Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

LA TOURNE

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 Dans le petit carnet particulier de Mme Santschy, on trouve un feuillet de calendrier : mercredi 25 septembre 1929 ; et au-dessus de cette date : Délivrance des cautions. Le verset de ce jour : J'ai entendu, dit l'Éternel, la prière que tu m'as adressée, (Esaïe 37, v. 21.)

Il s'était agi cette fois d'acheter un domaine ; une grande ferme était à vendre à La Tourne. Mais il fallait tout risquer.

Dans l'angoisse du 5 mars, Dieu me dit : « Ils apprendront tout le bien que je vais leur faire, tout le bonheur et toute la prospérité que je vais leur accorder. » (Jérémie 33, v. 9.)

Mme Santschy écrit le 15 juin : Nous avons acheté La Tourne, le 16 au matin. Angoissée, je demande une parole au Seigneur. Voici ce qu'il me donne: « Accorde à ton serviteur un coeur intelligent, - Que ce que vous demandez de Dieu ne soit pas peu de chose... » C'est parce que nous faisons Dieu à notre mesure, que nous le limitons, que nous demandons et que nous recevons peu. « Mettez-moi à l'épreuve et vous verrez si je n'ouvre pas sur vous les écluses des cieux et si je ne répands pas sur vous la bénédiction et l'abondance. » (Malachie.) Et lorsque Salomon, en montant sur le trône, demanda quelque chose que Dieu seul peut donner, la sagesse, il fut exaucé au-delà de toute attente. Non seulement la sagesse lui fut donnée, mais encore avec elle d'innombrables bénédictions qui firent de lui l'un des plus glorieux souverains de l'histoire.

Plus loin : Verset pour le jour où nous allons signer la promesse de vente: Toute voie dans laquelle le Seigneur nous appelle à marcher a sa promesse particulière. Il suffit que nous sachions que c'est Lui qui nous dirige et nous n'avons point lieu de nous effrayer.

Et encore : Seigneur, dis-moi quelle caution nous aurons.

Mon mari me dit: « Nous avons acheté La Tourne comme des gamins!... » Eh bien, j'aime cela, parce que c'est la position qu'il nous faut, qui est normale pour des enfants de Dieu. Quand même nous aurions mal fait, Dieu sera toujours notre Père, qui mesure nos difficultés avec un tel amour, que nous sentons sur notre coeur comme une douce main de velours.

Dimanche 8 septembre, journée d'angoisse; réponse négative, démarches inutiles. Enfin, le 25 septembre, jour de délivrance après de cruelles angoisses. Que Dieu bénisse ceux qui ont eu confiance en Lui.

Il pouvait sembler que Dieu n'avait rien vu ni entendu, qu'Il était resté sourd à l'appel; erreur, Il savait tout et Il se préparait à donner à son peuple la plus éclatante des délivrances.

Cette grande ferme, située en pleins champs, un peu en dehors de la route cantonale, s'appela bientôt « La Confiance ». Et certes, on n'eût pu lui donner un nom qui répondît mieux à l'esprit qui, pendant vingt ans, ne cessa d'y régner. Les débuts ne furent pas faciles. On n'achète pas un pareil domaine, grevé de si lourdes charges, sans qu'il faille faire face à de grandes difficultés. On vivait très simplement chez les Santschy. C'était forcé. Il faut dire aussi que des amis fidèles n'ont cessé de se tenir à leurs côtés, par leurs prières, par leurs démarches, par leur présence. Une amie de Mme Santschy nous disait qu'elle avait recommencé peut-être vingt fois à faire du thé. On apportait des provisions à la ferme ; on construisait de nouvelles chambres, on faisait et recommençait à faire des lits ! Car Mme Santschy recevait comme des envoyés de Dieu les orphelins, les infirmes, les misérables qui venaient demander un asile. Certains détenus disaient : « Quand je sortirai de prison, j'irai chez Mme Santschy. »

Jugée humainement, cette oeuvre était impensable. Mais voilà, cette chrétienne travaillait pour son Seigneur; elle avait certainement de grandes qualités de coeur, mais surtout une foi absolue en Jésus-Christ à qui elle avait fait don de sa vie ; de là une obéissance qui allait jusqu'au bout, que rien n'arrêtait, ni obstacle, ni difficultés. Dieu lui demandait-Il quelque chose, Il lui donnerait les forces, les moyens de le faire. Elle faisait tout cela avec un absolu désintéressement, ne s'inquiétant pas de savoir si elle recevrait un quelconque prix de pension.

On était parfois en marge de la loi. Les autorités, tant administratives que judiciaires, fermaient un peu les yeux. La commission scolaire de Rochefort, comme la paroisse des Ponts-de-Martel, et bien d'autres ont senti ce qu'il y avait de miraculeux dans l'oeuvre de Cécile Santschy.

Un jour, citée en tribunal au sujet d'un de ses protégés recherchés par la police, on lui demanda si elle recevait souvent des gens de ce genre.

- Oui, cela arrive.
- Mais vous nous les signalerez, ces gens-là...
- Oh non, je ne vous les signalerai jamais; vous pourrez plutôt me mettre en prison.
- Vous mériteriez d'être tuée par l'un d'eux.
- Entre amis on ne se tue pas !... Du reste, s'ils me faisaient quelque chose, je ne viendrais pas me plaindre chez vous.

S'il y a un Dieu

Un vieillard, pour être rentré après l'heure réglementaire dans son hospice, est conduit par son directeur au cachot. Avant d'y pénétrer, il y pousse son directeur et ferme la porte à clef. Pour ce grave délit, le bonhomme est renvoyé de l'hospice. « S'il y a un Dieu, dit-il, je trouverai encore un foyer où me réfugier. » Il est accueilli à La Tourne et y vit encore dix belles années.

Tante Kathy

C'est une femme paralysée qui, après avoir vécu quelque temps chez Mme Santschy, est transférée dans un hospice. Là, quoique parfaitement bien soignée, elle veut à tout prix revenir à La Tourne. Excédé par ses jérémiades, le directeur téléphone à la maîtresse de La Tourne pour lui demander de reprendre tante Kathy. Ce n'est pas une petite affaire de transporter cette femme paralysée et très lourde, jusque là-haut. On y arrive tout de même. La malade a de grandes plaies. À l'hospice on les soignait matin et soir. Mme Santschy en a peur : « Seigneur, tu vois ces terribles plaies, je ne puis rien y faire ; je ferai plutôt souffrir la malade, viens à mon secours. » Une amie vient lui aider, mais Mme Santschy ne touche pas aux plaies ; celles-ci, au bout de quelques jours, sèchent complètement.

Jésus est vainqueur

Une personne vient passer trois jours de vacances à la ferme. À la fin du troisième jour, elle perd complètement la raison. Elle hurle dans sa chambre. Mme Santschy veut téléphoner au mari de venir, mais elle ne peut l'atteindre. Elle pense alors, comme le pasteur Blumhardt : « Jésus est vainqueur. » Elle entre chez la démente et ferme la porte derrière elle. Pendant quatre heures, la malade essaie de terrasser son hôtesse, mais chaque fois que leurs mains se touchent, la démente retourne sur son fit, vaincue. Pour finir, elle saute par la fenêtre du premier étage, sans se faire de mal, et part à la maison ; elle y arrive un peu exaltée, mais se met pourtant à faire son ménage.

Une autre femme avait été internée dans un asile d'aliénés ; elle en gardait un mauvais souvenir. Elle passe trois mois dans la ferme Santschy, au bout desquels elle perd la raison. Le pasteur de la malade conseille de la remettre à l'asile tant redouté. Celle qui a pris sa tâche à coeur ne se sent pas la liberté de le faire. Seule dans la maison à connaître l'état de la démente, elle se voit devant une responsabilité écrasante.

Tout dort, mais la malade étendue ne trouve pas le sommeil depuis 8 jours. Mme Santschy ouvre sa Bible et lit à haute voix pour s'encourager elle-même, car elle est angoissée au point de ne plus savoir que dire à Dieu. Au bout d'un moment, elle lève les yeux. La malade dort. Le lendemain matin, elle est guérie. Il n'y a pas eu de rechute dès lors.

J'avais envie d'une brioche

La maîtresse de La Tourne revenait avec l'autobus et avait très faim.

« J'avais, disait-elle, une envie folle d'une brioche je la voyais, je la sentais, je la mangeais d'avance. Mais hélas, tous les magasins étaient fermés. je dis à Dieu : « Tu feras bien en sorte que mon estomac ne crie pas trop famine jusqu'à La Tourne. » je monte dans l'autobus et que vois-je sur le premier banc ? Une superbe brioche, comme celle que j'aurais tant aimé avoir. J'eus un moment très fort la tentation de la prendre... on penserait que c'est un gamin et voilà tout... Mais non, j'avais assez de fautes sur la conscience sans me charger encore de celle-là, et j'allai tout au fond du car pour être loin de la tentation. Le conducteur arriva ; je le connaissais, il me dit : « Une femme qui vendait des brioches vient de déposer celle-là pour moi. je ne les aime pas ; ne voudriez-vous pas la prendre ? » Comme elle me parut bonne, cette brioche ! je n'osai pas dire au chauffeur que j'avais failli la voler. »

L'enfant de la zone

« Qui adopterait un bébé de trois mois, né dans la zone de Paris ? » Cette annonce tombe sous les yeux de Cécile Santschy. « Oh ! le prendre chez moi, pense-t-elle, en avoir une fois un tout petit à moi ! Mais est-ce la volonté de Dieu ? » Elle ne répond pas à l'annonce. Elle attend que la volonté de Dieu se manifeste. Plus tard, l'enfant n'ayant été réclamé par personne, on lui demande si elle veut bien le prendre. Transportée de joie, elle accueille le pauvre petiot. Cet enfant, depuis sa naissance, était loué par sa mère à des mendiantes. Celles-ci allaient de café en café portant le nourrisson, et les gens apitoyés donnaient de plus fortes oboles à cause de sa pauvre petite figure. Il devint à La Tourne un solide garçon qui, peu à peu, se sentit tout à fait chez lui dans cette campagne jurassienne.

Un jour de février

Quarante personnes doivent dîner aujourd'hui. Il est midi moins un quart. La maîtresse de maison, à genoux, demande à Dieu cinquante francs pour payer le boulanger. Mais il paraît impossible que celui-ci arrive. Il fait une épouvantable bourrasque de neige. Derrière la porte, des dames malveillantes ricanent : « On n'aura pas de pain dans cette maison de foi! » Mme Santschy murmure : « Merci, mon Dieu, parce que pour toi, toutes choses sont possibles. »

Le courrier arrive avec un don de cinquante francs et le boulanger en entrant s'écrie : « je ne sais pas comment j'ai pu venir... » Il avait loué une auto pour monter, ce qu'il ne faisait jamais.

Le Seigneur me dit sur tous les tons, écrit-elle dans son carnet, que mes oeuvres ne me justifieront pas plus que mes efforts et mes décisions personnelles. Dieu n'en a pas besoin; sa puissance est assez grande, et s'Il a voulu m'associer à son oeuvre, c'est une grande grâce de sa part.

Il faut absolument que je comprenne qu'Il est le Maître absolu de notre vie; que nous sommes libres d'accepter ou de ne pas accepter sa grâce, c'est-à-dire l'abandon complet de son « soi-même ».

Cette femme qui n'avait point d'enfants en a reçu et élevé plus de vingt ; plusieurs étaient placés chez elle par les communes, enlevés à des parents indignes.

Elle écrit : Les défauts de mes enfants, j'ai le droit de les apporter à Christ. Je n'ai le droit de parler aux hommes que des qualités de mes enfants.

Un enfant qui obéirait toujours ne serait pas intéressant ; on ne saurait pas si on le conduit ou non. Il fait bon les voir déchaînés, puis rester calme. - Oui, c'est un malheur pour toi, ai-je dit à l'un d'eux, de devoir vivre avec une si triste « mamy » qui a de ces vieux principes faits exprès pour te contrarier. Mais console-toi, ta vie n'est pas entre mes mains.

Heureusement que mes enfants ont une maman pauvre qui ne peut pas leur donner tout ce qui leur plaît. Mon Georges avait commencé l'école; il était très indiscipliné. Un jour, il revient avec une très vilaine note de conduite. J'étais bien triste. Je lui dis: « Oh! mon pauvre Georges, comme tu me fais mal en étant toujours méchant; il me semble que je vais mourir; alors si je meurs, qui t'aimera ? » - « Oh ben, si tu meurs, moi me plante un couteau dans le ventre, après moi n'es mort, après moi je viens au ciel vers toi! »

Exaucements

Les enfants sont tous sur le chemin du retour ; un orage se prépare, les premières gouttes tombent. À genoux dans mon grenier, je demande au Seigneur d'arrêter la pluie afin que mes chers. petits ne soient pas mouillés.

La pluie cesse ; Jésus m'a entendue. Ils rentrent sans pluie. Peu après, le ciel déverse toutes ses trombes, une grêle suivie d'une pluie torrentielle.
Que de bonté malgré mon indignité!

Une petite fille, musicienne-née, aime à chanter. On entend son gazouillis partout où elle se trouve. Elle désire ardemment un piano. À sa demande, je réponds:

« Je n'ai pas le moyen d'acheter un instrument de luxe; il faut le demander à Dieu. »
« Comment faut-il lui écrire ? »
« Inutile, Dieu nous entend. Je prierai avec toi tous les soirs à ce sujet. »

Les enfants n'ont pas été longs à remarquer notre colloque journalier. Un a supposé:
« Je pense qu'elles font « la scie » au bon Dieu pour obtenir un cadeau. »

Croyez-vous que cette enfant a eu la persévérance d'implorer durant deux ans ? Au bout de ce temps, très long pour une petite, on m'offrit un piano d'occasion, en bon état, pour un prix dérisoire. Je l'ai acheté sans hésiter, il sert maintenant pour nos cultes.

En faisant mes courses, j'entre chez une personne pieuse pour prendre de ses nouvelles.

« Je te bénirai », avais-je lu au culte du matin. On me menaçait à nouveau de poursuites si je ne réglais tout de suite un compte en détresse.
« N'êtes-vous pas dans l'inquiétude au sujet d'une dette ? » demanda la bonne vieille.
« J'ai toujours besoin d'argent », ai-je pensé sans que mes lèvres bougent.

Elle me tend une enveloppe en disant que Dieu lui a inspiré de m'offrir un cadeau personnel. - Il y avait là ce dont j'avais besoin.

Un peu d'amertume

Les enfants m'ont crié à la face que je suis exclusive dans mon affection. Si j'avais pour eux le vrai amour, je consentirais à être méconnue, oubliée, sacrifiée; mais, hélas, j'ai pleuré amèrement.

Je suis si triste de savoir qu'il y en a trois qui partent. Je murmure en disant à mon Maître: « Que penses-tu de me déshabiller ainsi ? Je n'aurai plus le courage de recommencer à aimer quelqu'un d'autre. »

Quelle tristesse dans mon coeur lorsque j'ai fait une observation à Germaine et qu'elle me répond: « Tu n'es déjà pas ma maman, »

Je puis me comparer au domestique de campagne qui serait assez bête pour s'imaginer que ce sont les vaches qu'il soigne qui lui donneront son salaire.

Une tâche imprévue

Les samedis, je m'occupe de la toilette des hommes avant de passer à celle des enfants. Je surveille en particulier leur linge, les oblige à préparer des vêtements propres pour le jour du Seigneur.

Je rasais, dans la grange, un fort gaillard d'une cinquantaine d'années; je désirais ardemment qu'il vînt au culte. Tandis que je le barbouillais de savon, il me lança:

« Votre bon Dieu vous fait perdre beaucoup de temps en oraisons. Vous devriez venir étriller les vaches, laver les queues ainsi qu'on doit le faire chaque semaine. Après ça, vous n'auriez plus le temps de vous rendre au culte. Le bon Dieu, je le possède, moi, quand j'ai ma bourse bien garnie... »

Je répondis sans doute d'une voix peu tendre:

« J'aime mon mari, je ne tolérerai pas que vous m'en disiez du mal, mais j'aime encore davantage mon Dieu. Vous rendez-vous compte de la gravité de vos paroles insensées ? »

Il faisait une mine si dédaigneuse que l'envie me prenait de ponctuer mon discours; en vérité, la main me démangeait. Dieu me retint pour son honneur. Je rentrai en moi-même et, apaisée, je conclus:

« C'est moi qui ferai demain votre travail à l'écurie, vous aurez ainsi le temps de vous préparer pour venir au culte. »

Saurais-je nettoyer ce bétail que je n'osais approcher ? J'ai prié Dieu avec abandon, lui demandant de m'éveiller à temps s'Il voulait que je me charge de cette besogne.

Un quart d'heure avant cinq heures, je fus tirée d'un profond sommeil. Je me suis habillée lestement tout en priant. L'écurie était encore plongée dans l'obscurité. La porte ouverte, la chaude haleine des bêtes m'environna; je m'avançais avec lenteur. Un peu d'angoisse me retenait.

Les hommes arrivaient, les mains aux poches, flânant autour de la maison. Ils vinrent s'assembler pour me voir agir en ricanant. L'un d'eux, meilleur que les autres, me donna un conseil:

« Prenez garde à la troisième vache, c'est une bête vicieuse et sournoise; elle n'est pas patiente non plus. »

Passant à celle-là, j'ai encore prié plus ardemment. Elle fut réduite au rang d'agneau, car elle ne broncha pas. Pourtant, on n'ignore pas que les bêtes connaissent qui les soigne; elles ne s'aperçurent pas du changement de personne.

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