Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE V

«LA CONFIANCE» PORTE BIEN SON NOM

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 Mme Santschy devait 50 francs au docteur de R. et n'arrivait pas à les payer. Un de ses hommes tombe malade et elle entend murmurer : « Ils ne font pas même venir le médecin, ils nous laissent « crever » ! Pour finir, un de ces hommes va à l'hôtel voisin et téléphone au médecin. La maîtresse de maison est indignée qu'on agisse à son insu. Elle lui lave la tête : « C'est moi qui paie, ce n'est pas à vous à faire venir le médecin. » Elle était contrariée, parce qu'elle n'avait pas pu payer sa facture. Alors elle cria à Dieu : « Tu ne veux pourtant pas m'humilier ainsi ; ou bien, si tu le veux, donne-moi la force d'accepter l'humiliation. » Ce jour-là, un client qui lui avait commandé du bois vint enfin en prendre livraison par 250.- francs. Il avait fallu ce retard. À l'arrivée du médecin, elle avait l'argent en main. Elle le reçut, la figure radieuse. Au moment de payer, il se trouva 5 centimes de trop. Mme Santschy dit au médecin : « Laissez-moi le plaisir de vous donner pour une fois un pourboire ! »

Elle avait de nouveau prié

Un dimanche, on va se promener avec les enfants et le maître de la maison ; mais les gosses ont envie d'en faire à leur tête ; ils prennent un autre chemin pour rentrer. M. Santschy est très fâché et se promet de châtier les polissons à leur retour. Les enfants rentrent. Cécile Santschy entend son mari qui monte l'escalier pour les rejoindre. Elle prie, demandant que cet homme ne soit pas trop dur, sinon les petits risquent de perdre la foi. Elle écoute et n'entend rien. Peu après, son mari revient, lui disant : « je pense que tu as de nouveau prié, je n'ai rien pu leur faire ! »

L'armoire aux pantalons

Je devais faire la revue de ce qui restait ; la réserve diminuait ; il n'y aurait bientôt plus rien. Je dis à Dieu qu'il me faudrait des pantalons de coton pour mes enfants ; je n'avais pas le temps de les confectionner. Le même jour arrive un voyageur qui était un chrétien. Je priai et j'en commandai une certaine quantité. « Bien, madame, je vous les enverrai, mais sans facture. Permettez-moi de vous les offrir. » Cela aurait coûté 40 francs.

Dieu avait entendu

La personne qui s'était portée caution pour la maison de La Tourne venait de mourir. Mme Santschy aurait tant aimé, par reconnaissance, envoyer une couronne; mais elle désirait la payer de son propre argent, non de celui qui était destiné au ménage. Elle le dit à Dieu.

Avant l'enterrement, elle reçut de son frère une lettre contenant 20 francs avec l'explication suivante : « Lorsque tu étais jeune fille, tu as travaillé comme couturière chez une personne qui habite maintenant au Tessin. Cette personne ne t'avait pas payé ton travail. Elle veut s'acquitter maintenant de sa dette et m'envoie l'argent à moi, ne sachant pas si tu es mariée ni où tu habites. » Elle put ainsi envoyer une couronne payée de son propre argent.

« Noël était, à La Tourne, le grand événement de l'année, écrit M. J. Il fallait bien que ces Noëls eussent un pouvoir d'attraction extraordinaire, puisque des gens du Locle et de La Chaux-de-Fonds louaient des autocars pour y accourir. On était obligé de vider de tous ses meubles la grande chambre du haut pour loger tout ce monde. On ne put une fois commencer la fête qu'à 22 heures, les autocars ayant été arrêtés en route par la neige.

A « La Confiance », on savait donner à cette fête toute sa signification et sa beauté. C'était d'une simplicité patriarcale. On chantait beaucoup ; les chers vieux cantiques de Noël y passaient tous. Chaque enfant y allait de sa poésie ou de son monologue ; parfois une saynète. Et il s'y trouvait toujours des amis chrétiens pour proclamer le message de Noël pour les adultes. La fête était belle, parce qu'elle était remplie de la présence invisible du Sauveur. Mme Santschy y mettait le point final. Elle chantait de sa voix émouvante:

Toujours ta divine présence
Jette un rayon sur mon chemin
Et le coeur joyeux je m'avance.
Je n'ai pas peur du lendemain.
Où tu voudras, je veux te suivre,
Agneau de Dieu, conduis mes pas;
Vivre sans toi ce n'est pas vivre,
Je ne puis être où tu n'es pas.


C'était toute sa vie qu'elle mettait dans les paroles de ce chant. Puis venait la distribution des étrennes. Aidée de ses amis, elle préparait des cadeaux pour tous, grands et petits, vieux et jeunes. Et la fête se terminait par une joyeuse agape autour d'une tasse de thé agrémentée de larges tranches de la fameuse taillaule neuchâteloise confectionnée par la patronne elle-même. Et comme il était de tradition à « La Confiance » de ne jamais laisser partir des visiteurs à vide, les hôtes de Noël s'en retournaient chez eux, chacun avec un mystérieux paquet sous le bras : celui des dames contenait une taillaule et celui des messieurs une saucisse ; on avait tué un porc pour la circonstance.

Cette fête réservait parfois des surprises. Un certain Noël, la neige se mit à tomber avec tant d'abondance pendant que nous étions à nous réjouir et à chanter autour du sapin, qu'au moment de partir, seuls les plus valides osèrent s'aventurer dans la nuit. Les autres, soit 18 personnes, durent coucher chez nous. « La Confiance » était extensible comme un accordéon. Quand il n'y avait plus de place, on en trouvait toujours encore. Et comme tout se faisait avec le sourire et la bonne humeur, nos hôtes de passage n'avaient jamais l'impression de déranger qui que ce soit. C'est ainsi que les Santschy entendaient l'hospitalité.

Cette femme charitable était toujours prête à voler au secours de son prochain. je lui avais parlé d'une personne de très bonne famille, que j'avais connue dans son enfance à Saint-Imier, et qui était si affectée par la mort de sa mère qu'elle était inconsolable. Elle n'avait plus le courage de vivre ; elle était guettée par la neurasthénie.

- Il faudrait pouvoir la sortir d'elle-même, dis-je à celle que nous consultions en toutes circonstances, mais comment ?
- J'ai le remède pour elle. Si Mlle M. ne se laisse pas rebuter par notre rustique simplicité, qu'elle vienne à La Tourne. J'ai ici un bébé de deux ans. J'en abandonnerai complètement la responsabilité à cette personne et vous verrez qu'elle ne tardera pas à reprendre goût à la vie.

Il en fut ainsi. Mlle M. se laissa persuader. Elle vint à La Tourne, prit immédiatement sa tâche à coeur et passa plusieurs mois à « La Confiance ». Elle s'était si bien attachée à sa petite Monique, qu'elle l'appelait « sa fille ». Elle avait, par surcroît, trouvé en Mme Santschy une seconde mère et ne tarda pas à retrouver la joie de vivre.

Rendre le bien pour le mal, pardonner les injures était le pain quotidien de cette servante du Seigneur. Un certain jour, elle cousait à la machine dans la grande chambre du premier étage. Par la porte entr'ouverte de la pièce contiguë, elle entendit tout à coup que deux de ses pensionnaires parlaient d'elle. L'une disait : « Oui, mamy est une voleuse. je devais recevoir de l'argent et elle l'a gardé pour elle. »

Et l'autre de renchérir : « Oui, mamy est une femme d'inconduite. »

Ces propos la firent bouillonner. Son premier mouvement fut de faire irruption dans la chambre pour administrer à ces deux mégères la juste correction qu'elles méritaient. Elle se contint et continua paisiblement son travail.

Au milieu de la nuit suivante, on vint la réveiller. L'une de ces deux femmes, celle qui l'avait accusée d'inconduite, était malade et se trouvait dans un état qu'on préfère ne pas décrire. La noble femme la lava, la coiffa, changea son lit et, quand elle l'eut installée confortablement dans du linge propre, déposa un baiser sur son front. Elle a déclaré plus tard qu'elle s'était sentie après cela envahie d'une joie surnaturelle. »

C'était une joie de rendre visite à Mme Santschy. Nous avions pris l'habitude d'y aller chaque année, et lorsque je l'avertissais par téléphone de notre intention, elle répondait : « Je considère les visites comme de petites vacances que Dieu me donne. » Elle ne paraissait jamais surchargée, nous donnait plusieurs heures de son temps avec une gaîté et une bienveillance qui m'ont toujours frappée. On s'installait autour de la table, elle offrait le thé, du pain et du beurre et nous l'écoutions nous raconter avec humour ce qui se passait dans sa maison.

Il lui est arrivé plusieurs fois de manquer de pain. Un certain jour, peu avant de se mettre à table, elle était à genoux, demandant à Dieu le pain qui manquait. On sonne. C'était « Albert », un pauvre homme qu'elle voyait souvent revenir avec quelque angoisse, parce qu'il avait toujours un énorme appétit. Elle rentre dans sa chambre et dit à Dieu. « je te demande du pain et tu m'envoies cet homme qui en fait justement une grande consommation. Cette fois, Seigneur, je donne ma démission. » Quelques instants ne s'étaient pas écoulés qu'un nouveau coup de sonnette retentit. C'était une paysanne qui lui apportait, je ne sais plus pour quelle raison, les dix-sept kilos de pain qu'il lui fallait.

Le jour de son anniversaire lui arrive un cadeau indésirable en la personne d'une femme grossière, qui avait fait de la prison, qui jurait, qui était bruyante et dont les enfants ne voulaient plus s'occuper. Mme Santschy en avait presque peur. Peu de temps après, la femme s'était calmée, s'était mise au travail, et sa protectrice disait : « C'est grâce à elle que mes raccommodages diminuent. »

Mais, un jour, Mme Santschy dut aller chez le dentiste à Neuchâtel où elle était reçue à dîner comme une amie. Mais que faire de cette femme ? La maison était alors pleine de soldats et on pouvait craindre que la femme ne soit trop familière avec eux. « Tant pis, je dois la prendre avec moi ; j'avertirai ces bons amis ; mais, ajouta-t-elle, je ne la regarderai pas manger ! » Elle ne partit pas sans prier et, le repas terminé, on lui assura que sa protégée s'était comportée bien correctement.

Elle avait chez elle deux enfants qu'elle aimait beaucoup, parce qu'ils avaient perdu leur mère. Elle les garda trois mois, puis le père vint les chercher. Elle le supplia de les lui laisser, connaissant le triste intérieur dans lequel ils rentraient. Ce fut en vain. Le père partit mécontent. Quelques jours plus tard, Dieu demanda à Cécile Santschy de prendre un nouvel enfant, très difficile. Elle s'entretint avec Dieu pendant une semaine avant de dire oui. En finale, elle lui déclara: « je le prendrai, mais alors tu me donneras une récompense, tu me rendras mes deux petits qui n'ont plus de maman. » Humainement parlant, il n'y avait pas d'espoir.

Or, contre toute attente, le lendemain du jour où elle avait accepté de prendre l'enfant difficile, le père, revenu à d'autres sentiments, écrivit pour demander si elle reprendrait les deux enfants.

« N'êtes-vous pas fâchée, lui demandions-nous, contre ceux qui vous critiquent et se plaignent d'une chose ou d'une autre ? » - « Non, dit-elle, je demande à Dieu de m'enlever la rancoeur et elle s'en va. D'ailleurs, quand j'arriverai au ciel, Dieu ne me demandera pas : « Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? » Il me dira : « As-tu fait ce que je t'ai ordonné de faire ? »

Son jeune cuisinier était parti pendant un certain temps. « Dieu a pourvu, dit-elle. Deux de mes enfants aident sans que je le leur demande. Tout va bien, je ne pense pas au lendemain. Dieu me donne aussi la force de faire la lessive. J'aime mieux que ce soit Lui qui m'aide, plutôt que trois femmes qui grognent. »

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