Il est intéressant de noter que M.
J., qui possédait parfaitement plusieurs
langues, avait été, deux ans
après son arrivée à La Tourne,
sérieusement sollicité par le
directeur d'une école de langues de Zurich
de venir enseigner chez lui. Ce directeur, qui
connaissait les Santschy, les avait visités,
et ses entretiens avec M. J. l'avaient convaincu
qu'il aurait en ce dernier un précieux
collaborateur.
- Votre place est chez nous, lui
disait-il. Vous aurez une belle situation, nous
pouvons vous loger, vous gagnerez largement votre
vie.
- Il faut que je
téléphone là-haut, dit M. J.
en montrant le ciel.
Je pesai,
écrit-il, tous les avantages qui m'étaient
proposés, je mis aussi sur le plateau de la
balance les ressources intellectuelles et
artistiques de la grande ville... Puis je vis Mme
Santschy au milieu de son petit peuple
misérable : vieillards en enfance, infirmes,
idiots, hommes, femmes à relever, et puis
les enfants dont plusieurs étaient
chargés de lourdes
hérédités. Je me sentis
ému de compassion et décidai de
rester. Dieu le voulait ainsi. Je ne regrettai
jamais.
« Dès sa première
jeunesse, la maîtresse de La Tourne avait
dû travailler dur. Elle n'avait guère
lu que la Bible. Où aurait-elle pris le
temps de lire, occupée comme elle
l'était ? je pris donc à coeur de lui
faire connaître quelque peu les femmes qui
ont tracé dans l'histoire un sillon
lumineux. Durant les soirées d'hiver, alors
que souvent la tempête faisait rage au
dehors, je lui parlai longuement de Monique, la
mère de saint Augustin, de sainte Catherine
de Sienne, de Jeanne d'Arc, de sainte
Thérèse d'Avila, des martyrs
huguenots de la Tour de Constance ; puis plus
près de nous, d'Elisabeth Fry, de
Joséphine Butler, de Dorothée Trudel,
de la Maréchale, d'Adèle
Pélaz...
Assise sur le banc du poêle,
elle écoutait avec une attention
extrême. C'est qu'elle était de la
race de ces femmes illustres. Dans les
dernières années de sa vie, je lui
parlai même de Pascal, de Vinet et des
théologiens actuels. À défaut
de la culture de l'intelligence - cette femme
n'avait fréquenté que l'école
primaire de La Sagne -, elle possédait
à un si haut degré la culture de
l'âme qu'elle pouvait sans effort
s'élever au niveau des plus grands
esprits.
Elle avait une conscience
profonde
et tragique du péché, non seulement
de celui des autres, de ceux qu'elle côtoyait
journellement, mais d'abord de son
péché à elle. Aussi le
mystère de la rédemption
était-il pour elle l'élément
central et essentiel de la foi chrétienne.
« Parler de la grâce de Dieu, en
escamotant la nécessité absolue de
l'expiation sanglante du calvaire, disait-elle,
c'est tourner cette grâce en dissolution.
»
« Quelques jours avant
Noël 1947, je descendis à
Neuchâtel, pensant me procurer à la
librairie Delachaux « Die kirchliche Dogmatik
», de Karl Barth. Hélas, c'était
trop coûteux. je me contentai de faire
l'achat d'un autre volume que je posai sur la table
devant mon interlocutrice. Ce livre broché
portait sur la couverture une superbe tête de
tigre et avait pour titre : « Mes fauves
», par le dompteur Trubka.
Elle me regarda avec effarement
comme si elle doutait de mon
intégrité intellectuelle.
- Mais, mais... je ne vois pas
le
rapport qu'il y a entre la dogmatique de Barth et
les mémoires d'un dompteur.
- Moi non plus. J'y vois un
rapport
avec vous, madame. J'aimerais que vous lisiez ce
livre. Voilà un homme à votre
taille.
- Avez-vous envie de vous moquer
de
moi ?
- Mais je ne me moque pas. je
parle
sérieusement. Voyons, je vous ai vue si
souvent affronter des hommes, parfois des femmes,
devant qui tous s'enfuyaient de terreur. Et vous,
sans un geste, sans une parole, par la seule
puissance de votre regard, vous les domptiez.
Pensez-vous qu'il soit beaucoup plus difficile de
dompter des tigres ?
Elle resta songeuse quelques
instants, puis, avec un sourire :
- Vous avez peut-être raison.
Au fond, tout bien considéré, je
pense comme vous que les tigres à quatre
pattes sont moins redoutables et moins
méchants que les tigres à deux
pattes.
De temps à autre,
j'étais placé dans une situation qui
me faisait toucher du doigt la distance qui
séparait ma vie de la sienne. Un triste sire
qui, à tous les vices, ajoutait le venin
d'une langue de serpent, l'avait odieusement
calomniée dans des lieux publics. La «
mère des pauvres » le savait. Elle
avait eu cet homme déjà plusieurs
fois chez elle. Il s'en allait toujours en faisant
du scandale, pour revenir quand il ne savait plus
où aller.
Un matin, je le trouvai tout
penaud
en conversation avec Mme Santschy dans la salle du
premier étage. Il demandait à pouvoir
rentrer à La Tourne.
- Madame, dis-je, vous n'allez
pourtant pas reprendre cet individu ?
Elle me regarda d'un air
sérieux.
- Où irait-il ? Vous savez
bien que personne ne voudrait de
lui. Dieu m'a placée ici pour accueillir
ceux que tout le monde repousse.
Je n'avais qu'à
m'incliner.
Onze mois avant sa mort, je
remarquai que la maîtresse de maison faisait
préparer une petite chambre à
côté de celle où je donnais mes
leçons au dernier de mes garçons.
Qui donc va venir occuper cette
chambre ?
- C'est un vieillard de La
Chaux-de-Fonds qui nous connaît depuis de
longues années. Le malheureux a eu une
attaque au cours de l'été dernier. Il
doit être transféré à
Perreux et a exprimé le désir de
venir respirer pendant quelques jours l'air de La
Tourne.
Le lendemain après-midi, une
auto s'arrêta devant la maison. On en fit
descendre un homme paralysé qu'il fallait
porter.
Me voici dans de beaux draps »,
pensai-je, car d'emblée je me rendis compte
que c'était sur moi que retomberait la
responsabilité de ce malade. Mme Santschy
étant déjà très
atteinte dans sa santé, je n'aurais pas
supporté qu'elle eût encore cette
charge. Humainement c'était trop lourd pour
moi, car je n'avais aucune notion des soins qu'il
faut donner à un malade, j'éprouvais
même de la répugnance pour ce
travail.
Après m'être
retiré dans ma chambre quelques instants, je
sentis que Dieu me viendrait en aide. « Toutes
les fois que vous avez fait ces choses à
l'un de ces plus petits de mes frères, c'est
à moi que vous les avez faites. » Cette
parole qui me vint à l'esprit me remplit le
coeur de joie et chassa toutes mes craintes.
Dès lors je pus me mettre au travail.
J'appris l'art de vêtir et de
dévêtir un malade qui n'a plus l'usage
de ses membres. je l'installais pour la
journée dans la chambre où je faisais
l'école. Il semblait prendre
intérêt à l'explication des
règles d'accord du participe passé ou
de la formule des intérêts
composés. Pour la nuit, je m'installais dans
la pièce contiguë à sa chambre,
attentif aux soins qu'il pouvait réclamer.
Tout cela ne me coûtait pas ; je faisais l'expérience
bénie
que le joug du Seigneur est doux et son fardeau
léger. Le soir, nous faisions le culte, nous
lui parlions du Sauveur, puis l'« amie des
pauvres » savait par sa prière l'amener
au Dieu de toute miséricorde.
Le cinquième ou
sixième jour, une auto vint chercher notre
malade pour le conduire à Perreux.
Après qu'il fut parti, Mme Santschy me dit
avec simplicité : « Quand nous sommes
venus de Combe-Villier à La Tourne, il y a
dix-huit ans, j'en avais deux comme ça.
»
Quelques jours plus tard, notre
malade nous envoya un message par sa fille : «
je suis bien ici ; j'ai un gentil infirmier, mais
ça ne vaut pas La Tourne. »
Les dernières années de la vie de
Mme Santschy furent marquées par
l'affaiblissement graduel, non pas de ses forces
intellectuelles et morales, qui restèrent
intactes jusqu'à la fin, mais par le
déclin toujours plus rapide de ses forces
physiques. Ce dut être très dur, pour
une nature si forte et si énergique, d'en
arriver graduellement à un degré de
faiblesse tel qu'elle ne pouvait plus même
coudre un bouton. Témoin constant de la
lente ascension de cette âme vers la
lumière, je l'ai suivie pas à pas sur
la voie douloureuse. jamais, ne fût-ce qu'un
instant, je n'ai vu fléchir son moral.
jamais je n'ai entendu l'ombre d'une plainte ou
d'un murmure sortir de ses lèvres. Elle
était toujours dans la louange. Et avec
cela, un sentiment poignant de sa misère et
de son indignité personnelle. Que de fois
m'a-t-elle dit : « Où irais-je, que
deviendrais-je, si je ne pouvais me réfugier
au pied de la croix. D'aucuns pensent pouvoir s'en
passer, il me faut à moi le sang
rédempteur de Jésus-Christ pour
apaiser ma conscience et couvrir ma misère.
»
Il était bien loin le temps
où, durant toute une nuit, Mme Santschy
s'épuisait dans une lutte farouche pour imposer à
Dieu sa
volonté. Elle était
entièrement livrée à Dieu,
pour la vie ou pour la mort. Ma dernière
entrevue avec elle restera dans mon souvenir comme
un des moments lumineux de ma vie. Désirant
passer le Nouvel-An dans ma famille, j'entrai dans
sa chambre au soir du jeudi 30 décembre 1948
pour prendre congé d'elle. je la trouvai
assise sur son lit, respirant avec la plus grande
difficulté.
- J'ai tant de peine à vous
voir souffrir ainsi, lui dis-je.
Son visage douloureux
illuminé d'un divin sourire, elle dit
:
- Tout est bien. Gloire à
notre bien-aimé Sauveur.
Puis, me montrant du doigt, sur
sa
table de chevet, la biographie de Joséphine
Butler, qu'une amie lui avait envoyée pour
Noël, elle murmura à plusieurs
reprises, avec, dans le regard, quelque chose de
solennel qui me frappa :
- C'est beau, c'est beau.
Communier avec Joséphine
Butler fut sa dernière joie sur la terre.
Pensant l'encourager, je lui parlai de ma
mère, qui, jusque dans la mort, ne
lâcha pas son drapeau. Puis je priai. Elle
pria aussi. Sa prière n'était qu'un
cri d'adoration et de louange pour
célébrer la bonté de
Dieu.
C'est sur cette note de triomphe
que
je lui serrai la main pour la quitter, ne me
doutant pas que je ne la retrouverais plus ici-bas
qu'à l'état de cadavre.
Mon retour à La Tourne fut
quelque peu retardé par le fait que, la
première semaine de janvier étant la
semaine de prière de l'Alliance
évangélique universelle, j'avais
l'habitude chaque année d'offrir mes
services au pasteur de Rochefort. Ce qui explique
qu'au heu de rentrer le lundi soir, comme j'aurais
pu le faire, je ne le fis que le mercredi. Ce
matin-là, avant de prendre l'autobus, le
pasteur me dit: « On vient de me
téléphoner de La Tourne ; Mme
Santschy est morte hier soir. On vous demande de
remonter immédiatement. » Quand j'arrivai à « La
Confiance », j'y trouvai Mme T., l'amie des
bons et des mauvais jours, et Mlle S., institutrice
aux Ponts-de-Martel ; cette dernière,
pendant des années, sans y manquer une seule
fois et par tous les temps, était
montée le dimanche après-midi faire
l'école du dimanche à nos enfants.
Appelée la veille par
téléphone, elle était
accourue, après sa classe, au chevet de Mme
Santschy. C'est avec soulagement que j'appris que
Dieu avait envoyé cette amie
chrétienne auprès de la malade pour
l'assister dans le dernier combat. Mlle S. me
raconta que les derniers moments furent
extrêmement pénibles. Ses souffrances
étaient intolérables. Elle qui ne
s'était jamais plainte, disait : « je
ne pense pas qu'il soit possible de souffrir
davantage. » Pour comble d'infortune, son ciel
se couvrait d'épais nuages, la
présence de Dieu lui échappait, elle
se sentait comme abandonnée. Puis, se
ressaisissant, elle pensait à tout ce
qu'elle devait quitter.
- Mes pauvres hommes ! Personne
ne
saura les aimer comme je les aimais.
Ici Mlle S. intervint :
- Il faut les abandonner à
Dieu. Dieu les aimera pour vous. Il faut tout lui
remettre, sans réserve : votre maison, votre
mari, votre oeuvre ; tout, absolument
tout.
D'une voix qui sortait du plus
profond d'elle-même, elle dit :
- De tout mon coeur !
Ayant triomphé de l'angoisse,
elle parut s'intéresser de nouveau aux
choses qui l'entouraient. Avec une parfaite
lucidité, elle donna ses instructions
à l'homme venu les chercher pour aller au
courrier. Elle dit même d'un ton
enjoué: « Nous avons eu une bien belle
fête de » Noël, n'est-ce pas, oncle
Paul ? »
Un petit sourd-muet, qui
était comme son valet de chambre dans sa
longue maladie, rentra tout transi de la
forêt où il avait aidé à
l'abattage des arbres. Ne pouvant parler que par
monosyllabes, il disait : « Froid, neige !
» C'est en répétant plusieurs
fois ces deux mots: « Froid,
neige ! » que Mme Santschy entra dans le coma.
Une heure après, elle avait rendu son
âme à Dieu.
Après avoir exprimé
à Dieu dans une fervente prière notre
reconnaissance de savoir Son enfant pour toujours
à l'abri, je restai seul dans la chambre
où reposait sa dépouille.
Cette femme, avec qui j'avais
tant
bataillé, était étendue sur
une planche. Longuement je contemplai ce visage
ravagé par la souffrance et ces mains
jointes pour le suprême repos. je compris
à ce moment-là, mieux que jamais, la
vérité profonde d'une pensée
de sainte Catherine de Sienne - « Quand on a
vu la beauté d'une âme, on ne peut
plus rien regarder. »
Une chère amie du Locle,
quand elle la vit couchée sur son
étroite civière, s'écria :
« C'était une pauvre »
Oh, oui! une pauvre qui en a
enrichi
beaucoup!
Cette pauvre eut les
funérailles d'une reine. On avait
arrangé avec des branches de sapin le
traîneau qui devait conduire sa
dépouille à Rochefort. Les nombreuses
et superbes couronnes envoyées par ses amis
lui faisaient comme un diadème. Mais le plus
beau, c'est Dieu qui le donna. Alors que ce
vendredi 7 janvier 1949, durant toute la
journée, le plateau suisse demeura enseveli
sous un épais brouillard, à la
montagne un soleil éclatant inondait le ciel
sans nuages. La neige fraîchement
tombée couvrait le sol. Les sapins blancs de
frimas dressaient leurs fûts vers l'azur
comme autant de colonnes d'une somptueuse
cathédrale. jamais la montagne ne m'avait
paru si belle. Il semblait qu'elle voulût
tout entière clamer son allégresse en
l'honneur de celle qui l'avait sanctifiée
par le miracle quotidien de son amour. Et
là-bas, fermant l'horizon, les cimes
géantes des Alpes bernoises profilaient avec
une netteté aiguë sur le ciel les,
contours grandioses de leurs silhouettes. Au-devant
de cette beauté, Mme Santschy descendait
lentement sous le soleil. Au-dessous du hameau des
Grattes, nous entrâmes tout à coup
dans le brouillard. Mais la splendeur d'où
nous sortions était comme le gage certain de la
victoire
finale. Au village, sur la foule accourue de toutes
parts, les cloches égrenaient leurs notes
joyeuses. Car elles n'étaient point tristes,
ces cloches. Ce n'étaient pas les cloches de
la mort, c'étaient celles de la
résurrection. Quatre des garçons
qu'elle avait élevés portèrent
son cercueil dans le temple. Un quatuor de voix
exercées chanta deux hymnes magnifiques. Le
pasteur de la paroisse, un ami de Bienne et
moi-même parlâmes du témoignage
de Mme Santschy à la gloire de Dieu «
qui a choisi les choses folles du monde pour
confondre les fortes ; et Dieu a choisi les choses
viles du monde et celles qu'on méprise,
celles qui ne sont point, pour réduire au
néant celles qui sont, afin que nulle chair
ne se glorifie devant Dieu » (l Cor. 1,
27-29). Et sur la foule recueillie passait une
profonde émotion : une chrétienne
avait quitté la terre.
Le faire-part de Mme Santschy
portait ce verset de Daniel 12, 3 : « Ceux qui
ont enseigné la justice à la
multitude brilleront, comme les étoiles,
à toujours et à
perpétuité. »
Ce texte, choisi par une amie de
Mme
Santschy, s'appliquait admirablement à la
vie et au témoignage de cette vivante
chrétienne. Mais quelle ne fut pas: ma
surprise, après l'enterrement, en ouvrant sa
Bible, de lire ceci :
Verset pour ma carte
mortuaire:
« Si quelqu'un veut venir après moi,
qu'il renonce à lui-même, qu'il se
charge chaque jour de sa croix, et qu'il me suive.
» (Luc 9, 23.)
Cela c'était pour elle. Si
jamais quelqu'un a pris au sérieux cette
injonction du Seigneur, c'est bien cette
femme.
Suivaient diverses indications
avec
des dates, relatant des exaucements
particuliers.
Et enfin, tout au bas de la
page:
Un seul acte de foi en
Dieu a
plus de valeur aux yeux de Dieu
que tous les sermons du monde. Je le crois. Rester
à mon poste.
Nous pouvons nous demander quel
fut
le secret de cette vie d'abnégation et de
dévouement. Très peu de jours avant
sa mort, elle déclara à une de ses
amies : « Si je ne pouvais prier à tout
instant, je ne tiendrais pas un jour dans cette
maison. »
Sa sollicitude ne s'étendait
pas seulement à son entourage
immédiat, mais encore à beaucoup
d'âmes en peine qui réclamaient le
secours de ses prières. Aussi les premiers
temps après sa mort, mon coeur
était-il étrangement ému quand
des personnes totalement inconnues m'appelaient au
téléphone pour me dire de quel
inappréciable secours Mme Santschy avait
été pour elles dans leurs
détresses morales ou
spirituelles.
Au début de janvier, je
visitai une de ses amies du Locle. je trouvai
là un pensionnaire de l'asile des vieillards
de cette ville, qui avait été
plusieurs années à La Tourne; cet
homme terrible, un jour, avait brandi sur elle une
hache « pour la tuer avec son Jésus
» comme il disait. En me voyant, il vint
à moi, pleurant comme un enfant: « Elle
ne m'a pas oublié, elle m'a envoyé un
paquet à Noël. » - «
Grand-père, lui dis-je en lui montrant le
ciel, elle vous attend là-haut. Elle a
beaucoup prié pour vous, vous le savez.
»
Dans l'autobus qui amenait à
La Tourne des amis de La Chaux-de-Fonds, le matin
des funérailles, se trouvait un des
garçons qu'elle avait élevés ;
il était alors en apprentissage dans cette
ville. En pleurant, il disait : «
C'était ma maman. » J'ai parlé
du sourd-muet qui lui tenait lieu de valet de
chambre. Le pauvre homme était si
désolé qu'il s'échappait
parfois de La Tourne pour aller à Rochefort
pleurer sur la tombe de sa bienfaitrice.
Hospitalisé maintenant à l'asile des
vieillards de Neuchâtel, il m'envoie toujours
à Noël un petit message tout rempli du
souvenir de sa chère « mamy ».
J'étais encore à La
Tourne au mois de mars quand, un soir, un jeune
homme se présente à « La
Confiance ». À ses explications
confuses, je devine que j'ai affaire à un
échappé de pénitencier. Ce
malheureux me fait pitié; il n'a pas l'air
d'un dévoyé; je lui offre à
souper et je l'installe près du
poêle.
Une demi-heure ne s'est pas
écoulée qu'une auto s'arrête
devant la maison : c'est la police.
À mon grand
étonnement, l'agent, en civil, loin
d'accabler le jeune homme, se met à lui
prodiguer des encouragements. je fais de même
et lui remets, avec une pièce de
vêtement dont il avait besoin, un Nouveau
Testament. « Vous rencontrerez dans ce livre
le Sauveur.
La femme qui était ici vous
aurait parlé de Lui et ne vous aurait pas
laissé partir à vide.
»
J'étais ému en prenant
congé de lui, car je sentais que ma
poignée de main à ce malheureux
était comme le point final à l'oeuvre
de Mme Santschy. »
Et maintenant, dans le petit cimetière de Rochefort que borde la route cantonale, une simple dalle de marbre rappelle le souvenir de cette femme de prière. Au-dessous de son nom, cette parole de Jésus : « Elle a beaucoup aimé. » (Luc 7, 47.)
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