la religion, que Sa Majesté veut bien encore patienter quelque temps...; mais que, après cela, son intention n’est pas de se servir d’eux s’ils continuent dans leur erreur. »
Seignelai prévient l’officier de marine Gaffon qu’on lui enlèvera son emploi s’il n’est pas converti dans trois mois, et il retire à un lieutenant de vaisseau le commandement de quatre pinasses, attendu que le roi, lorsqu’il lui avait donné ce commandement, ignorait sa qualité de réformé. En envoyant à l’intendant de Brest un brevet de lieutenant et une gratification de 50 livres accordée au sieur Barban de Gonches, pour prix de sa conversion, Seignelai ajoute : « Il est à propos que vous fassiez bien valoir cette grâce aux autres officiers de la religion pour que cela serve à les attirer ». Le 16 décembre 1685, le secrétaire d’État finit par s’impatienter du retard apporté aux conversions et écrit à ce même intendant : « Il faut que vous me fassiez savoir ceux qui refuseraient de se convertir, que vous leur déclariez qu’ils n’ont plus pour y penser que le reste de l’année. » (15 jours !)

Avant même, que le délai accordé aux officiers de marine ne soit expiré, Dobré de Bobigny, un enseigne de vaisseau, huguenot obstiné est enfermé le 21 décembre au château de Brest, et l’intendant écrit « Je lui ai fait entendre qu’il ne devait pas s’attendre de sortir de prison qu’il n’eût fait son abjuration. » Il n’en sortit, en effet, qu’en 1693, et ce fut pour se voir expulsé du royaume comme opiniâtre.
Louvois, de son côté, avait fait pour l’armée de terre ce que Seignelai faisait pour la marine. « Le roi, écrivait-il, disposera des emplois des officiers qui n’auront pas fait abjuration dans un mois. Les derniers ne jouiront pas de la pension que Sa Majesté accorde aux nouveaux convertis. »

Le passage suivant d’une des lettres de l’intendant d’Argouges montre bien l’esprit de la politique suivie en vertu du plan de conversion imaginé par Louis XIV,
« J’ai fait; dit-il, plusieurs voyages à Aubusson, j’en ai fait
emprisonner plusieurs et récompenser des charités du roi ceux que j’ai cru les mieux convertis, espérant que des mesures si opposées feraient bon effet. » De même l’évêque de Mirepoix, pour arriver à faire convertir M. de Loran, demande que le roi écrive à ce gentilhomme une lettre mêlée d’honnêtetés et de menaces, et il se charge de ménager, avec le concours de l’intendant, l’effet de cette lettre, pour obtenir le résultat poursuivi.

Par application de cette politique à deux faces, rigueur pour les opiniâtres, faveurs pour les dociles, tout prisonnier pour dettes qui se convertit est mis en liberté ; mais il reste sous les verrous, s’il demeure huguenot. Celui qui a un procès en a le gain entre les mains à sa volonté, les juges lui donnent raison s’il abjure.
Si au contraire un huguenot, après avoir commis un crime, voulait échapper à la rigueur des lois, il n’avait qu’à se convertir. Ainsi M. de Chambaran avait été décrété de prise de corps par la cour de Rennes pour avoir commis un assassinat. Une fois sous les verrous, il abjure et le roi lui accorde des lettres de rémission ainsi motivées
« à cette cause qu’il avait fait sincère réunion à l’église catholique ». Un soldat ancien catholique ayant volé, se dit huguenot et obtient sa grâce au prix d’une abjuration simulée.
Les évêques et les intendants rivalisent d’ardeur dans cette campagne de conversions
mercenaires, et s’entremettent dans les plus honteux brocantages, sur le grand marché aux consciences ouvert par toute la France.

L’archevêque de Narbonne écrit :
« J’ai découvert que Bordère fils a ici des attachements et des liaisons qui faciliteraient sa conversion, si l’on peut lui faire appréhender un exil éloigné ou un ordre pour sortir du royaume. Si vous jugez à propos de m’envoyer une lettre de cachet pour cela, on me fait espérer qu’en la lui faisant voir, on le disposera à écouter, et qu’ensuite,
moyennant une charge de conseiller à ce présidial dont le roi le gratifierait, il ne serait pas impossible de le gagner. Je n’ai pas perdu mon temps pour le fils de Monsieur d’Arennes, le cadet. Son ambition serait d’entrer dans la maison du roi avec un bâton d’exempt... si le roi veut lui faire quelque gratification pour cela, elle sera bien employée. Voyez, si vous jugez à propos qu’il aille à la cour où il pourrait faire son abjuration, car ceux de cette religion prétendent que quand ils ont fait ce pas on les néglige un peu. Pour ce qui est de l’aîné, la grande difficulté sera de le détacher d’une amourette qu’il a à Nîmes, en vue du mariage avec une huguenote. Nous espérons pourtant l’ébranler par l’assurance qu’il obtiendra l’agrément pour un régiment de cavalerie.

L’évêque de Lodève :
« C’est un malheur que vous ne puissiez rien faire pour ce pauvre Raymond, qui veut se convertir; je conçois que vous ne vous mêliez pas de disposer des emplois de la compagnie de M. le duc du Maine, mais peut-être ne serait-il pas impossible que vous fournissiez à quelqu’un le moyen de se mêler utilement de l’y placer. Il pourrait donner pour cela une bonne partie de l’argent.

L’évêque de Valence
« J’ai promis à M. du Moulac, gentilhomme du Pousin en Vivarrais, qui a fait abjuration de l’hérésie de Calvin entre mes mains, de vous supplier de lui vouloir bien accorder votre protection; pour lui faire obtenir la châtellenie de Pousin. Ce gentilhomme espère, par votre protection, obtenir pour lui la préférence sur ceux qui voudraient l’acheter, m’ayant dit que vous aviez eu la bonté de la lui faire espérer après sa conversion.

L’évêque de Montpellier :
« Vous eûtes la bonté, Monsieur, de vous employer auprès du roi pour faire obtenir une pension de six cents livres à Mlle de Nancrest. Maintenant son aînée est en état, à l’exemple de sa soeur, de faire son abjuration; mais comme elle souhaiterait une pareille pension de Sa Majesté, j’ai cru que vous approuveriez que je m’adressasse à vous une seconde fois pour obtenir cette grâce. »
On voit Fénélon solliciter de même, et avec succès, une pension de deux mille livres pour une demoiselle anglaise, miss Ogelthorpe. « J’espère, écrit-il à Le Tellier, que vous n’aurez pas de peine à toucher le coeur du roi, je crois même que Dieu, qui a changé celui d’une demoiselle si prévenue contre la vraie religion, mettra d’abord dans celui de Sa Majesté le désir de faire ce qu’elle a déjà fait tant de fois pour faciliter les conversions; une pension lèvera toutes les difficultés et mettra cette personne en sûreté pour toute sa vie. »

Quand il s’agissait de gens de qualité, le chiffre de la pension était assez élevé; ainsi la pension donnée au fils aîné du comte de Roye, à l’occasion de sa conversion, était de douze mille livres. On accordait des pensions de conversion, même à des étrangers, comme l’anglaise Ogelthorpe ou l’érudit allemand Kuster, qui reçut une pension de deux mille livres.
On donna tant et tant que l’on ne put plus payer, et qu’en 1699 Louis XIV fut obligé de prescrire de ne plus pensionner que des gens très dignes par leur qualité et leurs mérites et par un besoin très effectif.
Cette prudente prescription ne fut pas suivie, l’ardeur aveugle des convertisseurs ne le permettait pas ; c’est pourquoi, ainsi que le dit Rulhières, « la plupart des pensions ne furent plus payées, l’on eut cet étrange spectacle de convertis abusés et de convertisseurs infidèles. »

Louvois, accablé de réclamations de convertis abusés, répondait cyniquement : « Les pensions sont pour les gens
à convertir et non pour ceux qui sont convertis.
Cependant plusieurs de ces pensions de convertis furent payées jusqu’à la Révolution, et le 6 avril 1791 l’Assemblée nationale sanctionnait encore un état de ci-devant pensionnaires, auxquels il était accordé des secours, état sur lequel figurait Christine-Marguerite Plaustrum, née en 1715, avec cette mention : « Pension de trois cents livres, accordée à titre de subsistance et en considération de sa conversion à la foi catholique. »
Ce n’était pas seulement par les honneurs, des grades, des places et des pensions que l’on avait procédé à l’achat des consciences. Bien avant la révocation, on avait créé une caisse des conversions pour acheter
au rabais les abjurations des petites gens, et cela au prix d’une somme modique une fois payée. Cette caisse avait pris un grand développement depuis que le roi lui avait affecté le tiers du produit des économats, et on en avait confié l’administration au converti Pélisson, ancien serviteur du surintendant Fouquet, ce brocanteur expert des vertus de la cour. Les évêques et les intendants rivalisaient d’ardeur pour obtenir à l’aide des fonds envoyés par Pélisson le plus grand nombre possible de conversions à bon marché.

Pélisson écrit cependant à ses collaborateurs de province que c’est
beaucoup trop cher, que d’avoir, comme dans les vallées de Pragelas, acheté sept ou huit cents conversions au prix de deux mille écus. Il invite les évêques et les intendants à imiter ce qui s’est passé dans le diocèse de Grenoble, où les abjurations ne sont jamais allées au prix de cent francs et sont même demeurées extrêmement au-dessous. Il leur rappelle que les listes de convertis passent sous les yeux du roi, et les avertit qu’ils ne peuvent, faire mieux leur cour à Sa Majesté, qu’en faisant produire aux sommes qu’il leur envoie le plus grand résultat possible, c’est-à-dire beaucoup de conversions pour très peu d’argent. Ces adjurations pressantes produisirent leur effet, puisque Rulhières a pu dire, après avoir compulsé toutes les archives du gouvernement : « Le prix courant des conversions était, dans les pays éloignés, à six livres par tête de converti, il y en avait à plus bas prix. La plus chère que j’aie trouvée, pour une famille nombreuse, est à 42 livres. »
« En Poitou, dit Jurieu, de son côté, certains marchandèrent, et tel, à qui l’on ne voulait donner
qu’une pistole, tint ferme et finit par obtenir quatre écus pour se convertir; mais quelques-uns n’eurent que sept sols, enveloppés dans un petit papier.»
Pour grossir, leurs listes, les convertisseurs usaient en outre de
fraudes pieuses.
La liste des convertis ayant été signifiée à plusieurs consistoires, dit Elie Benoît, on put constater que les mêmes personnes étaient portées deux fois, que plusieurs indiqués comme ayant abjuré, avaient toujours été catholiques, etc.

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