Alors,
Pilate dit
à Jésus : « Tu es donc roi ?
» Jésus répondit: «Tu l'as
dit, je suis roi. »
(Jean,
XVIII,
37.)
Mes Frères,
L'histoire
ne nous a pas
conservé de dialogue plus émouvant
que ces deux courtes paroles qui furent
échangées le jour du vendredi saint,
au prétoire romain de Jérusalem,
entre Pilate et Jésus-Christ.
II plut à Dieu qu'en ce
jour-là deux pouvoirs se rencontrassent :
d'un côté, le représentant de
la puissance la plus formidable qui eût
jamais pesé sur la terre, un proconsul de la
Rome impériale; de l'autre, un accusé
fléchissant sous les opprobres et succombant
sous sa faiblesse, ce Galiléen
misérable qu'on appelait Jésus de
Nazareth : deux royautés en présence,
l'une visible, l'autre spirituelle, l'une de la
terre, l'autre des âmes, l'une de l'heure
présente, l'autre de l'avenir et de
l'éternité.
Nous désirons, avec l'aide de
Dieu, mes frères, étudier la
réponse de Jésus au proconsul romain.
Dans ce but, nous rechercherons tout d'abord quel
est le sens de la prétention qu'exprime le
Christ par ces mots : Je suis roi. Nous ferons voir
ensuite comment cette prétention s'est
accomplie à travers les âges et
comment elle se réalise encore
aujourd'hui.
Des hommes, des esprits
généreux, qui tiennent à
demeurer chrétiens, et dont la
sincérité ne fait d'ailleurs pour
nous l'objet d'aucun doute ont cru qu'ils
rendraient le christianisme plus acceptable
à nos contemporains, s'ils parvenaient
à le faire rentrer dans les proportions d'un
fait historique produit par la conscience
religieuse de l'humanité, et que la figure
de Jésus-Christ attirerait d'autant mieux
les respects et la sympathie qu'elle se
présenterait moins dans
l'éblouissement d'une origine et d'un
pouvoir surnaturels.
« Laissez, nous ont-ils dit, tous
ces récits merveilleux dont la critique
moderne a fait justice et qui répugnent, du
reste, à notre raison formée par les
méthodes sévères des sciences
positives. Ne présentez plus
Jésus-Christ tel qu'il vous apparaît
transformé par l'enthousiasme de ses
disciples, élevé par eux à la
droite du Père et participant à
l'adoration qui n'appartient qu'à Dieu seul.
Qu'y perdrez-vous, d'ailleurs? Il restera au Christ
la gloire unique d'avoir été le plus
grand des prophètes, le prédicateur
de la religion de l'esprit, l'initiateur de la
paternité divine et de la fraternité
humaine. Seul parmi les enfants des hommes, il a
senti battre en son coeur la certitude de la
filiation divine, il a donné à Dieu
son vrai nom, celui de Père, il a
rétabli entre l'homme et Dieu la relation
vraie qui produit dans nos âmes la foi
confiante et l'amour. C'est par là qu'il
sera toujours à nos yeux le Maître et
le modèle.
Dans les incomparables préceptes
du Sermon sur la montagne, dans ses sublimes
paraboles, dans le spectacle de ses souffrances et
de sa mort, il nous montrera ce qu'est la vie
humaine lorsque l'amour divin la
pénètre, et cet exemple sera d'autant
plus contagieux que le Christ, redevenu vraiment
notre frère, ne nous apparaîtra plus
dans la lumière diaphane d'un
crépuscule légendaire, et que nous
verrons en lui un fils de l'homme, sujet aux
mêmes tentations que nous, et
conquérant, par ses luttes morales
vaillamment supportées, son titre et sa
dignité de Fils de Dieu. »
Voilà,
mes
frères, un langage que nous avons tous
entendu et qui, énoncé par des
lèvres sincères, ne nous a jamais
laissés indifférents : car dans une
époque troublée comme la nôtre,
où tant d'esprits se détournent avec
un froid dédain de toute espérance
éternelle, c'est quelque chose encore, c'est
beaucoup que de reconnaître en
Jésus-Christ l'initiateur de la
vérité religieuse. Aussi, à
ceux qui parlent ainsi, nous ne répondrons
jamais avec l'accent satisfait et les affirmations
sentencieuses d'une orthodoxie qui se croit
infaillible; mais on conviendra que nous serions
des aveugles, si nous n'apercevions pas l'immense
portée des concessions qu'ils nous
demandent. Il s'agit au fond de savoir si le
christianisme est un don de Dieu fait à
l'humanité, ou s'il n'est que le
suprême effort de la conscience humaine. Au
lieu de voir en Jésus-Christ, avec
l'Église tout entière, la
divinité se révélant dans un
homme, on nous demande de voir en lui
l'humanité divinisée parce qu'elle
est arrivée pour la première fois par
lui à la pleine possession du divin. Eh bien
! à ceux qui croient qu'à ce prix ils
pourront sauver la cause chrétienne, nous
dirons, avec l'ardeur d'une conviction profonde,
d'abord que leur illusion est énorme, et
ensuite que leur Christ ramené à des
proportions tout humaines, est un être bien
autrement incompréhensible que la
nôtre, dont ils ne veulent plus.
J'ai dit leur illusion, et je
m'explique. Ils ont cru, n'est-ce pas, que
l'Évangile, dépouille de tout
élément surnaturel, réduit aux
simples proportions d'une vie morale, dont le
Sermon sur la montagne serait le code
éternel, s'imposerait désormais aux
consciences et ne soulèverait contre lui
aucune révolte de la raison? Or, j'en
appelle à ceux de mes auditeurs qui
observent de près le mouvement de la
pensée contemporaine, est-il vrai que leurs
espérances se réalisent à un
degré quelconque? Où sont-ils les
prosélytes gagnés à ce nouvel
évangile ? où sont-ils les esprits
qu'il satisfait au point de les retenir et de leur
donner la paix de l'intelligence et du coeur?
Savez-vous ce que, moi, j'observe aujourd'hui?
C'est que ce qu'on attaque le plus
sévèrement, le plus
dédaigneusement, à cette heure, c'est
précisément toute la conception du
monde dont le Sermon sur la montagne est à
nos yeux l'expression sublime et populaire.
Demandez à nos positivistes, je ne dis pas
seulement à ceux qui, dans le silence de
l'étude, poursuivent avec une inexorable
logique les dernières conséquences de
leur système, je dis aux tribuns populaires,
à ceux dont j'entendais récemment la
parole accueillie par les applaudissements
frénétiques de nos ouvriers
parisiens, demandez-leur ce qu'ils pensent d'un
Dieu Providence, qui nourrit les oiseaux de l'air
et revêt les lis des champs, qui compte les
cheveux de nos têtes et que l'on doit prier
avec la naïve confiance d'un coeur d'enfant.
Demandez-leur ce qu'ils pensent des
béatitudes, demandez à ces
apôtres de la rédemption de
l'humanité par la science quelle idée
ils se font des promesses adressées aux
pauvres en esprit; demandez à ces politiques
de quel oeil ils voient le triomphe que le Christ
annonce aux débonnaires; demandez à
ces réformateurs sociaux quel jugement ils
portent sur la compensation éternelle
assurée aux affligés et aux
persécutés, et, quand vous aurez
recueilli leurs réponses toutes
frémissantes de mépris et de
colère, vous viendrez nous dire s'il suffit
d'avoir abandonné la folie de la croix et le
christianisme surnaturel pour gagner à
l'Évangile les générations de
l'avenir.
J'ai donc le droit de dire que
l'illusion de ceux que je combats est profonde.
J'ajoute (et ceci me ramène aux paroles de
mon texte) que le Christ qu'ils nous
Présentent est un Christ imaginaire que
l'histoire ne connaît pas. En effet, quand on
veut savoir ce qu'a été
Jésus-Christ, il y a quelqu'un qu'il faut
interroger avant tous les autres, c'est
Jésus-Christ lui-même. Eh bien! nous
allons entendre son témoignage.
Recueillons-le, mes frères, et, de crainte
d'accorder trop à l'enthousiasme de ses
disciples, ne consultons, si vous le voulez, ni
saint Paul, dont les lettres, cependant, d'une
authenticité incontestée, sont les
plus anciens documents historiques du christianisme
primitif, ni saint Jean ou son école, dont
la pensée mystique a, dit-on,
idéalisé Jésus; tenons-nous en
à ces trois premiers évangiles qui
sont l'écho fidèle du
ministère du Christ en Galilée et de
son épilogue sanglant à
Jérusalem. Vous les savez par coeur, mes
frères; or, j'en appelle chez vous à
cette impression première que n'a
altérée encore aucune analyse
critique. Est-il vrai que le Christ tel qu'il nous
y apparaît ne soit qu'un humble
Israélite parvenant, à travers les
luttes morales de la vie et par l'étude des
anciens prophètes, à sentir vibrer
pour la première fois dans son coeur la
certitude de la paternité divine et de la
fraternité humaine, et fondant ainsi, par
l'effort spontané de son génie, cette
réalité magnifique qui s'appelle le
royaume de Dieu? Je ne préjuge pas votre
réponse, mais voici la mienne, A mes yeux,
le Christ de Matthieu, de Marc, de Luc, comme celui
de Paul, comme celui de Jean, est un Être
qui, dès qu'il parait, agit et parle en roi,
C'est là ce que je veux vous
montrer.
Délimitons
notre
sujet. Le domaine dans lequel se meut
Jésus-Christ est un domaine exclusivement
religieux dans tout ce qu'il enseigne et dans tout
ce qu'il fait, il ne s'occupe que des rapports de
l'homme avec Dieu, et de l'homme avec l'homme, Il
ne touche ni aux questions sociales, ni aux
questions politiques. jamais il ne s'engage dans
cette région des choses terrestres et
transitoires, ou des vérités
scientifiques que Dieu à livrées
à la libre investigation des hommes. Et
(pour le dire en passant) c'est parce que
l'Évangile n'a contracté aucune
alliance avec les puissances de cet ordre, c'est
parce qu'il n'a épousé aucune
politique, aucun système social, aucune
cosmologie, aucune philosophie, qu'il prouve qu'il
s'adresse à l'homme lui-même dans ce.
que l'homme a de central et d'essentiel, qu'il peut
s'adapter à tous les temps et à
toutes les races, qu'il est universel et qu'il est
toujours actuel, Quand donc j'affirme que
Jésus-Christ a prétendu à la
royauté, il s'agit d'une royauté qui
n'est ni de l'ordre. temporel, ni de l'ordre
intellectuel; il faut, comme le dit Pascal dans une
page sublime, nous élever à une
sphère plus haute que celle des Alexandre et
des Archimède, il faut nous placer sur le
terrain moral et religieux. C'est là que
Jésus-Christ m'apparaît comme un
roi.
Il l'est dans la manière dont il
enseigne les intelligences, dont il juge les
consciences, dont il se pose en maître des
coeurs 1 il l'est enfin dans l'exercice du pouvoir
surnaturel qu'il prétend posséder.
C'est sous ces quatre aspects que nous allons
l'étudier.
Écoutez-le
tout
d'abord quand il enseigne. Comparez son attitude
à celle des philosophes, des plus grands de
tous, de Socrate par exemple. On connaît le
fameux parallèle de Socrate et de
Jésus-Christ qu'a tracé Jean-Jacques
Rousseau.
Sur un point, ce parallèle est
erroné : la mort de Jésus n'a pas
été plus calme que celle du sage
d'Athènes; ce n'est pas de
sérénité qu'on peut parler
devant la croix du Calvaire sur laquelle a retenti
l'Eli sabachtani qui échappe au
Rédempteur expirant. Ayons le courage de le
dire : la mort de Jésus a été
une mort pleine d'angoisse; mais c'est cette
angoisse même qui en fait pour, tous les
croyants une source éternelle d'ineffable,
paix. À cet égard donc, la
comparaison faite par Rousseau est impossible.
Mais, entre l'enseignement de Socrate et celui de
Jésus-Christ, combien elle reste
saisissante! Socrate est un homme qui a
mesuré son ignorance, et qui, avec la
candeur d'une conscience droite et d'un bon sens
élevé jusqu'au génie, essaie
de découvrir la loi de sa destinée.
Pour cela, que fait-il? Il observe, il analyse les
actions humaines et les mobiles qui les inspirent.
Sous les raisonnements des sophistes, il cherche
les vraies lois morales, il réunit ces
matériaux sur lesquels la synthèse
puissante de son disciple Platon va élever
une philosophie admirable, mais pleine
d'hypothèses subtiles, de conjectures
ingénieuses, de fantaisies bizarres, et qui
n'est après tout que le plus sublime effort
de la curiosité humaine cherchant à
sonder l'infini. Après Socrate,
écoutez Jésus-Christ. Où est
chez lui l'effort de la raison qui cherche?
À quel signe reconnaissez-vous, dans son
langage, le travail de l'intelligence arrivant
à saisir la vérité ?
Où sont les hésitations,
les conjectures, les angoisses, les doutes qui
accompagnent chez tout homme l'enfantement des
convictions profondes et qui apparaissent en raison
même de l'intensité de ces convictions
? Dès ses premiers mots, Jésus
affirme ; jamais sa parole ne monte de la terre
comme l'élaboration suprême d'une
âme sainte en travail; toujours elle descend
d'en haut avec l'autorité d'une
révélation. C'est cet accent
d'autorité qui frappa la foule sur la
montagne des béatitudes et qui reste
à travers les siècles son
caractère distinctif et souverain. Qu'il
s'agisse de Dieu, de sa nature, de sa
sainteté, de sa miséricorde, du vrai
culte qui doit lui être rendu, qu'il s'agisse
de l'homme, de la valeur éternelle de chaque
âme, de l'obéissance intérieure
et spirituelle, de la loi de justice et de
charité qui doit relier entre eux tous les
êtres, qu'il s'agisse de notre
destinée immortelle, de la vie à
venir et du jugement suprême, Jésus
parle en maître, et sur chacun de ces sujets
il dit le mot vrai et définitif qui va
réveiller un écho au fond de la
conscience humaine dans tous les temps, chez toutes
les races et sur tous les points de la
terre.
On nous répondra sans doute que
sur les lèvres d'un fils d'Israël cet
accent d'autorité n'a rien d'étrange
et qu'à cette race formée par la loi
et par les prophètes, il ne faut pas
demander le langage de la philosophie ni les
procédés de la dialectique qu'elle
n'a jamais connus. Admettons ce que cette remarque
a de légitime et comparons Jésus,
quand il enseigne, non pas au plus grand des Grecs,
mais à un autre fils d'Israël, que nous
tenons, nous, chrétiens, pour
inspiré, et qui a cru avec une
énergie sans pareille à sa propre
inspiration, à ce disciple de la loi et des
prophètes qui s'appelait Saul de Tarse. Si
jamais homme a été convaincu de sa
mission divine, si jamais homme a. mis au service
de sa foi une âme ardente et sincère,
c'est bien celui-là; son action a
été telle qu'on a prétendu
aujourd'hui lui donner cette gloire qui, à
ses yeux, eût été un
blasphème, d'avoir été le vrai
fondateur du christianisme. Eh bien! c'est quand on
le compare à son Maître, que l'on
mesure toute la distance qui sépare Celui
qui a possédé la vérité
au point de dire ' « Je suis la
vérité », de celui qui a
été possédé par elle au
point d'en devenir le plus ardent apôtre.
Oui, c'est chez Paul que nous pouvons
étudier ce travail intérieur, ces
angoisses, ce drame spirituel, que je cherche
vainement chez Jésus; lisez ces lettres dont
le style, si original, si personnel et si vivant,
garantit à jamais l'authenticité.
Sous ce style heurté. frémissant,
parfois incorrect, sous ces phrases
tourmentées, sous ce langage qui
éclate comme un vase impuissant à
contenir un vin nouveau qui bouillonne et
déborde, je sens une âme
inspirée, mais une âme d'homme
après tout, qui s'efforce de raconter dans
sa langue les choses magnifiques de Dieu. Certes,
je m'incline devant l'apôtre, je reconnais
dans ses paroles le message d'un témoin
fidèle de l'Évangile ; mais avec
l'apôtre lui-même je m'incline devant
Celui que Paul appelle son Seigneur et son
Maître; devant Celui qui oppose à la
loi ancienne son autorité souveraine, qui
parle du ciel comme un Fils parlerait de la maison
de son Père, qui dit : « Nul ne
connaît le Père que le Fils »,
qui affirme que les cieux et la terre passeront,
mais que ses paroles ne passeront point; devant
Celui enfin qui, dans l'ordre de la
révélation religieuse, parle toujours
et agit en roi.
Cette
royauté qui
me frappe en Jésus-Christ lorsqu'il
révèle la vérité
religieuse, je la retrouve, en second lieu, dans
l'attitude qu'il prend vis-à-vis des
consciences dont il se proclame partout le
Maître et le Juge,
Considérez un moment à ce
point de vue la thèse que je combats. On
nous dit que Jésus, simple fils de la
Galilée, a, par ses expériences et
ses luttes, conquis peu à peu la possession
de la paix intérieure et de la
vérité religieuse dont il a
été l'initiateur, le témoin et
le martyr; on nous dit que c'est en l'envisageant
ainsi, en dehors de toute préoccupation
surnaturelle, qu'on peut le mieux le comprendre et
l'aimer. Ici encore, interrogeons
Jésus-Christ, et voyons quelle est
l'impression vraie qu'il produit sur nos
âmes.
Nous sommes tous d'accord sur un point,
c'est que la loi morale prêchée par
lui est la plus spirituelle et la plus sainte que
le monde eût encore entendue. Elle ne juge
pas seulement les paroles ou les actes, elle
atteint le sentiment même dans ses intimes
profondeurs; c'est une lumière inexorable
qui pénètre dans les derniers replis
des coeurs; elle voit le meurtre non pas seulement
dans l'acte, mais dans la haine, que dis-je? dans
l'égoïsme qui laisse mourir celui que
l'on pourrait sauver; elle découvre
l'adultère dans un regard impur, elle
ordonne une sainteté et une justice dont
Dieu puisse être le témoin secret.
Elle ne commande pas seulement l'abstention du mal,
mais l'accomplissement du bien, non pas son
accomplissement extérieur seulement, mais la
consécration complète de l'être
intérieur, l'obéissance absolue
à ces deux commandements: « Tu aimeras
Dieu de toutes les puissances de ton être, tu
aimeras ton prochain comme toi-même. »
Elle dit aux hommes : « Soyez parfaits comme
votre Père céleste est parfait.
»
Or, je supplie ceux qui
m'écoutent de faire ici deux choses : un
effort suprême de sincérité et
un retour sur eux-mêmes. Vous croyez,
n'est-ce pas? que cette loi que le Christ
prêche est la vraie; votre conscience en la
contemplant frémit d'un assentiment sublime;
vous comprenez que, si Dieu a
révélé aux hommes la loi de
leur destinée, c'est ainsi qu'il a dû
leur parler. Si, du haut de cette chaire, j'allais
diminuer cette loi pour la mettre à votre
portée; si je vous disais que Dieu se
contente d'une demi-pureté, d'une
honnêteté selon les formules du code,
d'un amour et d'un dévouement mesurés
sur les exigences de notre égoïsme; si
je vous disais qu'on peut le satisfaire avec cette
morale mondaine, avec ces vertus d'apparat,
espèce de fausse monnaie courante que nous
échangeons tous sans avoir d'illusion sur sa
valeur, vous jugeriez sans doute que de telles
déclarations peuvent procurer à un
prédicateur une popularité facile,
mais vous les accueilleriez avec un secret
mépris, et les plus vicieux, d'accord sur ce
point avec vous, diraient que je trahis mon mandat.
Ainsi, pas d'hésitation! À notre
conscience il ne faut pas moins que la loi
spirituelle et sainte que le Christ proclame. Et,
cependant, cette loi, qui de nous l'a accomplie?
Qui de nous peut l'accomplir? Quel est l'homme dans
cette assemblée qui sait resté pur,
je ne dis pas seulement dans ses actes, je dis dans
les pensées de son coeur ? Et nos actes
eux-mêmes, quel est celui d'entre nous qui
voudrait qu'ils apparussent tous au grand jour?
Quel est l'homme qui n'a
été épouvanté parfois
en voyant ce qu'un coeur peut abriter de
souillures, de petites perfidies, d'orgueil, de
haine, de lâcheté? Ah ! pharisiens que
nous sommes, qui marchons le front haut devant nos
semblables et qui recueillons souvent leurs
éloges, nous sommes-nous demandé ce
que nous deviendrions si notre vis cachée
apparaissait dans une inexorable lumière aux
yeux de nos semblables, et si ceux-ci nous
jugeaient d'après les maximes que nous
professons tous les jours? Voilà ce que
confessent avec angoisse tous les hommes qui ne
veulent ni s'aveugler sur eux-mêmes, ni
renier la loi de perfection; Et ce sont les
meilleurs qui le diront dans cet auditoire. Tandis
que les âmes mondaines, frivoles ou
engagées dans la servitude d'une passion
coupable, sortiront d'ici en disant que nous
exagérons, que nous calomnions la nature
humaine, celles-là s'accuseront les
premières qui accomplissent dans le silence
les oeuvres de la sanctification cachée et
de la charité. Toujours il en a
été ainsi. Si vous voulez recueillir
les aveux les plus poignants, la confession la plus
émue et la plus douloureuse de la
misère humaine, c'est aux âmes
d'élite qu'il faut les demander; le
même regard qui leur fait entrevoit les cimes
immaculées de la perfection morale, leur
révèle la profondeur de l'abîme
qui les en sépare encore : témoin,
entre mille autres, ce saint Paul que je citais
tout à l'heure, l'une des âmes
à coup sûr les plus vaillantes, les
plus saintes, les plus aimantes que le monde ait
jamais connues, et qui, dans la description
saisissante qu'il fait de ses luttes
intérieures entre la loi de l'esprit et
là loi du péché, laisse
échapper ce cri d'angoisse : «
Misérable que je suis! Qui me
délivrera de ce cadavre? »
Maintenant, examinez le
phénomène en face duquel nous sommes
placés. Voici devant nous un Être qui,
sans une hésitation, sans une recherche,
sans un doute, annonce aux hommes cette loi de la
perfection, qui, depuis sa venue, ne peut plus
être reniée par la conscience humaine.
Cet homme, en la prêchant, a le sentiment
absolu de l'avoir toujours accomplie. Lui qui
arrache à l'humanité l'aveu de sa
misère et qui trouble les consciences
jusque-là les plus paisibles, il n'a jamais
confessé ses péchés, il n'a
jamais laissé échapper un remords, un
cri de repentir, ou l'aveu d'un regret. Pas une
ride, même la plus légère, n'a
effleuré la surface de sa propre conscience.
Il s'est cru saint, absolument saint, et ses
disciples, témoins de sa vie intime, l'ont
appelé le Saint et le Juste. Dans les
récits qu'ils nous ont laissés de son
ministère, récits dont le style
simple, naïf et sans apprêt, montre
assez qu'ils n'ont pas obéi, en les
écrivant, à un plan
préconçu, il se trouve qu'ils ont
retracé une vie dans laquelle l'oeil
pénétrant de la critique n'a pu
découvrir, je ne dis pas aucun crime, je dis
aucune faute, aucune défaillance, aucune
faiblesse, aucun trait vulgaire. Tous les actes,
toutes les pensées, tous les sentiments de
cet homme ont été la
réalisation constante de la loi
idéale d'amour et de sainteté. Non
seulement cet Être affirme sa perfection,
mais, dès qu'il paraît, il
s'érige en Maître absolu les
consciences; il lie et il délie, il renvoie
les pécheurs absous par une sentence
souveraine, il sauve ou il condamne; c'est devant
son tribunal que toutes les âmes devront
comparaître un jour, et il suffira qu'il leur
dise : « Je ne vous ai jamais connues »,
pour que ce mot décide de leur avenir
éternel.
Voilà bien, n'est-ce pas? le vrai
Christ, non pas seulement celui de Paul et de Jean,
mais celui des trois premiers évangiles, des
documents les plus authentiques et les plus
incontestés. Eh bien! que devient devant
cette figure la théorie du jeune
Galiléen arrivant, par un lent travail
intérieur, à posséder la paix,
le pardon, le sentiment de l'adoption et de la
filiation divine? S'il n'est qu'un homme, qu'on me
dise comment il a conquis la paix morale, qu'on me
montre les traces de ces luttes intérieures
qui ont dû accompagner chez lui l'enfantement
douloureux de la parfaite sainteté! Qu'on
m'explique ce rôle de Juge et de
Maître, prononçant sur tous les hommes
une sentence suprême dont
l'éternité verra l'accomplissement!
Mes frères, depuis dix-huit siècles,
la conscience chrétienne a résolu
cette question, et l'on ne réformera plus
son verdict. Elle a senti qu'il y avait là
une sainteté et une autorité qui ne
venaient pas de la terre, elle a salué dans
le Christ son prophète et son roi.
Cette
royauté de
Jésus-Christ qui nous à
frappés dans la manière dont il
révèle la vérité, et
dont il juge les consciences, m'apparaît en
troisième lieu et avec plus de force encore
quand je vois la Place qu'il revendique dans
l'amour et la vie de ceux qui viennent à
lui. Il faut donner à ce fait toute sa
portée. Sans doute Il est naturel que Celui
qui a dit aux hommes : « Aimez-vous les uns
les autres », ait dû vouloir être
aimé. Mais qu'on y prenne garde! Nous
apprenons à l'école de
Jésus-Christ deux choses : l'amour de
l'homme et ce qu'on a appelé dans la langue
religieuse le détachement de la
créature. Comment concilier ces deux
devoirs? Mes frères, la contradiction entre
eux n'est qu'apparente. Le christianisme à
voulu établir la hiérarchie dans les
affections; des le monde du coeur, comme Partout,
il a fondé le règne de la loi. Il a
rendu à Dieu sa place et il a remis l'homme
à la sienne. Oui, c'est l'amour qui doit
relier toutes les créatures, mais en les
reliant toutes ensemble à Dieu. Dieu,
voilà l'Être unique qui peut
posséder notre amour dans sa
plénitude. Aux êtres
créés, nous ne devons le donner qu'en
partie, et si l'un d'eux l'absorbait tout entier;
ce serait le désordre et l'idolâtrie,
aussi, plus la créature est sainte, plus
elle est élevée: dans
l'échelle morale des êtres, plus elle
craint d'attirer l'hommage qui n'est dû
qu'à Dieu seul; elle s'humilie, elle
s'efface elle s'écrie : « Non par
à moi, non pas à moi, Seigneur, mais
à ton nom donne gloire. » Ainsi se
réalise cette hiérarchie des
êtres qu'entrevoyait le vieux Pythagore,
lorsqu'il disait que l'harmonie était la loi
du monde. te dette Vision passagère du
génie, Jésus-Christ à fait la
religion de l'humanité.
Eh bien ! dans cette hiérarchie
dès êtres, quelle est la Plate que
revendiqué Jésus-Christ
lui-même ? Que prétend-il être
au milieu des hommes J'interroge les
Évangiles et ils me répondent
Jésus-Christ ne prétend à rien
moins qu'a être le but suprême de tout
amour et la source profonde de toute vie.
Dès ses premières paroles publiques,
il déclare que c'est pour l'amour de lui que
ses disciples seront persécutés. Peu
à peu il leur révèle toute
là grandeur de son rôle et de sa
personne. Par cette lente méthode
éducatrice qui est la sienne, et qui ne
consiste point à imposer la
vérité par des formules, mais
à en faire naître dans les coeurs le
sentiment et l'intelligence, il les prépare
à comprendre ce qu'il est. Ce n'est
qu'après un an et demi d'enseignement qu'il
leur pose cette question décisive: «
Qui dites-vous que je suis? » et qu'il
déclare que son Église reposera sur
la confession que Pierre en lui répondant a
faite de sa divinité. Il dirige sur sa
propre personne les regards, l'attention, la foi de
ses disciples; c'est à lui qu'il faut venir,
c'est en lui qu'il faut croire, c'est lui qu'il
faut aimer. Toutes les affections doivent se
subordonner à cette affection dominante,
tous les liens de la chair et du sang doivent
être rompus s'ils s'y opposent, et, comme
pour faire entrer de vive force cette
vérité dans les coeurs, Jésus
ne recule pas devant le plus formidable des
paradoxes: « Quiconque ne hait pas son
père et sa mère, quiconque ne hait
pas sa propre vie, ne peut pas être mon
disciple. » Ici encore, veuillez le remarquer,
je ne cite que les témoignages des trois
premiers évangiles. Que serait-ce si j'en
appelais à saint Jean, qui a
pénétré plus que tous les
autres dans les profondeurs de l'âme de son
Maître? Que serait-ce si j'avais le temps de
vous montrer saint Paul donnant au Christ toutes
les énergies, tous les élans, toutes
les adorations de son coeur?
Et, de même que Jésus
réclame tout amour, il se
révèle comme la source de toute vie.
De sa personne en effet va découler
désormais une source intarissable de vie et
de sainteté. Songez à ce qu'il y a
dans ces simples mots : « Venez à moi!
» adressés à tous les
affligés de la terre, et dans cette promesse
aussi magnifique que surhumaine : « Vous
trouverez le repos de vos âmes. » C'est
dans la même pensée qu'il fonde la
sainte Cène, conviant ainsi tous les
croyants de l'avenir à contempler sa chair
rompue et son sang versé pour les
péchés du monde, et faisant de son
sacrifice l'éternel objet de leur foi; c'est
dans la même pensée enfin que,
lorsqu'il va quitter ses disciples, en ce moment
suprême, où, ayant achevé son
oeuvre, il devait, s'il n'avait été
que le plus grand des prophètes, s'effacer
et diriger leurs regards vers Dieu seul, il leur
adresse ces mots qui vont, à travers les
siècles, soutenir tous les croyants de
l'avenir: « Voici, je suis tous les jours avec
vous jusqu'à la fin du monde. »
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