Il y a déjà un certain temps, dans
les années 1940 à 1944, alors que
j'étais pasteur à Rochefort, ce
charmant village neuchâtelois entre la
montagne et le lac, je me rendais volontiers sur
les hauteurs de La Tourne pour y visiter la
paroissienne la plus extraordinaire qu'il m'ait
été donné de rencontrer.
C'était une humble paysanne qui vivait, avec
son mari, dans une ferme au grand toit typiquement
jurassien qu'on aperçoit facilement de la
route. Je savais qu'en allant la voir, je recevrais
un puissant stimulant pour mon ministère,
tant sa vie de prière était
agissante. Elle n'avait pourtant rien de la recluse
toujours en oraison dans sa cellule. Au contraire,
elle passait la plupart de ses journées
à travailler aux champs, car il fallait bien
assurer la subsistance à tout son petit
monde, c'est-à-dire aux vieillards et aux
enfants qu'elle avait recueillis. Elle attendait
tout de Dieu, et le récit qu'on va lire en
témoigne éloquemment, mais si elle
joignait souvent les mains, elle n'en était
pas moins active, sans cesse sur la brèche,
se mettant à n'importe quelle
besogne.
Je la revois, par un bel
après-midi d'automne, en train de trier des
pommes de terre devant la grange; elle m'accueillit
avec le sourire, et je ne pus faire autrement que
de m'asseoir à côté d'elle pour
lui prêter mon aide inexperte. Son exemple
était contagieux en toutes choses. Rien
d'étonnant que Dieu, par elle, ait pu faire
des miracles. Elle avait une foi si simple et si
ardente. D'une belle prestance, elle imposait le
respect, et son langage plein de distinction et de
saveur révélait une âme
d'élite. Une seule préoccupation la
dominait: se soumettre à son Seigneur jusque
dans les moindres détails. « Oh! si je
pouvais convaincre tous ceux qui liront ces lignes,
écrivait-elle un jour à ma femme qui
désirait parler d'elle dans un journal, que
nous avons un Père qui s'occupe de tous les
détails de nos vies. Toutes nos
difficultés, nos souffrances, nos
péchés, Christ les a vaincus sur la
croix. Dieu nous offre, nous demande même de
Lui faire confiance en déposant tout au pied
de la croix. » Cela, elle ne l'a pas seulement
dit, elle l'a vécu pendant toute sa vie
consacrée aux «
déshérités que le Maître
voulait bien lui envoyer », pour employer
encore ses propres termes.
Il valait donc la peine non pas
d'écrire la biographie de Cécile
Santschy, comme si c'était une sainte dont
il conviendrait de célébrer les
mérites, mais de recueillir et de raconter,
en toute honnêteté, les faits relatifs
à l'action de Dieu dans sa vie, pour bien
montrer que le Seigneur est toujours puissant parmi
nous, là où il trouve un serviteur ou
une servante prêts à faire sa
volonté. Mme Juliette Bolle, qui a bien
connu Cécile Santschy, n'a pas voulu faire
autre chose. Un écrivain s'y serait pris
différemment pour décrire cette vie
rayonnante ; il aurait sans doute essayé
d'en brosser un portrait psychologique, et la
matière ne lui aurait pas fait
défaut, tant est riche une pareille
personnalité qui allie les traits de Marthe
et de Marie et dont l'esprit d'à-propos
n'est pas la moindre caractéristique; il
aurait fait une fresque pittoresque de tous les
hôtes de « La Confiance », et
certains rapprochements se seraient imposés
à son esprit, il aurait vu en Cécile
Santschy une émule d'un Blumhardt, d'un John
Bost et d'un George Muller. Mais n'est-ce pas
peut-être plus évangélique de
laisser parler les faits, de s'effacer devant eux,
sans même en faire de la littérature
pieuse, pour qu'ils témoignent mieux de la
gloire de Dieu ?
Si ce petit livre a un but,
c'est de
nous mettre nous-mêmes sur la voie royale de
la prière et de l'amour, car il n'a pas
été écrit pour nous faire
admirer une femme exceptionnelle, mais pour nous
livrer le secret de sa vie qui peut aussi
être le nôtre.
Eugène Porret.
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