Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XIX

Une vieille lettre.

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On a retrouvé de cet automne mélancolique un souvenir qui vaut la peine d'être mentionné. En 1836, une famille française très ancienne eut l'occasion de vider des bahuts contenant une foule de vieux papiers. Parmi ces reliques se trouvaient beaucoup de lettres écrites il y a fort longtemps et dont personne ne se souciait plus. Leurs possesseurs les jetèrent au feu paquet après paquet. Ils jugèrent à propos cependant de conserver un petit paquet qui portait l'étiquette suivante: « Lettres sur des sujets militaires ». Ceci doit être intéressant, pensa le propriétaire, il vaut la peine de le garder; Mais, lorsqu'on ouvrit ces lettres, on reconnut que I'étiquette avait été mise par erreur, car elles ne traitaient nullement de sujets militaires.
Elles étaient vieilles de trois siècles et avaient été écrites par Terre Toussaint et plusieurs de ses amis; il y en avait une de Guillaume Farel au chevalier Nicolas d'Esch, lequel était alors à Metz. Cette précieuse épître nous met au courant des pensées intimes de Farel à cette époque; elle est datée de Strasbourg le 16 octobre 1526.
En voici quelques parties: « La grâce, paix et miséricorde de Dieu notre Père et de notre Seigneur Jésus vous soit donnée, mon bon seigneur et frère, en Celui qui pour nous a répandu son sang. Lequel vous remplisse de la force et vertu d'en haut pour porter Son Nom devant tous et lutter fortement pour la gloire de Son Évangile... Car toute doctrine d'erreur est fausse, elle renie Jésus-Christ, et toute véritable doctrine le confesse, comme par exemple si nous enseignons que les hommes sont justifiés et sauvés par la seule fiance et foi en Jésus-Christ, et non par autre chose. Car cette foi nous donne la vie éternelle, fait de nous de bons arbres, des fils de lumière, des fils de Dieu et du royaume de vie. Ces bons arbres produisent ensuite de bons fruits, les fruits de vie qui sont les oeuvres de lumière des enfants de Dieu.
Ces oeuvres ne sont pas vivifiantes ni sauvantes, mais elles manifestent la vie éternelle et le salut que possède le croyant, qui ayant connu et goûté l'infinie bonté et miséricorde de Dieu envers lui et le grand bien et honneur que Dieu lui a fait par Jésus-Christ, est embrasé du feu d'amour par le St-Esprit. Cet esprit l'ayant scellé et marqué en son coeur, lui donnant les arrhes de la vie éternelle, il ne peut que rendre grâce au Père de si grands bénéfices et que faire les oeuvres de vraie foi et charité, pour magnifier et exalter la gloire de son Père, afin que d'autres apprennent à le connaîtra Le croyant ne fait pas ces oeuvres de peur d'être damné s'il ne les fait, mais pour glorifier son Père, et il ne craindra point de descendre en enfer s'il le fallait, préférant, comme Moïse et saint Paul, être effacé du livre de vie plutôt que de souffrir que le nom de Dieu soit déshonoré.
Tous ceux qui disent: En faisant ainsi ou ainsi, tu seras sauvé, et: si tu ne fais ceci ou si tu n'es lavé d eau, Si tu ne fais des oeuvres visibles, tu seras perdu, ceux-là renient Jésus et son oeuvre. Car il serait mort en vain et Son sang serait de nulle efficace, si sans telle ou telle oeuvre il ne pouvait sauver. Il est bien vrai cependant que le feu n'existe pas sans donner de la chaleur, ainsi là où les fruits de foi et la chaleur de charité ne se montrent pas, il est permis de douter que ceux-là soient des enfants de Dieu puisqu'ils ne le montrent point, mais il est certain qu'ils sont encore moins enfants de Dieu, ceux qui font certaines oeuvres réputées bonnes par crainte de l'enfer et de la mort. Car, en vérité, le coeur chrétien ne fait rien que pour glorifier Dieu et attirer les hommes à Lui...
Vous me demandez une Bible, vous en trouverez de petit format à Paris et je crois qu'on aura bientôt les cinq livres de Moïse qui viennent d'être traduits et ainsi le nom du Seigneur se fera connaître de plus en plus. Pas besoin de vous écrire mon désir, je me ferais volontiers souris afin de pouvoir entrer à Metz pour y servir Celui auquel je dois tant. Notre Seigneur nous donne à tous la grâce de le servir purement et saintement... Et surtout il faut garder la douceur de Jésus, laquelle II veut qu'on apprenne de Lui. Comme Notre Seigneur attend patiemment les pécheurs afin qu'ils se convertissent, de même nous devons attendre ceux qu'II veut attirer.
Nous devons le regarder comme un grand encouragement si les pécheurs ne blasphèment point tout d'abord Dieu et sa Parole, puis s'ils veulent entendre; et enfin s ils viennent à la reconnaître comme véritable, bientôt ils la recevront et lui obéiront. Nous voyons que Notre Seigneur a supporté le peu de foi et la stupidité de ses disciples, et vous savez qu'II est le miroir dans lequel nous devons regarder pour savoir comment marcher. Si les hommes l'avaient fait jusqu'à présent, nous verrions d'autres fruits, mais encore loué soit Dieu de ce que les âmes parviennent comme qu'il en soit à la connaissance de Jésus. Quand le Seigneur envoya d'abord ses disciples prêcher, qu'ils étaient faibles, que leur foi était petite I
C'est pourquoi si un chrétien peut annoncer Jésus, qu'il le fasse, se remettant au Seigneur afin qu'II lui aide. Que le chrétien annonce la Parole de tout son pouvoir et qu'il invite ses frères à faire de même, car l'usage de la Parole ôtera l'infirmité de la foi, et nous la faisant mieux connaître, nous poussera à demander, comme les apôtres, que Dieu nous l'augmente. Plaise à Dieu qu'il en soit ainsi et qu'II ait pitié de nous et de ses pauvres brebis détenues en grande captivité et ignorance par le diable. Que le Seigneur leur fasse la grâce de pouvoir entendre prêcher Sa Sainte Parole en toute pureté 1... Saluez, je vous prie, monsieur votre frère et tous ceux qui aiment Celui qui seul doit être aimé... Vous pouvez envoyer vos lettres ici en les adressant à Capiton. Je vous prie encore de ceci: « Que Jésus tienne et possède tout votre coeur afin qu'il ne pense à autre chose qu'à Jésus et ne fasse rien sinon pour Jésus. » tellement qu'à présent et à toujours vous soyez en Jésus. À vous de tout mon coeur en notre Seigneur Jésus.

Guillaume Farel.


Post-scriptum. Je n'ai besoin de rien, je suis riche comme Job, grâce à Dieu qui m'a donné et me donne de jour en jour pour vivre, mais sobrement ainsi que je désire. »

Suscription: « Au très noble chevalier messire Nicole d'Esch, à Metz. »

« Que Jésus tienne et possède tout votre coeur afin qu'il ne pense à autre chose qu'à Jésus et ne fasse rien sinon pour Jésus. » Plaise à Dieu que le souhait de Fard se réalise pour tous ceux qui le liront, en sorte que Celui que Farel aimait tant, leur devienne de plus en plus précieux et qu'ils aient lieu de bénir le Seigneur pendant l'éternité d'avoir dicté et fait conserver cette lettre de son serviteur.


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CHAPITRE XX

Une belle contrée plongée dans les ténèbres.

 

Quelques jours après avoir écrit cette lettre, Farel quitta Strasbourg pour se rendre dans un pays de langue française où sa voix n'avait pas encore retenti: je veux parler de la Suisse occidentale. Farel crut comprendre que le Seigneur l'y envoyait. Il avait été invité par un prédicateur évangélique, nommé Berthold Haller, qui travaillait depuis quelque temps à Berne et dans les environs, où l'on parlait l'allemand. Mais plus à l'ouest, il y avait des populations de langue française qui étaient sous la domination bernoise. La prédication de Haller avait été bénie pour plusieurs des notables de Berne qui semblaient avoir reçu l'Évangile; on pouvait donc espérer qu'ils seraient favorables à la propagation de l'Évangile sur leur territoire.

Farel partit de Strasbourg à pied, accompagné d'un seul ami dont je ne sais rien, sinon qu'il s'appelait Thomas. Dès le premier soir, les deux voyageurs s'égarèrent; la pluie tombait à verse, la nuit était froide et obscure; nos amis errèrent longtemps à l'aventure. Enfin, vaincus par la fatigue, ils s'assirent au bord de la route boueuse, perdant tout espoir de retrouver leur chemin. Farel sentit l'abattement le gagner, et pourtant ce n'était pas chose nouvelle pour lui que de passer la nuit en plein air. Pendant des semaines, si ce n'est des mois, il avait erré ainsi dans les montagnes du Dauphiné, s'abritant la nuit sous un rocher ou dans un taillis. Mais Dieu avait une leçon à lui enseigner pendant cette nuit humide et froide, une leçon qu'il lui était nécessaire d'apprendre avant de pouvoir sans danger goûter les glorieux succès qui se préparaient pour lui. En parlant de cette mésaventure il écrivait plus tard à ses amis de Strasbourg: «Vous savez vous-mêmes que je ne suis pas tout à fait sot, pour que je ne puisse de quelque manière juger de la différence des routes, ni tout à fait paresseux et lent, pour que je ne puisse pas suivre un homme actif; mais le Seigneur a voulu, par de petites choses, apprendre ce que l'homme peut dans les plus grandes ».

Il se peut en effet que tout en jugeant si justement Faber, Roussel, Luther, Farel n'eût pas encore perdu confiance en lui-même. Ce voyage pendant lequel il se perdit, à plusieurs reprises et toujours par un temps affreux, semble avoir été employé par Dieu pour lui enseigner une leçon qu'il a bien comprise et qu'il n'oublia jamais. Cette nuit-là, les deux amis prièrent ensemble au bord du chemin, puis ils se remirent en route. « Enfin, dit Farel, après des chutes et des faux pas, j'atteignis un geste où un hôte s'efforça de réparer en moi le dommage que les Français lui firent éprouver autrefois. Grâce à lui, je pars le lendemain à trois heures, pendant que Thomas traite avec mon hôte; je continue directement mais pas longtemps; éloigné de la route, je suis le chemin vers des marais. Là, je patauge longtemps, rencontrant parfois une eau si profonde que je n'avais aucune espérance d'en sortir. Si ces accidents étaient très tristes pour moi, ils ne furent pas réjouissants pour Thomas.
Nous nous égarâmes encore à l'entrée de la nuit, et nous nous perdîmes de vue, Le lendemain je me levai avant trois heures pour aller à Colmar attendre Thomas, et quoique la route fût plus plate et le chemin très court, cependant j'errai jusqu'à six heures à travers les montagnes, les forêts et les vallées, les vignes et les champs. Entre six et sept heures je me trouvais bien plus éloigné de Colmar que quand j'avais quitté mon refuge, enfin à peine à dix heures arrivai-je au rendez-vous. Je m'égarai tellement que si je m étais appliqué à le faire, je n'aurais pas pu mieux réussir ! Le jour suivant la chose alla un peu mieux; je ne me séparai plus de Thomas, ni lui de moi et, chevauchant alternativement, nous arrivâmes à Mulhouse.
Enfin, couverts de boue et trempés jusqu'aux os, Farel et son compagnon atteignirent Bâle, mais le réformateur remercia Dieu toute sa vie de ce que le froid, la pluie, la fatigue, l'avaient ainsi forcé à ne plus compter sur lui-même, mais sur le Seigneur. Pendant quelques jours Farel séjourna à Bâle, à la grande joie de son ami Oecolampade, puis il se rendit à Berne, mais il n'y resta pas longtemps, non qu'il n'ait pas eu du plaisir à voir Berthold Haller, mais parce qu'il soupirait après le moment d'arriver dans des contrées où il pourrait prêcher en français. Haller lui conseilla de commencer par Aigle. Ce pays, dans lequel Farel allait dépenser le reste de son existence pour le Seigneur, mérite d'être décrit. Il est entouré de hautes montagnes aux cimes couvertes de neige, des vallées boisées et verdoyantes, traversées par des torrents impétueux et bondissant sur des rochers moussus, sont à leurs pieds. Il y a des cascades sans nombre, des prés couverts d'un tapis de fleurs sauvages. Au printemps abondent la gentiane bleu foncé, les anémones couleur de primevère, les myosotis, les lis, les auricules et mille fleurs qui ne croissent pas dans la plaine. Le lac Léman aux flots bleus est encadré par de riantes collines sur les pentes desquelles sont semés les villages et les châteaux antiques. Au-dessus des collines s'élèvent les montagnes couronnées de neige qui se reflètent dans le lac. Des milliers d'étrangers vont, chaque année, admirer ces sites ravissants.

Ce n'était pas en touriste que Farel arrivait dans ce pays, à travers la neige et la pluie, pendant l'hiver 1526-27. Il avait hâte de se trouver dans cette contrée, parce que ses habitants étaient plongés dans la misère et les ténèbres morales les plus profondes.

Quatre évêques gouvernaient les populations de la Suisse française, au nom du Saint-Siège dont ils étaient les plus zélés suppôts. Le trône pontifical était occupé par Clément VII. Cousin de Léon X, d'une ambition insatiable, il mettait tout en oeuvre pour faire une belle position à sa famille; c'est lui qui réussit plus tard à marier au roi de France Henri II sa nièce Catherine de Médicis, qui fit mettre à mort des milliers d'enfants de Dieu dans la malheureuse patrie de son époux.

Sous le pontificat de Clément VII, les catholiques eux-mêmes en vinrent à demander une réforme dans le clergé. Beaucoup de princes s'assemblèrent à Nuremberg et envoyèrent un appel au pape, le priant de réformer l'Église. Clément répondit qu'il verrait ce qu'il pourrait faire parmi les curés et les vicaires, mais quant à sa propre cour, il refusa toute réforme, ajoutant que ceux qui oseraient blâmer la conduite des cardinaux et des évêques, étaient des hérétiques et seraient punis comme tels. En conséquence, les quatre évêques de la Suisse française purent continuer à leur aise leur vie de paresse et de débauche, en ayant soin de laisser leurs ouailles plongées dans l'ignorance.

La Bible était donc inconnue dans les jolis villages de montagnes, et dans les villes de Lausanne et Genève. Il y avait pourtant toujours foule dans la cathédrale genevoise, mais ce n'était pas pour entendre l'Évangile. On y allait pour voir le cerveau de saint Pierre et le bras de saint Antoine; le pauvre peuple s'agenouillait devant ces reliques et les adorait, sans se douter que le prêtre qui allait empocher leur argent se moquait de leur crédulité. Car il devait bien savoir que le soi-disant cerveau de saint Pierre n'était qu'un morceau de pierre ponce, et que ce qu'on appelait le bras de saint Antoine n'était en réalité que la jambe d'un cerf. La veille de Noël, les habitants de Genève et des campagnes d'alentour allaient aussi en foule à l'église de St-Gervais, où l'on pouvait entendre des saints qui avaient été enterrés autrefois sous le maître-autel, chanter et causer entre eux. Quand Farel pénétra dans Genève, il fut de nouveau question de ces saints merveilleux; mais n'anticipons pas. Jusqu'alors aucune voix ne s'était fait entendre pour annoncer de meilleures choses et aucun rayon de lumière n'avait percé les ténèbres épaisses dont ce pauvre pays était enveloppé.

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