Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE PREMIER

JEUNES ANNÉES

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Il fait bon pouvoir dire par expérience que Dieu exauce quand nous l'invoquons. Mais il faut que notre vie soit une vie de prières régulières.
Si l'on ne crie à Dieu que rarement, pressé par une détresse plus forte - alors qu'on se passe habituellement d'implorer son secours et que l'on s'agite loin de sa pensée - il ne saurait être question de semblable assurance.
Pour la posséder pleinement, il faut marcher chaque jour avec Dieu et se nourrir de sa Parole.

Cécile Santschy.


 

« Le temps des miracles est passé... »

Cette affirmation qu'on entend parfois ne trouve-t-elle pas souvent un démenti dans nos vies ? Nous le constaterons spécialement dans les expériences de cette paysanne neuchâteloise, qui offrait asile et nourriture dans sa ferme à tous les malheureux et, par là-même, donnait une éclatante preuve de l'action vivante de Jésus-Christ dans une vie toute consacrée à son service.

Le Pasteur Jung, qui a passé douze ans à « La Confiance », devait, nous semble-t-il, parler lui-même de ce qu'il a vu ; il a préféré nous laisser le soin d'écrire ce qui fait l'objet de cette brochure. Il nous a fourni cependant une grande partie de ce qui va suivre, comme aussi deux amies de Cécile Santschy, qui notaient au fur et à mesure ce qu'elles voyaient et entendaient. Notre travail a donc simplement consisté à ordonner ces authentiques récits, et nous Pavons fait avec une grande joie ; car nous retrouvions de cette manière tout le bienfait que nous goûtions à nos visites chez cette chrétienne exceptionnelle que des circonstances fortuites nous avaient fait connaître. Que tous les amis de cette « femme de prière » soient ici remerciés de l'aide précieuse qu'ils nous ont apportée.

« J'aurais voulu faire des études, mais ma mère était veuve ; je devins couturière. Souvent dans la suite j'ai pensé que tout était bien ainsi, car je n'ai jamais pu dépendre que de Dieu ; je ne pouvais pas compter sur ma culture ou mes forces personnelles. Il fallait ainsi que Dieu seul fût glorifié. »

Après une course dans la forêt et à travers prés, nous écoutions Mme Santschy nous dire à quel point Dieu montre Sa puissance quand on se confie totalement en Lui.

Depuis cette première visite, nous sommes retournés auprès d'elle et nous essayerons ici de transcrire ce que nous avons reçu, ce que d'autres nous ont transmis, non pas pour faire l'éloge d'une femme, mais parce qu'il vaut la peine de raconter ce qui se passa là-haut, dans cette ferme du Jura neuchâtelois, car il y eut là plus qu'une oeuvre de charité, il y eut là un signe de Dieu.

Nous la laisserons parler le plus souvent possible, car son langage avait une saveur particulière.

Aînée d'une famille de quatre enfants, Cécile Schacher est née le 24 juin 1887, à la Roche des Crocs, ferme isolée sur le territoire de la commune de la Sagne. Ses parents étaient d'honnêtes paysans, très pauvres. Son père, lucernois et catholique, ne paraît pas avoir été très pratiquant. Il laissa sa femme élever ses enfants dans la foi évangélique, mais quand la petite Cécile eut atteint l'âge de onze ou douze ans, il lui promit une robe blanche si elle consentait à faire sa première communion catholique. Pour avoir une robe blanche, la fillette était toute disposée à obéir à son père ; mais la mère, une solide Oberlandaise, veillait. L'enfant n'eut pas de robe blanche. En a-t-elle gardé une certaine déception ? Peut-être, car elle avouait : « J'étais fière et je souffrais de ne pas avoir de robe du dimanche. Aussi j'allais me cacher dans la forêt ; il m'est arrivé même de rester tout un dimanche après-midi à plat ventre sous mon lit, lors d'une visite inattendue. »

Elle aimait aller à l'école, mais, ainsi que ses frères, elle y subissait des affronts. Il en fut de même à l'école du dimanche où ils ne pouvaient pas se rendre régulièrement en hiver, la neige à la Roche étant abondante. Lors d'une fête de Noël, seuls les enfants qui n'avaient pas manqué l'école recevaient un magnifique homme de pâte recouvert d'un papier bariolé. « Pour nous, on nous fit passer par derrière, puisque nous n'étions pas réguliers à l'école et nous n'avons pas reçu d'homme de pâte... » La petite fille fut blessée au vif et en souffrit longtemps. Heureusement que, rentrés chez eux, les enfants trouvèrent, préparés par leur mère, de superbes pains d'épices!

Bien que sa mère n'eût rien d'une piétiste, elle avait la crainte de Dieu et inculqua ses principes à ses enfants. Quand la petite Cécile allait vendre de maison en maison, à La Chaux-de-Fonds, le beurre que sa mère avait fait avec le lait de leurs vaches, elle ne manquait jamais, avant de sonner à une porte, de réciter le « Notre Père ».

Cécile Schacher était petite, délicate, elle souffrait de terribles maux de tête. Un jour, on apporta chez eux une corbeille de vêtements usagés, parmi lesquels la petite découvrit un Nouveau Testament. Elle l'ouvrit et tomba sur ce verset : « Tout ce que vous demanderez à mon Père, en mon nom, Il vous le donnera. » Elle se dit: « je veux Lui demander de m'enlever mes maux de tête pour l'école. » Elle ne savait pas prier; alors elle dit simplement le « Notre Père » en se passant la main sur le front. Le soulagement fut immédiat. Spontanément naquit en elle une confiance illimitée en ce Dieu que l'on pouvait implorer et qui répondait. Et bientôt ses maux de tête disparurent complètement.

Sa mère était une femme de prière. Il lui arrivait d'aller soigner des malades et elle disait à sa fille : « je n'ai jamais approché un être souffrant ou anxieux sans prier. » En mourant, elle dit à ses enfants : « Priez tous, en toutes circonstances. »

Cécile n'avait que quinze ans quand son père mourut. Elle avait trois frères dont le cadet n'était encore qu'un petit enfant. Aussi dut-elle songer à aider au ménage. Elle fit l'apprentissage de couturière, et dès qu'elle fut en état de gagner quelque chose, elle donna tout son argent à sa mère, ne gardant pour elle-même que 50 centimes par semaine. C'est ainsi qu'elle put mettre de côté la somme de 100 francs.

Hélas, ce précieux argent ne resta pas longtemps à la caisse d'épargne.

Le domaine de Mme Schacher touchait à une sapinière. Un jour, les bêtes, gardées par un garçonnet nonchalant, avaient passé la barrière et brouté les jeunes pousses vertes et odorantes. La propriétaire de la sapinière réclamait une indemnité de 100 francs à la pauvre veuve bien incapable de payer une somme aussi exorbitante. Voulant épargner à sa mère la honte d'être mise aux poursuites par l'exigeante créancière, Cécile alla retirer ses économies à la banque, avec le secret espoir que la riche propriétaire aurait pitié de ses pauvres voisins. il n'en fut rien ; la somme fut encaissée et la quittance signée froidement, sans un mot. En sortant, la jeune fille pleurait de toutes ses larmes.

Cécile Schacher fut monitrice à l'école du dimanche de la Sagne. Elle prenait sa tâche à coeur, bien qu'encore peu éclairée elle-même dans la connaissance du salut. Elle manifestait déjà cette force de volonté qui lui permit plus tard d'exercer un ascendant extraordinaire sur ceux qui entraient en contact avec elle. Un jour qu'elle insistait auprès d'un de ses petits élèves pour lui faire entrer un verset biblique dans la tête, elle le regarda de telle manière que l'enfant s'évanouit !

Comme couturière, elle allait souvent travailler chez des clients à La Chaux-de-Fonds. Elle y avait rencontré un jeune homme qui ne lui déplaisait pas et qui lui faisait même un brin de cour. Un soir, il lui demanda de l'accompagner à la maison et, tout en cheminant, se crut autorisé à lui manquer de respect. Sans hésiter, elle tira de son sac ses ciseaux et, brandissant la pointe sous le nez de l'insolent, elle lui cria : « je vous tue. » L'autre s'enfuit épouvanté.

Alors qu'elle avait vingt-et-un ans, Cécile Schacher tomba gravement malade. Elle travaillait comme maîtresse d'ouvrage dans un orphelinat, lorsqu'un soir elle eut une terrible hémorragie pulmonaire. « Un seau plein de sang, disait-elle. je croyais que j'allais mourir; j'ai fait de l'ordre dans mon armoire, puis je me suis tournée contre le mur pour qu'on ne s'effraie pas trop en me voyant morte, qu'on ait le temps de se ressaisir. Puis je fus tout à fait paisible. » Le lendemain, tout étonnée de se trouver en vie, elle fit son travail. Mais la directrice, avertie de ce qui s'était passé, l'envoya chez le médecin. Elle dut revenir en taxi, rentra chez sa mère et fut soignée par elle au lieu d'être envoyée à Leysin. Le médecin ne croyait pas qu'elle guérirait, elle était trop atteinte.

Et pourtant, elle guérit ; le bon air de la montagne, la senteur vivifiante des sapins, le grand ciel bleu, tout ce qui lui avait manqué à la ville, les soins dévoués de sa mère, les visites aussi d'un jeune paysan qui devait plus tard devenir son mari, tout cela la remit sur pied.

Et puis, tandis que pendant de longues heures elle demeurait étendue, la lecture de la Bible fortifia en elle l'assurance que Dieu est le Maître de nos vies.

« Toi seul peux me guérir, Dieu tout-puissant », disait-elle au fond d'elle-même.

Elle avait fait un voeu : Si Dieu la guérissait, elle ferait quelque chose pour Lui... Peut-être donnerait-elle cinq francs pour la Mission !... Plus tard, Dieu lui demanda un don autrement substantiel.

Cécile Schacher était jolie, grande, élégante ; elle aurait pu prétendre à un beau mariage et la perspective de devenir peut-être une « dame de la ville » ne lui déplaisait pas. Elle crut toucher un jour à ce bonheur-là, ayant été courtisée par un commis de banque. Hélas, une cruelle désillusion devait l'atteindre. Plus tard, elle disait : « Il valait mieux que je ne l'épouse pas, je lui aurais léché les pantoufles ! »

Elle eut encore plusieurs amoureux et plusieurs déceptions. Mais pendant ce temps, le jeune paysan qui l'avait visitée pendant sa maladie ne l'oubliait pas. Elle le revit à une noce toute paysanne, dans la famille de son prétendant, et elle dansa avec lui. Une photographie qu'on voyait dans sa chambre lui rappelait cet événement et surtout une circonstance spécialement pittoresque qu'elle aimait à raconter. « Avant le mariage, je fus appelée à travailler dans la famille de la fiancée. C'est sans doute, me disais-je, pour confectionner la robe de noce de la mariée. Erreur ! On ne me donna à coudre que des sacs. Ah ! C'est ainsi ? Eh bien ! je vous prouverai que je sais faire mieux que des sacs. » Et elle confectionna pour elle-même une très jolie robe blanche. C'est ainsi qu'on la voit vêtue sur la photographie, et l'on s'étonne que ce ne soit pas la mariée elle-même qui puisse être ainsi parée. Ce ne fut pas du goût de sa future belle-mère, qui déclara qu'elle ne donnerait pas son fils à cette « pimbêche » sans le sou !

Mais tout finit bien. Le futur mari tint bon, autant que la combative élue de son coeur et ils se marièrent bientôt, se passant de l'autorisation maternelle. Une année ne s'était pas écoulée que la paix était faite et qu'une amitié se créait entre belle-mère et belle-fille. « Ma belle-mère me pardonna mon intrusion dans son riche entourage, dès qu'elle vit son enfant parfaitement heureux », ajoutait-elle.

Au début du mariage, le jeune ménage s'installa non loin de Tête-de-Ran, au Mont-Dard; c'est là que Cécile Santschy apprit à travailler aux champs et à l'étable. Elle comprit très vite que c'est en aimant qu'on peut arriver à conduire sa maison, « hommes et bêtes ». Elle s'en aperçut en s'occupant du bétail. « Chaque pièce d'un troupeau possède un caractère différent, disait-elle. Lorsque j'allais pour les rassembler, je les appelais de loin. Elles connaissaient le signal et s'approchaient sans tarder. Une génisse me suivait de loin comme un petit chien. »


« La Confiance »


Les promeneurs s'arrêtaient à la ferme et pouvaient s'y réconforter, goûtant au bon lait et à la crème fraîche. Une compagne d'école lui dit un jour : « Tu es déraisonnable d'avoir épousé un paysan, toi qui as tant de goût pour les belles toilettes ! »

Cette remarque l'amusa. « Personne ne savait, disait-elle, le chemin que j'avais parcouru depuis, sauf le Maître dont je m'essayais à suivre les voies souvent si ténébreuses pour nos regards humains. »

Cécile Santschy aurait vivement désiré avoir des enfants. Elle les voyait en imagination, ces petits qu'elle chérirait et auxquels elle apprendrait à ne compter que sur Celui qui sauve. Ce fut pour elle une douloureuse déception de voir les années s'écouler sans qu'un seul enfant vienne enrichir son foyer.

À ce moment-là, un événement marqua dans sa vie. « Mon redoutable moi, disait-elle, prenait trop souvent le dessus. je pensais avec un orgueil insensé que, puisque je voulais le servir, Dieu devait exaucer mes moindres désirs. »

C'était l'époque où une mauvaise grippe, conséquence de la guerre, faisait tant de victimes en Suisse comme à l'étranger, dans la population civile aussi bien que dans l'année. Cécile Santschy apprit que son second frère, sous les armes, se mourait à l'autre bout de la Suisse, à Kreuzlingen. Elle accourut à son chevet. Fatiguée de son long voyage, elle se présenta au lazaret militaire installé dans une école. Dans le vestibule, elle se heurta à l'armée suisse, représentée par trois soldats qui lui barraient le passage. La consigne est formelle : « Défense absolue d'entrer. » Cécile Santschy n'essaya pas de parlementer. D'un coup de poing à gauche, d'un coup de poing à droite, elle écarte deux soldats et, fonçant de la tête dans la poitrine du troisième qui se tenait devant elle, en trois secondes, cette Suissesse digne de celles des anciens âges fut maîtresse du champ de bataille ! Elle alla vers son frère qu'elle trouva au plus mal. Il délirait. Pour essayer de se faire comprendre de lui, elle lui parla en oberlandais, dans la langue de leur mère. Puis, se jetant à genoux au pied du lit, elle se mit à lutter avec Dieu dans la prière. Elle ne voulait pas que son frère mourût. Elle pensait avec douleur au vide que cela creuserait, se souvenant de la mort de son père ; elle revoyait leurs repas assombris, sa mère pleurant quatre ans encore après la mort de son compagnon.

Toute la nuit, elle cria à Dieu avec ardeur, avec larmes, pour lui arracher l'exaucement.

Vers le matin, son frère lui toucha le bras. « Tu m'empêches de mourir. Laisse-moi m'en aller vers Jésus. »

Son frère mourut. Dieu ne s'était pas laissé fléchir. Cécile Santschy n'était pas encore très éclairée. Elle était de ce type de chrétiens incapables de situer, à un moment précis, leur conversion. L'oeuvre de la grâce se fit en elle d'une manière lente et progressive. Mais, bien qu'elle se trompât certainement en voulant imposer à Dieu sa volonté, elle manifesta dans cette circonstance tragique la force d'âme extraordinaire qui était un des traits distinctifs de son caractère.

Profondément blessée de n'avoir pu vaincre, Mme Santschy, pendant des mois, ne pria plus. Elle boudait Dieu. Elle racontait que souvent, le soir, il lui semblait que deux bras d'amour cherchaient à l'attirer et qu'une voix douce lui murmurait:

- Viens, mon enfant, viens.
- Non !
- Viens.
- Non !

Et elle ponctuait ce non d'un geste expressif qui en disait long sur sa farouche résolution.

A quelques mois de là, elle fut invitée à un mariage avec son mari. Au dessert, on la pria de chanter. Mine Santschy possédait une très belle voix, chaude, émouvante, qui eût certainement donné quelque chose si elle avait été cultivée. Cédant aux instances des convives, eue chanta une douce romance : « La dernière rose. » Ses sentiments depuis si longtemps refoulés trouvant enfin un exutoire, elle mit tant de passion dans son chant que, disait-elle, « ils pleuraient tous comme des veaux ! » Elle aussi pleurait. Dès ce jour, Cécile Santschy put prier de nouveau.

Les Santschy quittèrent bientôt le Mont-Dard pour aller habiter le domaine de Combe-Villier, plus important, situé au-dessus de La Brévine, à la montagne de Travers.

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