Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE DEVOIR D'ATTENDRE

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Vous voyez que le laboureur attend le précieux fruit de la terre avec patience, jusqu'à ce qu'il reçoive du ciel la pluie de la première et de la dernière saison. Vous de même, attendez patiemment et affermissez vos coeurs.
(Jacq. V, 7 et 8.)


Mes Frères,

D
ans l'ordre des phénomènes que nous appelons naturels, chacun sait qu'il faut compter avec le temps, et que l'impatience des hommes ne change rien à la marche régulière des choses. Le petit enfant auquel on donne un coin de terre pour s'y faire un jardin, creuse un trou, y jette une semence et va le lendemain voir si elle commence à pousser. Le laboureur ne connaît pas ces impatiences ; la tentation ne lui vient pas de vouloir devancer d'un jour les échéances des saisons. Dans nos climats il doit prévoir les neiges et les âpres gelées. La récolte ne peut être attendue qu'après un nombre régulier de mois, et même, s'il s'agit d'amener à maturité des plantes telles que la vigne nouvelle ou des arbres au fruit savoureux, on doit compter avec les années. Il suffit d'une nuit d'orage pour couvrir le sol de milliers de champignons qui naissent presque achevés, tandis que le chêne qui bravera les siècles étend avec lenteur ses racines au fond de la terre. C'est dans son habitude de compter avec la nature que le paysan puise sa patience proverbiale et sa ténacité que rien ne lasse. L'ouvrier des villes manie la matière à son gré et vient plus vite à bout de sa tâche ; cependant il sait, lui aussi, que rien de solide et de bon ne s'improvise. Tandis que le sauvage des cavernes primitives ramassait un silex poli et s'en faisait un instrument de guerre, l'artisan qui veut créer une arme ferme et flexible prépare lentement le fer et le tait passer par des trempes successives pour obtenir un acier homogène et résistant.

Il en est de même de la culture de l'intelligence; elle a ses degrés successifs qu'on ne peut supprimer ni intervertir ; le plus grand des mathématiciens doit passer par toutes les étapes qui vont des éléments de l'arithmétique jusqu'au calcul intégral, Dans les productions de l'art où la fougue d'une imagination puissante donne parfois l'illusion d'une création instantanée, rien ne serait plus faux que de croire qu'on puisse ignorer un seul des éléments nécessaires à la composition d'une oeuvre parfaite, Michel-Ange ne commet pas une erreur d'anatomie, Beethoven observe les lois mathématiques de l'harmonie ; s'ils franchissent avec une rapidité foudroyante le chemin que les artistes d'un talent ordinaire doivent conquérir pas à pas, ils ne peuvent se dispenser d'en parcourir toute l'étendue. Il faut le dire bien haut : rien ne s'improvise absolument en ce monde, et, comme l'a dît le poète:

Le temps détruit bientôt ce qu'on a fait sans lui.

Nous acceptons tous cette loi, mes frères, mais, lorsqu'il s'agit des oeuvres divines, il nous semble qu'elle n'y soit plus à sa place. Notre opinion, à cet égard, repose, en partie, sur une idée vraie : c'est que Dieu est au dessus du temps. Nous comprenons que ces catégories du temps et de l'espace où sont enfermées des créatures bornées comme nous ne peuvent s'appliquer à l'Être éternel... La meilleure définition de Dieu, c'est le sublime Je suis des Écritures ; il n'y a pour lui ni passé ni futur, tout lui est éternellement présent.

Un Dieu soumis au temps ne serait plus Dieu. Nous qui ne pouvons penser, ni agir sans faire entrer le temps comme un élément essentiel dans tous nos raisonnements et nos actes, nous comprenons que pour l'Être parfait le temps ne doit plus exister; ce qui pour nous serait chose manifestement impossible, nous sommes forcés de l'affirmer quand il s'agit de Dieu. Or de ce principe qui est vrai, qui est nécessaire, nous tirons, par un abus de logique, une conséquence fausse : nous nous figurons que tout ce qui est divin doit être instantané. C'est là un préjugé qui est enraciné au plus profond de notre nature. Voyez par exemple les religions que nous appelons païennes et qu'il faudrait appeler les religions de la nature ; vous y observerez ce fait que l'homme sent plus directement l'action de Dieu dans les phénomènes subits, effrayants, dans les tremblements de terre ou dans les coups de foudre, que dans l'ordre régulier des saisons; la loi qui devait lui révéler Dieu lui a souvent caché Dieu; l'intervention de Dieu lui est moins apparente lorsqu'elle procède dans un certain ordre, sous certaines conditions de durée où le temps joue son rôle. Une vision éblouissante, une théophanie frappant directement les sens, devient pour lui la marque authentique du divin.

C
ette manière de voir a reparu au sein du christianisme même; c'est elle qui a poussé beaucoup de croyants à faire du miracle, en tant que prodige instantané, inexplicable, sans cause visible, la preuve par excellence de la vérité. Il est pourtant certain que Jésus-Christ n'a jamais encouragé cette tendance, qu'il a déclaré que le simple prodige pouvait être un effet de l'esprit du mal, et que c'est sur le caractère moral de ses oeuvres naturelles ou surnaturelles qu'il a toujours mis l'accent. Mais on a méconnu sa pensée. On a cru que, lorsqu'un fait pouvait se passer soit de causes visibles, soit du concours du temps, ce fait était plus divin pour cela; il semble que les causes secondes effacent la cause première, et que, lorsqu'on peut expliquer un événement en montrant la succession des actes qui l'ont peu à peu préparé, on soit fondé à ne plus l'attribuer à Dieu. N'est-ce pas ce préjugé qui porte beaucoup d'âmes ferventes à ne reconnaître l'action du Saint-Esprit que dans des manifestations brusques, éclatantes ? Ce qui est improvisé leur paraît seul divin, une conversion soudaine est seule authentique, un discours où rien ne trahit le travail humain peut seul être vraiment inspiré de Dieu.
Il résulte de cette manière de voir deux conséquences également funestes : c'est d'abord le mépris des moyens ordinaires de grâce, du ministère régulier, des institutions du passé. et des mesures qui assurent et préparent l'avenir. Dieu, dit-on, n'a pas besoin de tout cela. L'autre conséquence est l'ardeur impatiente qui veut hâter le travail des âmes, qui exagère les résultats obtenus, qui voit des conversions dans des émotions factices, qui crée une surexcitation qu'elle prend pour une effusion manifeste du Saint-Esprit, et laisse tomber des jugements peu charitables sur ceux que ne gagne pas cette contagion sacrée. Dangereuses erreurs qui ont leurs inévitables retours! Quoi de plus propre à favoriser le scepticisme que cet enthousiasme aveugle qui confond des impressions toutes superficielles avec l'oeuvre de Dieu dans les âmes ! Lorsque l'excitation s'est apaisée, on est tenté d'envelopper dans un même discrédit ce qui vient de Dieu et ce qui n'est que le fruit de lit chair et du sang. On se dit que tout cela pourrait n'être qu'une même illusion. Pour avoir voulu hâter les temps et recueillir avant l'heure des fruits qui n'existaient pas, on, risque de mettre en question la valeur des promesses divines et de croire que celui qui compte sur elles ne moissonnera que le néant.

Telles étaient sur ce point les conséquences certaines de l'erreur : il importe d'arriver à discerner nettement la vérité.
Or la vérité, la voici : Dieu qui est au-dessus du temps a voulu agir dans le temps et par le moyen du temps. Il pouvait triompher en un jour de toutes les résistances, et se faire obéir à l'heure même où il avait commandé. Cela nous aurait paru désirable, logique et grand. Mais à ce jugement l'Écriture oppose une réponse péremptoire : Dieu ne l'a pas voulu.
Pour vous en convaincre, voyez Dieu à l'oeuvre, tel que nous le montre l'Écriture : c'est par ses actes que nous reconnaîtrons ses desseins.

Dieu crée le monde. Il semblerait qu'à une volonté toute-puissante devait répondre une création instantanée. Pourquoi le sublime fiat lux ne s'applique-t-il pas à l'ensemble des êtres? Tout devait en un instant sortir du néant et naître à sa voix.
Mais la Bible nous présente une tout autre histoire de nos origines. Le temps nous, y apparaît comme la condition même de l'existence des, choses, Tout est soumis à la double loi de la succession et du progrès. Au début le chaos, puis la séparation des éléments confus, puis la terre surgissant dans les océans primitifs, puis la vie d'abord sous sa forme végétative, s'essayant ensuite dans l'animal, et s'épanouissant enfin dans un être créé à l'image de Dieu. Combien de siècles ont présidé à cette évolution ascendante des choses ? Nul ne le sait, mais il ne reste pas moins vrai que Dieu, qui pouvait tout créer sur l'heure, a tout fait en suivant un ordre déterminé par lui.

Ce que je dis de la création, il faut le dire aussi de l'oeuvre de la grâce. Si je cherche la raison d'être de tout ce qui existe, l'Écriture me répond par ce mot sublime : le règne de Dieu. Tout tend à ce but, tout le sert, et l'univers n'a pas d'autre fin que cela. Or, c'est ici surtout qu'il nous semble que Dieu devrait faire une oeuvre abrégée; en créant le monde Dieu ne trouvait devant lui que le néant, en voulant son règne il trouve devant lui le péché; or le péché, c'est le défi insolent jeté par la créature à sa grandeur, à sa justice, à sa bonté. Comment le Tout-Puissant supporterait-il, cette révolte? La voir et l'écraser nous semblent chez lui deux actes inséparables ; si jamais une oeuvre dut être instantanée, c'est bien ici. Pourtant, malgré cette raison décisive qui nous parait l'évidence même, la victoire de Dieu n'est point immédiate; il y a une histoire du règne de Dieu. Une histoire, c'est-à-dire un commencement, 'et des actes successifs qui préparent la consommation finale; une histoire, c'est-à-dire le développement séculaire, difficile, douloureux, d'un germe déposé dans les profondeurs mêmes de l'humanité. Cela, mais c'est le fond même de l'enseignement des Écritures; si vous le méconnaissez, elles resteront pour vous un livre à jamais fermé.

Dieu fait entrer le temps dans les destinées de son règne. Pendant des siècles, c'est Israël seul qui connaît son nom et qui le répète d'une voix distincte. L'heure des Gentils n'a pas encore sonné, et, en Israël même, quel progrès depuis Moïse jusqu'à Esaïe, depuis le culte du tabernacle auquel le peuple mêle encore ses pratiques idolâtres jusqu'à la foi ferme au Dieu unique et vivant que depuis son retour de l'exil Israël n'abandonne plus jamais!
Enfin les temps sont venus. Le Fils de Dieu est au milieu des hommes. Plus de doute! le règne de Dieu va s'établir d'une manière visible, éclatante. Ainsi l'aurait compris l'imagination populaire; quand les Évangiles apocryphes, qui n'en sont que l'écho, racontent l'enfance de Jésus, ils ne soupçonnent pas même que, comme le raconte saint Luc, le Messie puisse grandir en stature et en grâce. L'être divin pour eux ne peut pas progresser. Aussi nous montrent-ils l'enfant de Bethléem accomplissant des prodiges et dissertant sur les mystères de la théosophie. Mais le vrai Jésus attend ; trente années se passent et il grandit encore, ignoré dans le silence 'et la retraite de Nazareth.
Lorsque Jean-Baptiste l'a proclamé comme le Maître attendu d'Israël, lorsque ses apôtres le supplient avec instances de faire éclater sa gloire, où le trouvez-vous? En Galilée, prodiguant à des ignorants, qui n'en soupçonnent pas même la beauté, les trésors de sagesse divine que les siècles n'épuiseront pas. Il attend le signal du, Père, il se rappelle qu'il y a douze heures au jour, que les temps et les moments n'appartiennent qu'à Dieu.

M
aintenant la croix a été dressée, l'oeuvre de rédemption est accomplie. Puisqu'elle doit réconcilier le ciel et le monde$' c'est sur tous les points de la terre, semble-t-il, qu'elle va être simultanément proclamée, toutes les nations vont être appelées, il en sera du soleil de justice comme de l'astre qui dans le cours d'une journée projette en tous les lieux sa lumière et sa chaleur. Mais il plaît à Dieu que son oeuvre de salut soit portée aux hommes par des hommes, qu'elle soit soumise en apparence aux mêmes conditions qui président aux destinées de toutes les choses humaines, qu'elle grandisse; peu é peu et s'étende par un développement continu. Rappelez-vous l'ordre donné aux premiers apôtres - « Vous me servirez de témoins, d'abord 'à Jérusalem, puis en Samarie, puis au delà, jusqu'aux extrémités de la terre. »
L'histoire du christianisme est la réalisation visible de ce plan divin. Dés le premier jour, il a prétendu conquérir la terre entière. Jésus avait dit à ses apôtres - « Vous instruirez toutes les nations », Il avait tilt : « J'attirerai tous les hommes à moi », et jamais l'Église n'a rêvé moins que la conquête du monde, mais cette conquête ne doit se faire que par degrés. Il faut reconnaître sans doute que les fautes, l'indifférence, l'apathie, les divisions des chrétiens ont manifestement contribué à ce retard; mais, lors même que l'influence de ces causes serait nulle, la conversion du monde n'eût pas été l'oeuvre d'un jour: pour recueillir cette moisson magnifique, il fallait attendre les pluies de la première et de la dernière saison. Il y a des portes que Dieu seul ouvre, il y a des résistances opiniâtres de race que tous les efforts des chrétiens n'ont point encore brisées; telle est par exemple celle que nous oppose l'orgueil fanatique des musulmans ou le mépris des Chinois; nous savons pourtant que là comme ailleurs l'Évangile doit l'emporter un jour; dans chacun de ces champs où le sol est ingrat, des prémices ont été recueillies qui annoncent ce que sera un jour la récolte, mais pour ces races l'heure n'a pas encore sonné : il faut attendre, attendre en se rappelant à quel prix ont été remportées les victoires du passé, attendre en méditant les promesses divines qui nous annoncent que l'Évangile doit être prêché à toutes les nations qui sont sous le ciel.

Ce que nous disons de la conquête des nations, il faut le dire aussi du salut des âmes individuelles. Dieu pourrait les soumettre en un jour ; des conversions soudaines et parfois éclatantes ont lieu dans tous les temps pour nous rappeler la souveraineté de la grâce; mais c'est là l'exception, et, dans cette exception même, un regard pénétrant discerne une préparation cachée. Saul de Tarse est foudroyé sur le chemin de Damas, mais le nuage d'où allait jaillir cet éclair montait depuis longtemps à l'horizon; le persécuteur regimbait contre les aiguillons de la grâce, et le souvenir du martyre d'Étienne remuait sa conscience dans ses intimes profondeurs. Il est fort rare qu'une âme revienne subitement à Dieu. Dans la parabole du fils prodigue, l'Évangile nous montre les phases successives de l'éloignement du pécheur, l'éveil de l'indépendance fausse, l'égoïsme, l'orgueil, la révolte, lés joies enivrantes des passions, les hontes et la dégradation dernière, et c'est à ce moment suprême seulement que s'éveille dans ce coeur brisé le souvenir distinct de la maison du Père.
Nous croyons que l'intensité de notre amour et l'ardeur de nos supplications pourront abréger ces actes divers de la destinée d'une âme qui se dévoie. Nous voudrions lui communiquer le fruit de nos propres expériences; il semble que les générations nouvelles devraient recueillir le profit des souffrances de celles qui les ont précédées, mais c'est une illusion ; chacun doit avoir son histoire; chacun se figure qu'il y aura pour lui quelque faveur spéciale, que le mal qu'il commet n'aura pas ses conséquences logiques: il faut donc que chacun suive sa propre voie et reconnaisse par lui-même ce que sont les conséquences amères du péché. Pour sauver une âme, comme pour sauver le monde, il faut savoir attendre.
Oh ! je n'ignore pas les étonnements, les murmures, les. critiques que soulèvent en nous ces retards de l'action divine. Toujours se dresse devant nous cette contradiction insoluble entre l'idée de la toute-puissance de l'Être bon et la durée du mal qui brave sa justice et sa bonté. Il y a du des croyants, et parmi les plus saints, qui n'ont pu l'accepter. Ils se sont dit : Quand Dieu donne à l'homme la force, il la lui donne pour écraser le mal, c'est cette idée qui à leurs yeux a légitimé non seulement la répression religieuse, mais l'inquisition elle-même dont le but était de chercher le mal à sa racine, de tuer le serpent dans l'oeuf.
Au point de vue de la logique pure, leur thèse était irréfutable, mais, cette thèse, Jésus-Christ ne l'a jamais enseignée. Rappelez-vous la parabole de l'ivraie, d'une doctrine si originale et si profonde.

Dans le champ où croît le blé, l'ivraie paraît aussi, l'ivraie, c'est-à-dire, selon l'explication du Maître lui-même, « les enfants du malin (1) ». Les serviteurs voudraient l'arracher. Le Maître le leur défend, o de peur qu'en arrachant l'ivraie, vous n'arrachiez aussi le bon grain. » En effet, si le jour du martyre d'Étienne on avait arraché Saul de Tarse, l'Église n'aurait jamais possédé saint Paul.
Dieu n'arrache pas les pécheurs.

L
'Évangile nous a révélé en Dieu ce caractère admirable : la patience. Dieu est patient, il tolère les égarements de la liberté humaine jusqu'au jour qu'il a fixé lui-même. Ce qu'il fait, nous devons le faire. Que dis-je? nous y sommes tenue par notre situation même, car qu'est-ce qu'un chrétien, si ce n'est un pécheur que, Dieu supporte, envers lequel il use d'une patience souvent extraordinaire ? Eh bien, lorsqu'il s'agit des autres, nous étonnerons-nous que notre devoir soit d'attendre? Comme le laboureur traverse sans douter du printemps les longs mois d'hiver où la terre semble dormir à jamais dans son suaire glacé, nous devons nous préparer à voir se dérouler devant nous les longues périodes d'hostilité, d'indifférence, de mort spirituelle, où tout ce que nous avons semé dans les âmes semble irrémédiablement perdu.

Je vous ai rappelé, mes frères, le devoir d'attendre. Or, savez-vous ce que je redoute? C'est l'approbation qui va m'être donnée par beaucoup de mes auditeurs dont le suffrage est de nature à m'inquiéter. Oui, les hommes au coeur apathique, le indifférents, les égoïstes, les flegmatiques, tous les partisans du laisser-faire, tous ceux qui ne redoutent rien tant que d'être inquiétés, troublés dans leur paresse et leur bien-être, tous ceux-là vont abonder dans mon sens et me dire : « Vous avez, raison. Pas d'enthousiasme fébrile, ni de zèle exagéré. Chaque chose vient en son temps à qui sait attendre; et rien n'est irritant comme le zèle de l'homme qui prétend devancer la volonté de Dieu. »

Eh bien ! je crains tellement que sous cette approbation on n'abrite sa lâcheté morale, que je voudrais adresser un mot à ceux qui me la témoignent. Ne vous méprenez pas sur notre pensée, leur dirai-je, et parce que nous avons voulu fortifier la foi de ceux auxquels Dieu enjoint la patience, n'allez pas tirer de nos exhortations une fausse excuse de votre propre inertie. L'attente de la foi n'est pas l'inaction de l'âme; elle en est tout l'opposé. Si je croyais avoir rassuré votre apathie, je serais profondément attristée De ces deux périls en effet : l'activité fiévreuse et la paresse, c'est le dernier qui est le plus redoutable. Pour vous en convaincre, rappelez-vous que, suivant la parole du Christ, « le royaume des cieux doit être forcé et que ce sont les violents qui s'en emparent 9 (Matth. XI, 12) ; rappelez-vous l'enseignement plus saisissant encore que Jésus-Christ nous donne dans la parabole où il nous décrit par avance le jugement dernier. En ce jour-là, il y aura des êtres auxquels il dira : « retirez-vous de moi. maudits», et ces êtres sont-ils des criminels marqués d'infamie, des meurtriers, des adultères : Écoutez le motif de leur condamnation. « J'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai été nu et vous ne m'avez pas vêtu; j'ai été en prison et vous n'êtes pas venus me voir. » Ces hommes pouvaient être d'honnêtes gens selon le monde, des chrétiens fort bien pensants et fort raisonnables, ils pouvaient être honorés, siéger comme membres d'un jury pour juger les criminels que la société repousse, et cependant c'est sur eux que descendra la sentence éternelle: Condamnés pour toujours, parce que, pouvant agir, ils n'ont pas agi !

Comment conclure ? Comment concilier deux devoirs qui semblent contradictoires ? Comment éviter un abîme sans tomber dans un autre ? Mes frères, la conciliation peut sembler 'difficile en théorie, elle se fait tous les jours dans la vie des vrais chrétiens. Il faut, à leur exemple, agir comme si tout dépendait de nous, attendre comme si tout dépendait de Dieu. Agir, c'est-à-dire accomplir la volonté du Père, au jour le jour, fidèle au devoir de l'heure présente, agir sans impatience, sans ardeur fiévreuse, sans ambition personnelle, attendre dans l'inébranlable certitude qu'en toutes choses la victoire finale est à Dieu.

. (1) Matthieu, XIII, 38. L'ivraie désigne donc ici non des doctrines, mais des êtres vivants; si on oublie ce point essentiel, la parabole donne lieu à des interprétations fausses. 
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