Six mois s'écoulèrent, et les
craintes qu'avait conçues Mme Dubois, au
sujet de Victor et de sa femme, se
réalisèrent
entièrement.
La bonne impulsion reçue fit
sentir sa puissance pendant trois ou quatre
semaines aux deux époux. lis lurent la
Parole de Dieu, ils travaillèrent, ils
envoyèrent régulièrement leurs
enfants à l'école; et puis un soir
que Victor rentra tard, il se trouva si
fatigué qu'il se coucha sans ouvrir la Bible
et sans prier. Dès lors on apporta moins
d'exactitude à célébrer le
petit culte de famille, et l'habitude s'en perdit
par degrés. Un autre jour, M. Jaquemin
rencontra quelques anciens camarades qui lui
proposèrent de boire un canon d'eau-de-vie ;
il céda, passa la journée dans le
désordre,
revintexcité, fut mal
accueilli, recommença le lendemain pour
punir Justine, et bientôt se dérangea
tout à fait.
Justine, de son côté,
retournait à la vanité et à la
paresse; les enfants, peu oui point
surveillés, ne suivaient plus l'école
que de loin en loin . ils étaient redevenus
sales, vagabonds, indisciplinés. La
misère avait fait sa rentrée dans le
ménage avec les mauvaises passions; la
rechute était complète.
M. et Mme Jaquemin qui, dans les
premiers jours de leur union soupiraient
après les visites de Mme Dubois, parce
qu'ils se sentaient soutenus par elle et qu'ils
aimaient à lui raconter leurs
difficultés, ne la voyaient plus revenir
qu'avec ennui. À mesure que l'ancien train
de vie avait repris le dessus, ces courts
entretiens leur étaient devenus à
charge. Victor, qui autrefois avait toujours
quelque argument à l'appui des principes de
Mme Dubois, restait muet on prononçait
à grand' peine un oui, un sans doute
gênés. Justine cherchait à
détourner la conversation des sujets
sérieux sur lesquels Mme Dubois la ramenait
sans cesse, et bientôt tous deux en vinrent
à ne supporter leur amie qu'en raison des
secours matériels qu'elle leur
remettait.
Mme Dubois devinait ce qu'on ne lui
disait pas et suivait avec tristesse les
progrès évidents du mal. La bonne
semence de Dieu était tombée chez
Victor sur un de ces terrains pierreux où le
grain lève vite, mais où il
sèche, brûlé par le soleil,
parce qu'il n'a point de racines.
(1)
Quant
à Justine, elle avait besoin d'une plus
forte secousse peut-être pour sentir son
péché, et pour désirer avec
ardeur « de naître de nouveau.
(2)
» La
plaie de ces coeurs n'était pas encore
sondée.
« Le mariage est honorable entre
tous, » dit l'Écriture. Oui, le mariage
que la crainte de Dieu cimente, l'union qui
s'appuie sur le rocher des siècles ; mais
dans l'association de M. et Mme Jaquemin, la
pensée de l'Éternel qui, un instant,
avait semblé régner, s'était
vite amoindrie. Nous l'avons dit, les feuillets de
la Bible restaient collés les uns aux
autres, on ne priait plus, on ne cherchait plus la
volonté de Jésus. Sauf quelques
souvenirs qu'on n'aimait pas à rappeler
parce qu'ils ressemblaient à un reproche :
la bénédiction du pasteur, les
engagements pris à la face du Tout-Puissant,
l'exhortation adressée du haut de la chaire
chrétienne; sauf ces quelques souvenirs, il
n'y avait rien de
changé pour Justine et pour Victor dans
l'union qui les rapprochait. C'étaient les
mêmes alternatives de paix et de
désordre, de bon accord et de querelles,
avec une dissipation, une pauvreté, une
dégradation qui allaient croissant.
Si Justine voulait s'étayer de
son titre d'épouse pour réprimer la
violence de son mari, que les excès
rendaient de plus en plus grossier, Victor lui
rappelait son précédent abaissement,
et la traitait avec un dédain qui irritait
peut-être plus son orgueil qu'il ne blessait
son coeur.
Qu'avait-elle fait pour remonter de la
place indigne qu'elle occupait jadis auprès
de Victor, à la place honorée,
à la sainte place d'épouse? Quelle
différence un homme qui ne jugeait de la
valeur des principes que par leurs fruits,
pouvait-il établir entre la femme qui se
livrait à toutes ses passions en dehors de
l'union conjugale, et la femme qui se livrait
à toutes ses passions au-dedans ? Point de
respect chez l'un, rien de ce qui l'inspire chez
l'autre, chez tous deux la domination du
péché; telle était leur
situation morale.
Dès le matin, Victor, qui
n'aimait pas son intérieur, parce que tout y
était mal en ordre, que les enfants criaient
et se battaient, que sa femme le querellait, qu'on
n'y avait aucune attention
pour lui, aucune soumission
à sa volonté, dès le matin
Victor quittait la maison pour aller chez lé
marchand de vin, se réchauffer, comme il
s'exprimait, c'est-à-dire se brûler le
sang et s'abrutir en buvant de l'eau-de-vie.
Parfois il se rendait à son atelier, et
là de mauvaises conversations entretenaient
chez lui cette familiarité avec le vice qui
gangrène l'âme jusqu'au fond. Plus
souvent ses camarades lui proposaient une partie de
plaisir; alors on ne paraissait pas même
à l'atelier, ou bien on quittait le travail
à la demi-journée, on visitait les
cabarets, les bals, les spectacles de la
barrière dans la société de
femmes corrompues, et là soirée se
terminait souvent par d'horribles rixes,
conséquences de l'ivresse et de la
débauche. Les maîtres ennuyés
chassaient l'ouvrier fainéant; une semaine
se passait à chômer. L'habitude de
rester oisif, on l'avait; mais celle de ne pas
manger, de ne pas boire, de ne pas se divertir, on
ne voulait pas là prendre, et non-seulement
le peu d'argent gagné par le moyen du
travail s'en allait en folles dépenses, mais
on faisait des dettes et l'on portait meubles,
linge, hardes au
Mont-de-Piété.
Quand après un jour, deux jours
passes hors de chez lui, Victor rentrait,
dégoûté de tout, se disposant
d'avance à tenir tête à sa
femme, il trouvaitJustine
exaspérée; on comprend quelles
scènes s'ensuivaient.
Avec de l'amour pour Dieu, la douceur et
l'ordre seraient rentrés dans le
ménage, Justine aurait exercé une
salutaire influence sur son mari; car au fond il
l'aimait, il avait la conscience de sa faiblesse,
il sentait le besoin d'un appui. Sans doute, aussi
longtemps que le péché ne serait pas
apparu dans toute sa laideur à Victor, aussi
longtemps que l'affection du Sauveur pour sa pauvre
âme souillée ne l'aurait pas
pénétré de gratitude, il
aurait manqué de persévérance;
dans le cas même d'une conversion, il aurait
encore fait bien des chutes; mais il aurait eu sous
les yeux l'exemple journalier des oeuvres que
crée la foi chrétienne, des
changements miraculeux qu'elle opère dans un
coeur; et si une telle vue ne l'avait pas
excité à chercher la
vérité pour lui-même, du moins
elle l'aurait empêché de tomber aussi
bas.
Justine, hélas! ne lui offrait
que le spectacle d'une nature asservie par le
péché, par ce péché qui
le topait en esclavage. Elle éclatait, il
est vrai, en reproches amers lorsque Victor
l'abandonnait pendant des journées
entières, lorsqu'il dépensait en
mauvais plaisirs un argent péniblement
gagné, lorsqu'il gâtait, lorsqu'il
brusquait ses enfants; mais
ellemême, tantôt
les grondait hors de propos tantôt leur
passait des fautes grossières;
elle-même employait à s'acheter des
rubans, des bonnets, des bijoux faux, les quelques
sous nécessaires au dîner du lendemain
; elle-même quittait la maison à tout
propos et recherchait avec avidité les
occasions de se divertir de son côté.
Au lieu d'adresser à Victor des observations
calmes et sérieuses, elle se livrait
à l'emportement; au lieu de taire les torts
de celui-ci, elle les contait à qui voulait
l'entendre, et la compassion, les conseils d'amies
le plus souvent Étourdies, quand elles
n'étaient pas corrompues ou
méchantes, envenimaient le mal en irritant
ses passions.
De telles confidences, qui ne
conviennent jamais, parce qu'elles nous font
manquer au respect que nous devons à un
mari, et qu'elles introduisent des
indifférents dans notre intérieur; de
telles confidences ne servent qu'à nourrir
la curiosité, le bavardage de celles qui les
reçoivent; qu'à entretenir les
griefs, qu'a irriter les blessures de celles qui
les font. Le confident de la femme mariée
doit être Dieu, Dieu qui écoute
toujours, qui fait toujours la guerre au
péché, qui envoie toujours la paix
à l'âme.
Mme Dubois sentait si bien celte
vérité, qu'elle ne se mêlait
des affaires intimes d'un ménage que
lorsqu'elle savait pouvoir seule y apporter la connaissance
de
l'Évangile; et encore, ne le faisait-elle
qu'avec une sorte de crainte.
Il y avait des moments où Victor
éprouvait de l'horreur pour le genre de vie
qu'il menait, où son attachement pour
Justine se réveillait tout entier, où
il revenait à elle doux, repentant,
cherchant à entrer dans une voie meilleure;
alors Justine, inspirée par le démon
de l'orgueil, de la vengeance, au lieu de penser
à ses propres fautes, au lieu d'oublier
celles de Victor, au lieu de regarder à
Dieu, Justine n'avait qu'une pensée : faire
payer cher à son mari le chagrin qu'il lui
causait. Les mots acerbes, les manières
froides, les façons indépendantes,
elle mettait tout en oeuvre pour le
fâcher.
Victor témoignait-il dès
le matin le désir de prendre ses repas en
famille, Justine s'arrangeait pour dîner ou
pour souper avant le retour de M. Jaquemin qui
trouvait le poêle froid, la lumière
éteinte, sa femme endormie, ou feignant de
l'être. Si le dimanche, il annonçait
l'intention de passer la journée
auprès de sa femme et de ses
enfants.
- Désolée, disait Justine,
depuis trois semaines je me suis engagée
à faire une partie de plaisir.
- J'irai avec toi.
- Non, tu as tes camarades, moi j'ai mes
amies; chacun de son côté, tu l'as
voulu.
Après quelques efforts
tentés pour se rapprocher de sa femme,
Victor, piqué au vif, retournait à
ses habitudes ; Justine, satisfaite de s'être
vengée, mais irritée de ce que Victor
s'arrangeait si vite de ses refus, cherchait
à se rendre de plus en plus
indifférente, à se séparer de
plus en plus de son mari, et tous deux se
perdaient.
Si l'on eût contraint Justine
à voir son âme telle qu'elle
était, poussant un cri d'effroi, elle se
fût jetée aux pieds de Christ, elle
eût murmuré de ses lèvres
tremblantes : « Sauve-nous, Seigneur,
sauve-nous, nous périssons. »
(3)
Mais le
diable, qui est habile, éteignait dans son
coeur le très-rare, le très-faible
désir de s'examiner, que le Seigneur y
ranimait quelquefois ; il lui rendait la pente si
douce, que pas une Secousse ne venait l'avertir de
la rapidité avec laquelle elle roulait vers
l'abîme.
Cette secousse, Dieu permit dans sa
bonté qu'elle lui fût
donnée.
Justine était malheureuse;
malheureuse par les désordres de son mari,
malheureuse par leur séparation qui allait
croissant, malheureuse par lés vices de ses
enfants qui se développaient
d'unemanière
effrayante, malheureuse par les privations que
cette vie de péché leur imposait
à tous;. malheureuse par les humiliantes
importunités au moyen desquelles elle
obtenait quelques secours des riches; malheureuse
par ses défauts, malheureuse par ses
plaisirs, malheureuse par sa conscience, dont les
cris se faisaient de temps à autre entendre;
malheureuse par l'impossibilité où
elle se voyait de prier d'un coeur droit, de
chercher son Dieu avec la sincère envie de
le trouver.
Cette détresse d'âme, ce
trouble intérieur, ce secret
dégoût d'elle-même, qui eussent
dû l'amener aux pieds du seul consolateur, la
poussaient au contraire vers le monde.
Le théâtre, l'habitude de
la dissipation avaient créé en elle
le besoin des émotions vives; ce besoin lui
faisait trouver ennuyeuse, maussade, l'existence
d'une honnête ouvrière; il provoquait
ces réponses irritantes, ces
impétueux mouvements auxquels le
ménage devait ses scènes les plus
violentes; ce besoin entraînait Justine hors
de chez elle; ce besoin l'attachait à la
compagnie de femmes légères, d'hommes
hardis; ce besoin la portait à souffrir des
attentions, des poursuites, dont la seule
pensée l'eût faite rougir
jadis.
Un ami de son mari, homme dont les
antécédents étaient louches,
mais dont les manières avaient un certain
vernis, s'était, par degrés,
introduit dans son intimité; il avait
profité de la faiblesse de Victor, pour
prendre sur lui de l'ascendant; il profitait de la
jalousie, du désordre intérieur de
Justine, pour lui exprimer une admiration dont
l'orgueil de celle-ci se repaissait avec
délices.
La coquetterie, l'esprit de vengeance
l'avaient fait écouter. Justine riait de ses
paroles passionnées, elle en riait et les
souffrait; bientôt elle les attendit avec une
sorte d'impatience, puis elle les provoqua. Parfois
une voix intérieure lui criait :
arrête! mais cette voix, elle
l'étouffait; elle l'étouffait,
tantôt en travaillant avec ardeur, en
remplissant quelques devoirs envers son mari ou ses
enfants, essayant ainsi de donner le change
à sa conscience; tantôt en se
plongeant plus avant dans l'enivrement des faux
plaisirs, et en courant au devant du
danger.
Mme Dubois, qui suivait Justine d'assez
près, comptait avec effroi les
progrès de la corruption dans ce
désastreux ménage. Victor ne se
laissait pas rencontrer; Justine devenait de jour
en jour plus contrainte et plus
froide.
La gouvernante résolut de tenter
un dernier effort pour sauver sa malheureuse
protégée. Elle se rendit chez elle,
déterminée à provoquer une
explication, à mettre ce coeur au plein
jour.
Au moment où elle entra, Justine
seule, exaspérée par quelques mauvais
procédés de son mari, plus
troublée encore par le poison du
péché qu'elle gardait dans son coeur,
s'écria hors d'elle-même:
- Mme Dubois, vous voilà! je
désirais votre visite : vous avez fait mon
mariage... eh bien! venez le voir défaire...
je quitte Victor, c'est décidé. Mes
enfants sont sans pain, je me dois à eux.
Cet homme ira où il voudra, fera ce qui lui
plaît; moi, je reprends ma
liberté.
Mme Dubois, muette de douleur, regarda
Justine.
- C'est fini! reprit-elle avec
agitation, et en détournant les yeux, cet
homme est un libertin! il causera la perte de ses
enfants, il faut une séparation, il en faut
une ! Dieu merci, les preuves dé sa
méchanceté ne manquent pas!
- Dieu! répéta Mme
Dubois.
- Oh! je sais ce que vous allez me dire
; j'ai tort, c'est possible, mais c'est plus fort
que moi.
Mme Dubois ne se sentait pas la
liberté de discuter
avec Justine, les paroles humaines seraient
tombées comme de l'huile sur un brasier;
elle se contenta de prononcer lentement ces mots de
saint Paul : - « Quant à ceux qui sont
mariés, je leur commande, non pas moi, MAIS
LE SEIGNEUR, que la femme ne se sépare point
du mari. »
(4)
- Je sais tout cela, je sais tout cela!
interrompit Justine de plus en plus agitée.
Mais il est trop tard... il faut aller jusqu'au
bout.
- Jusqu'au bout de la rébellion,
jusqu'au bout du vice ! s'écria Mme Dubois
avec fermeté.
- Cet homme s'enfonce dans la
corruption!
- Il s'y plongera moins, quand vous
l'aurez abandonné?
- Il me faut de la paix.
- Vous en aurez... en faisant la guerre
à Dieu?
- Mes enfants!
- Vos enfants! Ah! Justine, osez-vous
bien prononcer ce mot! Vos enfants! au moment
où vous cherchez à détruire en
eux un des sentiments les plus sacrés : le
respect, l'amour filial ! Vos enfants!.. c'est une
hypocrisie, Justine, la
mauvaiseépouse, ne
sera jamais qu'une mauvaise mère
- Mais ma liberté...
- Oui, votre liberté, la
liberté de votre méchanceté
Voilà ce, que vous voulez... ceci est
vrai!
En ce moment, un homme à figure
barbue poussa la porte, entra brusquement, et, sans
voir Mme Dubois, cachée dans l'ombre, jeta
sur la table un volume de roman, en adressant
à Justine quelques mots dont
l'étrange familiarité fuit un trait
de lumière pour la gouvernante. Justine ne
put retenir un cri, elle pâlit, montra Mme
Dubois au nouveau venu, et, se tournant vers
celle-ci, balbutia...
- C'est un ami de Victor...
La Bible ouverte, la figure
sévère de Mme Dubois, l'effroi de
Justine, firent vaguement comprendre à
Prosper Leblanc que sa visite était
inopportune; il pirouetta sur ses talons,
s'embarrassa dans une explication menteuse; puis,
comme personne ne lui répondait, que Justine
semblait plus morte que vive, que Mme Dubois
restait sérieuse, il salua, chargea Justine
d'une commission insignifiante pour son mari, et
s'en fut.
Après un silence solennel,
pendant lequel Mme Dubois pria Dieu de lui
prêter assistance, pendant lequel Justine,
bouleversée, voyait pour la première
fois son péché tout entier sortir le l'obscurité
où
l'avait maintenu sa mauvaise conscience : - Je
comprends, dit Mme Dubois, d'une voix calme, mais
profondément altérée, je
comprends pourquoi vous voulez vous séparer
de votre mari.
Ces mots
pénétrèrent comme une
épée à deux tranchants dans le
coeur de Justine.
- Prenez pitié de Moi !
cria-t-elle avec un accent déchirant, et
elle tomba sur ses genoux.
Mme Dubois lui tendit les mains et la
releva. Dès que les pleurs lui
laissèrent la possibilité de
parler.
- Oui, dit-elle, je suis une
misérable... j'ai négligé tous
mes devoirs... c'est moi qui ai perdu Victor...
Voici quatre mois que je ne prie plus, que je ne
lis plus la Bible... Prenez pitié de
moi.
- Mon enfant, c'est à Dieu qu'il
faut aller; à Dieu qui vous cherche depuis
longtemps; à Dieu qui ne veut pas votre
condamnation, mais votre salut... votre salut
éternel, mon enfant. Humiliez-vous devant
Lui, oui humiliez-vous beaucoup.
- Je ne sais où me cacher loin de sa face, s'écria Justine avec un redoublement de douleur.
- Loin de sa face!... Si vous le fuyez, mon
enfant, comment vous dira-t-il - « Je ne te
condamne pas non plus... Va, et ne pèche
plus. » (5)
Ah !
Vous ne savez donc pas encore, ma fille,
que nous ne pouvons rien apporter à Christ
en échange du don de la vie éternelle
! il vous a abandonnée à
vous-même pour vous apprendre jusqu'où
va votre corruption... pour vous apprendre aussi,
oui, je l'espère, jusqu'où vont ses
miséricordes. Son amour, Justine, son amour
dépasse notre péché de
partout.
Mais Justine n'avait pas la force de recevoir
cette bonne nouvelle, tant de fois annoncée,
jamais acceptée. Elle était
plongée dans le désespoir que lui
causait son abaissement; ses joues se couvraient de
rougeur; ce Sauveur si tendre, dont lui parlait Mme
Dubois, elle en avait peur; elle eût voulu
pouvoir crier aux montagnes : « Tombez sur
moi! » (6)
À la fin, une espèce de stupeur
remplaça son agitation; Mme Dubois pria
à voix haute; Justine accablée
joignit les mains. Mme Dubois appela toutes les
compassions du Père sur cette pauvre brebis
égarée; elle le remercia d'avoir
permis qu'un fort ébranlement vînt
secouer Justine; elle le supplia, quand Il l'aurait
assez abattue sous sa colère, de lui envoyer
la foi complète en celui qui a dit : «
Quiconque croit en
moià la vie
éternelle. »
(7)
Elle remit
à Jésus cette âme
éperdue, et Justine se sentit un peu
soulagée.
Lorsqu'elle se releva, cette grande,
cette première question de l'âme
réveillée sortit de sa
bouche:
- Que faut-il que je fasse?..
- Prier, mon enfant, méditer sur
la Parole de Dieu, vous attacher des deux mains
à ce rocher inébranlable; et puis,
agir avec droiture, avouer votre faute à
Victor.
- À Victor!
- À Victor. Mon enfant, vous
voici à l'entrée d'une nouvelle vie,
vie chrétienne, où la
vérité doit circuler partout : un
mensonge, un point louche, c'est une forteresse
laissée au démon; il en profiterait.
Votre existence, vos habitudes vont changer; il
faut que Victor comprenne pourquoi; il faut qu'il
connaisse vos luttes, la victoire que Dieu vient de
remporter; il faut qu'il apprenne de quels secours
vous avez besoin; d'ailleurs, dans cet appel que le
Seigneur vous adresse, n'y a-t-il rien pour votre
mari? Êtes-vous en
droitde retenir sa part du
message. Songez, Justine, que vous ne devez plus
revoir cet homme; que Victor doit vous
protéger contre lui... contre vous.
- 0 mon Dieu! comment pourrai-je !
s'écria Justine tremblante. Victor me
méprisera !
- Écoutez-moi, mon enfant; il ne
s'agit pas d'une confession
détaillée, cela serait inutile, cela
serait mauvais; il s'agit d'un humble aveu, il
s'agit d'appeler à votre aide celui qui est
le gardien de votre honneur. Vous ne pouvez pas,
non Justine, vous ne pourriez pas, si Dieu ne se
tenait près de vous, s'il ne vous
prêtait sa force. votre mari vous
méprisera ! Peut-être; n'en aurait-il
pas le droit? S'il le fait, vous accepterez cette
humiliation, vous la porterez comme une croix sous
l'oeil du Sauveur; lui aussi, on l'a
méprisé, et Il ne le méritait
pas. La lumière, Justine, la lumière
avant tout 1
Et puis, vous le verrez, mon enfant, il
y a dans l'épreuve, il y a dans les
châtiments même, do l'Éternel,
une secrète douceur pour l'âme qui s'y
abandonne. La main de Dieu ne s'appesantit point
sur l'enfant qu'Il veut ramener, sans que
d'abondantes grâces n'en découlent
aussitôt.
- Eh bien oui! dit tout-à-coup
Justine avec énergie; oui, je passerai par
où Dieu le vent;
celame sera bon, je le sens,
Je dirai tout à Victor; il me verra telle
que je suis... n'importe; rejetée ou
sauvée, je veux me donner à
Christ.
- Oh ! mon enfant, que le Seigneur vous
fortifie !
Mme Dubois quitta la chambre, et Justine
resta assise vers sa Bible ouverte, tantôt
lisant, tantôt priant, souvent interrompue
par ses larmes, fréquemment navrée de
tristesse quand elle rencontrait des passages
semblables à ceux-ci : « Ne savez-vous
pas que les injustes n'hériteront point le
royaume des cieux. »
(8)
«
Quiconque regarde une femme pour la convoiter, il a
déjà commis dans son coeur un
adultère avec elle. »
(9)
Plus souvent
émue d'une reconnaissance infinie, quand
elle trouvait des promesses pareilles à
celles-ci: « même, je paîtrai mes
brebis, et les ferai reposer, dit le Seigneur Je
rechercherai celle qui sera perdue, et je
ramènerai celle qui sera chassée; je
banderai la plaie de celle qui aura la jambe
rompue, et je fortifierai celle qui sera malade.
» (10)
« Venez maintenant, dit l'Éternel, et
débattons nos droits; quand vos
péchésseraient
comme le cramoisi, ils seront blanchis comme la
neige; et quand ils seraient rouges comme le
vermillon, ils seront blanchis comme la laine.
» (11)
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