Dans le petit carnet particulier de Mme
Santschy, on trouve un feuillet de calendrier :
mercredi 25 septembre 1929 ; et au-dessus de cette
date : Délivrance des cautions. Le
verset de ce jour : J'ai entendu, dit
l'Éternel, la prière que tu m'as
adressée, (Esaïe 37, v.
21.)
Il s'était agi cette fois
d'acheter un domaine ; une grande ferme
était à vendre à La Tourne.
Mais il fallait tout risquer.
Dans l'angoisse du 5
mars, Dieu
me dit : « Ils apprendront tout le bien que je
vais leur faire, tout le bonheur et toute la
prospérité que je vais leur accorder.
» (Jérémie 33, v.
9.)
Mme Santschy écrit le 15 juin
: Nous avons acheté La Tourne, le 16 au
matin. Angoissée, je demande une parole au
Seigneur. Voici ce qu'il me donne: « Accorde
à ton serviteur un coeur intelligent, - Que
ce que vous demandez de Dieu ne soit pas peu de
chose... » C'est parce que nous faisons Dieu
à notre mesure, que nous le limitons, que
nous demandons et que nous recevons peu. «
Mettez-moi à l'épreuve et vous verrez
si je n'ouvre pas sur vous les écluses des
cieux et si je ne répands pas sur vous la
bénédiction et l'abondance. »
(Malachie.) Et lorsque Salomon,
en montant sur le trône, demanda quelque
chose que Dieu seul peut donner, la sagesse, il fut
exaucé au-delà de toute attente. Non
seulement la sagesse lui fut donnée, mais
encore avec elle d'innombrables
bénédictions qui firent de lui l'un
des plus glorieux souverains de
l'histoire.
Plus loin : Verset
pour le jour
où nous allons signer la promesse de vente:
Toute voie dans laquelle le Seigneur nous appelle
à marcher a sa promesse particulière.
Il suffit que nous sachions que c'est Lui qui nous
dirige et nous n'avons point lieu de nous
effrayer.
Et encore : Seigneur,
dis-moi
quelle caution nous aurons.
Mon mari me dit: « Nous
avons acheté La Tourne comme des gamins!...
» Eh bien, j'aime cela, parce que c'est la
position qu'il nous faut, qui est normale pour des
enfants de Dieu. Quand même nous aurions mal
fait, Dieu sera toujours notre Père, qui
mesure nos difficultés avec un tel amour,
que nous sentons sur notre coeur comme une douce
main de velours.
Dimanche 8 septembre,
journée d'angoisse; réponse
négative, démarches inutiles. Enfin,
le 25 septembre, jour de délivrance
après de cruelles angoisses. Que Dieu
bénisse ceux qui ont eu confiance en
Lui.
Il pouvait sembler que
Dieu
n'avait rien vu ni entendu, qu'Il était
resté sourd à l'appel; erreur, Il
savait tout et Il se préparait à
donner à son peuple la plus éclatante
des délivrances.
Cette grande ferme, située en
pleins champs, un peu en dehors de la route
cantonale, s'appela bientôt « La
Confiance ». Et certes, on n'eût pu lui
donner un nom qui répondît mieux
à l'esprit qui, pendant vingt ans, ne cessa
d'y régner. Les débuts ne furent pas
faciles. On n'achète pas un pareil domaine,
grevé de si lourdes charges, sans qu'il
faille faire face à de grandes
difficultés. On vivait très
simplement chez les Santschy. C'était
forcé. Il faut dire aussi que des amis
fidèles n'ont cessé de se tenir à leurs
côtés, par leurs prières, par
leurs démarches, par leur présence.
Une amie de Mme Santschy nous disait qu'elle avait
recommencé peut-être vingt fois
à faire du thé. On apportait des
provisions à la ferme ; on construisait de
nouvelles chambres, on faisait et
recommençait à faire des lits ! Car
Mme Santschy recevait comme des envoyés de
Dieu les orphelins, les infirmes, les
misérables qui venaient demander un asile.
Certains détenus disaient : « Quand je
sortirai de prison, j'irai chez Mme Santschy.
»
Jugée humainement, cette
oeuvre était impensable. Mais voilà,
cette chrétienne travaillait pour son
Seigneur; elle avait certainement de grandes
qualités de coeur, mais surtout une foi
absolue en Jésus-Christ à qui elle
avait fait don de sa vie ; de là une
obéissance qui allait jusqu'au bout, que
rien n'arrêtait, ni obstacle, ni
difficultés. Dieu lui demandait-Il quelque
chose, Il lui donnerait les forces, les moyens de
le faire. Elle faisait tout cela avec un absolu
désintéressement, ne
s'inquiétant pas de savoir si elle recevrait
un quelconque prix de pension.
On était parfois en marge de
la loi. Les autorités, tant administratives
que judiciaires, fermaient un peu les yeux. La
commission scolaire de Rochefort, comme la paroisse
des Ponts-de-Martel, et bien d'autres ont senti ce
qu'il y avait de miraculeux dans l'oeuvre de
Cécile Santschy.
Un jour, citée en tribunal au
sujet d'un de ses protégés
recherchés par la police, on lui demanda si
elle recevait souvent des gens de ce
genre.
- Oui, cela arrive.
- Mais vous nous les signalerez,
ces
gens-là...
- Oh non, je ne vous les
signalerai
jamais; vous pourrez plutôt me mettre en
prison.
- Vous mériteriez
d'être tuée par l'un d'eux.
- Entre amis on ne se tue pas
!...
Du reste, s'ils me faisaient quelque chose, je ne
viendrais pas me plaindre chez vous.
S'il y a un
Dieu
Un vieillard, pour être
rentré après l'heure
réglementaire dans son hospice, est conduit
par son directeur au cachot. Avant d'y
pénétrer, il y pousse son directeur
et ferme la porte à clef. Pour ce grave
délit, le bonhomme est renvoyé de
l'hospice. « S'il y a un Dieu, dit-il, je
trouverai encore un foyer où me
réfugier. » Il est accueilli à
La Tourne et y vit encore dix belles
années.
Tante Kathy
C'est une femme paralysée
qui, après avoir vécu quelque temps
chez Mme Santschy, est transférée
dans un hospice. Là, quoique parfaitement
bien soignée, elle veut à tout prix
revenir à La Tourne. Excédé
par ses jérémiades, le directeur
téléphone à la maîtresse
de La Tourne pour lui demander de reprendre tante
Kathy. Ce n'est pas une petite affaire de
transporter cette femme paralysée et
très lourde, jusque là-haut. On y
arrive tout de même. La malade a de grandes
plaies. À l'hospice on les soignait matin et
soir. Mme Santschy en a peur : « Seigneur, tu
vois ces terribles plaies, je ne puis rien y faire
; je ferai plutôt souffrir la malade, viens
à mon secours. » Une amie vient lui
aider, mais Mme Santschy ne touche pas aux plaies ;
celles-ci, au bout de quelques jours,
sèchent complètement.
Jésus est
vainqueur
Une personne vient passer trois
jours de vacances à la ferme. À la
fin du troisième jour, elle perd
complètement la raison.
Elle hurle dans sa chambre. Mme Santschy veut
téléphoner au mari de venir, mais
elle ne peut l'atteindre. Elle pense alors, comme
le pasteur Blumhardt : « Jésus est
vainqueur. » Elle entre chez la démente
et ferme la porte derrière elle. Pendant
quatre heures, la malade essaie de terrasser son
hôtesse, mais chaque fois que leurs mains se
touchent, la démente retourne sur son fit,
vaincue. Pour finir, elle saute par la
fenêtre du premier étage, sans se
faire de mal, et part à la maison ; elle y
arrive un peu exaltée, mais se met pourtant
à faire son ménage.
Une autre femme avait
été internée dans un asile
d'aliénés ; elle en gardait un
mauvais souvenir. Elle passe trois mois dans la
ferme Santschy, au bout desquels elle perd la
raison. Le pasteur de la malade conseille de la
remettre à l'asile tant redouté.
Celle qui a pris sa tâche à coeur ne
se sent pas la liberté de le faire. Seule
dans la maison à connaître
l'état de la démente, elle se voit
devant une responsabilité
écrasante.
Tout dort, mais la malade
étendue ne trouve pas le sommeil depuis 8
jours. Mme Santschy ouvre sa Bible et lit à
haute voix pour s'encourager elle-même, car
elle est angoissée au point de ne plus
savoir que dire à Dieu. Au bout d'un moment,
elle lève les yeux. La malade dort. Le
lendemain matin, elle est guérie. Il n'y a
pas eu de rechute dès lors.
J'avais envie
d'une
brioche
La maîtresse de La Tourne
revenait avec l'autobus et avait très
faim.
« J'avais, disait-elle, une
envie folle d'une brioche je la voyais, je la
sentais, je la mangeais d'avance. Mais
hélas, tous les magasins étaient
fermés. je dis à Dieu : « Tu
feras bien en sorte que mon estomac ne crie pas trop
famine jusqu'à La
Tourne. » je monte dans l'autobus et que
vois-je sur le premier banc ? Une superbe brioche,
comme celle que j'aurais tant aimé avoir.
J'eus un moment très fort la tentation de la
prendre... on penserait que c'est un gamin et
voilà tout... Mais non, j'avais assez de
fautes sur la conscience sans me charger encore de
celle-là, et j'allai tout au fond du car
pour être loin de la tentation. Le conducteur
arriva ; je le connaissais, il me dit : « Une
femme qui vendait des brioches vient de
déposer celle-là pour moi. je ne les
aime pas ; ne voudriez-vous pas la prendre ? »
Comme elle me parut bonne, cette brioche ! je
n'osai pas dire au chauffeur que j'avais failli la
voler. »
L'enfant de la
zone
« Qui adopterait un
bébé de trois mois, né dans la
zone de Paris ? » Cette annonce tombe sous les
yeux de Cécile Santschy. « Oh ! le
prendre chez moi, pense-t-elle, en avoir une fois
un tout petit à moi ! Mais est-ce la
volonté de Dieu ? » Elle ne
répond pas à l'annonce. Elle attend
que la volonté de Dieu se manifeste. Plus
tard, l'enfant n'ayant été
réclamé par personne, on lui demande
si elle veut bien le prendre. Transportée de
joie, elle accueille le pauvre petiot. Cet enfant,
depuis sa naissance, était loué par
sa mère à des mendiantes. Celles-ci
allaient de café en café portant le
nourrisson, et les gens apitoyés donnaient
de plus fortes oboles à cause de sa pauvre
petite figure. Il devint à La Tourne un
solide garçon qui, peu à peu, se
sentit tout à fait chez lui dans cette
campagne jurassienne.
Un jour de
février
Quarante personnes doivent
dîner aujourd'hui. Il est midi moins un
quart. La maîtresse de maison, à
genoux, demande à Dieu cinquante francs pour
payer le boulanger. Mais il paraît impossible
que celui-ci arrive. Il fait une
épouvantable bourrasque de neige.
Derrière la porte, des dames malveillantes
ricanent : « On n'aura pas de pain dans cette
maison de foi! » Mme Santschy murmure : «
Merci, mon Dieu, parce que pour toi, toutes choses
sont possibles. »
Le courrier arrive avec un don
de
cinquante francs et le boulanger en entrant
s'écrie : « je ne sais pas comment j'ai
pu venir... » Il avait loué une auto
pour monter, ce qu'il ne faisait jamais.
Le Seigneur me dit sur
tous les
tons, écrit-elle dans son carnet, que mes
oeuvres ne me justifieront pas plus que mes efforts
et mes décisions personnelles. Dieu n'en a
pas besoin; sa puissance est assez grande, et s'Il
a voulu m'associer à son oeuvre, c'est une
grande grâce de sa part.
Il faut absolument que
je
comprenne qu'Il est le Maître absolu de notre
vie; que nous sommes libres d'accepter ou de ne pas
accepter sa grâce, c'est-à-dire
l'abandon complet de son « soi-même
».
Cette femme qui n'avait point
d'enfants en a reçu et élevé
plus de vingt ; plusieurs étaient
placés chez elle par les communes,
enlevés à des parents
indignes.
Elle écrit : Les
défauts de mes enfants, j'ai le droit de les
apporter à Christ. Je n'ai le droit de
parler aux hommes que des qualités de mes
enfants.
Un enfant qui obéirait
toujours ne serait pas intéressant ; on ne
saurait pas si on le conduit ou non. Il fait bon
les voir déchaînés, puis rester
calme. - Oui, c'est un malheur pour toi, ai-je dit
à l'un d'eux, de devoir vivre avec une si
triste « mamy » qui a de ces vieux
principes faits exprès pour te contrarier.
Mais console-toi, ta vie n'est pas entre mes
mains.
Heureusement que mes
enfants ont
une maman pauvre qui ne peut pas leur donner tout
ce qui leur plaît. Mon Georges avait
commencé l'école; il était
très indiscipliné. Un jour, il
revient avec une très vilaine note de
conduite. J'étais bien triste. Je lui dis:
« Oh! mon pauvre Georges, comme tu me fais mal
en étant toujours méchant; il me
semble que je vais mourir; alors si je meurs, qui
t'aimera ? » - « Oh ben, si tu meurs, moi
me plante un couteau dans le ventre, après
moi n'es mort, après moi je viens au ciel
vers toi! »
Exaucements
Les enfants sont tous
sur le
chemin du retour ; un orage se prépare, les
premières gouttes tombent. À genoux
dans mon grenier, je demande au Seigneur
d'arrêter la pluie afin que mes chers. petits
ne soient pas mouillés.
La pluie cesse ; Jésus
m'a
entendue. Ils rentrent sans pluie. Peu
après, le ciel déverse toutes ses
trombes, une grêle suivie d'une pluie
torrentielle.
Que de bonté malgré
mon indignité!
Une petite fille,
musicienne-née, aime à chanter. On
entend son gazouillis partout où elle se
trouve. Elle désire ardemment un piano.
À sa demande, je
réponds:
« Je n'ai pas le moyen
d'acheter un instrument de luxe; il faut le
demander à Dieu. »
« Comment faut-il lui
écrire ? »
« Inutile, Dieu nous
entend.
Je prierai avec toi tous les soirs à ce
sujet. »
Les enfants n'ont pas
été longs à remarquer notre
colloque journalier. Un a
supposé:
« Je pense qu'elles
font
« la scie » au bon Dieu pour obtenir un
cadeau. »
Croyez-vous que cette
enfant a eu
la persévérance d'implorer durant deux ans ?
Au
bout de ce temps, très long pour une petite,
on m'offrit un piano d'occasion, en bon
état, pour un prix dérisoire. Je l'ai
acheté sans hésiter, il sert
maintenant pour nos cultes.
En faisant mes courses,
j'entre
chez une personne pieuse pour prendre de ses
nouvelles.
« Je te bénirai
», avais-je lu au culte du matin. On me
menaçait à nouveau de poursuites si
je ne réglais tout de suite un compte en
détresse.
« N'êtes-vous pas dans
l'inquiétude au sujet d'une dette ? »
demanda la bonne vieille.
« J'ai toujours besoin
d'argent », ai-je pensé sans que mes
lèvres bougent.
Elle me tend une
enveloppe en
disant que Dieu lui a inspiré de m'offrir un
cadeau personnel. - Il y avait là ce dont
j'avais besoin.
Un peu
d'amertume
Les enfants m'ont crié
à la face que je suis exclusive dans mon
affection. Si j'avais pour eux le vrai amour, je
consentirais à être méconnue,
oubliée, sacrifiée; mais,
hélas, j'ai pleuré
amèrement.
Je suis si triste de
savoir qu'il
y en a trois qui partent. Je murmure en disant
à mon Maître: « Que penses-tu de
me déshabiller ainsi ? Je n'aurai plus le
courage de recommencer à aimer quelqu'un
d'autre. »
Quelle tristesse dans
mon coeur
lorsque j'ai fait une observation à Germaine
et qu'elle me répond: « Tu n'es
déjà pas ma maman,
»
Je puis me comparer au
domestique
de campagne qui serait assez bête pour
s'imaginer que ce sont les vaches qu'il soigne qui
lui donneront son salaire.
Une tâche
imprévue
Les samedis, je
m'occupe de la
toilette des hommes avant de passer à celle
des enfants. Je surveille en particulier leur
linge, les oblige à préparer des
vêtements propres pour le jour du
Seigneur.
Je rasais, dans la
grange, un
fort gaillard d'une cinquantaine d'années;
je désirais ardemment qu'il vînt au
culte. Tandis que je le barbouillais de savon, il
me lança:
« Votre bon Dieu vous
fait
perdre beaucoup de temps en oraisons. Vous devriez
venir étriller les vaches, laver les queues
ainsi qu'on doit le faire chaque semaine.
Après ça, vous n'auriez plus le temps
de vous rendre au culte. Le bon Dieu, je le
possède, moi, quand j'ai ma bourse bien
garnie... »
Je répondis sans doute
d'une voix peu tendre:
« J'aime mon mari, je
ne
tolérerai pas que vous m'en disiez du mal,
mais j'aime encore davantage mon Dieu. Vous
rendez-vous compte de la gravité de vos
paroles insensées ? »
Il faisait une mine si
dédaigneuse que l'envie me prenait de
ponctuer mon discours; en vérité, la
main me démangeait. Dieu me retint pour son
honneur. Je rentrai en moi-même et,
apaisée, je conclus:
« C'est moi qui ferai
demain
votre travail à l'écurie, vous aurez
ainsi le temps de vous préparer pour venir
au culte. »
Saurais-je nettoyer ce
bétail que je n'osais approcher ? J'ai
prié Dieu avec abandon, lui demandant de
m'éveiller à temps s'Il voulait que
je me charge de cette besogne.
Un quart d'heure avant
cinq
heures, je fus tirée d'un profond sommeil.
Je me suis habillée lestement tout en
priant. L'écurie était encore
plongée dans l'obscurité. La porte
ouverte, la chaude haleine des bêtes
m'environna; je m'avançais avec lenteur. Un
peu d'angoisse me retenait.
Les hommes arrivaient,
les mains
aux poches, flânant autour
de la maison. Ils vinrent s'assembler pour me voir
agir en ricanant. L'un d'eux, meilleur que les
autres, me donna un conseil:
« Prenez garde à la
troisième vache, c'est une bête
vicieuse et sournoise; elle n'est pas patiente non
plus. »
Passant à celle-là,
j'ai encore prié plus ardemment. Elle fut
réduite au rang d'agneau, car elle ne
broncha pas. Pourtant, on n'ignore pas que les
bêtes connaissent qui les soigne; elles ne
s'aperçurent pas du changement de personne.
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