Vers cette époque, C'est-à-dire
trois ou quatre ans après son départ
de Saint-Agrève, Mme Dubois reçut de
Louise Latour cette seconde lettre :
« Ma chère Madame,
Il y a longtemps que j'ai besoin de
converser avec vous comme autrefois, comme
autrefois de vous demander quelques
conseils.
Avant tout il faut que je vous fasse
part des changements survenus dans notre
position.
Peu après la mort de notre enfant
bien-aimé, mon mari, qui s'apercevait que
l'éducation de ses filles commençait
à exiger des soins continuels, et qui
souffrait de me sentir séparée
d'elles par mestravaux au
dehors, prit la résolution d'acheter un
petit fonds d'épicerie et de mercerie, dont
le débit devait m'occuper en me laissant la
possibilité, d'élever mes filles,
dont le produit devait égaler, surpasser
peut-être celui de mes journées de
travail.
Vous le savez, ma chère Madame,
les membres de l'Église
réformée ne sont pas nombreux
à Saint-Agrève; il n'y a point
d'école protestante, et plusieurs de nos
coreligionnaires envoient leurs fils chez les
Frères et leurs filles chez les Soeurs. Ni
Antoine ni moi ne pouvions le faire. ou les enfants
reçoivent dans ces établissements des
doctrines romaines qui, se plaçant entre
leur âme et l'Évangile, faussent leurs
idées; ou bien soumis tantôt à
l'influence d'un enseignement mêlé
d'erreurs, tantôt à l'influence d'un
enseignement purement biblique, que tous deux on
leur présente comme également dignes
de confiance, ils sortent de l'école et de
la famille avec une indifférence
complète.
Le plan d'Antoine, qui nous permettait
d'échapper à des dangers, devait donc
me sourire. Ma chère Madame, là s'est
révélée toute la
méchanceté de mon coeur.
Des devoirs nouveaux, des
difficultés à
vaincre,des risques à
courir, des épreuves peut-être
à soutenir, tout cela m'effrayait. Je venais
d'expérimenter la bonté du Seigneur
et je n'osais m'appuyer sur Lui. La peur de
compromettre, de perdre le fruit de nos
économies me rendait craintive; je me
défiais de la prudence d'Antoine, je me
défiais de la providence de Dieu.
Enfin, après avoir beaucoup
prié, Antoine exécuta son projet. Je
ne me soumis qu'à contre-coeur. Ce que je
prévoyais ne tarda pas à arriver;
nous eûmes à soutenir l'opposition du
monde, nous passâmes par de mauvais moments,
et moi... moi indigne, j'en éprouvai une
satisfaction diabolique. J'aggravai les
inquiétudes d'Antoine par mes propres
angoisses que, j'exagérais; au lieu de le
consoler, je répétai sans cesse ces
mots orgueilleux : Je l'avais bien dit !
Nous nous étions imposé la
règle de ne jamais vendre le Dimanche; cette
résolution excita nos voisins contre nous -
les uns virent dans cet acte un blâme
impertinent de leur conduite, les autres une
hypocrisie. Il est d'usage parmi les villageois de
nos campagnes de se répandre dans le bourg
au sortir de la messe et d'y faire leurs emplettes.
Ils entraient chez moi, et lorsqu'ils voyaient que
ni menaces ni prières ne pouvaient me
décider àvendre
du sucre, des chandelles ou du fil, ils s'en
retournaient pleins de dépit.
Antoine, lorsqu'il était
présent, répondait avec douceur
à leurs boutades; il leur expliquait les
motifs de sa conduite, il en prenait occasion pour
ouvrir la Bible et leur lire quelques passages de
l'Écriture-Sainte. Quelques-uns de
ceux-là s'en allaient pensifs et revenaient
un des jours de la semaine, plus peut-être
pour s'entretenir avec Antoine de ces choses
nouvelles, que pour acheter des provisions.
Mais si mon mari tirait parti de sa
position pour faire du bien, moi, Madame, mal
disposée comme je l'étais, je
marchais à fin contraire. S'adressait-on
à moi le Dimanche, je répondais un
non sec qui blessait nos chalands; me poussait-on
à bout, je faisais quelque aigre
leçon qui indisposait plus justement encore.
Il en résulta que chacun, froissé de
notre opiniâtreté, choqué de
mes façons orgueilleuses, nous laissa
là nous et nos marchandises, et que bon
nombre des pratiques d'Antoine s'adressèrent
ailleurs pour faire tisser leur toile.
Notre situation était difficile;
ne travaillant pas à la journée je
n'apportais rien dans le ménage, et il ne
restait plus à Antoine qu'une pièce
de toile appartenant au fermier Giraud, dont il ne
devaitrecevoir de l'argent
qu'en échange de son ouvrage, Les privations
arrivèrent; oh! ma chère Madame, je
fus effrayée de l'égoïsme, de
l'avarice de mon coeur! à chaque instant,
moi qui pensais pouvoir tout souffrir avec bonheur
pour l'amour d'Antoine, à chaque instant je
me plaignais de notre pauvreté, à
chaque instant je rappelais l'aisance dont nous
eussions joui s'il eût écouté
mes prévisions. Mon mari faisait-il part de
notre nécessaire à quelque être
plus malheureux que nous; recevait-il chez lui
quelqu'un de ces colporteurs
évangéliques, qui de loin en loin
traversent nos campagnes en vendant la Bible et de
bons livres, je me cachais arrière de ma
chair, regrettant cette aumône, regrettant le
verre d'eau, le morceau de pain que je tendais
à Christ en la personne d'un de ses
serviteurs.
(1)
Les leçons de mes filles, je ne
les donnais que de mauvaise grâce, comme si
j'avais voulu ôter à mon mari cette
dernière satisfaction, de voir que
l'exécution de son projet atteignait le but
au moins en partie.
Antoine se montrait triste, mais doux et
ferme; à mes craintes sur l'avenir, à
mes reproches, il répondait humblement :
Peut-être ai-je agi contrairement aux
intentions
de Dieu ; c'était par imprudence et non par
révolte. Pardonne-moi, Louise, et
attends-toi à l'Éternel ; Il
pourvoira à tous nos besoins.
Bourrelée par les remords,
sentant que je reculais à grands pas, je
résolus de rompre avec mon
péché; je confessai mes torts
à Antoine. Oh ! que cela me fit de bien! Il
m'écouta comme un père, il me ramena
au culte secret que j'avais négligé,
ensemble nous remîmes à Dieu le soin
de notre avenir, ensemble nous portâmes le
fardeau de la pauvreté, de la contradiction
des hommes, et il me sembla léger.
C'était le péché qui m'avait
écrasée sous son poids, non
l'épreuve.
Bientôt l'on s'aperçut
à Saint-Agrève que loin de nous
plaindre avec amertume nous souffrions en silence,
que loin de nous venger nous cherchions à
rendre de petits services; on revint à nous.
d'abord quelques personnes, puis d'autres, et puis
tout le monde, car l'on avait vite reconnu que nos
marchandises étaient de qualité
supérieure et que nous faisions bonne
mesure.
Maintenant la gratuité de Dieu
éclate non-seulement à nos yeux, mais
à la vue de tous ceux qui ont pris garde
à ses voies. Il est, Il sera éternellement le
libérateur, le rocher de ceux qui se
confient en lui.
Par moments j'éprouve encore des
craintes, Antoine fait souvent crédit
à de pauvres pratiques, il prête de
petites sommes à des voisins
nécessiteux, et mon méchant coeur
s'inquiète alors, mais je regarde à
Christ qui s'est donné lui-même pour
nous; je vais à ma Bible qui me dit : Ne te
détourne point de celui qui veut emprunter
de toi. (2)
Je
repasse en mon coeur les délivrances de
l'Éternel, et je me sens
soulagée.
Cependant, et je ne sais si les
désirs, si les doutes que je vais vous
exposer, ma chère Madame, sont encore une
tentation, cependant il me semble que nous ne
sommes pas ici à notre place; il me semble
que mes forces, que les facultés d'Antoine
pourraient trouver ailleurs un emploi meilleur; il
me semble que tisser de la toile, vendre du fil,
des aiguilles, du sucre et du savon, sont des
occupations que le chrétien devrait laisser
à ceux qui n'ont rien de mieux à
faire, pour se consacrer corps et âme
à l'avancement du règne de Dieu. Que
de temps absorbé par ces oeuvres toutes
matérielles, nous pourrions donner à
l'éducation spirituelle de nos
frères. Que d'obstacles qui ralentissent
nosprogrès et qui ne
nous retiendraient pas si nous rompions avec notre
carrière terrestre pour entrer dans le champ
de travail des missions, par exemple, ou de
l'évangélisation parmi les
catholiques-romains. La fausse honte ferme souvent
ma bouche au moment même où je
voudrais parler des grâces de mon Sauveur;
mais si Antoine était missionnaire,
évangéliste; s'il avait fait ainsi
que moi son sacrifice une fois pour toutes, les
considérations humaines qui m'arrêtent
n'auraient plus le même pouvoir. Je me sens
paresseuse au service de mes frères; le
mauvais temps, un travail que je pourrais renvoyer,
cent faux prétextes me retiennent ait moment
où ma conscience me dit d'aller visiter ce
malade, cet indigent ; de lire la Parole de Dieu
à ce vieillard, d'adresser quelques paroles
chrétiennes à mes pratiques, de leur
offrir quelques traités religieux; rien de
tout cela ne m'arriverait plus si nous entrions
franchement au service du Maître.
Ah ! ma chère Madame, souvent en
imagination je me vois avec Antoine au milieu de
quelque sauvage peuplade, dans une jolie cabane,
tenant une école de petits enfants bien
sages, enseignant aux femmes à coudre,
à lire, à conduire leur
ménage, à aimer leur mari; et tout
cela marche si bien!
Lesprivations me paraissent
douces alors, les obstacles tombent devant moi,
rien ne me coûte pins! Et puis les
bénédictions de Dieu n'abondent-elles
pas sur celui qui a chargé sa croix pour
suivre Christ?
À tout cela Antoine secoue la
tête. Il dit que Satan se déguise
parfois en ange de lumière
(3)
pour nous
détourner de la Voie droite et simple; qu'il
faut se donner à Dieu jour par jour avant de
viser aux sacrifices extraordinaires; qu'il faut se
montrer fidèle dans les petites choses avant
d'aspirer aux grandes. Je sens qu'au fond il doit
avoir raison, mais ces pensées me troublent,
elles occupent tellement mon esprit que mon corps
en devient paresseux. Oui, pendant que je convertis
en imagination les sauvages, il faut vous l'avouer,
Madame, je laisse à ma porte des
frères, chrétiens de nom, vivre et
mourir sans savoir que Jésus est le chemin,
la vérité, la vie, et que nul ne
vient au Père que par lui.
(4)
Et pourtant je crois mes désirs
d'abnégation sincères. Dites-moi, ma
chère Madame, ce que vous pensez
là-dessus.
Ma belle-mère fait de sensibles
progrès; j'ai beaucoup
d'inégalité dans mes rapports avec
elle,mais depuis la mort de
mon cher enfant je sens que mon affection pour Mme
Latour s'est retrempée dans l'amour du
Seigneur; la paix règne dans notre maison.
Mes deux chères petites avancent aussi en
piété, malgré les nombreux
combats qu'elles ont à soutenir contre leurs
défauts.
J'ai vu plusieurs fois Clémence,
ma chère Madame ; voilà une âme
gagnée.... et peut-être deux.
Elle a totalement changé de
manière d'être avec son mari; autant
elle se montrait hautaine, rebelle, autant elle
devient humble et prévenante. Le père
Giraud est comme embarrassé, il cherche s'il
n'y a point là-dessous quelque ruse dont
Clémence se serve pour le duper; il
parviendra peut-être à deviner que
toute l'envie de sa femme est de lui procurer
l'éternel salut. Qui sait alors quel miracle
ne produira point une telle découverte chez
l'homme qui, jusqu'à cette heure, n'a voulu
voir partout que calculs, que sentiments
intéressés!
Un cautionnement fait à la
légère par Charles Maillard a
précipité toute sa famille dans la
ruine ; cette maison est un enfer, on n'y entend
que blasphèmes et querelles. J'ai
essayé d'y parler de la grâce de Dieu,
j'ai été repoussée; prions de
tout notre coeur pour ces infortunés.
»
Un mois environ après avoir
écrit les lignesqu'on
vient de parcourir, Louise Latour reçut
cette lettre de Mme Dubois :
« Ma chère enfant,
Ne vous séduisez pas
vous-même; examinez le désir que vous
avez de Nous consacrer d'une manière toute
spéciale aux oeuvres chrétiennes, et
voyez si ce désir ne viendrait point d'un
secret dégoût pour la vie modeste que
Dieu a mise devant vous; voyez si l'orgueil, si le
besoin d'exercer une influence mieux reconnue, de
faire parler de vous et de vos travaux; voyez si la
soif des émotions nouvelles; voyez si des
motifs très-humains en un mot, et fort
éloignés du véritable esprit
de renoncement, ne l'inspirent point.,
Oh ! oui, mon enfant, elle est bien
belle l'existence des missionnaires qui quittent
leur patrie, leurs parents, tout ce qu'ils
connaissent et tout ce qu'ils aiment, pour
s'enfoncer dans le sud de l'Afrique, pour se perdre
dans les neiges de la Laponie, pour se mêler
aux superstitieuses populations de l'Inde, aux
féroces habitants des îles de
l'Océan pacifique, et ne plus vivre qu'en
vue de la gloire de l'Éternel, du salut de
leurs frères païens! Elle est belle
l'existence de l'évangéliste, du
colporteur, qui, n'ayant pas plus que son
Maître unlieu fixe
où reposer sa tête, parcourt nos
contrées, expliquant la Parole de vie,
enseignant les petits, souffrant lotir à
tour la contradiction et les outrages, le froid, le
chaud, la faim!
Si le Seigneur appelait votre mari, vous
appelait à ce genre de dévouement, si
cet appel était bien de Lui, je l'en
bénirais et je vous en féliciterais,
Louise, car je suis certaine qu'avec la vocation Il
vous donnerait les forces. Mais, mon enfant, je ne
reconnais pas la voix de Christ dans les
invitations que vous croyez entendre, et je n'en
yeux pour preuve que les fausses idées que
vous nourrissez sur la vie missionnaire, que
l'oisiveté momentanée dans laquelle
semble vous jeter cet insatiable besoin de
renoncement.
Mon enfant, quiconque veut bâtir
une tour s'assied premièrement et calcule la
dépense, pour voir s'il a de quoi l'achever,
(5)
c'est le
Seigneur qui l'a dit. Vous voulez bâtir la
lotir; connaissez-vous les matériaux dont
elle doit se composer, avez-vous compté vos
richesses?... Une jolie cabane, une école de
petits enfants bien sages, des femmes païennes
qui se laissent mieux diriger que ne
leferaient des
Françaises... Louise, sont-ce là des
réalités ou des
rêves?...
Rappelez-vous, mon enfant, rappelez-vous
le sol aride de l'Afrique par exemple, les famines
qui désolent le pays, la disette d'eau, les
guerres féroces des habitants,
l'enlèvement des troupeaux, la dureté
de coeur de ces pauvres Béchuanas,
l'indépendance sauvage de leurs femmes, la
nudité, la saleté, l'indiscipline de
ces petits enfants élevés dans les
habitudes les plus grossières. comparez ces
faits à vos illusions, et demandez-vous si
vous vous sentez effrayée ou
encouragée ?
Savez-vous que pour le missionnaire,
comme pour le colporteur, il s'agit d'un rude
service, d'une abnégation de tous les
instants, de labeurs sans fin, quelquefois
d'études profondes? Si l'obligation de vous
déranger à chaque minute pour servir
cette pratique et cette autre vous lasse,
accepterez-vous avec joie, avec amour, les visites
de pauvres païens qui entreront chez vous cent
fois le jour, et vous arracheront à vos
occupations les plus importantes, pour rien ou
presque rien?
Allez, mon enfant, ne cherchez pas un
dévouement de loin, afin d'échapper
au dévouement de
près!
Les secours de Dieu vous feraient
là-bas surmonter toutes ces
difficultés... Sans doute, mais ici,
près de nous, ils vous feront triompher
aussi des obstacles qui vous
arrêtent.
Méfiez-vous de
l'inquiétude d'esprit, elle travaille au
profit de la paresse. Il est plus aisé de
repaître son imagination des oeuvres qu'on
accomplira, que de mettre chaque jour a
exécution les oeuvres que le devoir
présent nous impose. Il est plus facile
d'aspirer à la confession publique,
glorieuse, sanglante même, qu'en
qualité de disciple et de martyr de Christ
on serait appelé à faire dans telle
circonstance exceptionnelle, que d'avouer
aujourd'hui sa foi devant Pierre ou Jean, que de
supporter demain quelque Mauvaise plaisanterie pour
l'amour de la vérité, que de souffrir
des privations réelles, mais ignorées
de tous.
Vous seriez plus libre dans une
situation différente!... Commencez, dans la
situation où vous êtes, par vous
libérer à l'égard de votre
orgueil, de votre avarice, de votre
indolence.
Le sacrifice une fois accompli couperait
tous les liens qui vous retiennent!... Mon enfant,
Dieu veut un sacrifice ou plutôt un don
renouvelé chaque jour; il veut des ouvriers
de franche volonté,de
coeur joyeux, qui chaque matin se consacrent
à Lui de nouveau et qui ne demandent ni
à la forme, ni à la règle, une
force qu'elles ne leur fourniront jamais.
Si Dieu vous destine un plus vaste champ
de travail, s'il entre dans ses desseins
d'appliquer les facultés d'Antoine d'une
manière plus directe et plus constante
à l'avancement de son règne, soyez-en
certaine, mon enfant, il vous appellera de telle
sorte que vous l'entendrez bien. Mais sa voix, et
je le répète, sa voix ne ressemble en
rien à celle que vous avez
écoutée.
En attendant, Louise,
préparez-vous à ce que Dieu peut un
jour exiger de vous, en faisant tout ce qu'il vous
demande à cette heure. Imitez saint Paul qui
fabriquait des tentes
(6)
et que ce
travail manuel n'empêchait pas de
prêcher nuit et jour. Pour vous, il ne s'agit
pas de prédication, les devoirs de disciple
de Jésus ne vous feront jamais oublier les
devoirs de la femme chrétienne, la modestie,
la sobriété de paroles,
l'obéissance. mais à votre porte, il
y a des oeuvres qui vous sollicitent, donnez-leur
vos soins.
Ne vous bornez pas à
présenter des traités religieux aux chalands
qui
entrent dans votre boutique; ne vous bornez pas
à leur déclarer que vous ne vendez
point le Dimanche; quand l'occasion le permet, liez
conversation avec eux, parlez-leur sans affectation
du bonheur que vous donne votre foi, attachez-vous
à leur faire aimer Jésus.
Il y a autour de vous des pauvres, des
malades, des affligés; à quelque
communion qu'ils appartiennent, ils sont votre
prochain; allez vous asseoir au chevet du lit de
ceux qui souffrent, auprès de ceux qui
pleurent; allez-y plus souvent, plus
assidûment que vous ne le faites, portez-y
plus d'amour, privez-vous d'une portion de ce que
vous regardez comme votre nécessaire pour le
leur offrir, et dites-vous qu'on est
agréable au Seigneur en donnant selon ce
qu'on a, et non selon ce qu'on n'a pas.
(7)
Une pauvre femme âgée,
isolée, et qui recevait elle-même des
secours, sortit un jour profondément triste
d'un temple où elle avait entendu
prêcher sur la charité
fraternelle.
- Quel beau privilège ont les
riches! se disait-elle avec amertume, ils peuvent
nourrir ceux qui ont faim, vêtir ceux qui ont
froid!... Quel
beauprivilège ont les
chrétiens doués d'une foi vive! ils
peuvent toucher les âmes, ramener la paix
dans un coeur troublé! mais moi... que
donnerais-je ?... de l'argent !... les
aumônes qu'on me fait suffisent à
peine à ma subsistance; des consolations
pieuses? hélas! ma foi est faible et j'ai
moi-même besoin d'être
fortifiée!... Elle s'en allait
découragée et des larmes coulaient
sur ses joues.
Voici comment Dieu lui répondit.
Elle marchait la tête basse, accablée,
lorsqu'elle heurta une vieille aveugle qui
implorait la charité des passants. Ici est
un être plus malheureux que toi! lui dit je
ne sais quelle voix intérieure. Elle
s'approcha, questionna l'aveugle, apprit d'elle
que, récemment abandonnée par son
mari, elle se trouvait réduite au
désespoir; dès lors, s'attacher
à cette infortunée, lui procurer des
protecteurs, lui lire la Bible, prier pour elle,
avec elle, ce fut l'occupation,
l'intérêt, le bonheur de la pauvre
femme dont je vous parle. L'Éternel a
béni ses efforts, l'aveugle reçoit
des secours, l'aveugle connaît
l'Évangile, et les anges se sont
réjouis dans le ciel. Voulez-vous un autre
exemple. Je connais à Paris un paralytique,
immobile depuis dix ans dans un lit de douleur et
soutenu par la pitié, qui, à l'heure
qu'il est, fait l'oeuvre d'un
infatigableévangéliste.
Le garçon boulanger, le charbonnier qui lui
apportent complaisamment l'un du pain, l'autre de
l'eau et du bois; les voisins, leurs enfants, le
portier, tous attirés par la douceur de cet
homme, se réunissent autour de lui chaque
Dimanche, quelquefois les jours ouvriers durant la
soirée. Là debout, ou assis sur le
bord de son grabat, ils écoutent la parole
de Dieu qu'explique le paralytique, ils chantent
des cantiques qu'il leur a enseignés et ils
prient. Jésus est là, Jésus
s'est choisi beaucoup de disciples parmi ces petits
de la terre.
Après de tels faits, ma Louise,
je n'ajoute rien; si, un mot encore.
Saint-Agrève étant une
annexe de B***, le pasteur, déjà
surchargé par les occupations que lui donne
une circonscription trop étendue, ne peut
visiter assez fréquemment les membres de
notre communion. Qu'Antoine s'offre à
l'aider dans ses fonctions les plus modestes;
monsieur Prévôt, je le sais, se
réjouira de trouver un homme qui, à
l'exemple des diacres de la primitive
église, se voue au service des
pauvres.
Pourquoi n'inviteriez-vous pas à
votre culte du Dimanche et vos voisins protestants
et vos voisins catholiques? Ceux-là se
raient fortifiés dans
leurfoi, ceux-ci
apprendraient à connaître ce que sont
des croyances uniquement fondées sur la
Parole de Dieu.
Pourquoi n'en gageriez-vous pas quelques
amis à prendre avec vous un abonnement
à la Feuille des Missions de Paris, à
la Feuille mensuelle publiée à
Genève, à la Feuille religieuse du
canton de Vaud?... Le récit des travaux de
nos frères réchaufferait votre
zèle, vous exciterait à la
prière et vous éclairerait sur ce que
le Seigneur veut de vous.
Pourquoi n'engageriez-vous pas celles de vos
voisines qui auraient à coeur l'avancement
du règne de Dieu, à venir une
soirée sur quinze travailler avec vous au
profit de l'oeuvre des missions, de l'oeuvre
biblique, de telle autre, tandis qu'Antoine ou
leurs maris liraient tour à tour quelque
fragment des journaux que je vous indique? Cela se
fait dans plusieurs localités, et ces
réunions fraternelles, tout en attirant les
bénédictions de Dieu sur ceux qui y
prennent part, enrichissent le trésor de nos
entreprises chrétiennes.
Vous le voyez, voilà du travail,
voilà des devoirs pressants, nombreux; tous,
ils demandent beaucoup de fidélité et
beaucoup d'abnégation. Commencez l'oeuvre
dès aujourd'hui, mon enfant; dès
aujourd'hui consacrez-vous absolument au Seigneur,
et souvenez-vous-en, ma Louise, Marie ne fut pas
tant louée de ce qu'elle avait brisé
un vase d'albâtre, répandu un parfum
de grande valeur sur les pieds dit Seigneur, que de
ce qu'en faisant cela, elle avait fait ce qui
était en son pouvoir.
(8)
Ce qui
était en son pouvoir! je laisse ces mots
dans votre coeur, ils répondront
désormais à vos désirs
inquiets.
Versez, mon cher enfant, versez aux
pieds de Jésus vos modestes parfums, placez
à gros intérêt votre talent,
(9)
et si un jour
le Seigneur met en vos mains des senteurs
précieuses, s'il y met dix talents... vous
répandrez les unes, vous ferez valoir les
autres avec la même joie.
Dieu, dans sa bonté, vous a fait
toucher du doigt les défauts de votre
affection pour Antoine. Les
contrariétés qui atteignaient votre
égoïsme l'ont pour un instant
dominée, c'est qu'il y avait en elle de
l'idolâtrie, et que l'idole, ce n'est jamais
celui qu'on croit aimer, c'est toujours
soi-même.
Dans quelque temps je serai, je
l'espère, de retour à
Saint-Agrève ; alors, nous travaillerons
ensemble
dans
ce petit champ trop grand toutefois pour nos
forces, trop grand surtout pour notre
zèle.
Dites à ma chère
Clémence que je bénis Dieu à
cause d'elle. Adieu, au revoir. »
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