Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VII

PETITES ET GRANDES DÉLIVRANCES

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La maîtresse de La Tourne était d'un désintéressement total. Quand de nouveaux pensionnaires s'annonçaient, elle ne demandait pas : « Peuvent-ils payer ? » Elle acceptait ce qu'on lui donnait, qu'on payât ou qu'on ne payât pas.

« Je n'étais pas chez elle depuis très longtemps, raconte M. J., quand je la vis dans une situation très serrée. Il fallait payer une échéance à la banque. Pas d'argent.

- Mme Z. vous doit de l'argent. Pourquoi ne pas réclamer ce qui vous est dû ?
- Si ces gens ne font pas leur devoir, ce n'est pas à moi, c'est à Dieu qu'ils ont affaire ; c'est à Lui qu'ils répondront.

L'après-midi de ce jour, j'entends un galop dans l'escalier ; la porte s'ouvre avec violence, notre madame paraît, brandissant un chèque et criant :

- Voyez mon banquier du ciel ! juste la somme qu'il me faut. J'ai le temps de téléphoner à la banque. »
Il y a du bruit à l'écurie
M. Santschy va voir : Le cheval, à terre, se roule de douleur. On est très inquiet, car les chevaux meurent fréquemment de coliques. Notre paysanne se sent comme poussée : elle tient le cheval devant elle avec ses deux mains en criant à Dieu pour cette bête. Elle sent comme une force qui entre en elle, qui passe par ses bras et qui se communique à l'animal. Ses bras à elle sont comme paralysés. Instantanément, le cheval se tient tranquille ; il se redresse, il est guéri.

Un samedi, elle dit à Dieu : « J'ai toujours tant de difficultés pour les lacets de souliers. A chaque instant on vient m'en demander et il m'en manque. » Le lundi elle reçoit, dans un paquet, un sac rempli de lacets. Il y en avait pour un an ! Ces lacets avaient été expédiés avant sa demande.

Pendant dix jours, elle n'avait pas eu de viande à donner à son monde. Elle dit à Dieu: « Tu pourrais bien me donner de la viande. » Le lendemain, un de ses enfants revient des Ponts, avec le petit char de la ferme ; un homme jette un gros lièvre dans le char. Des chasseurs, dans le voisinage, venaient de le tuer à moitié; l'homme avait pris la bête blessée et lui avait coupé la gorge. Quel repas inusité pour toute la colonie !

Un jour, elle devait aller à une réunion et n'avait pas de costume convenable. Elle dit à Dieu: « Tu sais, Seigneur, la dignité de la maison est en jeu. » Elle devait partir à deux heures. À midi, elle reçoit d'un grand magasin des robes un peu défraîchies dont l'une lui allait parfaitement.

Extraits de ses lettres à une amie

Dieu est toujours si fidèle ! Il y a huit jours, je n'avais point de riz pour mon rizotto habituel avec le bouilli, et point d'argent pour en acheter. À l'autobus de neuf heures m'arrive un paquet avec deux kilos de riz et cinq francs pour acheter le fromage. Pensez à ma joie et à ma reconnaissance.

Mon mari a vendu un boeuf au boucher. L'appareil frigorifique de ce dernier a mal fonctionné et toute la viande qui y était s'est gâtée sauf le boeuf de La Tourne. Le boucher a dit à mon mari : « Qu'est-ce que vous faites avec vos bêtes pour qu'elles soient si fortes ? » J'ai dit
« C'est une bénédiction. »

À Noël, j'aurais aimé mettre une belle pomme dans les cornets; alors j'ai dit à Dieu que je serais très reconnaissante s'Il voulait bien m'en donner. Un carton de toutes belles pommes est arrivé, juste ce qu'il fallait ; je crois qu'il y en avait cinq de trop.

Un jour, quelqu'un téléphone pour savoir si l'on pouvait me donner un piano ou un harmonium; je répondis que j'avais tous les deux. Mais je me dis: « Si seulement ce généreux ami me donnait plutôt deux cents francs pour mon bétonnage. » Le soir, je demandai pardon à Dieu d'avoir fixé une somme et me promis de ne plus y penser. Un certain temps plus tard, cette même personne monte à La Tourne et me laisse un livre en me disant qu'elle y avait déposé une petite enveloppe. C'étaient exactement deux cents francs.

Et les récits pourraient continuer. Il nous sera permis de citer encore quelques exaucements que raconte M. J. :

« Un matin, vers onze heures, j'étais dans ma chambre. Mme Santschy entre et me dit : « Voulez-vous prier avec moi ? Il y a à la porcherie une truie en train de crever parce qu'elle ne peut mettre bas. Bubeli a passé toute la nuit avec elle dans le boiton. La pauvre bête est à bout de forces. On pourrait essayer d'appeler le vétérinaire de Colombier, mais je crains qu'il n'arrive trop tard. »

Nous nous mîmes à genoux; nous exposâmes très simplement à Dieu le cas de cette bête, disant la perte considérable que sa mort représenterait pour nous. Nous étions encore à prier quand deux ou trois de nos gamins arrivent en criant joyeusement: « Mamy, mamy, la truie fait ses petits. » Quand je descendis à la porcherie deux heures plus tard, je vis une douzaine de porcelets roses donnant tous les signes d'une vitalité vigoureuse. On aurait pu annoncer cette naissance mouvementée selon la formule consacrée : « La mère et les enfants se portent bien. »

D'autre part, M. Santschy m'a raconté qu'en revenant un jour de La Chaux-de-Fonds en voiture, son cheval fut pris tout à coup de coliques très dangereuses. L'homme s'arrêta devant le Café du Reymond - hameau des environs de la ville - et demanda à pouvoir téléphoner. Au milieu des rires moqueurs des consommateurs attablés, il déclara qu'il téléphonerait à sa femme, que celle-ci prierait et que le cheval guérirait. Cela arriva comme il avait dit. Un quart d'heure plus tard, il pouvait reprendre sa route et arriva sans encombre à La Tourne.

Qui a lu, dit encore M. J., la vie d'un George Muller ou d'un Auguste Hermann Francke, ne s'étonnera point des interventions de Dieu dans la vie de cette paysanne neuchâteloise. Mme Santschy connaissait et pratiquait quotidiennement cette foi dont parle Adolphe Monod « qui se lance au sein du vide sans autre appui qu'une parole sortie de la bouche de Dieu ».

Il semble que Dieu ait eu pour elle, en réponse à sa foi, des tendresses particulières.

Un certain jour, avant Noël, elle avait envie d'aller à Neuchâtel où se célébrait une fête qu'elle aimait; mais elle avait eu des visites jusqu'à cinq heures et elle ne savait pas si elle osait quitter la maison, si rien n'arriverait en son absence. C'était trop tard pour le train. Elle alla dans sa chambre et dit au Seigneur: «J'aimerais tant y aller, mais seulement si tu le permets. je le saurai si tu m'envoies une auto, sinon je n'arrive plus. Mais il faut que tu y consentes et qu'alors tu veuilles bien faire l'infirmier ici pendant mon absence, pour que je ne manque à personne. » Elle n'avait pas fini sa prière qu'elle entend une auto ronfler à la porte. Cette auto allait à Neuchâtel. Cependant il fallait encore que quelqu'un voulût bien aller la chercher à Chambrelien à dix heures du soir pour la ramener à La Tourne. On téléphone et un monsieur qui devait venir chez elle s'annonce pour le soir même. C'est lui qui pourra la ramener. Elle est allée à sa fête, et lorsqu'elle est rentrée, elle a trouvé tout en ordre à la maison. La vieille grand-mère avait dormi sans se réveiller et le petit garçon malade aussi.

On lui disait un jour que la manière dont elle abusait de sa santé était une folie ; elle répondit : « Oui, mais Dieu nous a donné Sa vie. Nous osons aussi Lui donner la nôtre. »

Elle devait aller à l'enterrement d'une belle-soeur. La nuit précédente, sa jambe lui cause des douleurs : une varice a sauté. Elle perdit beaucoup de sang, puis elle mit de l'huile et de l'ouate en disant : « Père, au nom de Jésus, fais cesser le sang. » Le sang cessa de couler. Le lendemain, elle demanda à Dieu si elle pouvait partir. Elle trouva cette parole : « Prends courage, enfant bien-aimée, prends courage. » - « Tioup, j'ai sauté en bas mon fit, raconte-t-elle, et je suis partie. » Chez son frère, elle fit le ménage, elle reçut la parenté toute la journée. L'après-midi seulement, elle eut quelques sueurs de faiblesse.

Le jour de ses vingt-cinq ans de mariage, elle avait envie d'un peu de vin. Elle se disait: « À cause d'un de mes buveurs, je n'ose pas ; n'y pensons plus. » Mais voilà que le lendemain lui arrivent deux bouteilles de vin. Quelqu'un avait quasi obligé M. J., abstinent, à les apporter à La Tourne.

On lui dit un jour: « Vous n'avez pas pu faire de coupe de bois l'année dernière. Ce revenu ne vous manquera-t-il pas en ce temps de vie chère ? Cela ne vous tourmente-t-il pas ? » - « Oh, pas du tout ! répondit-elle, mon Père n'est ni plus riche, ni moins riche maintenant que tout renchérit. Il s'est toujours occupé de nous. Il continuera à le faire. Sa fortune est toujours la même. »

Un jour d'été, Mme Santschy doit se rendre à La Chaux-de-Fonds, appelée auprès d'un malade. Un terrible orage éclate au moment où il faut se mettre en route pour ne pas manquer le train à Montmollin à une heure et demie de marche de La Tourne. Que faire ? Notre femme a fait sienne la devise de Jeanne d'Arc: « Messire Dieu premier servi ». Quand Dieu commande, rien ne l'arrête. Elle part sous la grêle, les éclairs et le tonnerre. À peine engagée dans la descente de la montagne, elle entend un camion qui s'arrête derrière elle.

- Eh madame ! crie le chauffeur, où allez-vous par ce temps de chien ?
- À Montmollin.
- Dépêchez-vous de monter, je passe par là.

Pour apprendre à marcher, écrivait-elle, il nous faut des appuis, des frères, des soeurs qui prient, qui nous encouragent par leurs expériences; puis il arrive qu'à un moment donné Dieu nous dit: « Maintenant, marche en t'appuyant sur moi », et c'est Lui le sûr appui. Ce Dieu d'amour qui voit notre désir de Lui faire plaisir et notre grande faiblesse pour y arriver, ne nous abandonne pas en chemin.

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