Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

Comment Farel alla à Paris.

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Le seigneur Farel était mécontent du goût que son fils manifestait pour l'étude; cependant Guillaume finit par obtenir ce qu'il désirait. Il chercha d'abord quelqu'un qui pût lui enseigner le latin, mais il ne trouva que des maîtres très ignorants, probablement les prêtres du voisinage. Les messes et tout le service d'église se faisait pourtant en latin, il semble donc que le clergé aurait dû connaître cette langue, mais les prêtres apprenaient à réciter les paroles sans en comprendre le sens. Nous pouvons juger d'après le témoignage d'un membre du clergé d'alors, Nicolas de Clemengis, de la corruption et de l'ignorance dans laquelle les prêtres étaient tombés. Un évêque allemand, qui vivait aussi à cette époque, s'exprime ainsi: « Le malheureux clergé de nos jours s'adonne aux choses temporelles, étant destitué de lumière divine. Ils s'aiment eux-mêmes, négligeant l'amour de Dieu et du prochain; ils sont pires que les gens du monde qu'ils entraînent avec eux à la destruction. Ils sont adonnés à toutes sortes de pratiques honteuses en voyant leur mauvaise conduite le peuple perd tout respect pour l'Église et tombe dans l'insubordination étant égaré par des guides aveugles qui, ô honte ! sont d'ignorants idiots, vains, avides, hypocrites. On les voit plus souvent dans les banquets, les tavernes et les théâtres, que dans les lieux de culte. Les évêques ornent leur corps avec de l'or, mais ils souillent leurs âmes d'impuretés. Ils regardent comme une honte de s'occuper des choses spirituelles et mettent leur gloire à se mêler de celles qui sont viles. Ils prennent avec violence ce qui appartient à autrui et distribuent les biens de l'Église à leurs familles, à des comédiens, à des flatteurs, à leurs gens de chasse et aux personnes de mauvaise vie. »

Vous comprenez que Guillaume chercha vainement parmi de telles gens un maître instruit; il fut amèrement désappointé de voir leur ignorance du latin, mais encore bien plus de découvrir que ces hommes traitaient avec mépris les cérémonies et les rites de leur propre église. Guillaume dit qu'il chercha partout un prêtre qui parut sincère et convaincu de la religion qu'il professait. Ne trouvant autour de lui ni hommes religieux, ni moyens d'étudier, Farel réussit à forces d'instances à obtenir de son père qu'il le laissât aller à Paris où il pourrait étudier à son aise. Ce fut en 1509 que Guillaume Farel partit pour la capitale. Ses parents avaient lieu d'être satisfaits de l'éducation qu'ils lui avaient donnée, car il était plein de zèle pour la religion et sa dévotion austère contrastait avec l'indifférence des autres gens.

« Le papisme lui-même, raconte Farel, n'était pas si papiste que moi, non par méchanceté, ni que je tinsse à ceux qui vivaient dans le péché, lorsque j'en avais connaissance, mais le diable, se transformant en ange de lumière, me détournait complètement de Dieu, de la vérité, de la foi et de la doctrine chrétienne. De telle sorte que je tournais le dos à Dieu, abandonnant tous ses commandements et m'enfonçant toujours plus dans l'esclavage du diable, car Satan m'avait tellement aveuglé et perverti, que si quelqu'un était approuvé du pape, il était pour moi en lieu et place de Dieu et j'aurais voulu, quand j'entendais quelqu'un mépriser le pape, que cette personne fût détruite et Guinée. »
Cependant Guillaume doit avoir entendu souvent proférer des paroles de mépris contre le pape, même dans son village, car pendant son enfance il y avait eu des guerres continuelles entre les rois de France et quelques-uns des états italiens. Les soldats français, parfois les rois eux-mêmes, avaient franchi les Alpes dans le voisinage de Gap. Les soldats revenaient en faisant d'étranges récits sur le St-Père qu'ils avaient pourtant regardé comme Dieu sur la terre, jusqu'à ce qu'ils eussent été eux-mêmes à Rome.

Innocent VIII, celui qui avait fait mettre à mort les Vaudois, mourut trois ans après les massacres. Sa mémoire fut maudite du peuple romain parce qu'il avait négligé les pauvres et enrichi sa famille aux dépens de l'état. Son successeur, Alexandre VI, que maint soldat français avait vu à Rome, était un homme abominable dont nous passerons la vie sous silence, mais les circonstances de sa mort ont dû parvenir aux oreilles de Farel et nous devons en dire un mot.

Ce pape ayant invité quelques cardinaux à un banquet, empoisonna les mets qu'il voulait leur offrir. Son fils, un vaurien qui était cardinal et archevêque, faisait partie du complot, dont la rapacité était le mobile Le pape était à court d'argent et les richesses de ces cardinaux devaient à leur mort passer entre ses mains. Le meurtre n'était pas chose nouvelle pour le pape et son fils, ces deux misérables en avaient commis bien d'autres, mais, cette fois-ci, l'heure du jugement avait sonné; les domestiques du palais, soit par erreur, soit qu'ils eussent été gagnés par les cardinaux, servirent les plats empoisonnés au pape et à son fils. Le premier mourut la même nuit, après avoir demandé les sacrements en guise de passeport pour se présenter devant Dieu. Son fils, le cardinal, se guérit après une longue maladie et continua à augmenter le nombre de ses crimes.

C'est précisément Alexandre VI qui eut le premier la prétention de pardonner aux pécheurs Ce fut un des moyens qu'il inventa pour se procurer de l'argent, et il se mit à vendre la rémission des péchés à tous ceux qui voulurent l'acheter. Bientôt tout ce qui avait eu le nom d'Église de Dieu se détourna de l'Agneau sans tache qui donne le pardon complet, gratuit, sans argent et sans aucun prix, préférant l'acheter d'un criminel dont les vices remplissaient Rome d'horreur.

À
l'époque où nous sommes arrivés, le pape se nommait Jules II. Farel le révérait à l'égal d'un dieu et cependant Llorente, dans sa Vie politique des papes, nous dit que Jules II était un « prodige de vice », qu'il était « abhorré par les Italiens qui le regardaient comme un monstre féroce, sanguinaire, batailleur, turbulent, ennemi de la paix ». La foi de Farel n'était-elle pas ébranlée à l'ouïe de ces choses ? Au contraire, il nous dit qu'il grinçait les dents comme un loup en colère, à la pensée qu'on pouvait ainsi calomnier celui qu'il regardait comme un Dieu parmi les hommes et qui avait déclaré au dernier concile tenu à Rome, que lui, le pape, avait reçu tout pouvoir dans le ciel et sur la terre.
« La vie d'un grand nombre de papes, dit encore Llorente, a été telle que ce serait insulter le St-Esprit que de prétendre que ces monstres de vice furent choisis sous sa direction, pour être mis à la tête de l'Église. » Mais Guillaume Farel était alors c, que nous sommes vous et moi dans notre état naturel, c'est-à-dire, sans intelligence. (Romains III, 11.) Que la Parole de Dieu est vraie, mais qu'il est rare qu'on y ajoute foi ! « Je croyais être un bon chrétien, dit Farel, justement à cause des choses qui m'éloignaient le plus de Jésus-Christ... j'étais tellement plongé dans les ténèbres et la fange de La papauté qu'aucun pouvoir, ni sur la terre ni dans le ciel, n'eût pu m'en retirer, si ce bon Dieu et notre tendre Sauveur Jésus-Christ, par sa grande grâce, ne m'en eût sauvé, en m'amenant à son Évangile qui est la doctrine du salut. Je vois et je sens que j'ai été plongé jusqu'au plus profond des abîmes d'iniquité, quand je me souviens de la foi que je mettais aux croix, aux pèlerinages, reliques, voeux et autres inventions du diable.
Mais surtout quand je pense à l'idolâtrie de la messe, il me semble que des légions de démons m'avaient possédé et tenu en leur pouvoir. Sans cela, comment aurais-je pu m'éloigner à ce point de ce que Dieu commande, et croire que l'hostie que le prêtre tenait en ses mains, mettait dans une boîte, mangeait et donnait à manger, fût mon Seul Vrai Dieu... qu'il n'y en eût point d'autre sur la terre ni dans le ciel I pouvais-je plus ouvertement prendre le diable pour maître et abandonner plus complètement la Parole de Dieu, qu'en acceptant ainsi une tromperie pour mon Dieu I Oh I que j'ai horreur de moi et de mes fautes quand j'y pense I Car l'enfer ne pouvait rien inventer contre Dieu de plus abominable que cette idolâtrie pour laquelle j'ai tant souffert dans mon âme, mon corps et mes biens. O Seigneur, si je t'avais servi, prié et honoré par une foi vivante et vraie, comme tu l'as commandé et comme l'ont fait tes fidèles serviteurs, au lieu d'avoir mis mon coeur à la messe à servir un morceau de pâte ! J'ai pu croire que toi, le Dieu bon, sage et vrai, tu approuvais une pareille tromperie et méchanceté, comme si ce Dieu de pâte n'était pas aussi éloigné de Toi que je l'étais de la vraie foi !... Et en suivant cette doctrine endiablée, je croyais être ton serviteur et ceux qui étaient égarés comme moi, m'aimaient et me tenaient en haute estime à cause de mon excès d'idolâtrie...
Ainsi Satan avait introduit le pape et le papisme dans mon coeur à tel point que je pense bien que le pape lui-même ne croyait pas à ses droits aussi fermement que moi, car on dit que lui et son entourage ont parfois des doutes, tandis que je n'en avais aucun. »

Farel n'a porté ce jugement sur lui-même qu'après avoir été enseigné de Dieu. L'homme ne juge jamais le péché de cette manière: il s'indignera contre Alexandre VI et Jules II, mais il regardera Farel avec admiration, parce qu'un homme sent toute la noirceur de péchés commis contre d'autres hommes, tandis qu'il n'attache aucune importance à ceux qui se commettent contre Dieu. Quand les papes sont adultères, meurtriers, voleurs, le monde les blâme, mais il ne s'inquiète nullement des obligations de l'homme vis-à-vis de Dieu. Un mauvais serviteur jugera de la conduite de ses camarades, parce qu'ils sont avec lui, mais il tolérera sans objection leur malhonnêteté ou leur insolence envers leur maître Et il en est de même de vous et de moi, à moins que Dieu n'ait répandu son amour dans nos coeurs. Notre conscience ne nous reproche point d'être incrédules à ses promesses de salut, ni d'introduire des commandements d'homme dans le culte et le service qui lui sont dus, tandis que nous sentons bien le poids de péchés commis contre nos semblables, lesquels ne sont pourtant que d'une importance secondaire.

Que personne ne se méprenne sur mes paroles et ne croie que je considère la malhonnêteté, l'envie la malice, le mensonge, comme de petits péchés. Telle n'est pas ma pensée, mais on ne comprend pas assez que le plus grand de tous les péchés c'est l'incrédulité à l'égard de Dieu. On ne voit pas grand mal à croire ce que l'homme invente plutôt que la Parole de Dieu. Et dans le temps de tiédeur où nous vivons, le langage de Fard à ce sujet paraît beaucoup trop énergique. Combien de personnes de nos jours, estimées et respectées, ne voient aucun mal à ce que chacun soit libre dans ce qui concerne la vérité de Dieu, de penser ce qu'il voudra. « Ne partageons pas un cheveu en quatre pour des affaires d'opinion, chacun a la sienne. » Ces phrases qui viennent de l'ennemi, sont admirées et approuvées. Dieu demande que nous obéissons à sa Parole, sans nous en écarter même de l'épaisseur du centième d'un cheveu. Puissions-nous tous marcher dans cette obéissance.


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CHAPITRE IV

La source à laquelle Guillaume but, sans pouvoir se désaltérer.


Le jour vint enfin pour Guillaume de quitter ses montagnes et de se lancer dans le vaste monde; c'était un vrai campagnard, jeune et simple, qui, dans sa tranquille demeure, avait été tenu à l'abri de la corruption des grandes villes. Il nous raconte que lorsqu'il arriva en vue de Lyon et qu'il entendit les cloches sans nombre des églises, son coeur tressaillit de joie, en pensant à tous les gens pieux et saints qui devaient vivre près de ces cloches qui résonnaient nuit et jour. « Hélas I ajouta-t-il, j'en vis assez, rien qu'en passant, pour m'étonner de ce que la terre ne s'ouvrait point et n'engloutissait pas une cité si corrompue. » Il devait s'étonner encore plus de ce qu'il verrait à Paris I
Cette ville était, depuis longtemps déjà, le rendez-vous des savants et de tous ceux qui désiraient s'instruire. Les étudiants accouraient de toutes les parties de l'Europe, se logeant en chambres garnies ou dans les nombreux collèges qui existaient alors. La faculté de théologie portait le nom de Sorbonne en souvenir de Robert Sorbon , qui l'avait fondée vers le milieu du treizième siècle. Une portion considérable de la ville s'appelait l'Université; il y avait des cours, des conférences, des professeurs en nombre suffisant pour satisfaire le jeune homme le plus avide de science. Guillaume put apprendre le latin à son aise, car nous lisons que dans les maisons des grands imprimeurs, les femmes, les enfants et même les domestiques parlaient toujours latin, afin de pouvoir converser avec les étrangers qui arrivaient à Paris. L'un des souhaits de Guillaume put donc recevoir son accomplissement, mais il lui restait encore à découvrir des hommes sincèrement dévoués à Dieu et aux saints. Ce désir là semblait plus loin que jamais d'être exaucé. Les étudiants parisiens étaient célèbres dans l'Europe entière pour leur désordre et leur turbulence; ils ne se souciaient point de la religion et n'y pensaient qu'à l'époque de trois grandes fêtes: Noël, la fête des fous et la foire du Lendit. Dans ces occasions-là, ils jouaient avec grand zèle leur rôle qui consistait à se déguiser à l'aide des habits les plus bouffons, à boire, à chanter et à se quereller dans les églises, les rues, les auberges, partout enfin...

La foire du Lendit était le plus grand jour de l'année pour eux; ils se réunissaient hors de la ville, dans une plaine, appelée le Pré aux Clercs; deux cérémonies avaient lieu dans cet endroit. D'abord on exhibait un morceau de la vraie croix, ensuite le recteur de l'Université achetait la provision de parchemin dont l'Université avait besoin pour l'année. Après cela les étudiants banquetaient, buvaient, tapageaient et finissaient dans leur excitation par des batailles rangées. Cette foire ne se terminait jamais, disait-on, sans qu'il y eût du sang répandu, aussi fut-elle abolie plus tard pour ce motif; d'ailleurs le papier ayant remplacé le parchemin, cette fête n'avait plus de raison d'être. Bientôt on dut aussi mettre fin aux folies de Noël à cause des scènes inconvenantes qui se passaient dans les églises. Peu à peu les étudiants remplacèrent leurs fêtes par des représentations théâtrales dans lesquelles ils paraissaient comme acteurs. La mort du Sauveur était le sujet des pièces qu'ils jouaient le plus fréquemment avec d'autres scènes de la Bible dans lesquelles des jeunes gens impies jouaient les rôles de Moïse Paul ou David. Beaucoup d'entre eux blasphémaient ouvertement le nom de Dieu, et quant à la Bible, ils la connaissaient très peu et la traitaient comme un recueil de fables.

Dans la nuit Guillaume était souvent réveillé par ses camarades, qui parcouraient les rues en troublant le sommeil des citoyens paisibles par leurs cris et leurs chants. Un de leurs amusements favoris était de se saisir des agents de police qui les poursuivaient et de les jeter dans la Seine.

Ce fut en vain que Farel chercha parmi ces tapageurs l'homme qu'il désirait, mais un beau jour lui était réservé. Il n'avait pas été longtemps à Paris lorsqu'il remarqua dans les églises où il allait souvent, un petit vieillard d'apparence chétive. « Sur ceci, dit Farel, Dieu dans sa sage et grande patience, voyant un si grand pécheur et si infâme idolâtre; fit que j'en trouve un qui passait tous les autres, car jamais je n'avais vu chanteur de messe qui la tînt en plus grande révérence, quoique partout je les aie cherché, jusqu'au plus profond des chartreux. Celui-ci s'appelait maître Faber (1). Il faisait aux images plus grandes révérences qu'aucun autre personnage que j'aie jamais connu, demeurant à genoux et disant ses heures devant icelles, à quoi souvent je lui ai tenu compagnie, fort joyeux d'avoir accès à un tel homme. »

Guillaume avait facilement trouvé moyen de faire la connaissance de Faber; il apprit à sa grande joie que c'était un des professeurs les plus savants de Paris, où il jouissait de l'estime et du respect universels. Il était docteur en théologie, avait étudié les classiques païens et les écrits soi-disant chrétiens; de plus, il avait voyagé, à la recherche de la science, non seulement en Europe, mais en Asie et en Afrique. D'après Érasme, c'était le premier des savants de France. «Vous ne trouverez pas, disait-il, un Faber sur mille. » Son talent pour l'enseignement était aussi remarquable que son érudition, et ce fut bientôt un des plus grands plaisirs de Farel que de suivre ses cours. de causer avec lui et de l'accompagner d'église en église pour adorer à ses côtés. C'est ainsi que Farel trouva dans l'amitié de Faber l'accomplissement de tous ses souhaits. Ce vieillard était d'ailleurs un excellent compagnon, bienveillant, sympathique et parfois même très gai.

Mais il avait des heures de tristesse; souvent Guillaume et lui allaient ensemble déposer des roses, des muguets et des boutons d'or sur l'autel de Notre-Dame, puis ils s'agenouillaient côte à côte pendant longtemps et priaient avec ferveur. Mais en retournant chez eux, Faber disait à Farel que Dieu renouvellerait le monde et que lui, Guillaume, le verrait, car « il était impossible que le monde demeurât en sa méchanceté ».

Oui, il était nécessaire que Dieu renouvelât tout, même maître Faber; mais celui-ci ne se doutait pas encore qu'il tût avoir sa part de la réforme. Il voyait avec indignation l'hypocrisie de ceux qui l'entouraient: « Que c'est inconvenant, disait-il, de voir un évêque inviter des amis à venir boire, jouer aux cartes et aux dés avec lui, ou bien passer son temps au milieu des chiens et des faucons, à la chasse et dans les mauvaises compagnies ! »

Maître Faber discernait la paille dans l'oeil de son prochain, mais il était complètement aveugle quant à la poutre qui se trouvait dans le sien, je veux dire sa terrible idolâtrie. Loin d'avoir la moindre hésitation à cet égard, Faber était précisément occupé à faire un recueil de légendes de saints; il rassemblait soigneusement ces innombrables histoires, les classait par ordre d'après le calendrier. C'était un travail long et laborieux mais le pauvre homme croyait employer utilement son temps, car il pensait rendre service à Dieu!

Pendant ce temps, Farel étudiait avec zèle; il lut d'abord les classiques païens, comme maître Faber l'avait fait avant lui, espérant en retirer quelque bien pour son âme, car on lui avait dit que les philosophes de l'antiquité étaient des hommes d'un savoir et d'une sagesse extraordinaires. Mais il ne trouva pas dans leurs livres ce qu'il cherchait; il y avait dans son âme des besoins que ces écrits païens ne pouvaient satisfaire, car Farel voulait la paix avec Dieu. « Je m'efforçais de devenir chrétien avec le secours d'Aristote, écrivait-il, cher chant le bon fruit sur un mauvais arbre. » Guillaume se mit ensuite à lire plus soigneusement que jamais les légendes des saints, « qui me rendirent, dit-il, encore plus insensé que je ne l'étais. » Il s'étonnait fort de se sentir, malgré tout son zèle à prier, lire et adorer, toujours plus effrayé à la pensée de Dieu et de l'éternité. À ce moment-là, le pape Jules II, celui qu'on nommait « un prodige de vice », donna la permission d'appeler l'Ancien et le Nouveau Testament «la Sainte Bible». Farel, en apprenant cela, conçut pour les Saintes Ecritures un respect qu'il n'avait jamais éprouvé jusqu'alors et il commença à les lire.

Voici ce qu'il nous dit lui-même à ce sujet: «J'eusse été perdu sans cela, car tout était tellement retiré de la doctrine de Dieu, que rien n'était demeuré sain, sauf la Bible. Mais quoiqu'ayant lu la Bible et me trouvant fort ébahi en voyant que tout sur la terre lui était con traire en vie et doctrine, et que tout était autrement que ne le porte la Sainte Ecriture... tant s'en faut, pour cela que je me sois retiré, je suis demeuré autant séduit et abusé qu'auparavant... car soudain Satan est survenu de peur de perdre sa possession et a travaillé en moi selon sa coutume... car auparavant j'obéissais à ses commandements de grand coeur et sans m'enquérir si je faisais mal, croyant sans aucun doute que ses commandements et ce qu'il avait dit par la bouche du pape était chose bonne et parfaite... Maintenant cet ennemi, dans sa malice, me bailla (donna) toute sorte de craintes et de doutes, alors que j'aurais dû croire à la parole de Dieu, assuré qu'elle ne peut mentir et qu'en la suivant on ne peut faire mal... Au lieu de cela, Satan me persuadait que je ne prenais et n'entendais pas bien ces choses... que je devais bien me garder de suivre mon propre jugement et avis, mais qu'il fallait me tenir à l'ordonnance de l'Église, c'est-à-dire de l'Église papiste, car je n'en connaissais point d'autre. Ayant ainsi oui prêcher Satan et les siens, je me tins, tout comme auparavant, coi sous la tyrannie du diable et de son premier-né, chef de toute iniquité, le pape. »

Guillaume rencontra à la même époque un docteur qui le blâma sévèrement d'avoir lu les Ecritures, lui disant qu'il ne fallait jamais le faire sans avoir d'abord étudié la philosophie. Guillaume obéit et mit de côté sa Bible, mais il en avait lu assez pour être profondément malheureux. La Parole avait atteint sa conscience, et sa fausse paix avait disparu pour toujours. « J'étais le plus misérable des hommes, nous dit-il, fermant les yeux de peur de voir trop clair. » Faber ne pouvait lui être d'aucun secours. « Il demeurait, dit Farel, en sa vieillesse papale (ses anciennes erreurs), et faisait que j'y fusse toujours plus enragé. »

Quelques personnes riches, qui vivaient à Paris, crurent bien faire d'employer Guillaume à distribuer de l'argent aux pauvres. Il accepta cette offre avec empressement, comme un moyen de tranquilliser son esprit. Mais tous ses efforts échouaient les uns après les autres et la paix ne venait pas, quoiqu'il eût auprès de Dieu « des sauveurs et des avocats sans nombre », c'est-à-dire les saints, qu'il adorait main tenant plus dévotement que jamais. Il y avait près de Paris un couvent de chartreux dans lequel Guillaume se retira pour un temps, afin de se soumettre à leurs jeûnes et à leurs pénitences.

Les règles de ce monastère étaient fort sévères; il n'était presque jamais permis de parler, et même les personnes qui s'y retiraient pour quelque temps, comme Farel, ne pouvaient parler qu'au confessionnal. On ne mangeait qu'une fois par jour et l'on ne se rencontrait qu'à l'office divin. Il n'est donc pas étonnant si Farel nous dit qu'après avoir été insensé, il devenait fou ».
Fort heureusement, il ne resta pas longtemps chez les chartreux peut-être soupirait-il après la société de son cher vieux professeur. « Je n'ai jamais trouvé nulle part, dit-il, le pareil de maître Faber » (2).

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1. Connu sous le nom de Lefèvre d'Etaples. 
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2 Remarquons en passant que tous les réformateurs ont été amenés de la même manière à la découverte de la vérité. Les doutes de Farel, sa conscience troublée, ses lectures dans la Bible, lectures qui le frappent sans produire d'abord de résultat sensible, sans le détacher de longtemps encore des croyances. de ses pères, tout cela se remarque chez Zwingli et surtout chez Luther. 
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