Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Les trois frères Serres

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(1) Un arrêt du Parlement de Grenoble, en date du 24 mai 1686, pron

onça la peine des galères contre les trois frères, Pierre, David et jean Serres, originaires de Montauban, arrêtés au moment où ils allaient franchir la frontière de Savoie. David fut condamné à perpétuité, Pierre et jean pour dix ans. Tandis que leurs parents faisaient adhésion à l'Église romaine, comme la presque totalité des protestants de Montauban, les trois fils, plus courageux qu'eux, avaient préféré l'exil à l'apostasie. L'extrait suivant d'une lettre de Jean Serres nous montre, pris sur le vif, le déchirement douloureux qui se produisit dans cette famille huguenote, comme chez tant d'autres :

« Nos parents ont resté dans le royaume et ont préféré la possession d'un peu de bien, dont Dieu peut les priver lorsque bon lui semblera, au bonheur de partager avec Jésus-Christ ses afflictions et ses opprobres, pour partager ensuite avec ce même Sauveur la gloire de son éternité bienheureuse... Autrefois ils couraient bien dans la carrière du salut. Dieu m'est témoin que je ne me suis en rien épargné pour leur représenter leur devoir. »

Les trois frères devaient être âgés, au moment de leur condamnation, Pierre de 27 ans, David de 21 ans et Jean de 18 ans. Ils furent enchaînés sur trois galères différentes, la Fortune, la Favorite et la Marquise. Leur culture intellectuelle, l'élévation de leur caractère et leur piété profonde leur méritèrent une grande place dans le respect et l'affection de leurs compagnons d'infortune. Dans une lettre à Louis XIV, l'évêque de Marseille les dénonçait avec les autres arrivants de 1686, comme « fort opiniâtres et ne donnant aucune marque de conversion ». Et le roi répondit à l'évêque que « pour les obliger à faire abjuration, il voulait qu'on les empêchât d'être visités par des personnes qui les fortifieraient dans leurs sentiments ». Une seconde dépêche, empruntée aux Archives de la Marine, comme la précédente, prouve que Louis XIV ne fut pas étranger aux violences de la bastonnade, destinées à punir les galériens protestants pour leur attitude irrévérencieuse pendant la célébration de la messe. « Sa Majesté, y était-il dit, a été informée que les religionnaires ne se conforment pas à l'usage qui est établi à leur égard et à celui des Turcs sur la posture dans laquelle ils doivent être pendant la messe et autres exercices de religion. Son intention est que vous donniez ordre aux bas officiers de les y obliger et les punir, et que vous vous informiez auprès des aumôniers de ce qui se passe sur ce sujet. »

Ce fut donc avec l'approbation du Roi et avec la collaboration des Pères de la Mission, que la bastonnade sévit sur les galères de Marseille, avec d'horribles raffinements de cruauté.

Nous possédons une précieuse lettre de Pierre Serres où il raconte au pasteur de Saint-Benoît, de Lausanne, ce qu'il éprouva pendant et après la terrible exécution :

« Je vous dirai que cette douleur, dont on ne peut parler que par expérience, est quelque chose de bien aigu et de bien pénétrant, lorsque c'est une grande douleur telle que celle que j'ai sentie. Elle pénètre jusqu'aux os, jusqu'au plus profond du corps et de l'âme... Mon coeur me défaillit à la fin de chaque bastonnade, et mon âme, comme on dit en commun proverbe, fut sur les bords de mes lèvres, ce me semblait, pour abandonner sa misérable cabane, qu'elle voyait détruite comme une place qui n'est plus en état de résister, après qu'on y a fait plusieurs brèches et qu'on continue à la battre en ruine. »

Il convient d'emprunter un extrait à la touchante lettre que Pierre Serres adressa à ses amis, le 8 octobre 1700, après sa flagellation :

« Je vous écris, les menottes aux mains, et les cicatrices de mon divin Jésus, empreintes sur mon dos... C. et un autre y ont passé avant moi, avant obéi après quatre coups de bâton. Le Major est venu à moi ; il m'a dit des sottises, auxquelles j'ai répondu en peu de mots, mais d'un air tranquille, qu'il fît sa charge. Ma résolution l'a animé contre moi ; il a donc fait déployer sur moi les plus rudes coups du monde : je me suis vu l'âme sur le bord des lèvres. Il m'a voulu faire plier en faisant cesser ; mais, persistant dans ma résolution, il s'est acharné. Ma constance, qui a fait exemple aux autres, leur a donné coeur ; mais, je me trompe, c'est la grâce céleste. Que j'ai de grâces à rendre à mon Dieu, de la faveur inestimable qu'il m'a faite de souffrir pour les intérêts de sa gloire ! Que tout le peuple chrétien l'en loue avec moi ! C'est à quoi je vous invite, bien-aimés du Seigneur ; mais surtout, âmes fidèles, demandez-lui pour moi le don de la persévérance, afin que je soutienne jusqu'au bout, sans quoi tout le reste serait sans fruit et me couvrirait d'une confusion éternelle. »

Dans les extraits qui suivent, Serres raconte ses expériences religieuses dans l'hôpital de Marseille, où il fut transporté après la bastonnade. Les annales du bagne n'ont pas de plus belles pages. La perspective de subir une seconde fois ce cruel supplice dans l'état d'extrême faiblesse où il était réduit, fut pour lui l'occasion de tentations très vives.

« Je me disais à moi-même que je ne pouvais pas m'assurer de résister jusqu'à la mort, sous les rigueurs d'un supplice où la vie ne semblait être ménagée que pour prolonger le tourment et faire mourir de plusieurs morts avant que de mourir en effet.

« Je rassemblais, d'autre part, tout ce que j'avais de lumières et de force d'esprit pour me raidir contre le torrent de la fureur. J'appelais à mon secours la foi, l'espérance et la charité. J'envisageais dune part les promesses de Dieu, et de l'autre ses menaces. Je me disais que j'étais en% spectacle à Dieu, aux anges et aux fidèles, qui avaient tous les yeux sur moi et qui me disaient tous ensemble : « Tiens ferme ce que tu as, de peur qu'un autre ne te ravisse ta couronne »; que je l'étais aussi au démon et à tous ses suppôts, qui, de leur part, faisaient aussi des efforts incroyables, ou pour me persuader qu'il n'y avait pas grand mal à faire ce qu'on voulait de moi, ou pour m'épouvanter par l'idée des tourments et de la mort même dont on me menaçait ; que ceux-là se ré- jouissaient par avance, persuadés de la bonté de Dieu que je remporterais une glorieuse victoire, et que je devais les considérer déjà comme s'ils venaient au devant de moi peur me féliciter d'un succès si heureux, et pour me recevoir à leur bénite troupe, pendant que leur divin Chef, à leur tête, me disait en me prenant par la main:

« Viens, fidèle serviteur ; tu as été fidèle en peu de chose, je veux t'établir sur de plus grandes ; entre en la joie de ton Maître » ; que ceux-ci, au contraire (les démons), employaient toutes sortes d'artifices et se servaient même de mes sens pour me faire illusion et pour me faire perdre de vue toutes ces belles idées, afin de me faire tomber dans leurs pièges, grossissant ou diminuant les objets par rapport à la fin qu'ils se proposaient, faisant de l'éternité un néant ou un point imperceptible, et du temps un tout digne de tous mes attachements ; que je ne pouvais jouir de ce temps que par la vie. et qu'ainsi je devais la ménager ; que cette vie était si précieuse que Dieu, lui-même, qui en était l'auteur, avait donné à tous les hommes une horreur naturelle et très légitime pour tout ce qui pouvait l'anéantir; qu'à la vérité il y avait du mal à faire ce que je devais faire pour la sauver, mais qu'au fond, Dieu dont la miséricorde est infinie, était trop bon pour le vouloir tenir en compte ; qu'il aurait égard à ma fragilité ; que je n'en devais point douter, à moins de vouloir croire que tous ceux qui avaient eu la faiblesse de lever le bonnet étaient damnés, ce qui n'avait non seulement nulle certitude, mais pas la moindre probabilité. Hé ! si cela était, bon Dieu 1 que deviendraient tant de bonnes âmes que la seule crainte des supplices avait fait plier? - Arrière de moi, Satan ! Loin de moi les conseils de la chair et du sang ! vous ne me persuaderez jamais que le mal soit bien et le bien mal, et qu'il faille pécher pour que la grâce abonde ! »

... « Comme j'étais dans cette profonde méditation et dans ce tumulte de pensées contradictoires, on vint nous assurer qu'il y avait ordre de nous renvoyer à la galère dès que nous serions un peu remis, pour rouvrir nos plaies encore toutes sanglantes, la Cour voulant absolument ou que nous obéissions à ses ordres, ou que nous expirassions sous le bâton. Cette nouvelle augmenta grandement mon trouble ; mais ce trouble, qui passa comme un éclair, fit là son dernier effort. »

... « Mon âme, disais-je en moi, pourquoi t'abats-tu, et pourquoi frémis-tu dans moi? Attends-toi à Dieu, car, le le célébrerai et le glorifierai encore. Oui, Seigneur, je te glorifierai encore ; tu m'as créé, tu m'as racheté, tu viendras, s'il te plaît à mon aide, et je me sentirai assez de force et assez de courage pour mourir pour ton nom. Je te dois bien ce sacrifice de mon corps et de mon âme, puisque tu as souffert pour moi des tourments encore plus cruels. Et me servant de; mêmes paroles que j'avais employées au moment qu'on m'étendit sur le coursier, tandis que je me couvrais la tête avec le drap (car je sentis couler une grande abondance de larmes de mes yeux, qu'on aurait pu regarder comme les témoins de ma faiblesse je dis au Seigneur mon Dieu, avec beaucoup de confiance et toute la soumission possible : - Me voici prêt, ô Dieu. Il est écrit de moi que je fasse ta volonté. Quand tu me tuerais, j'espérerais toujours en toi. Je t'abandonne mes intérêts, ou plutôt je m'abandonne moi-même sans réserve aux soins de ta Providence. Permets, si tu le veux, qu'on coupe, qu'on taille, qu'on tranche et qu'on meurtrisse cette chair rebelle ; mais ne souffre jamais, quelque douleur qu'elle sente, que je te manque de fidélité et que je scandalise mes frères, ceux que tu as rachetés par le sang de ton Fils, que tu as honorés de sa croix qui ont presque tous les veux sur moi, pour voir si je confirmerai par mon exemple les paroles d'exhortation que je leur ai adressées pour le même sujet, afin qu'ils fissent honneur à la vérité de notre Sauveur, ton bien-aimé. »

« - Ce fut là la véritable pluie qui apaisa la violente. tempête dont je venais d'être battu, et qui me fit ensuite trouver un calme et une tranquillité bien grandes. Je mis dans mon coeur ces paroles, comme si Dieu venait immédiatement de les faire entendre à mes oreilles : « Ne crains rien des choses que tu as à souffrir car Je suis avec toi ; je ne te délaisserai point et ne t'abandonnerai point. Ne crains point, vermisseau de Jacob, je serai toujours avec toi ».

« Les murmures de la chair s'étouffèrent. Je ne sentis plus d'inquiétude ni de crainte. Je détournai tout à fait les yeux de mon esprit de mes faiblesses, pour ne m'occuper, que de la grâce de Dieu, de ses promesses et de l'obéissance aveugle que je lui devais, sans consulter la chair et le sang. » (2)

Lorsqu'il quitta l'hôpital des forçats, Pierre Serres ne fut pas ramené sur les galères, mais enfermé dans un des cachots du château d'If. L'intendant des galères, le marquis de Montmort, avait sollicité du Roi ce transfert. La réponse de Louis XIV, mérite d'être conservée :

« J'ai lu au Roi tout ce que vous m'écrivez au sujet des nommés Carrière et Serres, religionnaires zélés et qui se font une application de maintenir les autres dans leurs erreurs. Sa Majesté a estimé à propos de les faire enfermer dans le château d'If, où elle veut qu'ils soient traités avec la sévérité qu'ils méritent. Vous aurez soin de faire brûler tous les livres et exhortations qu'on a trouvés. » (3)

Après avoir lu ces lignes, il est difficile de soutenir que le Roi ignorât le surcroît de peines infligées aux galériens huguenots. C'était avec son approbation qu'on les transférait des galères dans les cachots. Toutefois, dans cette même lettre, le Roi se plaignait « qu'on maltraitât trop fréquemment quelques-uns d'eux ». Il préférait évidemment la sévérité des cachots humides et noirs à la brutalité des bastonnades. L'une de ces pénalités avait l'inconvénient d'une très grande publicité, tandis que les prisonniers subissaient l'autre loin de tous les regards.

Quatre ans plus tard, nous trouvons encore, sous la plume de Pierre Serres, une lettre admirable, qui prouve que sa foi n'avait pas varié, même au milieu des horreurs des cachots du Château d'If.

« Mes maux sont grands, mes faiblesses plus grandes, mais parmi tous ces maux et toutes ces faiblesses, j'espère dé demeurer plus que victorieux par celui qui m'a aimé. Dans mes plus grandes douleurs, plus je souffre, plus j'ai d'amour pour la vérité qui me fait souffrir. La religion à laquelle mon salut est attaché me console de tout, et rien ne saurait me consoler de sa perte. Les galères, les chaînes, la faim, la soif, les rigueurs du froid, les ardeurs de la campagne, la vermine, la puanteur, le mépris, les injures, en un mot la rigueur des ennemis et la fureur des hommes, se présentent à mes yeux sous la forme du plus agréable objet du monde, Voilà ce que tu endures, me dis-je en moi-même, pour la gloire de on Sauveur. Ces chaînes représentent celles qu'il a portées pour toi. La faim, la soif, la nudité étaient les moindres de ses maux. Tes sueurs, tes travaux, tes coups, tes souffrances ne sont qu'un tableau imparfait de ce que ce divin Maître jésus a souffert pour ton salut. Les crachats, les épines, les croix, les clous, le fiel, la lance et tout le triste apprêt de sa mort sanglante, sont bien différents de ce que tu endures, soit dans le nombre, soit dans la grandeur. Mais quand tu serais conforme à ton Sauveur dans tout ce qu'il a souffert en son corps, tu n'en serais que plus glorieux. »




Les frères cadets de Pierre Serres furent dignes de leur aîné. David Serres en particulier, se fit, par sa piété et son, zèle, une place éminente au milieu de ses compagnons d'infortune. Après avoir essayé de l'inculper d'intelligence avec les ennemis de l'État, le gouverneur M. de Montmort se plaignit, dans une dépêche à Louis XIV, qu'il ne savait comment s'y prendre avec un homme « qui passait pour être l'un des plus zélés huguenots qui fussent aux galères ». Le roi, qui ne trouvait pas indigne de lui de s'occuper de châtier le zèle d'un misérable galérien, faisait écrire à son sujet la dépêche suivante, qui, à son insu, est devenue un titre d'honneur pour David Serres. « L'intention du Roi est que le nommé Serres, qui est dans les prisons de l'hôpital des chiourmes et qui s'était érigé en prédicant, soit enfermé dans la citadelle de Marseille, et vous en trouverez ci-joint l'ordre » (4)

Cet ordre fut exécuté avec la plus grande rigueur. À défaut de crime d'État, dont on n'avait, pas trouvé de trace, on accusait David Serres de s'être efforcé de maintenir fermes dans la foi ses compagnons de martyre, et c'était là, aux yeux du Roi, un crime impardonnable. Jean, Serres, qui parvint à pénétrer jusqu'à son frère, décrivait ainsi le cachot où il fut enseveli : « Mon cher frère est dans un très mauvais cachot, privé entièrement du jour, et si humide que ses habits pourrissent sur lui. C'est une grande merveille que Dieu lui conserve la vie dans une si affreuse caverne qui est à 17 ou 18 pieds sous terre ». Il ajoutait qu'un autre galérien, M. de Lensonnière, partageait la captivité de son frère, « qu'ils faisaient leur ordinaire ensemble, se consolaient mutuellement par de pieux entretiens... et vivaient fort contents et très soumis à la volonté de Dieu ».

Si étonnante que paraisse cette affirmation, elle est d'accord avec les lettres qui nous sont parvenues de David Serres. Il y raconte une. visite de M. de Ménonville, commandant du fort, qui lui demanda s'il ne voulait pas prendre enfin quelque résolution pour en sortir.
- Il y a dix-sept ans, répondit le prisonnier, que ma résolution est prise.
- Et quelle est cette résolution ?
- C'est, répliqua Serres, d'attendre patiemment la volonté du Seigneur et de souffrir toutes choses plutôt que d'abandonner ma religion.

Sur quoi, le commandant ne manqua pas de le traiter d'opiniâtre et d'entêté. « je lui répondis en deux mots, ajoute Serres, que je préférerais ma religion et Con salut à ma liberté et à ma vie même; qu'ainsi ce serait inutilement qu'on me presserait là-dessus. » Un ami du commandant qui l'accompagnait, ayant dit à Serres qu'il pourrait faire son salut dans la religion romaine aussi bien que dans le protestantisme, le prisonnier lui répondit : « je suis fort éloigné de le croire. Si je l'avais cru, je n'aurais pas souffert ce que je souffre depuis dix-sept ans. Il a dépendu de moi de ne pas venir en galère, et d'en sortir par le changement de religion, après y être venu; car croyez-vous que je voulusse souffrir par plaisir ? ».




Jean, le plus jeune des trois frères Serres, entré à l'âge de dix-sept ans aux galères, ne faiblit pas plus que ses aînés devant les rigueurs de la persécution. L'activité intelligente qu'il déploya, lui aussi, au service de ses compagnons d'infortune, lui attira, comme à eux, l'emprisonnement. Leurs amis du Refuge pouvaient bien les comparer aux trois jeunes Hébreux dans la fournaise.

Les trois Serres furent libérés en 1713 et 1714, lors de la double amnistie obtenue de Louis XIV par l'intervention de la reine Anne, d'Angleterre. On ignore dans quel pays (Hollande ou Angleterre) ils trouvèrent un asile. L'aîné, Pierre Serres, avait été 28 ans au bagne, bien qu'il n'eût été condamné qu'à dix ans.

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Les trois gentilshommes poitevins 


Les Églises du Poitou furent représentées en particulier sur les galères par trois gentilshommes, arrêtés au moment où ils essayaient de sortir du royaume. Entre eux existaient des liens d'amitié dont nous avons le témoignage dans les lettres qu'on nous a conservées. Ils s'y exhortent à la constance et à la fidélité et furent fidèles jusqu'à la mort.

Sur Barraud de la Cantinière, voici ce que nous apprend une relation contemporaine : Arrêté dans l'île de Rhé, alors qu'il essayait de sortir du royaume « pour sa conscience », il fut condamné aux galères perpétuelles. Après huit mois d'emprisonnement à Tours, il fut attaché à la chaîne et arriva au bagne de Marseille, où il souffrit « tout ce qu'il y a de plus cuisant et de plus 1 accablant : le bâton, les doubles chaînes et la vogue. Il supporta ses maux avec une patience et une douceur qui frappèrent d'étonnement ses ennemis. Pendant que la maladie accablait son corps, son âme s'élevait à Dieu, son protecteur et son sauveur. Le 13 juin 1693, après sept années de galères, il fut rappelé auprès de Dieu. Son ami Lensonnière annonçait sa mort en ces termes dans une lettre au ministre La Place : « Aujourd'hui Dieu a enlevé dans sa gloire celui dont les hommes n'étaient pas dignes. Il a été sa portion en la terre des vivants; il est maintenant le comble de sa félicité ».

À sa correspondance nous empruntons deux courts extraits. Il y parle d'une mission faite sur la galère où il était enchaîné :

« On nous prêchait trois fois le jour, et ces messieurs les prédicateurs ne perdirent pas un moment pour porter leurs auditeurs à faire grande confession et pénitence. Nous n'avons pas manqué d'y être attaqués, et moi en particulier, par un des plus illustres ; mais Dieu m'a fait la grâce de résister à cette tentation comme à beaucoup d'autres depuis que je suis dans cette cruelle servitude. Ces prédicateurs du siècle, avec leurs discours fleuris et leur morale fardée, sont bien plus capables de confirmer un fidèle dans les vérités qu'il a apprises que de l'en détourner. »

Il ajoutait au sujet de ses amis

« Le cher M. de Laubonnière est toujours dans son sépulcre des vivants, et même très incommodé depuis longtemps. Il se recommande à, vos saintes prières. M. de Lensonnière m'a aussi prié de vous assurer de son obéissance. Ce sont là mes deux, chers camarades et de véritables héros de la petite république chrétienne des forçats, aussi bien que nos trois illustres frères, MM. de Serres, qui sont de Montauban. Nous avons aussi un appelé M. Lefèvre, un très habile homme et d'un 'grand zèle, qui est dans le fort Saint-Jean. »

Pierre Butaud, sieur de Lensonnière, était un gentilhomme de la paroisse de Givré. Mis à la chaîne à Marseille, il devint bientôt l'un des chefs reconnus de l'association d'aide mutuelle que formaient les confesseurs des galères. Il correspondit avec les Églises étrangères pour en obtenir des secours. Son influence sur ses compagnons de captivité lui valut une place spéciale dans la haine de l'intendant des galères, M. de Montmort. L'historien Larrey raconte qu'il le fit comparaître pour l'obliger à dénoncer les bienfaiteurs des galériens protestants. Comme celui-ci, en, homme d'honneur et en chrétien, se refusait à ce métier de délateur, Montmort commanda à un de ses hoquetons de le flageller. Celui-ci, ayant refusé de faire cet office qui était celui du bourreau, il prit lui-même une canne, dont il donna plusieurs coups à ce pauvre gentilhomme, puis il le fit mettre dans un cachot du fort Saint-Nicolas, où il fut le compagnon de captivité de David Serres, dont il disait, dans une lettre à l'un de ses amis : « Il nous ravit par son érudition et par sa piété ». Il succomba en 1707, aux souffrances et aux privations de cette longue captivité.




François-Louis Kerven, seigneur de Laubonnière, montra une fermeté et une patience égales à celles de ses amis, qu'il rejoignit au fort Saint-Nicolas. On essaya de vaincre sa constance en faisant intervenir auprès de lui sa soeur et l'abbé des Mahis, ministre apostat. Mais il n'était pas de ceux qui retournent en, arrière.

« Béni soit Dieu, notre bon Père, - écrivait-il à sa femme, - bien-aimés et chéris de mon âme, qui me donne encore l'occasion de vous assurer de l'amour que j'ai pour lui, et de la fidélité inviolable que je lui veux garder jusqu'au dernier soupir de ma vie, comme j'en ai assuré M. le Supérieur de l'Oratoire qui m'est venu voir, et ce soir M. l'Aumônier. Oh ! que j'aime mon Dieu et sa vérité! je les confesserai tant que je pourrai parler. Priez pour moi, je vous en conjure, fidèle femme, fidèle amie, qui m'avez aimé et qui m 'aimez tant.

« J'ai toujours la fièvre... Je suis prêt à déloger quand il plaira à mon Sauveur, en la miséricorde duquel je m'assure. Je vous embrasse d'une sincère amitié et prie Dieu qu'il vous comble de sa grâce.

« Console-toi, ma fidèle et bien-aimée femme, tu as fait pour ton cher mari peut-être plus que jamais femme n'a fait, et jamais aussi femme n'a été plus aimée. N'offensons point notre bon Père. Soyons toujours soumis à sa sainte, volonté. Le Seigneur vous bénisse 'et vous conserve 1 je ne puis vous écrire davantage, les intimes de mon âme. Mille amitiés à tous mes bons parents et amis. »

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1. Nous n'avons pas, pour les frères Serres, une biographie contemporaine. Mais nous possédons de nombreuses lettres des trois frères, conservées dans les Papiers d'Antoine Court, et qui ont été publiées en partie dans le Bulletin de l'Histoire du Protestantisme. M. Étienne Creissel a consacré, en 1900, une thèse érudite aux trois frères. 
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2. Lettre à M. de Saint-Benoît, pasteur à Lausanne, du 8 janvier 1702. Bulletin, t. XXIV, page 449, Elle y est attribuée à tort à David Serres. Voy. sur cette question: CREISSEL, page 94. 
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3. CREISSEL, ouvrage cité, Page 95.
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4. Archives de la marine. Dépêche au sieur Croiset, du 20 janvier 1700. 
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