Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XI

L'obéissance.

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La pleine liberté laissée aux prédicateurs et aux chrétiens pour répandre l'Évangile, tout en réjouissant Farel, ne le satisfaisait pas complètement. Faber était plein de joie et d'espérance. « Que mon coeur se réjouit, disait-il, quand je vois la pure connaissance de Christ se répandre ainsi ! Je puis espérer que notre chère France comprendra enfin la grâce de Dieu, car notre gracieux roi lui-même n'a-t-il pas consenti à ce que son peuple possédât la Parole de Dieu en langue vulgaire ? Dans ce diocèse-ci l'Évangile est lu le dimanche et les jours de fêtes; il est expliqué journellement au peuple et les âmes simples font leurs délices de la Parole bénie. »

Farel partageait la joie de son vieux maître, car l'Évangile était prêché et des âmes étaient sauvées. Mais, pouvait-il consentir à ce que la messe continuât à être célébrée, les images à remplir les églises et l'évêque à revêtir les habits sacerdotaux? Tout ce que Farel voyait autour de lui, montrait combien les hommes avaient ajouté à la Bible, et leurs inventions le remplissaient d'indignation. Ils faisaient bien de reconnaître Christ comme leur Sauveur, mais était-il leur seul Maître ? Ils avaient raison de lire l'Évangile les jours de saints, mais pourquoi y avait-il encore des jours de saints ? Tandis que les pécheurs acceptaient avec joie le salut gratuit que Christ leur offre, refuseraient-ils après l'avoir reçu d'obéir à leur seul Sauveur ?

Ces inconséquences des réformés de Meaux affligeaient Farel, d'autant plus que personne, parmi les prédicateurs, ne pensait comme lui. Peut-être parmi les humbles et les croyants inconnus, y en avait-il qui étaient de son avis; on peut le supposer. Mais faudrait-il que Farel se brouillât avec l'évêque et son cher Faber, avec Gérard et Arnold Roussel ? Serait-il obligé de reconnaître que même son vieux maître ne suivait pas complètement le Seigneur ? Les écrits de Farel nous apprennent quels étaient ses sentiments à ce sujet. Ne nous séduisons pas, dit-il, en pensant bien faire comme si nous ne pouvions faillir, il faut suivre, non point notre jugement, ni ce qui est en nous qui n'est pas encore parfait, mais regarder à la loi parfaite et pure de Dieu et demander le secours de notre bon Père pour lui obéir. Et gardons-nous bien de croire qu'il nous soit permis de suivre notre propre jugement, de nous conformer à la manière de vivre de ceux qui nous entourent, même extérieurement.
Gardons-nous de croire que dans le service de Dieu les choses qu'Il a défendues soient sans importance, et que nous puissions faire comme les autres... par exemple, nous incliner devant les images, pourvu que ce ne soit pas de coeur, répéter les paroles d'autrui quoiqu'elles déshonorent Dieu, faire semblant de garder les fêtes instituées par Satan, etc. Dieu demande la vraie obéissance du coeur, mais Il veut que cette obéissance se manifeste dans nos oeuvres et en faisant ce qu'il commande, voire même si tout le monde faisait le contraire..., par exemple je ne dois pour aucun motif renoncer à ouïr la Parole de Dieu, à recevoir la Sainte-Cène, ni à prier en la sainte assemblée de Jésus; Si je suis ainsi tenu de faire ces choses sans craindre l'homme, je dois aussi fuir tout ce que Dieu a défendu. Je dois non seulement confesser ouvertement Jésus-Christ et son Évangile, mais aussi renoncer ouvertement à l'Antichrist et à sa doctrine diabolique. Et si je ne l'ai pas fait promptement et publiquement, j'ai à m'humilier devant Dieu comme ayant péché et à crier merci en demandant Son concours pour pouvoir suivre Ses saints commandements avec mon âme, mon esprit et mon corps. »

Mais, objectaient Faber et les Roussel, n'est-il pas juste que les hommes organisent le culte qu'ils rendent à Dieu de manière à ce qu'Il soit servi avec plus d'honneur et de révérence ?
« La chair, répondait Farel, blasphème quelquefois contre Dieu et d'autrefois par un faux semblant de zèle, comme voulant exalter le saint nom de Dieu et faire qu'Il soit mieux révéré, invente toutes sortes de choses qui ne sont pas dans la Parole de Dieu. C'est de la chair que viennent les sectes, les organisations, les institutions elle ment dans tout ce qu'elle fait et donne à croire qu'elle agit par sainteté et amour de Dieu. Aussi devons-nous nous garder soigneusement de suivre les inclinations de nos coeurs, mais éprouver diligemment tout esprit, car l'ange de ténèbres peut se déguiser en ange de lumière ainsi que ses ministres. Gardons-nous surtout de la sagesse de la chair ! Il faut donc éprouver par la Parole de Dieu tout propos, toute règle et institution, pour savoir si cela vient de Dieu ou de la chair. "

Guillaume eut bientôt à faire lui-même l'expérience de ce qu'est le sentier solitaire de l'obéissance. Il avait été dur pour lui de se détourner premièrement de ses parents, des prêtres et des professeurs qui lui avaient enseigné le chemin de l'idolâtrie. Mais c'était bien plus difficile de se séparer de Faber, qui avait été un des instruments employés par le Seigneur pour faire pénétrer la lumière et la paix dans son âme. Néanmoins, si Dieu avait parlé, il fallait lui obéir à tout prix. Il est écrit: « Le fondement de Dieu demeure ferme ayant ce sceau: Le Seigneur connaît ceux qui sont siens » Faber admettait volontiers la vérité jusque-là: Ne puis-je pas être dans Rome, pensait-il, sans être de Rome? le Seigneur sait distinguer les siens au milieu du mal. Mais Farel se rappelait que sur le revers du sceau dont ce verset fait mention, il y avait une autre inscription qui est celle-ci: « Quiconque invoque le nom du Seigneur, qu'il se retire de l'iniquité.» Il ne s'agit pas seulement d'abandonner une vie de péché, mais il nous est commandé outre cela, et d'une manière spéciale, de nous séparer de tous ceux qui sont des vaisseaux à déshonneur dans la maison de Dieu, de rompre toute association avec ce qui déshonore son saint Nom. Si Faber n'avait pas la foi et le courage d'agir ainsi; il devenait évident que lui et Farel ne pourraient plus marcher dans le même chemin: Guillaume devra parcourir seul, sans son maître vénéré, une voie sainte et séparée du mal.


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CHAPITRE XII

Les jours sombres de Meaux

 

Pendant ce temps, un orage se préparait. Les Franciscains commençaient à se plaindre hautement de la nouvelle doctrine; cela ne faisait point leur affaire qu'on dépensât en Évangiles l'argent qui prenait autrefois le chemin de leurs poches. Ils supplièrent donc l'évêque de mettre fin aux prédications hérétiques. Mais l'évêque tint bon il prêcha lui-même du haut de la chaire contre l'hypocrisie des moines et des pharisiens et il loua les nouveaux docteurs qui, disait-il, parlaient selon Dieu. Malheureusement, si l'évêque refusait son concours aux moines, ceux-ci savaient où s'adresser. Ils se rendirent à Paris et racontèrent à Noël Bédier ce qui se passait à Meaux Celui-ci tressaillit de joie en apprenant que Briçonnet, son ancien antagoniste, pouvait attirer une sentence terrible sur sa tête. Le syndic de la Sorbonne s'empressa de porter la chose devant le Parlement de Paris; il était d'autant plus satisfait d'entraver l'Évangile qu'il venait d'essuyer un échec à propos de Louis de Berquin. Ce jeune gentilhomme avait été réellement converti par l'étude de la Bible, non seulement au protestantisme, mais à Dieu. Depuis lors, il s'était employé avec zèle à écrire, traduire et faire imprimer une foule de traités et de livres évangéliques. Le Parlement, excité par Bédier avait saisi les livres et les papiers de Berquin, puis l'avait fait mettre en prison.

Il fut décidé qu'il comparaîtrait comme hérétique devant l'archevêque de Paris, et en conséquence on le transféra de la prison d'État dans celle du palais archiépiscopal. Mais à ce moment parut la garde du roi, avec une lettre du souverain, commandant qu'on lui remît Berquin; la princesse Marguerite avait probablement intercédé pour lui. Le Parlement lâcha à regret son prisonnier et se consola en brûlant ses livres sur la place Notre-Dame, tandis que le roi rendait la liberté à Berquin, lequel se retira dans ses terres de Picardie. Bédier brûlait du désir de s'emparer d'un luthérien et de se venger sur Briçonnet de ce que Berquin lui avait échappé. Soutenu par la Sorbonne tout entière, le syndic réussit à obtenir du Parlement l'ordre de faire une enquête sur les choses étranges qui se passaient à Meaux. Bientôt le pauvre évêque fut appelé à rendre compte de ses méfaits. On l'accusait d'avoir prêché des hérésies. On disait que c'était lui qui les avait fait venir à Meaux et les avait aidés de son argent, qu'il avait même permis à Guillaume Farel, un laïque empoisonné d'hérésie, de prêcher publiquement dans la ville, quoiqu'il ne fût pas consacré.

Farel dut probablement quitter Meaux à peu près à cette époque, ayant sans doute beaucoup de peine à se séparer de Faber et du petit troupeau de croyants auquel il était attaché; mais le temps était venu pour lui de renoncer à Rome et à tous ceux qui, comme son cher vieux maître, se refusaient encore à tout abandonner pour suivre Christ seul. Mais où se rendra-t-il ? Nous lisons dans l'histoire des serviteurs de Dieu que Bénaja, fils de Jéhojadah, poursuivit un lion sur la neige et le tua dans une fosse. Comme lui, Farel se rendra dans I antre même du lion, il ira à Paris au moment où il s en est fallu de si peu que Berquin ne fût brûlé et où Bedier a réussi à soulever une tempête contre Briçonnet. Alors même Farel arrive à Paris et parle hardiment et ouvertement de Christ et de son Évangile, tout en signalant la corruption et l'idolâtrie de l'Église romaine. Hélas I la porte était fermée; personne ne voulut recevoir son message; il est même extraordinaire que nul n ait mis la main sur lui. Nous ignorons comment cela se fit; du reste, nous verrons souvent cette espèce de miracle se reproduire dans le cours de sa remarquable histoire. Farel annonçait pour la dernière fois la vérité à Paris, mais, ne trouvant que des sourds qui refusaient d'entendre, il secoua pour toujours la poussière de ses pieds contre la grande cité, et se dirigea par Metz vers son village natal, les Farelles.

Pendant ce temps, que devenait l'évêque de Meaux? Les accusations du Parlement et des moines le remplirent de terreur; il savait que Faber n'avait échappé qu'à grand'peine au bûcher, il pouvait deviner le sort probable de Louis de Berquin s'il venait à retomber entre les mains de Bédier. Que faire ? D'un côté la disgrâce et le bûcher, de l'autre la mitre et le pouvoir épiscopal, la faveur de la cour et du Parlement, le respect de tous ceux qui reconnaissaient le pape pour leur maître. Mais faudrait-il renier Christ? Satan lui insinua qu'il y avait un juste milieu, à savoir ne pas abandonner l'Évangile, mais pourtant faire semblant de satisfaire l'Église romaine. Il pourrait servir deux maîtres. C'est ce que Briçonnet se décida à faire. Il promit de renoncer aux écrits de Luther et d'autoriser l'adoration de la Vierge. «Je puis toujours expliquer que c'est par Christ seul qu'elle a le pouvoir de secourir », se disait-il. Mais que deviendraient ses chers amis, Faber et les Roussel ; Satan vint de nouveau à son aide, en lui suggérant cette lâche excuse que s'il les bannissait de Meaux, ils iraient porter l'Évangile ailleurs, de sorte que lui, Briçonnet, se trouverait encore servir la cause de la vérité. C'est ainsi que ce malheureux abandonna le droit chemin, séduit par les artifices de son propre coeur.

Le 15 octobre 1523, l'évêque publia un mandement par lequel il ordonnait de prier pour les morts, d'adorer la Vierge et les saints, d'enseigner la doctrine du purgatoire, et défendait aux prêtres de laisser prêcher les luthériens dans son diocèse. On donnait alors le nom de luthériens à tous les réformés, bien que Farel ait connu et compris l'Évangile plus exactement que Luther, contre les erreurs duquel il a même prêché. Au mois de janvier suivant, l'évêque ordonna de vénérer les images; le premier président du Parlement et un conseiller nommé Verjus se rendirent à Meaux pour surveiller la conduite de Briçonnet, qui fut obligé de prêcher en leur présence contre les nouvelles hérésies. Ils retournèrent à Paris satisfaits de l'évêque, qui obtint de n'être condamné qu'à une forte amende pour ses fautes passées. Les ennemis de la vérité attaquèrent ensuite Faber, mais le roi intervint une seconde fois en sa faveur; il respectait la science du vieux martre, tandis qu'il méprisait les moines et les docteurs à cause de l'ignorance dont ils avaient fait preuve dans leurs débats avec Faber. Le savant vieillard fut donc laissé en paix; il n'osait prêcher publiquement à Meaux, mais il enseignait en particulier et il tâchait de se consoler en voyant que beaucoup d'âmes se tournaient vers le Seigneur. Mais il avait souvent des remords lorsqu'il pensait au courage de Louis de Berquin dans sa prison, et à la fidélité de Farel qui avait hardiment rompu toute relation avec Rome. Néanmoins Faber ne renia pas sa foi comme I'évêque, et nous pouvons nous souvenir de lui comme d'un serviteur fidèle quoique timide du Sauveur, qu'il aimait véritablement.

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