Ce n'était point de maître Faber, ni d'aucun autre savant docteur,
que devait venir la délivrance. Guillaume en tendit quelque part
certaines paroles qui descendirent dans son âme troublée comme un
rayon lumineux te la gloire d'en haut. Dieu seul pourrait nous dire
maintenant quelles furent les lèvres qui prononcèrent ces paroles de
grâce. Il y avait, dans les recoins ignorés de Paris, quelques petits
troupeaux du Seigneur, pauvres et méprisés; ils sont oubliés depuis
longtemps, mais Farel nous dit qu'ils « faisaient mention de
l'Évangile ». « Et Dieu sait comment, par les plus méprisés de ses
enfants, Il m'apprit à connaître la valeur de la mort de Jésus.
Lorsque j'ouïs ces choses, je priai Dieu pendant trois ans de
m'enseigner la bonne voie Je comparais ce que j'entendais avec les
Testaments grec et latin, les lisant souvent à genoux. Et je parlais
de ces choses avec grands et petits, ne cherchant qu'à être éclairé et
ne méprisant personne. » Guillaume était devenu bachelier ès-arts et
donnait des cours de philosophie dans un des principaux collèges de
Paris.
Mais ces croyants obscurs et inconnus lui avaient parlé
de la valeur de la mort de Jésus, et ce seul rayon de la glorieuse
grâce de Dieu éclipsa tout le reste. Ce trésor qu'on appelle l'amour
de Dieu était seul digne de ses pensées et de ses désirs. Si seulement
il pouvait apprendre ce que les anges désirent
sonder: la valeur de la mort de Christ ! La connaissez-vous, chers
lecteurs ? Avez-vous conscience de la valeur du précieux sang du Fils
de Dieu aux yeux de Celui qui l'a donné pour nous ? Soyez assurés, si
vous avez quelque peu compris la valeur de ce sang, que l'entrée dans
la gloire vous est pleinement assurée car il a été versé pour vous, il
est pleinement suffisant pour assurer votre salut, et vous ne
chercherez plus à ajouter des prières, des larmes, des oeuvres, des
sentiments, à ce qui est d'une valeur infinie aux yeux de Dieu.
Il paraît que Guillaume n'ouvrit pas tout de suite son
coeur à Faber; cependant son respect pour le vieux maître augmentait
journellement. «Faber avait du savoir, plus que tous les autres
docteurs de Paris, ce qui était cause qu'il était persécuté par eux;
je commençais par cela à voir la lâcheté des théologiens et ne les eus
en telle estime comme auparavant. Et avec cela comme ce pauvre
idolâtre, par sa vie, fit que l'estime des docteurs fut abattue en mon
coeur, aussi par sa parole il me retira de la fausse opinion du mérite
et m'enseigna que nous n'avons point de mérite, mais que tout vient de
la grâce de Dieu, sans qu'aucun l'ait mérité. » C'était cette question
qui tourmentait Farel depuis trois ans. Car si la mort de Christ seul
sauve les pécheurs qui se confient en Lui, de quelle utilité sont donc
leurs oeuvres, leur repentance, leurs prières et leurs aumônes ?
Maître Faber répondait à cela que nous n'avons point de mérites, que
tout vient de la pure grâce de Dieu accordée à ceux qui ne méritent
rien, « ce que je crus, raconte Farel, sitôt que cela me fut dit». Oui
maître Faber, «ce pauvre idolâtre, faisait aussi mention de l'Évangile
». Il avait même écrit ces choses déjà en 1512, dans son Commentaire
sur les Épîtres de Paul.
Mais c'était un livre qu'on lisait peu, et au lieu d'enseigner
cette précieuse vérité, Faber semble l'avoir gardée cachée dans son
coeur sous une masse d'idolâtries; Ceci semble difficile à comprendre,
mais l'esprit de I homme déchu est un étrange mystère. Pareil à cet
aveugle qui vit d'abord des hommes « semblables à des arbres qui
marchent», maître Faber aura été touché de Dieu et aura reçu d'abord
quelque faible lueur de la lumière qu'il devait recevoir plus
éclatante, par un second appel divin dont Farel nous parle en ces
termes: «Après cela me fut proposée (par quelqu'un à qui Dieu fasse
grâce) la pure invocation de Dieu, parce que j'avais tant de confiance
dans la vierge Marie, les saints et les saintes. » Pendant ce temps,
maître Faber était toujours occupé à préparer son Recueil de légendes,
et il publia pour janvier 1519 les Vies de tous les saints dont les
noms sont dans le calendrier pour ce mois. Il fit de même pour le mois
de février, mais il en resta là. Une transformation aussi soudaine
qu'inattendue s'était opérée chez le vieux maître comme si, au milieu
de ses stériles labeurs, la main de Christ s'était soudain posée sur
ses yeux à demi ouverts. Il se sentit saisi d'horreur et d'effroi à la
pensée des paroles contenues dans les légendes des saints et des
prières qui leur étaient adressées. Il les jeta loin de lui pour
toujours, en disant que c'était du soufre propre à alimenter le feu de
l'idolâtrie; il les laissa, pour lire les saintes Ecritures et ne plus
adorer que Dieu seul.
Et maintenant que la lumière s'était faite dans son âme,
Faber se mit à enseigner à tous autour de lui ce qu'il avait vu et
entendu. Étant professeur de philosophie, ses leçons devaient traiter
des livres de l'antiquité, mais dans les conversations et peut-être
dans ces réunions privées qui avaient déjà lieu à Paris, il parlait
hardiment et fidèlement de son Sauveur béni. « Dieu, disait le
vieillard, Dieu seul, dans sa grâce et par la foi, justifie les
pécheurs. Il donne la vie éternelle. Il y a une
justice des oeuvres qui est de l'homme, et une justice de grâce qui
vient de Dieu. La justice de la grâce procède de Dieu Lui-même, c'est
Lui qui la donne à l'homme, ce n'est pas une justice que l'homme
apporte à Dieu. Comme la lumière vient du soleil et nous la recevons
dans nos yeux, ainsi la justice descend de Dieu. La lumière n'est pas
dans nos yeux, mais dans le soleil. La justice de Dieu est révélée et
les hommes sont justifiés, c'est-à-dire qu'ils deviennent justes
croyant en Lui. Tel par exemple un miroir gui brille aux rayons du
soleil et réfléchit la lumière qu'il reçoit du ciel; c'est l'image du
soleil qu'il réfléchit, n'ayant point de lumière à lui.
- Alors pourquoi ferions-nous de bonnes oeuvres ?
demandèrent les docteurs de Paris. Si nous sommes rendus justes par
Dieu sans les bonnes oeuvres. il est bien inutile d'en faire.
- Il est vrai, répondait Faber, que
nous sommes justifiés sans les oeuvres; nous sommes justifiés avant
d'avoir accompli une seule bonne oeuvre, et alors que nous n'en avons
encore fait que de mauvaises. Nous sommes justifiés dès le moment où
nous croyons en Jésus; mais comme un miroir terni ou défectueux
reflète la lumière du soleil imparfaitement, de même si nous ne sommes
pas saints dans notre marche et notre conversation, nous ne reflétons
que faiblement la lumière qui a lui dans nos âmes de la part de Dieu.
Nous devons être comme des miroirs bien polis et bien unis dans
lesquels on voie Dieu. »
Ces paroles étonnantes furent comme un coup de foudre au
milieu des docteurs et des étudiants de Paris. Lés uns s'élevaient
contre le vieux maître les autres étaient stupéfaits. Mais il y avait
quelqu'un d'autre plongé dans la contemplation, non de Faber, mais du
Sauveur béni qui venait de se révéler à son âme et qui justifie les
pécheurs... Guillaume Farel ne voyait ni Faber, ni les docteurs
indignés, il ne voyait que Jésus seul. Guillaume ne reçut pas toute la
vérité à la fois; la première chose qu'il comprit clairement, c'est
qu'il était sauvé par grâce, par la foi. Mais il ne vit pas tout de
suite que la messe et le culte des saints sont un péché devant Dieu.
Fallait-il donc que tout ce qu'il avait adoré et révéré tombât d'un
seul coup ? Et pouvait-il tourner le dos au pape et à tous les prêtres
qui avaient institué ces choses ?
Farel nous dit lui-même qu'il n'a « laissé les dites
abominations papales tout en un coup, mais il a fallu que petit à
petit le papisme soit tombé de mon coeur, car elle n'est point venue
en bas (n'a pas été renversée) par le premier ébranlement et j'ai eu
beaucoup de peine à venir à la connaissance complète de la dignité de
la Parole de Dieu, à comprendre que tout ce qui n'est pas selon cette
Parole, est une abomination aux yeux de Dieu... et j'ai eu beaucoup de
peine à ôter de mon coeur tout ce qui y était enraciné. Il en a été de
moi comme de ces jeunes vaches qui étaient attelées au chariot portant
l'arche de l'Éternel ; elles prirent bien tout droit le chemin sans se
détourner ni à droite ni à gauche par la puissance de Dieu, mais le
souvenir et le regret qu'elles avaient de leurs petits, firent
qu'elles beuglaient et mugissaient le long de la route.
Comme ces vaches auraient bien voulu emmener leurs veaux,
de même, tout en acceptant la parole évangélique et en désirant lui
obéir, cependant les ordonnances papistes me tenaient fort à coeur. Et
nous voyons des hommes de grand mérite qui n'ont pu se séparer de
leurs voeux et qui les gardent avec eux au grand détriment de l'Église
de Dieu. Ils sont semblables à Jéroboam qui a divisé le royaume de
l'Éternel et détourné le peuple de la Parole de Dieu par les veaux
qu'il mit à Dan et à Béthel et par sa ruse et ses belles apparences, détourna
le peuple du service de l'Éternel Dieu suscite de braves gens comme
Josias qui renversent les veaux et leurs autels et purifient la maison
de Dieu... Or puisque, par la prédication du St-Évangile notre
Seigneur s'est approché de nous, travaillons tous à reconnaître cette
grande bénédiction et cheminons de telle sorte que nous honorions
Dieu; qu'aucune lâcheté ne soit trouvée en nous... car si le jugement
réservé au pape et à ses adhérents est sévère, et s'il l'est plus que
celui des pécheurs qui étaient avant lui, quel ne sera pas le jugement
des faux pasteurs, de ceux qui se vantent de leur connaissance de
l'Évangile et qui le déshonorent par leur conduite I II aurait mieux
valu pour eux rester dans les abominations du papisme. »
Farel avait raison, et ses paroles devraient nous pousser
à examiner si nous, qui croyons être riches, rassasiés de biens et
n'avoir besoin de rien, ne risquons pas finalement d'être trouvés
parmi ceux qui font une fausse profession et que Christ vomira de sa
bouche. Dans ce cas il vaudrait mieux pour nous n'être jamais sortis
des ténèbres du papisme.
- Ce fut probablement au commencement de l'année 1519 que Faber et
Guillaume Farel furent amenés à la connaissance de l'Évangile.. Ce
changement produisit une vive agitation dans
l'Université de Paris. « Lorsque Jacques Faber se mit à prêcher
Jésus-Christ, dit un contemporain, il y eut grand émoi parmi les
étudiants. Ils commencèrent à s'occuper presque autant des doctrines
de l'Évangile que de leurs études et de leurs pièces de théâtre. »
Quelques-uns d'entre eux prirent contre Faber la défense du salut par
les oeuvres. Ces jeunes gens sentaient que l'Évangile condamnait leur
mauvaise vie, c'est pourquoi ils parlaient beaucoup de bonnes oeuvres.
St-Jacques, disaient-ils, ne s'accordait pas avec St-Paul, mais il
enseignait que les hommes sont sauvés par leurs oeuvres. « St-Jacques,
répliquait maître Faber, dit dans son chapitre Ier que tout don
parfait vient d'en-haut Pouvez-vous nier que la justice et le salut
soient des dons parfaits ? Il est vrai que les oeuvres sont un signe
nécessaire de la foi, tout comme la respiration est le signe de la
vie. Mais l'homme respire parce qu'il est vivant, et lorsqu'il cesse
de respirer vous savez qu'il est mort. L'homme est justifié par la
foi, les bonnes oeuvres suivent cette justification nécessairement.»
Faber ne s'arrêtait pas là; il continuait en expliquant comment Dieu
peut traiter ainsi des pécheurs coupables sans faire tort à sa
justice, comment Il peut en même temps déployer Son amour et Sa
miséricorde en les sauvant et infliger au péché le jugement qui lui
est dû.
« Il peut punir le péché et faire grâce au pécheur;
s'écriait Faber. Merveilleuse substitution. L'innocent est condamné et
le coupable est acquitté ! Le béni est maudit et celui qui était
maudit est béni I Celui qui est la vie meurt, et celui qui était mort
vit ! La gloire est couverte de honte et celui qui était dans la honte
est couvert de gloire. Tout cela vient de l'amour souverain de Dieu I
Ceux qui sont sauvés le sont par grâce, parce que Dieu le veut et non
par leur propre volonté. Notre volonté, nos oeuvres sont inutiles,
c'est la volonté de Dieu seule qui nous donne le
salut. Ce n'est pas notre conversion qui fait de nous les élus de
Dieu, mais c'est l'appel, la grâce et la volonté de Dieu, qui font des
convertis, et plus que des convertis, des membres du corps de son
Fils, de sorte que nous soyons remplis de Lui-même. Car en Christ
habite corporellement la plénitude de la divinité. Si les hommes
pouvaient comprendre ce privilège, comme ils vivraient purement et
saintement I Ils ne feraient aucun cas de la gloire de ce monde, ils
feraient leurs délices de la gloire qui est cachée aux yeux de la
chair. »
Telles sont les choses que Faber proclamait, et, à partir
de ce moment, il y eut deux partis dans l'Université de Paris, ceux
auxquels la prédication de. la croix était folie, et ceux pour
lesquels c'était la puissance de Dieu. Farel écoutait avec bonheur les
paroles de son cher vieux maître qui lui était maintenant plus
précieux que jamais.
« Après cela, dit Farel, il me sembla être d'une nouvelle
création; les Ecritures me devinrent compréhensibles, la lumière se
fit dans mon âme. Une voix jusqu'alors inconnue, celle de Christ, mon
Berger, mon Maître, mon Docteur, me parlait avec puissance. Dieu,
ayant pitié de nos erreurs, nous enseigna que c'est Lui seul qui
efface nos transgressions, pour l'amour de Lui-même, par Christ, fait
propitiation pour nos péchés, par Christ notre seul Médiateur, notre
Avocat qui lave nos offenses dans son sang. C'est à lui seul que je me
suis attaché; après avoir été ballotté ça et là par divers troubles,
j'ai enfin atteint le port.
On ne peut s'approcher du Père que par le Fils, Jésus;
celui qui met toute sa confiance en Lui a la vie éternelle. La
religion extérieure et artificielle qui laisse le coeur non purifié,
devint un objet de dégoût pour moi; ces observances de jours, ce choix
des viandes, la défense de se marier, tout cela me déplut. Je ne trouvais
dans ces choses aucune trace de la vraie piété, mais seulement un
formalisme emprunté aux Juifs et même aux païens, et je vis que les
cérémonies prenaient la place de la piété et du vrai culte de Dieu. Je
lus les Ecritures afin de trouver la cause de tout cela; je compris
que les pensées des hommes, leurs efforts et leurs inventions ne
peuvent en aucune façon exister de concert avec le culte de Dieu.
C'est pourquoi la piété, I'Évangile, la loi de Dieu qui est amour, ont
disparu; il n'est resté que le levain humain qui est l'hypocrisie.
Tout ce que Christ avait prédit concernant la terrible apostasie qui
se produirait, est arrivé. Nous voyons maintenant ceux qui portent le
nom de chrétiens, n'aimer qu'eux-mêmes, cherchant leurs propres
intérêts et mettant de côté tout ce qui appartient à la piété. Il y a
beaucoup de chants innombrables, des paroles prononcées sans
intelligence et des hommes qui servent, non le Seigneur, mais leur
propre ventre. »
Ainsi parlait Farel. Oui, c'était Christ qui l'enseignait
maintenant; Faber n'était qu'un des messagers qui lui avaient apporté
la bonne nouvelle. « Il n'y a qu'un fondement, qu'un but, disait le
vieillard, qu'un Chef, Jésus-Christ béni à toujours. Ne nous réclamons
pas de Pierre, de Paul ou d'Apollos. Nous avons un seul Maître,
Jésus-Christ. »
Neuf mois environ s'étaient écoulés depuis que Faber
avait abandonné les saints et leurs légendes. Pendant ce temps il
avait prêché la vérité partout où il en avait trouvé l'occasion.
C'était en vain que les prêtres et les docteurs le contredisaient, le
haïssaient, le méprisaient. L'orage semblait ne pas pouvoir
l'atteindre, le Seigneur avait mis devant lui une porte ouverte et
personne ne pouvait la fermer. Les événements furent dirigés de Dieu
de manière à ce que Faber ne fut jamais réduit au silence, et il eut
même lieu d'espérer que la vérité serait acceptée par beaucoup de ceux
qui l'entendaient.
Quelques années auparavant, un moine ayant publié un
livre dans lequel il attribuait toute autorité au pape dans l'Église
le roi Louis XII en appela à l'Université. Depuis des siècles les rois
de France maintenaient le droit qu'avait l'Église gallicane de choisir
elle-même ses évêques, et Louis XII n'était nullement disposé à
reconnaître le pouvoir absolu que s'arrogeait le siège pontifical. Il
n'était souvent pas facile de discerner si les hommes combattaient le
pape à cause de leurs intérêts personnels, ou parce qu'ils avaient
compris que la Bible condamne la papauté.
Faber se fit peut-être des illusions et crut que la
lumière triomphait, tandis qu'il ne s'agissait, hélas I que d'orgueil
froissé et d'intérêts rivaux. Cependant il est certain que plusieurs
étudiants écoutaient la Parole avec joie. À la fin parut un auditeur
dont Faber et Guillaume purent espérer de grandes choses, c'était
Briçonnet, évêque de Meaux. Il avait connu Faber précédemment et il
appréciait son grand savoir; depuis 1507 il avait procuré au vieux
professeur une tranquille retraite dans son abbaye de St-Germain, où
Faber pouvait étudier bien plus paisiblement qu'au milieu des
étudiants de Paris. Depuis lors Briçonnet avait été envoyé deux fois à
Rome comme ambassadeur du roi de France auprès du pape. Louis XII
était mort le 1er janvier 1515 et François Ier lui avait succédé; il y
avait aussi un autre pape, Jules II étant mort deux ans avant Louis
XII. On ne pouvait dire du nouveau pontife que ce fût un « monstre
féroce »; c'était un homme élégant, affable dans ses manières, amateur
des arts, de la science et surtout du luxe et des plaisirs. Il ne
cherchait qu'à se plaire à lui-même par tous les moyens possibles,
bons ou mauvais, dit un historien catholique qui le connaissait et qui
en parle en ces termes: « Nous nous souvenons d'avoir eu et adoré un
pontife qui était arrivé au comble de l'incrédulité. Il le montrait en
pratiquant toute sorte de méchanceté et déclarait
même devant ses serviteurs, que ni avant ni après son avènement
pontifical, il ne croyait à l'existence de Dieu. Un jour que le
cardinal Bembo s'efforçait de lui prouver par les Ecritures
l'immortalité de l'âme, il répondit avec colère: Quoi donc!
Prétendez-vous me convaincre par un livre de fables ! Ce pape qui
s'appelait Léon X, suscitait des guerres dans toute l'Europe pour
soutenir les intérêts de sa famille. »
Il n'est guère surprenant que les deux missions dont
l'évêque de Meaux fut chargé auprès de lui, n'aient pas contribué à
augmenter son respect pour celui qui s'appelait Dieu sur la terre.
Lorsqu'il revint, dégoûté par les festins et les orgies du palais des
papes, il se rendit chez son ami Faber. Là il eut du plaisir à faire
la connaissance de Farel; plusieurs autres jeunes gens, parmi lesquels
Gérard Roussel, paraissaient aussi avoir accepté l'Évangile. C'est au
milieu de ce petit cercle que l'évêque étudiait la Parole de Dieu,
écoutant avec humilité des enseignements qu'il entendait pour la
première fois. Il ne pouvait assez exprimer sa joie et sa
reconnaissance d'être parvenu à la lumière de l'Évangile. Faber
supplia l'évêque d'étudier la Bible par lui-même et de se rendre ainsi
compte de ce qu'était le christianisme avant que l'homme y eût rien
ajouté ni rien retranché. L'évêque suivit ce conseil; il ne pouvait se
rassasier de cette nourriture céleste, il s'étonnait que tout le monde
ne sentît pas comme lui l'origine divine du nouvel enseignement.
Briçonnet parlait de l'Évangile à tous ses amis dont quelques-uns
étaient aussi les amis du roi et fréquentaient la cour. Le médecin du
roi, et même son confesseur, semblaient écouter avec joie et désirer
en apprendre davantage. Tout cela encourageait les espérances de Faber
et ce fut peut-être une des raisons pour lesquelles Farel ne vit pas
tout de suite que son devoir était de sortir de
l'Église de Rome. Il allait encore avec Faber dans les églises et les
cathédrales.
Comme Guillaume le dit, ce n'est que petit à petit que
son coeur se détachait du papisme. Mais si le travail était lent, il
était sûr et durable. Les cérémonies, les rites et le chant des
litanies lui semblaient toujours plus intolérables, profanes et
coupables. Quand la foule s'agenouillait devant un autel, Farel se
tenait debout plein de tristesse. 0 Dieu I disait-il, Toi seul Tu es
sage I Toi seul Tu es bon I Rien ne doit être retranché de ta loi,
rien ne doit y être ajouté. Car Tu es seul Seigneur et Tu dois seul
commander. Les pompes religieuses qui faisaient autrefois ses délices,
lui paraissaient maintenant détestables. Les prêtres et les docteurs
qu'il avait révérés n'étaient plus à ses yeux que des ennemis de
l'Évangile. Il avait entrevu la gloire de Christ et, après une aussi
éclatante lumière, tout le reste était sombre pour lui.
Maître Faber commença à craindre que Farel n'allât trop
loin; j'ignore s'ils discutèrent déjà à cette époque la nécessité de
quitter l'Église romaine, mais en tout cas, leurs avis différaient sur
ce point. Il y a beaucoup de serviteurs de Dieu qui sont finalement
obligés de s'écrier: « Nous avons voulu guérir Babylone, mais nous ne
I avons pas pu. » Faber était de ce nombre; il se cramponnait à
l'espoir que I'Eglise qu'il aimait et révérait encore, pourrait être
faite nouvelle, que les prêtres et le peuple finiraient par se
détourner de leurs idoles pour servir le Dieu vivant et vrai.
La soeur du roi, Marguerite, duchesse d'Alençon, était
déjà célèbre par ses talents, son affabilité et l'influence
extraordinaire qu'elle exerçait sur François Ier Marguerite était
l'amie de Briçonnet ; elle causait fa familièrement avec lui et avec
d'autres personnes de la cour, qui commençaient à professer les
nouvelles opinions. Ses dames d'honneur lui présentèrent des traités que
Briçonnet leur avait donnés. La princesse les lut avec avidité, car
son coeur souffrait au milieu de la cour dissolue et frivole de son
frère. Elle demanda à voir Faber et Farel, puis à lire la Parole de
Dieu avec eux et avec l'évêque. C'est ainsi que Marguerite semble
s'être réellement convertie à Dieu; elle n'abandonna jamais le papisme
et ne suivit pas complètement le Seigneur, car elle ne parvint jamais
à la pleine connaissance de la vérité. Mais on ne peut pas douter
qu'elle ne soit, malgré ses erreurs et ses faiblesses, parmi ceux qui
dorment en Jésus. Il est certain qu'elle employa toujours son
influence sur son frère en faveur de la vérité. Elle encourageait ceux
qui la prêchaient et, autant qu'elle en avait le pouvoir, elle les
protégeait contre la persécution.
Le roi montrait alors des dispositions de nature à
encourager Faber, qui espérait l'avoir presque persuadé d'être
chrétien, comme Paul, le roi Agrippa. En effet, François Ier semblait
disposé à laisser prêcher Faber et Farel, mais c'était seulement par
aversion pour la tyrannie des prêtres. « Je veux montrer, disait-il,
qu'un roi de France ne se laisse pas tenir en lisières. » D'ailleurs,
il méprisait les prêtres à cause de leur ignorance et de leur
hostilité à la science. Le clergé s'élevait même contre l'imprimerie
qu'il appelait une invention du diable, accusant les imprimeurs d'être
des sorciers. Le roi, en homme intelligent, s'intéressait fort aux
découvertes nouvelles, il crut d'abord que l'Évangile était une
invention moderne destinée à réformer le monde. Quand il comprit que
cet évangile condamnait ses vices et ses mauvaises actions, pour
lesquelles il pouvait acheter du pape des pardons en abondance, il
fallut toutes les supplications de sa soeur pour l'empêcher de se
joindre aux prêtres afin d'écraser la vérité. Mais à l'époque dont
nous parlons, le roi favorisait encore Faber et ses amis qui étaient
pleins d'espérance.
Il vint aussi de bonnes nouvelles d'au-delà du Rhin un
moine allemand avait osé enseigner et prêcher déjà en 1517 que le
pardon des péchés ne s'achète pas avec de l'argent, mais que Dieu le
donne aux pécheurs, sans argent et sans aucun prix, par la foi au
Seigneur Jésus. Ce moine avait poussé la hardiesse jusqu'à afficher
aux portes de l'église de Wittemberg, un placard avertissant le peuple
de ne pas acheter les pardons du marchand d'indulgences. Il s'élevait
courageusement contre ce trafic impie sans avoir les lumières et les
connaissances de Farel. Martin Luther était courageux et honnête; il
proclamait ce que Dieu lui avait enseigné, écrivant des articles et
des livres qui se répandaient rapidement partout. Vers l'an 1519 ses
ouvrages arrivèrent jusqu'à Paris, et le petit troupeau de chrétiens
de cette ville les lut avidement et avec actions de grâces. Tandis que
beaucoup de personnes acceptaient sans examen sérieux les paroles de
Luther, Farel se recueillait par la prière Il sondait les Ecritures et
les comparait avec les écrits du moine allemand; il protesta contre
certaines erreurs conservées par Luther, tout en recevant avec joie
une grande partie de ses doctrines, il redoutait l'influence de ses
ouvrages sur ceux qui ne savaient pas encore distinguer la vérité de
l'erreur. « L'Évangile est entravé en France, écrivait-il trois ou
quatre ans plus tard, par la circulation des ouvrages de Luther, qui
admettent jusqu'à un certain point l'adoration des saints et
l'existence du purgatoire. Ces erreurs ont été condamnées parmi nous
il y a plusieurs année. »
Les croyants de Paris se réunissaient pour la prière,
pour la lecture et la prédication de la Parole de Dieu. Farel était
alors leur principal prédicateur. « Personne n'a prêché depuis votre
départ, lui écrivait un de ces chrétiens en 1524. Que les choses ont
changé depuis que vous nous avez quittés I Les anciennes traditions reparaissent,
la Parole de Dieu est négligée, les fidèles ne l'expliquent plus
qu'avec crainte et tremblement. Gérard Roussel ne nous a fait qu'une
ou deux visites, et cela sans prêcher l Si vous pouviez venir à notre
aide I » Tels sont les rares détails que nous possédons sur le peu de
temps que Farel passa à Paris comme témoin du Seigneur contre tout ce
qui était de l'homme, que ce fût enseigné par un docteur papiste, par
le célèbre Luther, ou par son cher maître Faber. Car Faber croyait
encore au purgatoire et n'avait que des idées vagues sur diverses
vérités importantes. Guillaume Farel devait apprendre combien cette
parole est vraie: «Vous n'avez qu'un seul Maître qui est Christ. »
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