Il fait bon
pouvoir dire par
expérience que Dieu exauce quand
nous l'invoquons. Mais il faut que notre
vie soit une vie de prières
régulières. Cécile Santschy. |
« Le temps des miracles est
passé... »
Cette affirmation qu'on
entend
parfois ne trouve-t-elle pas souvent un
démenti dans nos vies ? Nous le constaterons
spécialement dans les expériences de
cette paysanne neuchâteloise, qui offrait
asile et nourriture dans sa ferme à tous les
malheureux et, par là-même, donnait
une éclatante preuve de l'action vivante de
Jésus-Christ dans une vie toute
consacrée à son
service.
Le Pasteur Jung, qui a
passé douze ans à « La Confiance
», devait, nous semble-t-il, parler
lui-même de ce qu'il a vu ;
il a préféré nous laisser le
soin d'écrire ce qui fait l'objet de cette
brochure. Il nous a fourni cependant une grande
partie de ce qui va suivre, comme aussi deux amies
de Cécile Santschy, qui notaient au fur et
à mesure ce qu'elles voyaient et
entendaient. Notre travail a donc simplement
consisté à ordonner ces authentiques
récits, et nous Pavons fait avec une grande
joie ; car nous retrouvions de cette manière
tout le bienfait que nous goûtions à
nos visites chez cette chrétienne
exceptionnelle que des circonstances fortuites nous
avaient fait connaître. Que tous les amis de
cette « femme de prière » soient
ici remerciés de l'aide précieuse
qu'ils nous ont apportée.
« J'aurais voulu faire des
études, mais ma mère était
veuve ; je devins couturière. Souvent dans
la suite j'ai pensé que tout était
bien ainsi, car je n'ai jamais pu dépendre
que de Dieu ; je ne pouvais pas compter sur ma
culture ou mes forces personnelles. Il fallait
ainsi que Dieu seul fût glorifié.
»
Après une course dans la
forêt et à travers prés, nous
écoutions Mme Santschy nous dire à
quel point Dieu montre Sa puissance quand on se
confie totalement en Lui.
Depuis cette première visite,
nous sommes retournés auprès d'elle
et nous essayerons ici de transcrire ce que nous
avons reçu, ce que d'autres nous ont
transmis, non pas pour faire l'éloge d'une
femme, mais parce qu'il vaut la peine de raconter
ce qui se passa là-haut, dans cette ferme du
Jura neuchâtelois, car il y eut là
plus qu'une oeuvre de charité, il y eut
là un signe de Dieu.
Nous la laisserons parler le
plus
souvent possible, car son langage avait une saveur
particulière.
Aînée d'une famille de
quatre enfants, Cécile Schacher est
née le 24 juin 1887, à la Roche des
Crocs, ferme isolée sur le territoire de la
commune de la Sagne. Ses parents étaient
d'honnêtes paysans, très pauvres. Son père,
lucernois et
catholique, ne paraît pas avoir
été très pratiquant. Il laissa
sa femme élever ses enfants dans la foi
évangélique, mais quand la petite
Cécile eut atteint l'âge de onze ou
douze ans, il lui promit une robe blanche si elle
consentait à faire sa première
communion catholique. Pour avoir une robe blanche,
la fillette était toute disposée
à obéir à son père ;
mais la mère, une solide Oberlandaise,
veillait. L'enfant n'eut pas de robe blanche. En
a-t-elle gardé une certaine déception
? Peut-être, car elle avouait : «
J'étais fière et je souffrais de ne
pas avoir de robe du dimanche. Aussi j'allais me
cacher dans la forêt ; il m'est arrivé
même de rester tout un dimanche
après-midi à plat ventre sous mon
lit, lors d'une visite inattendue.
»
Elle aimait aller à
l'école, mais, ainsi que ses frères,
elle y subissait des affronts. Il en fut de
même à l'école du dimanche
où ils ne pouvaient pas se rendre
régulièrement en hiver, la neige
à la Roche étant abondante. Lors
d'une fête de Noël, seuls les enfants
qui n'avaient pas manqué l'école
recevaient un magnifique homme de pâte
recouvert d'un papier bariolé. « Pour
nous, on nous fit passer par derrière,
puisque nous n'étions pas réguliers
à l'école et nous n'avons pas
reçu d'homme de pâte... » La
petite fille fut blessée au vif et en
souffrit longtemps. Heureusement que,
rentrés chez eux, les enfants
trouvèrent, préparés par leur
mère, de superbes pains
d'épices!
Bien que sa mère n'eût
rien d'une piétiste, elle avait la crainte
de Dieu et inculqua ses principes à ses
enfants. Quand la petite Cécile allait
vendre de maison en maison, à La
Chaux-de-Fonds, le beurre que sa mère avait
fait avec le lait de leurs vaches, elle ne manquait
jamais, avant de sonner à une porte, de
réciter le « Notre Père
».
Cécile Schacher était
petite, délicate, elle souffrait de
terribles maux de tête. Un jour, on apporta
chez eux une corbeille de vêtements
usagés, parmi lesquels la petite
découvrit un Nouveau Testament. Elle
l'ouvrit et tomba sur ce verset : « Tout ce
que vous demanderez à mon Père, en
mon nom, Il vous le donnera. » Elle se dit:
« je veux Lui demander de
m'enlever mes maux de tête pour
l'école. » Elle ne savait pas prier;
alors elle dit simplement le « Notre
Père » en se passant la main sur le
front. Le soulagement fut immédiat.
Spontanément naquit en elle une confiance
illimitée en ce Dieu que l'on pouvait
implorer et qui répondait. Et bientôt
ses maux de tête disparurent
complètement.
Sa mère était une
femme de prière. Il lui arrivait d'aller
soigner des malades et elle disait à sa
fille : « je n'ai jamais approché un
être souffrant ou anxieux sans prier. »
En mourant, elle dit à ses enfants : «
Priez tous, en toutes circonstances.
»
Cécile n'avait que quinze ans
quand son père mourut. Elle avait trois
frères dont le cadet n'était encore
qu'un petit enfant. Aussi dut-elle songer à
aider au ménage. Elle fit l'apprentissage de
couturière, et dès qu'elle fut en
état de gagner quelque chose, elle donna
tout son argent à sa mère, ne gardant
pour elle-même que 50 centimes par semaine.
C'est ainsi qu'elle put mettre de côté
la somme de 100 francs.
Hélas, ce précieux
argent ne resta pas longtemps à la caisse
d'épargne.
Le domaine de Mme Schacher
touchait
à une sapinière. Un jour, les
bêtes, gardées par un garçonnet
nonchalant, avaient passé la barrière
et brouté les jeunes pousses vertes et
odorantes. La propriétaire de la
sapinière réclamait une
indemnité de 100 francs à la pauvre
veuve bien incapable de payer une somme aussi
exorbitante. Voulant épargner à sa
mère la honte d'être mise aux
poursuites par l'exigeante
créancière, Cécile alla
retirer ses économies à la banque,
avec le secret espoir que la riche
propriétaire aurait pitié de ses
pauvres voisins. il n'en fut rien ; la somme fut
encaissée et la quittance signée
froidement, sans un mot. En sortant, la jeune fille
pleurait de toutes ses larmes.
Cécile Schacher fut monitrice
à l'école du dimanche de la Sagne.
Elle prenait sa tâche à coeur, bien
qu'encore peu éclairée
elle-même dans la connaissance du salut. Elle manifestait
déjà
cette force de volonté qui lui permit plus
tard d'exercer un ascendant extraordinaire sur ceux
qui entraient en contact avec elle. Un jour qu'elle
insistait auprès d'un de ses petits
élèves pour lui faire entrer un
verset biblique dans la tête, elle le regarda
de telle manière que l'enfant
s'évanouit !
Comme couturière, elle allait
souvent travailler chez des clients à La
Chaux-de-Fonds. Elle y avait rencontré un
jeune homme qui ne lui déplaisait pas et qui
lui faisait même un brin de cour. Un soir, il
lui demanda de l'accompagner à la maison et,
tout en cheminant, se crut autorisé à
lui manquer de respect. Sans hésiter, elle
tira de son sac ses ciseaux et, brandissant la
pointe sous le nez de l'insolent, elle lui cria :
« je vous tue. » L'autre s'enfuit
épouvanté.
Alors qu'elle avait vingt-et-un
ans,
Cécile Schacher tomba gravement malade. Elle
travaillait comme maîtresse d'ouvrage dans un
orphelinat, lorsqu'un soir elle eut une terrible
hémorragie pulmonaire. « Un seau plein
de sang, disait-elle. je croyais que j'allais
mourir; j'ai fait de l'ordre dans mon armoire, puis
je me suis tournée contre le mur pour qu'on
ne s'effraie pas trop en me voyant morte, qu'on ait
le temps de se ressaisir. Puis je fus tout à
fait paisible. » Le lendemain, tout
étonnée de se trouver en vie, elle
fit son travail. Mais la directrice, avertie de ce
qui s'était passé, l'envoya chez le
médecin. Elle dut revenir en taxi, rentra
chez sa mère et fut soignée par elle
au lieu d'être envoyée à
Leysin. Le médecin ne croyait pas qu'elle
guérirait, elle était trop
atteinte.
Et pourtant, elle guérit ; le
bon air de la montagne, la senteur vivifiante des
sapins, le grand ciel bleu, tout ce qui lui avait
manqué à la ville, les soins
dévoués de sa mère, les
visites aussi d'un jeune paysan qui devait plus
tard devenir son mari, tout cela la remit sur
pied.
Et puis, tandis que pendant de
longues heures elle demeurait étendue, la
lecture de la Bible fortifia en elle l'assurance
que Dieu est le Maître de nos vies.
« Toi seul peux me
guérir, Dieu tout-puissant »,
disait-elle au fond d'elle-même.
Elle avait fait un voeu : Si
Dieu la
guérissait, elle ferait quelque chose pour
Lui... Peut-être donnerait-elle cinq francs
pour la Mission !... Plus tard, Dieu lui demanda un
don autrement substantiel.
Cécile Schacher était
jolie, grande, élégante ; elle aurait
pu prétendre à un beau mariage et la
perspective de devenir peut-être une «
dame de la ville » ne lui déplaisait
pas. Elle crut toucher un jour à ce
bonheur-là, ayant été
courtisée par un commis de banque.
Hélas, une cruelle désillusion devait
l'atteindre. Plus tard, elle disait : « Il
valait mieux que je ne l'épouse pas, je lui
aurais léché les pantoufles !
»
Elle eut encore plusieurs
amoureux
et plusieurs déceptions. Mais pendant ce
temps, le jeune paysan qui l'avait visitée
pendant sa maladie ne l'oubliait pas. Elle le revit
à une noce toute paysanne, dans la famille
de son prétendant, et elle dansa avec lui.
Une photographie qu'on voyait dans sa chambre lui
rappelait cet événement et surtout
une circonstance spécialement pittoresque
qu'elle aimait à raconter. « Avant le
mariage, je fus appelée à travailler
dans la famille de la fiancée. C'est sans
doute, me disais-je, pour confectionner la robe de
noce de la mariée. Erreur ! On ne me donna
à coudre que des sacs. Ah ! C'est ainsi ? Eh
bien ! je vous prouverai que je sais faire mieux
que des sacs. » Et elle confectionna pour
elle-même une très jolie robe blanche.
C'est ainsi qu'on la voit vêtue sur la
photographie, et l'on s'étonne que ce ne
soit pas la mariée elle-même qui
puisse être ainsi parée. Ce ne fut pas
du goût de sa future belle-mère, qui
déclara qu'elle ne donnerait pas son fils
à cette « pimbêche » sans le
sou !
Mais tout finit bien. Le futur
mari
tint bon, autant que la combative élue de
son coeur et ils se marièrent bientôt,
se passant de l'autorisation maternelle. Une
année ne s'était pas
écoulée que la paix était
faite et qu'une amitié se créait
entre belle-mère et belle-fille. « Ma belle-mère me
pardonna mon
intrusion dans son riche entourage, dès
qu'elle vit son enfant parfaitement heureux »,
ajoutait-elle.
Au début du mariage, le jeune
ménage s'installa non loin de
Tête-de-Ran, au Mont-Dard; c'est là
que Cécile Santschy apprit à
travailler aux champs et à l'étable.
Elle comprit très vite que c'est en aimant
qu'on peut arriver à conduire sa maison,
« hommes et bêtes ». Elle s'en
aperçut en s'occupant du bétail.
« Chaque pièce d'un troupeau
possède un caractère
différent, disait-elle. Lorsque j'allais
pour les rassembler, je les appelais de loin. Elles
connaissaient le signal et s'approchaient sans
tarder. Une génisse me suivait de loin comme
un petit chien. »
Les promeneurs s'arrêtaient à la
ferme et pouvaient s'y réconforter,
goûtant au bon lait et à la
crème fraîche. Une compagne
d'école lui dit un jour : « Tu es
déraisonnable d'avoir épousé
un paysan, toi qui as tant de goût pour les
belles toilettes ! »
Cette remarque l'amusa. «
Personne ne savait, disait-elle, le chemin que
j'avais parcouru depuis, sauf le Maître dont
je m'essayais à suivre les voies souvent si
ténébreuses pour nos regards humains.
»
Cécile Santschy aurait
vivement désiré avoir des enfants.
Elle les voyait en imagination, ces petits qu'elle
chérirait et auxquels elle apprendrait
à ne compter que sur Celui qui sauve. Ce fut
pour elle une douloureuse déception de voir
les années s'écouler sans qu'un seul
enfant vienne enrichir son foyer.
À ce moment-là, un
événement marqua dans sa vie. «
Mon redoutable moi, disait-elle, prenait trop
souvent le dessus. je pensais avec un orgueil
insensé que, puisque je voulais le servir,
Dieu devait exaucer mes moindres désirs.
»
C'était l'époque
où une mauvaise grippe, conséquence
de la guerre, faisait tant de victimes en Suisse
comme à l'étranger, dans la
population civile aussi bien que dans l'année.
Cécile
Santschy apprit que son second frère, sous
les armes, se mourait à l'autre bout de la
Suisse, à Kreuzlingen. Elle accourut
à son chevet. Fatiguée de son long
voyage, elle se présenta au lazaret
militaire installé dans une école.
Dans le vestibule, elle se heurta à
l'armée suisse, représentée
par trois soldats qui lui barraient le passage. La
consigne est formelle : « Défense
absolue d'entrer. » Cécile Santschy
n'essaya pas de parlementer. D'un coup de poing
à gauche, d'un coup de poing à
droite, elle écarte deux soldats et,
fonçant de la tête dans la poitrine du
troisième qui se tenait devant elle, en
trois secondes, cette Suissesse digne de celles des
anciens âges fut maîtresse du champ de
bataille ! Elle alla vers son frère qu'elle
trouva au plus mal. Il délirait. Pour
essayer de se faire comprendre de lui, elle lui
parla en oberlandais, dans la langue de leur
mère. Puis, se jetant à genoux au
pied du lit, elle se mit à lutter avec Dieu
dans la prière. Elle ne voulait pas que son
frère mourût. Elle pensait avec
douleur au vide que cela creuserait, se souvenant
de la mort de son père ; elle revoyait leurs
repas assombris, sa mère pleurant quatre ans
encore après la mort de son
compagnon.
Toute la nuit, elle cria à
Dieu avec ardeur, avec larmes, pour lui arracher
l'exaucement.
Vers le matin, son frère lui
toucha le bras. « Tu m'empêches de
mourir. Laisse-moi m'en aller vers Jésus.
»
Son frère mourut. Dieu ne
s'était pas laissé fléchir.
Cécile Santschy n'était pas encore
très éclairée. Elle
était de ce type de chrétiens
incapables de situer, à un moment
précis, leur conversion. L'oeuvre de la
grâce se fit en elle d'une manière
lente et progressive. Mais, bien qu'elle se
trompât certainement en voulant imposer
à Dieu sa volonté, elle manifesta
dans cette circonstance tragique la force
d'âme extraordinaire qui était un des
traits distinctifs de son
caractère.
Profondément blessée
de n'avoir pu vaincre, Mme Santschy, pendant des
mois, ne pria plus. Elle boudait Dieu. Elle
racontait que souvent, le soir, il lui semblait que
deux bras d'amour
cherchaient
à l'attirer et qu'une voix douce lui
murmurait:
- Viens, mon enfant,
viens.
- Non !
- Viens.
- Non !
Et elle ponctuait ce non d'un
geste
expressif qui en disait long sur sa farouche
résolution.
A quelques mois de là, elle
fut invitée à un mariage avec son
mari. Au dessert, on la pria de chanter. Mine
Santschy possédait une très belle
voix, chaude, émouvante, qui eût
certainement donné quelque chose si elle
avait été cultivée.
Cédant aux instances des convives, eue
chanta une douce romance : « La
dernière rose. » Ses sentiments depuis
si longtemps refoulés trouvant enfin un
exutoire, elle mit tant de passion dans son chant
que, disait-elle, « ils pleuraient tous comme
des veaux ! » Elle aussi pleurait. Dès
ce jour, Cécile Santschy put prier de
nouveau.
Les Santschy quittèrent
bientôt le Mont-Dard pour aller habiter le
domaine de Combe-Villier, plus important,
situé au-dessus de La Brévine,
à la montagne de Travers.
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