Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IX

Un jour de grâce pour Paris.

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L'animosité et la haine des docteurs de l'Université contre Faber et Farel se manifestèrent de plus en plus ouvertement. Aussi, quoique les deux amis eussent l'appui de la princesse Marguerite et de l'évoque de Meaux, il leur aurait été impossible de prêcher et d'enseigner comme ils le faisaient, si le Seigneur n'avait tenu la porte ouverte devant eux et ne les avait protégés par la force de son bras. Dans sa grâce et son amour, Dieu avait décidé que l'Évangile de son Fils serait prêché aux « aveugles, conducteurs d'autres aveugles », et nul ne pouvait réduire au silence ses hérauts. Les docteurs de Paris ne voyaient en Farel qu'un jeune homme vaniteux et irrévérencieux. Qu'il osât arriver du fond d'un village des Alpes, la Bible à la main, pour édifier les papes, les prêtres et tous les Pères de l'Église, leur semblait une insolence inouïe. Ils ne pouvaient souffrir ce que Guillaume appelait parler franchement. Ils savaient que pas un d'entre eux ne saurait répondre à la sommation qui leur était faite de justifier leurs doctrines et leur conduite par la Bible seule. C'est ainsi que le jour de grâce passa, le seul dans toute l'histoire de France où le Seigneur ait envoyé la bonne nouvelle aux chefs et aux conducteurs de la nation. Si Paris avait reçu les messagers de Dieu, ni les affreux massacres de la Saint-Barthélemy et des siècles suivants, ni les jugements terribles que le sang de tant de martyrs fit tomber sur le roi et le peuple, il y a cent soixante ans, n'auraient été inscrits dans l'histoire de France.

Sous Louis XII l'Université avait pris parti contre le moine qui avait voulu établir l'autorité suprême du pape dans l'Église. Mais les choses avaient changé depuis la mort du roi. Louise de Savoie, mère de François Ier, et son favori Antoine Duprat, avaient accaparé une partie du gouvernement de l'État. La reine-mère et son favori avaient l'un et l'autre leurs raisons pour haïr l'Évangile d'une haine profonde. Louise de Savoie était une femme dépravée, d'un caractère tyrannique; Duprat, qu un historien catholique appelle « le plus vicieux de tous les bipèdes », n'était entré dans le clergé qu'afin d amasser des richesses par tous les moyens que les prêtres avaient à leur disposition. Duprat était cardinal, archevêque de Sens et chancelier de France; comme sa protectrice, c'était un homme de moeurs dissolues. Ces deux serviteurs de Satan, en s'opposant à l'Évangile, satisfaisaient leurs instincts pervers et espéraient cacher leur mauvaise vie sous de fausses apparences de zèle pour Dieu et l'Église. Louise de Savoie persuada à son fils d'accorder au pape plus de pouvoir dans les affaires de I'Église française qu'il n'en avait jamais eu.

En échange de son amitié, le pape céda au roi le droit de nommer les évêques et les curés dans son royaume. Le roi en fit un commerce avantageux, nous dit-on, tout comme les marchands de Venise trafiquaient de poivre et de cannelle. Encouragée par la haine que Louise et Duprat manifestaient contre l'Évangile, l'Université (la Sorbonne surtout) chercha les moyens de réduire les prédicateurs au silence.

Le principal meneur était Noël Bédier, le syndic de la Sorbonne. Avec Louise et Duprat, il fut l'un des grands ennemis de l'Évangile à cette époque. C'était un homme de capacités fort ordinaires, mais doué d'une voix forte et sachant la faire entendre. Les querelles étaient son élément et il était plus content de rencontrer un ennemi qu'on ne l'est généralement de trouver un ami. Bédier avait une haine particulière pour Faber, parce qu'il venait de la même province que lui, et qu'il s'était acquis une réputation de talent et d'érudition qui remplissait Bédier de jalousie. Érasme disait de ce pauvre homme qu'il avait l'ignorance, la stupidité, les préjugés et l'hypocrisie de trois mille moines réunis. Il répondait longuement et fréquemment à Faber et à Farel, aux applaudissements d'un essaim de prêtres et de moines aussi ignorants que lui. Les uns l'approuvaient par stupidité, croyant qu'un homme qui avait tant à dire devait avoir raison; d'autres, parce qu'ils étaient enchantés d'entendre contredire Faber et Farel; quelques-uns enfin parce qu'ils pensaient qu'en défendant l'Église de Rome on devait avoir le droit de son côté. Bédier était trop ignorant pour fournir des arguments plausibles. Mais il avait lu, dans je ne sais quel auteur ancien, que la femme pécheresse du chap. VII de Luc, Marie-Madeleine, et Marie la soeur de Lazare, étaient une seule et même personne.
Faber ayant dit que n'étaient trois femmes différentes, Bédier l'accusa à grands cris d'hérésie devant l'Université. Non seulement Paris, mais toute la chrétienté se souleva d'indignation contre Faber. Un évêque anglais écrivit un livre pour soutenir l'opinion de Bédier. L'Université entière déclara que Faber devait subir la peine des hérétiques. Mais le roi, qui était en mauvais termes avec l'Université, fut enchanté d'avoir une occasion d'humilier les docteurs et les prêtres. Il donna l'ordre de laisser Faber en paix, et c'est ainsi que le Seigneur lui accorda, encore pour un peu de temps, une porte ouverte à Paris. Bédier, rempli de rage de n'avoir pu brûler Faber, essaya de s'en consoler en lui suscitant tous les ennuis possibles. Mais le vieux savant continua à enseigner au milieu des insultes et des persécutions, jusqu'au mois de novembre de cette année 1519.
Ensuite il quitta Paris et nous ignorons où il se rendit; il fut absent jusqu'au printemps de 1521. À cette époque, son ami l'évêque de Meaux le pria de venir lui aider à répandre l'Évangile dans son diocèse, lui promettant un refuge assuré et toute liberté d'enseigner et de prêcher. Faber, fatigué des tracasseries qu'il endurait à Paris, fut bien aise de se retirer à Meaux, laissant Farel seul pour faire face à 1 orage que soulevait Bédier.

Meaux était le siège de l'évêque Briçonnet, qui travaillait depuis deux ans, dans tout son diocèse, à répandre les vérités évangéliques. Il aurait voulu qu'elles fussent prêchées dans chaque ville et dans chaque village En conséquence, l'évêque s'était rendu lui-même dans toutes les paroisses pour s'enquérir de la conduite et des enseignements du clergé. Hélas l partout on lui fit les mêmes récits: le clergé ne songeait qu'à se plaire à lui-même; la plupart de ses membres passaient leur temps à s amuser à Paris, abandonnant leurs paroissiens à des vicaires ou à des moines franciscains venant de Meaux. Les simples curés ne valaient pas mieux que le haut cierge; les moines mendiants n'étaient que des imposteurs qui s enrichissaient des dépouilles d'un peuple crédule. « Le seul souci de ces pasteurs, disait l'évêque, c'est de tondre leurs brebis.» Pour mettre un frein à ces désordres, Briçonnet défendit aux moines de prêcher et destitua bon nombre de prêtres, se proposant d'en préparer d'autres pour enseigner l'Évangile. En attendant, il fut heureux d'avoir le secours de Faber.

Guillaume Farel dut se trouver dans un grand isolement. Ses deux amis, Roussel et d'autres encore, espéraient, au moyen de l'Évangile, réformer l'Église romaine en y restant attachés. Farel, lui, était de jour en jour plus convaincu que leurs espérances étaient vaines et que les chrétiens devaient retourner purement et simplement à la Parole de Dieu, en laissant de côté toute autre considération. Au lieu de réformer Rome, il n'en voulait plus rien du tout; il désirait retourner aux temps de Paul et de la Chambre haute, au temps où il n'y avait ni prêtres ni autels, ni édifices consacrés, ni vêtements sacerdotaux, ni rites particuliers, mais où il y avait Christ, Christ seul et sa Parole bénie. « Si Christ ne suffit pas, écrivait Farel, si sa Parole ne peut maintenir l'ordre, comment pouvez-vous espérer que rien de ce que vous y ajouterez fera ce que Christ n'a pu faire ?
Il n'est pas étonnant que les docteurs de la Sorbonne aient refusé d'entendre cet intrus qui prétendait ne les juger que d'après la Bible seule.

Les docteurs de Paris avaient entendu les appels divins pendant deux ans; maintenant Dieu allait les mettre à l'épreuve: recevraient-ils son message de grâce et de salut, ou non ? Le moment décisif arriva de la manière suivante: Luther, dont les doctrines avaient été condamnées par l'Église de Rome, en avait appelé à l'Université de Paris, pour qu'elle jugeât entre lui et Jean Eck, le champion de Rome. Eck et Luther s'étaient rencontrés à Leipzig pour discuter publiquement les droits de Christ et ceux du pape. Paris devait examiner ce qui avait été dit des deux côtés et ensuite déclarer lequel avait raison. Vingt copies des arguments de chacun des adversaires furent envoyées à Paris au commencement de 1520.

Pendant plus d'une année, l'Université étudia ces brochures; toute l'Europe, nous dit-on, attendait la décision de Paris. Bédier avait beaucoup à dire, naturellement; avec sa voix criarde et soutenu par une nuée de partisans ignares et de prêtres en colère, il gagna la bataille. En avril 1521, l'Université décréta que les livres de Luther seraient brûlés publiquement dans les rues de Paris. Dès lors Farel comprit que la capitale avait rejeté l'Évangile. Faber le suppliait de venir à Meaux, où il pourrait prêcher en liberté et où les âmes soupiraient après le pain de vie. C'est ainsi que Guillaume secoua la poussera de ses pieds contre la ville qui refusait Christ et sa Parole. Accompagné des Roussel et de quelques autres de ses amis, Farel arriva à Meaux sans que nul peut-être se soit douté qu'avec le départ de ce jeune montagnard finissait le jour de grâce pour Paris. Christ a dit autrefois de ses serviteurs: « Celui qui vous écoute m'écoute, celui qui vous méprise me méprise, et celui qui me méprise méprise Celui qui m'a envoyé. » Paris avait méprisé Dieu lui-même en la personne du jeune évangéliste.
Mais Celui qui peut tirer le bien du mal avait changé en bénédiction, pour une âme d'élite, les discours absurdes de Bélier. Il y avait un jeune noble de Picardie Louis de Berquin, qui se faisait remarquer par la ferveur de son attachement à l'Église romaine et sa moralité irréprochable. Berquin s'élevait souvent avec force contre les doctrines de Luther, tout en blâmant sévèrement les prêtres et les moines qui vivaient dans le péché et faisaient de la religion une occasion de lucre Il haïssait la bassesse, l'hypocrisie, et semble avoir été parfaitement sincère, quoique dans l'erreur. Il assista aux Écussons qui eurent lieu entre Bédier et les prédicateurs de l'Évangile, et, bien qu'il crût Faber et Farel dans leur tort, les mauvais arguments de Bédier et de ses moines, leurs efforts déloyaux pour harceler et calomnier ceux qu'ils ne réussissaient pas à réfuter, excitèrent son indignation. D'un autre côté, il trouva que les prédicateurs étaient francs, droits, qu'ils en appelaient à la Bible pour confirmer tout ce qu'ils disaient. C'est alors que Berquin, dégoûté des prêtres et embarrassé par les déclarations de Farel, se mit à lire la Bible, et la lumière se fit dans son coeur. Nous entendrons encore parler de cet intéressant jeune homme; pour le moment, retournons à Farel.


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CHAPITRE X

Jours heureux à Meaux.

 

Guillaume Farel prêchait à Meaux, faisant retentir « sa voix de tonnerre » partout, dans les rues, sur les marchés, dans les salles qu'on lui prêtait. Le peuple se rassemblait en foule pour entendre ses paroles, si nouvelles et si bénies. Il apprenait avec étonnement qu'au lieu de donner son argent aux prêtres et aux moines, il n'avait qu'à recevoir les richesses insondables de Dieu. « Si nous considérons la mort de Jésus-Christ, disait-il, nous verrons qu'en elle tous les trésors de la bonté et de la miséricorde du Père sont manifestés.
Tous les pauvres pécheurs doivent être incités et invités à venir à ce bon Père tant charitable qui a tant aimé le monde qu'Il n'a point épargné son Fils, mais l'a donné pour sauver le monde. N'y voyons-nous pas aussi la preuve que tous doivent être incités très ardemment à venir au lis duquel la charité est si grande qu'Il donne sa vie, son corps, son sang en sacrifice parfait pour la rançon de tous ceux qui croiront en Lui ! Car c'est lui qui appelle tous ceux qui sont travaillés et chargés, promettant qu'Il les soulagera. C'est Lui qui exauça si charitablement le misérable brigand, lui répondant: « Je te dis » en vérité, qu'aujourd'hui tu seras avec moi en paradis » C'est Lui enfin qui, ayant pitié et compassion de ses ennemis mortels, prie pour eux Dieu son Père, disant . « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font...» Pendant qu'Il endurait cette passion si douloureuse, Il travailla dans le coeur de ce malheureux brigand pour l'inciter a se retourner vers Jésus-Christ; c'est alors aussi qu'Il a contraint ces méchants soudards italiens et leur capitaine à se frapper la poitrine, confessant que Jesus-Christ était le Fils de Dieu.

Finalement, si nous consacrons attentivement cette mort et passion de Jesus-Christ, nous verrons bien clairement que par elle le voile du temple s'est déchiré du haut en bas, afin que tout ce qui était caché en des lieux où personne n osait entrer, soit révélé par la mort de Christ et que les fidèles y eussent accès et entrée en pleine harmonie de foi, venant au trône de la grâce pour obtenir pleine miséricorde. Car Jésus-Christ, Lui le vrai Fils de Dieu, s'est tellement humilié et abaissé, qu'II est mort pour nous, Lui le Juste pour les injustes et les iniques, offrant son corps et son sang pour la purification de nos âmes. Et le Père veut que, par le précieux don de son sang, nous soyons certains de notre salut et de notre entière justification. Or le Père, pour l'amour de Lui-même et non pas pour l'amour de nous ni de nos oeuvres, mérites et justices (qui ne sont que des abominations, nous sauve, nous vivifie, faisant de nous ses fils, entiers avec Christ. Notre bon Père donc, pour l'amour de Lui-même et afin que son conseil subsiste, a voulu sauver et vivifier ceux qu'II a appelés à la vie, sans avoir égard à celui auquel il a fait grâce, à ses oeuvres ni à son point de départ, mais Il lui pardonne toutes ses fautes et tous ses péchés, le délivrant par son très cher Fils qu'II a donné pour de misérables prisonniers du Diable.
Le péché, la rébellion contre la loi de Dieu habite en eux et a domination sur eux. Mais le bon Dieu et Père de miséricorde prend le pécheur pour son enfant adoptif, pour son héritier, cohéritier avec Jésus-Christ, le renouvelle par la foi et lui donne les arrhes de l'Esprit qui le fait membre du corps de Christ, un avec Lui. Quiconque connaît et comprend ceci par une foi vivante et vraie, possède la vie éternelle. Le Saint-Esprit unit les croyants à Christ et les fait membres de son corps, selon qu'ils ont été élus pour la vie dès la fondation du monde.
Par la puissance divine, nous sommes remis en plus noble état que jamais ne fûmes avant le péché d'Adam au paradis, car nous avons le paradis céleste et la vie, non pas une vie corporelle et corruptible qu'on peut perdre, mais spirituelle et sans corruption qu'on ne perdra jamais. Celui qui croit en Dieu a la vie éternelle, et il ne regarde plus aux choses visibles; mais connaissant le Père par le Fils, il comprend la grande bonté de Dieu et sa miséricorde infinie. Ne craignons donc point d'exposer nos corps pour la gloire de notre Père, de mettre cette vie corruptible au service de son Évangile. Car II nous donnera en échange une vie tellement plus excellente qu'on ne saurait en faire l'estimation... O jour d'allégresse, de triomphe, de tout bien et de toute consolation, bonheur et joie, quand ce grand Sauveur reviendra !... Lui qui en son corps a tant souffert, les coups, les crachats, les flagellations, tellement cruellement maltraité que son visage en était tout défait !... Il appellera les siens qui sont participants de son Saint-Esprit, et dans lesquels Il habite par l'Esprit; Il les introduira dans la gloire, leur apparaissant dans son corps glorieux et faisant que leurs corps qu'ils ont laissés en partant de ce monde soient ressuscités en vraie vie immortelle et gloire éternelle, faits semblables a Jésus pour régner éternellement avec Lui en tout bien et toute joie inexprimable... La pleine révélation de la gloire des élus... après laquelle toute créature soupire, sera en l'avènement triomphant de notre Sauveur, quand tous ses ennemis seront mis sous ses pieds et toutes choses lui seront assujetties: alors les élus iront au devant de notre Seigneur en l'air, et là sera manifestée la très grande puissance de notre Seigneur, qui sera admiré dans tous les saints... et comme dans le corps de sa gloire il n'y a ni mort, ni faiblesse, de même ses membres dans leurs corps glorifiés se présenteront sans ombre devant le Père, étant parfaits en Christ. »

J'ai cru utile de rapporter autant que possible les propres paroles de Farel, afin de faire connaître quel Évangile il prêchait. Quatre siècles se sont écoulés depuis lors et la Bible a été répandue partout. Mais pouvons-nous dire qu il y ait beaucoup de personnes à présent qui soient aussi bien enseignées du Saint-Esprit que Guillaume Farel l'était, qui sachent comment le pécheur est sauvé et pourquoi il l'est ? Ne trouvons-nous pas souvent des âmes qui sont passées de la mort à la vie, mais qui n osent pas se croire assurées de leur salut ? Permettez-moi de vous demander si vous connaissez la portée de ces paroles de Farel: « Le Père pour l'amour de Lui-même et non pour l'amour de nous nous sauve et nous donne la vie éternelle. » Si vous ne comprenez pas encore ces paroles bénies, laissez-moi vous supplier de relire le chapitre XV de Luc, en demandant à Dieu qu'II vous révèle les trésors d'amour cachés, ou plutôt manifestés dans les enseignements du Christ, révélés par le grand amour de Dieu, mais cachés à la multitude par le voile d'incrédulité qui l'aveugle. Paul nous parle (2 Cor. IV) d'un évangile caché, mais il n'est voilé qu'aux yeux de ceux qui périssent, parce que Satan les a aveuglés, comme il s'efforce sans cesse de le faire, et quand il n'y réussit pas tout à fait, il cherche tout au moins à obscurcir et affaiblir la lumière de la connaissance de la gloire de Dieu. Il nous voile cette merveilleuse vérité que c'est pour l'amour de Lui-même que Dieu nous a sauvés et nous a donné une place dans la gloire. C'était avec un étonnement mêlé de joie que les habitants de Meaux entendaient parler de « l'amour qui surpasse toute connaissance ».
Les ouvriers cardeurs de laine dans les manufactures, les commerçants, les paysans, remplissaient les salles et les églises où l'on enseignait la vérité. L'évêque lui-même prêchait assidûment, il disait au peuple que ces doctrines, soi-disant nouvelles, étaient celles qu'avaient prêchées Christ et les apôtres. Il suppliait ses auditeurs de croire ces vérités et de les retenir. « Oui, disait-il, si quelqu'un s'oppose à vous, même si moi votre évêque, j'allais renier Christ et abandonner la doctrine que je prêche maintenant, ne me suivez pas ! La Parole de Dieu ne peut changer, soyez fidèles jusqu'à la mort, s'il le faut. »

Sans négliger la prédication, Faber avait trouvé le temps d'achever la traduction française des quatre Évangiles; ce fut alors qu'il les publia L'évêque de Meaux n'épargna ni l'or ni l'argent pour répandre partout cette portion de la Bible, toute la ville se mit à la lire; le dimanche et les jours de fête, les gens se réunissaient pour en faire la lecture et en parler ensemble. Les paysans l'emportaient dans leurs champs, les artisans interrompaient le mouvement de leurs machines pour la lire. Briçonnet la fit distribuer parmi les faneurs et les moissonneurs qui venaient des autres provinces au moment des travaux agricoles. Ainsi l'Évangile se répandit au loin dans les villes et les villages. où la bonne semence leva et porta du fruit. À Meaux, d'heureux résultats ne tardèrent pas à se manifester; les jurements, dit-on, les querelles, l'ivrognerie devinrent presque inconnus dans la ville, en revanche on y entendait les louanges de Dieu et de pieuses conversations. L'évêque ne se contenta pas de répandre la Parole de Dieu dans son propre diocèse, il envoya les épîtres de Paul en français a la princesse Marguerite, qui se trouvait bien isolée après le départ de ses amis pieux. Briçonnet la supplia de montrer les épîtres à son frère et à sa mère; il est probable que la princesse le fit, mais hélas I sans autre résultat que d'aggraver leur condamnation !

Pendant ce temps, ceux qui avaient reçu le salut à Meaux, commencèrent à exhorter leur entourage; quatre de ces nouveaux croyants se distinguèrent surtout comme témoins de Christ. C'était d'abord Jacques Pavannes, un jeune étudiant que l'évêque avait invité à venir en séjour à Meaux. On nous le décrit comme doué de la plus grande témérité et de la plus grande droiture. Puis il y avait Pierre et Jean Leclerc, deux jeunes cardeurs de laine, dont le père était un papiste bigot; mais leur mère avait cru à l'Évangile. Enfin, il y avait un pauvre homme dont le nom n'est point parvenu jusqu'à nous, il est désigné comme «l'ermite de Livry». Il avait cherché à sauver son âme par de bonnes oeuvres, en allant s'établir en ermite dans la forêt de Livry, non loin de Paris. Cet homme pourvoyait à sa subsistance en mendiant de porte en porte. Mais un jour, il rencontra des habitants de Meaux qui lui offrirent quelque chose de meilleur que « la viande qui périt ». Ce jour-là l'ermite s'en retourna riche dans sa retraite; il continua à y demeurer, mais s'il parcourut encore les campagnes, ce fut pour donner et non pour recevoir. Il allait de maison en maison, faisant part gratuitement de ce qu'il avait reçu « sans argent et sans aucun prix », c'est-à-dire parlant à tous du Seigneur Jésus-Christ et du pardon complet que Dieu accorde à tous ceux qui croient en Lui, pardon que Christ a acheté au prix de Son sang. Avec le temps, la cabane de l'ermite devint le rendez-vous de tous ceux qui étaient oppressés par le poids de leurs péchés et qui allaient demander à l'ambassadeur de Christ ce qu'il fallait faire pour être sauvé.

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