Mme Santschy devait 50 francs au docteur
de R. et n'arrivait pas à les payer. Un de
ses hommes tombe malade et elle entend murmurer :
« Ils ne font pas même venir le
médecin, ils nous laissent « crever
» ! Pour finir, un de ces hommes va à
l'hôtel voisin et téléphone au
médecin. La maîtresse de maison est
indignée qu'on agisse à son insu.
Elle lui lave la tête : « C'est moi qui
paie, ce n'est pas à vous à faire
venir le médecin. » Elle était
contrariée, parce qu'elle n'avait pas pu
payer sa facture. Alors elle cria à Dieu :
« Tu ne veux pourtant pas m'humilier ainsi ;
ou bien, si tu le veux, donne-moi la force
d'accepter l'humiliation. » Ce jour-là,
un client qui lui avait commandé du bois
vint enfin en prendre livraison par 250.- francs.
Il avait fallu ce retard. À l'arrivée
du médecin, elle avait l'argent en main.
Elle le reçut, la figure radieuse. Au moment
de payer, il se trouva 5 centimes de trop. Mme
Santschy dit au médecin : « Laissez-moi
le plaisir de vous donner pour une fois un
pourboire ! »
Elle avait de
nouveau
prié
Un dimanche, on va se promener
avec
les enfants et le maître de la maison ; mais
les gosses ont envie d'en faire à leur
tête ; ils prennent un autre chemin pour
rentrer. M. Santschy est très
fâché et se promet de châtier
les polissons à leur retour. Les enfants
rentrent. Cécile Santschy entend son mari
qui monte l'escalier pour les rejoindre. Elle prie,
demandant que cet homme ne soit pas trop dur, sinon
les petits risquent de perdre la foi. Elle
écoute et n'entend rien. Peu après,
son mari revient, lui disant : « je pense que
tu as de nouveau prié, je n'ai rien pu leur
faire ! »
L'armoire aux
pantalons
Je devais faire la
revue de ce
qui restait ; la réserve diminuait ; il n'y
aurait bientôt plus rien. Je dis à
Dieu qu'il me faudrait des pantalons de coton pour
mes enfants ; je n'avais pas le temps de les
confectionner. Le même jour arrive un
voyageur qui était un chrétien. Je
priai et j'en commandai une certaine
quantité. « Bien, madame, je vous les
enverrai, mais sans facture. Permettez-moi de vous
les offrir. » Cela aurait coûté
40 francs.
Dieu avait
entendu
La personne qui s'était
portée caution pour la maison de La Tourne
venait de mourir. Mme Santschy aurait tant
aimé, par reconnaissance, envoyer une
couronne; mais elle désirait la payer de son
propre argent, non de celui qui était
destiné au ménage. Elle le dit
à Dieu.
Avant l'enterrement, elle
reçut de son frère une lettre
contenant 20 francs avec l'explication suivante :
« Lorsque tu étais jeune fille, tu as
travaillé comme couturière chez une
personne qui habite maintenant au Tessin. Cette
personne ne t'avait pas payé ton travail.
Elle veut s'acquitter maintenant de sa dette et
m'envoie l'argent à moi, ne sachant pas si
tu es mariée ni où tu habites. »
Elle put ainsi envoyer une couronne payée de
son propre argent.
« Noël était,
à La Tourne, le grand
événement de l'année,
écrit M. J. Il fallait bien que ces
Noëls eussent un pouvoir d'attraction
extraordinaire, puisque des gens du Locle et de La
Chaux-de-Fonds louaient des autocars pour y
accourir. On était obligé de vider de
tous ses meubles la grande chambre du haut pour
loger tout ce monde. On ne put une fois commencer
la fête qu'à 22 heures, les autocars
ayant été arrêtés en
route par la neige.
A « La Confiance », on
savait donner à cette fête toute sa
signification et sa beauté. C'était
d'une simplicité patriarcale. On chantait
beaucoup ; les chers vieux cantiques de Noël y
passaient tous. Chaque enfant y allait de sa
poésie ou de son monologue ; parfois une
saynète. Et il s'y trouvait toujours des
amis chrétiens pour proclamer le message de
Noël pour les adultes. La fête
était belle, parce qu'elle était
remplie de la présence invisible du Sauveur.
Mme Santschy y mettait le point final. Elle
chantait de sa voix émouvante:
Toujours ta divine présence
Jette un rayon sur mon chemin
Et le coeur joyeux je m'avance.
Je n'ai pas peur du lendemain.
Où tu voudras, je veux te suivre,
Agneau de Dieu, conduis mes pas;
Vivre sans toi ce n'est pas vivre,
Je ne puis être où tu n'es pas.
C'était toute sa vie qu'elle mettait dans
les paroles de ce chant. Puis venait la
distribution des étrennes. Aidée de
ses amis, elle préparait des cadeaux pour
tous, grands et petits, vieux et jeunes. Et la
fête se terminait par une joyeuse agape
autour d'une tasse de thé
agrémentée de larges tranches de la
fameuse taillaule neuchâteloise
confectionnée par la patronne
elle-même. Et comme il était de
tradition à « La Confiance » de ne
jamais laisser partir des visiteurs à vide,
les hôtes de Noël s'en retournaient chez
eux, chacun avec un mystérieux paquet sous
le bras : celui des dames contenait une taillaule
et celui des messieurs une saucisse ; on avait
tué un porc pour la circonstance.
Cette fête réservait
parfois des surprises. Un certain Noël, la
neige se mit à tomber avec tant d'abondance
pendant que nous étions à nous
réjouir et à chanter autour du sapin,
qu'au moment de partir, seuls les plus valides
osèrent s'aventurer dans la nuit. Les
autres, soit 18 personnes, durent coucher chez
nous. « La Confiance » était
extensible comme un accordéon. Quand il n'y
avait plus de place, on en trouvait toujours
encore. Et comme tout se faisait avec le sourire et
la bonne humeur, nos hôtes de passage
n'avaient jamais l'impression de déranger
qui que ce soit. C'est ainsi que les Santschy
entendaient l'hospitalité.
Cette femme charitable était
toujours prête à voler au secours de
son prochain. je lui avais parlé d'une
personne de très bonne famille, que j'avais
connue dans son enfance à Saint-Imier, et
qui était si affectée par la mort de
sa mère qu'elle était inconsolable.
Elle n'avait plus le courage de vivre ; elle
était guettée par la
neurasthénie.
- Il faudrait pouvoir la sortir
d'elle-même, dis-je à celle que nous
consultions en toutes circonstances, mais comment
?
- J'ai le remède pour elle.
Si Mlle M. ne se laisse pas rebuter par notre
rustique simplicité, qu'elle vienne à La Tourne.
J'ai ici un
bébé de deux ans. J'en abandonnerai
complètement la responsabilité
à cette personne et vous verrez qu'elle ne
tardera pas à reprendre goût à
la vie.
Il en fut ainsi. Mlle M. se
laissa
persuader. Elle vint à La Tourne, prit
immédiatement sa tâche à coeur
et passa plusieurs mois à « La
Confiance ». Elle s'était si bien
attachée à sa petite Monique, qu'elle
l'appelait « sa fille ». Elle avait, par
surcroît, trouvé en Mme Santschy une
seconde mère et ne tarda pas à
retrouver la joie de vivre.
Rendre le bien pour le mal,
pardonner les injures était le pain
quotidien de cette servante du Seigneur. Un certain
jour, elle cousait à la machine dans la
grande chambre du premier étage. Par la
porte entr'ouverte de la pièce
contiguë, elle entendit tout à coup que
deux de ses pensionnaires parlaient d'elle. L'une
disait : « Oui, mamy est une voleuse. je
devais recevoir de l'argent et elle l'a
gardé pour elle. »
Et l'autre de renchérir :
« Oui, mamy est une femme d'inconduite.
»
Ces propos la firent
bouillonner.
Son premier mouvement fut de faire irruption dans
la chambre pour administrer à ces deux
mégères la juste correction qu'elles
méritaient. Elle se contint et continua
paisiblement son travail.
Au milieu de la nuit suivante,
on
vint la réveiller. L'une de ces deux femmes,
celle qui l'avait accusée d'inconduite,
était malade et se trouvait dans un
état qu'on préfère ne pas
décrire. La noble femme la lava, la coiffa,
changea son lit et, quand elle l'eut
installée confortablement dans du linge
propre, déposa un baiser sur son front. Elle
a déclaré plus tard qu'elle
s'était sentie après cela envahie
d'une joie surnaturelle. »
C'était une joie de rendre
visite à Mme Santschy. Nous avions pris
l'habitude d'y aller chaque année, et lorsque je
l'avertissais par
téléphone de notre intention, elle
répondait : « Je considère les
visites comme de petites vacances que Dieu me
donne. » Elle ne paraissait jamais
surchargée, nous donnait plusieurs heures de
son temps avec une gaîté et une
bienveillance qui m'ont toujours frappée. On
s'installait autour de la table, elle offrait le
thé, du pain et du beurre et nous
l'écoutions nous raconter avec humour ce qui
se passait dans sa maison.
Il lui est arrivé plusieurs
fois de manquer de pain. Un certain jour, peu avant
de se mettre à table, elle était
à genoux, demandant à Dieu le pain
qui manquait. On sonne. C'était «
Albert », un pauvre homme qu'elle voyait
souvent revenir avec quelque angoisse, parce qu'il
avait toujours un énorme appétit.
Elle rentre dans sa chambre et dit à Dieu.
« je te demande du pain et tu m'envoies cet
homme qui en fait justement une grande
consommation. Cette fois, Seigneur, je donne ma
démission. » Quelques instants ne
s'étaient pas écoulés qu'un
nouveau coup de sonnette retentit. C'était
une paysanne qui lui apportait, je ne sais plus
pour quelle raison, les dix-sept kilos de pain
qu'il lui fallait.
Le jour de son anniversaire lui
arrive un cadeau indésirable en la personne
d'une femme grossière, qui avait fait de la
prison, qui jurait, qui était bruyante et
dont les enfants ne voulaient plus s'occuper. Mme
Santschy en avait presque peur. Peu de temps
après, la femme s'était
calmée, s'était mise au travail, et
sa protectrice disait : « C'est grâce
à elle que mes raccommodages diminuent.
»
Mais, un jour, Mme Santschy dut
aller chez le dentiste à Neuchâtel
où elle était reçue à
dîner comme une amie. Mais que faire de cette
femme ? La maison était alors pleine de
soldats et on pouvait craindre que la femme ne soit
trop familière avec eux. « Tant pis, je
dois la prendre avec moi ; j'avertirai ces bons
amis ; mais, ajouta-t-elle, je ne la regarderai pas
manger ! » Elle ne partit pas sans prier et,
le repas terminé, on lui assura que sa
protégée s'était
comportée bien correctement.
Elle avait chez elle deux
enfants
qu'elle aimait beaucoup, parce qu'ils avaient perdu
leur mère. Elle les garda trois mois, puis
le père vint les chercher. Elle le supplia
de les lui laisser, connaissant le triste
intérieur dans lequel ils rentraient. Ce fut
en vain. Le père partit mécontent.
Quelques jours plus tard, Dieu demanda à
Cécile Santschy de prendre un nouvel enfant,
très difficile. Elle s'entretint avec Dieu
pendant une semaine avant de dire oui. En finale,
elle lui déclara: « je le prendrai,
mais alors tu me donneras une récompense, tu
me rendras mes deux petits qui n'ont plus de maman.
» Humainement parlant, il n'y avait pas
d'espoir.
Or, contre toute attente, le
lendemain du jour où elle avait
accepté de prendre l'enfant difficile, le
père, revenu à d'autres sentiments,
écrivit pour demander si elle reprendrait
les deux enfants.
« N'êtes-vous pas
fâchée, lui demandions-nous, contre
ceux qui vous critiquent et se plaignent d'une
chose ou d'une autre ? » - « Non,
dit-elle, je demande à Dieu de m'enlever la
rancoeur et elle s'en va. D'ailleurs, quand
j'arriverai au ciel, Dieu ne me demandera pas :
« Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? » Il me
dira : « As-tu fait ce que je t'ai
ordonné de faire ? »
Son jeune cuisinier était
parti pendant un certain temps. « Dieu a
pourvu, dit-elle. Deux de mes enfants aident sans
que je le leur demande. Tout va bien, je ne pense
pas au lendemain. Dieu me donne aussi la force de
faire la lessive. J'aime mieux que ce soit Lui qui
m'aide, plutôt que trois femmes qui grognent.
»
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