Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA ROYAUTÉ DE JESUS-CHRIST

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Alors, Pilate dit à Jésus : « Tu es donc roi ? » Jésus répondit: «Tu l'as dit, je suis roi. »
(Jean, XVIII, 37.)


Mes Frères,

L
'histoire ne nous a pas conservé de dialogue plus émouvant que ces deux courtes paroles qui furent échangées le jour du vendredi saint, au prétoire romain de Jérusalem, entre Pilate et Jésus-Christ.

II plut à Dieu qu'en ce jour-là deux pouvoirs se rencontrassent : d'un côté, le représentant de la puissance la plus formidable qui eût jamais pesé sur la terre, un proconsul de la Rome impériale; de l'autre, un accusé fléchissant sous les opprobres et succombant sous sa faiblesse, ce Galiléen misérable qu'on appelait Jésus de Nazareth : deux royautés en présence, l'une visible, l'autre spirituelle, l'une de la terre, l'autre des âmes, l'une de l'heure présente, l'autre de l'avenir et de l'éternité.

Nous désirons, avec l'aide de Dieu, mes frères, étudier la réponse de Jésus au proconsul romain. Dans ce but, nous rechercherons tout d'abord quel est le sens de la prétention qu'exprime le Christ par ces mots : Je suis roi. Nous ferons voir ensuite comment cette prétention s'est accomplie à travers les âges et comment elle se réalise encore aujourd'hui.
Des hommes, des esprits généreux, qui tiennent à demeurer chrétiens, et dont la sincérité ne fait d'ailleurs pour nous l'objet d'aucun doute ont cru qu'ils rendraient le christianisme plus acceptable à nos contemporains, s'ils parvenaient à le faire rentrer dans les proportions d'un fait historique produit par la conscience religieuse de l'humanité, et que la figure de Jésus-Christ attirerait d'autant mieux les respects et la sympathie qu'elle se présenterait moins dans l'éblouissement d'une origine et d'un pouvoir surnaturels.
« Laissez, nous ont-ils dit, tous ces récits merveilleux dont la critique moderne a fait justice et qui répugnent, du reste, à notre raison formée par les méthodes sévères des sciences positives. Ne présentez plus Jésus-Christ tel qu'il vous apparaît transformé par l'enthousiasme de ses disciples, élevé par eux à la droite du Père et participant à l'adoration qui n'appartient qu'à Dieu seul. Qu'y perdrez-vous, d'ailleurs? Il restera au Christ la gloire unique d'avoir été le plus grand des prophètes, le prédicateur de la religion de l'esprit, l'initiateur de la paternité divine et de la fraternité humaine. Seul parmi les enfants des hommes, il a senti battre en son coeur la certitude de la filiation divine, il a donné à Dieu son vrai nom, celui de Père, il a rétabli entre l'homme et Dieu la relation vraie qui produit dans nos âmes la foi confiante et l'amour. C'est par là qu'il sera toujours à nos yeux le Maître et le modèle.
Dans les incomparables préceptes du Sermon sur la montagne, dans ses sublimes paraboles, dans le spectacle de ses souffrances et de sa mort, il nous montrera ce qu'est la vie humaine lorsque l'amour divin la pénètre, et cet exemple sera d'autant plus contagieux que le Christ, redevenu vraiment notre frère, ne nous apparaîtra plus dans la lumière diaphane d'un crépuscule légendaire, et que nous verrons en lui un fils de l'homme, sujet aux mêmes tentations que nous, et conquérant, par ses luttes morales vaillamment supportées, son titre et sa dignité de Fils de Dieu. »

V
oilà, mes frères, un langage que nous avons tous entendu et qui, énoncé par des lèvres sincères, ne nous a jamais laissés indifférents : car dans une époque troublée comme la nôtre, où tant d'esprits se détournent avec un froid dédain de toute espérance éternelle, c'est quelque chose encore, c'est beaucoup que de reconnaître en Jésus-Christ l'initiateur de la vérité religieuse. Aussi, à ceux qui parlent ainsi, nous ne répondrons jamais avec l'accent satisfait et les affirmations sentencieuses d'une orthodoxie qui se croit infaillible; mais on conviendra que nous serions des aveugles, si nous n'apercevions pas l'immense portée des concessions qu'ils nous demandent. Il s'agit au fond de savoir si le christianisme est un don de Dieu fait à l'humanité, ou s'il n'est que le suprême effort de la conscience humaine. Au lieu de voir en Jésus-Christ, avec l'Église tout entière, la divinité se révélant dans un homme, on nous demande de voir en lui l'humanité divinisée parce qu'elle est arrivée pour la première fois par lui à la pleine possession du divin. Eh bien ! à ceux qui croient qu'à ce prix ils pourront sauver la cause chrétienne, nous dirons, avec l'ardeur d'une conviction profonde, d'abord que leur illusion est énorme, et ensuite que leur Christ ramené à des proportions tout humaines, est un être bien autrement incompréhensible que la nôtre, dont ils ne veulent plus.

J'ai dit leur illusion, et je m'explique. Ils ont cru, n'est-ce pas, que l'Évangile, dépouille de tout élément surnaturel, réduit aux simples proportions d'une vie morale, dont le Sermon sur la montagne serait le code éternel, s'imposerait désormais aux consciences et ne soulèverait contre lui aucune révolte de la raison? Or, j'en appelle à ceux de mes auditeurs qui observent de près le mouvement de la pensée contemporaine, est-il vrai que leurs espérances se réalisent à un degré quelconque? Où sont-ils les prosélytes gagnés à ce nouvel évangile ? où sont-ils les esprits qu'il satisfait au point de les retenir et de leur donner la paix de l'intelligence et du coeur? Savez-vous ce que, moi, j'observe aujourd'hui? C'est que ce qu'on attaque le plus sévèrement, le plus dédaigneusement, à cette heure, c'est précisément toute la conception du monde dont le Sermon sur la montagne est à nos yeux l'expression sublime et populaire. Demandez à nos positivistes, je ne dis pas seulement à ceux qui, dans le silence de l'étude, poursuivent avec une inexorable logique les dernières conséquences de leur système, je dis aux tribuns populaires, à ceux dont j'entendais récemment la parole accueillie par les applaudissements frénétiques de nos ouvriers parisiens, demandez-leur ce qu'ils pensent d'un Dieu Providence, qui nourrit les oiseaux de l'air et revêt les lis des champs, qui compte les cheveux de nos têtes et que l'on doit prier avec la naïve confiance d'un coeur d'enfant. Demandez-leur ce qu'ils pensent des béatitudes, demandez à ces apôtres de la rédemption de l'humanité par la science quelle idée ils se font des promesses adressées aux pauvres en esprit; demandez à ces politiques de quel oeil ils voient le triomphe que le Christ annonce aux débonnaires; demandez à ces réformateurs sociaux quel jugement ils portent sur la compensation éternelle assurée aux affligés et aux persécutés, et, quand vous aurez recueilli leurs réponses toutes frémissantes de mépris et de colère, vous viendrez nous dire s'il suffit d'avoir abandonné la folie de la croix et le christianisme surnaturel pour gagner à l'Évangile les générations de l'avenir.

J'ai donc le droit de dire que l'illusion de ceux que je combats est profonde. J'ajoute (et ceci me ramène aux paroles de mon texte) que le Christ qu'ils nous Présentent est un Christ imaginaire que l'histoire ne connaît pas. En effet, quand on veut savoir ce qu'a été Jésus-Christ, il y a quelqu'un qu'il faut interroger avant tous les autres, c'est Jésus-Christ lui-même. Eh bien! nous allons entendre son témoignage. Recueillons-le, mes frères, et, de crainte d'accorder trop à l'enthousiasme de ses disciples, ne consultons, si vous le voulez, ni saint Paul, dont les lettres, cependant, d'une authenticité incontestée, sont les plus anciens documents historiques du christianisme primitif, ni saint Jean ou son école, dont la pensée mystique a, dit-on, idéalisé Jésus; tenons-nous en à ces trois premiers évangiles qui sont l'écho fidèle du ministère du Christ en Galilée et de son épilogue sanglant à Jérusalem. Vous les savez par coeur, mes frères; or, j'en appelle chez vous à cette impression première que n'a altérée encore aucune analyse critique. Est-il vrai que le Christ tel qu'il nous y apparaît ne soit qu'un humble Israélite parvenant, à travers les luttes morales de la vie et par l'étude des anciens prophètes, à sentir vibrer pour la première fois dans son coeur la certitude de la paternité divine et de la fraternité humaine, et fondant ainsi, par l'effort spontané de son génie, cette réalité magnifique qui s'appelle le royaume de Dieu? Je ne préjuge pas votre réponse, mais voici la mienne, A mes yeux, le Christ de Matthieu, de Marc, de Luc, comme celui de Paul, comme celui de Jean, est un Être qui, dès qu'il parait, agit et parle en roi, C'est là ce que je veux vous montrer.

D
élimitons notre sujet. Le domaine dans lequel se meut Jésus-Christ est un domaine exclusivement religieux dans tout ce qu'il enseigne et dans tout ce qu'il fait, il ne s'occupe que des rapports de l'homme avec Dieu, et de l'homme avec l'homme, Il ne touche ni aux questions sociales, ni aux questions politiques. jamais il ne s'engage dans cette région des choses terrestres et transitoires, ou des vérités scientifiques que Dieu à livrées à la libre investigation des hommes. Et (pour le dire en passant) c'est parce que l'Évangile n'a contracté aucune alliance avec les puissances de cet ordre, c'est parce qu'il n'a épousé aucune politique, aucun système social, aucune cosmologie, aucune philosophie, qu'il prouve qu'il s'adresse à l'homme lui-même dans ce. que l'homme a de central et d'essentiel, qu'il peut s'adapter à tous les temps et à toutes les races, qu'il est universel et qu'il est toujours actuel, Quand donc j'affirme que Jésus-Christ a prétendu à la royauté, il s'agit d'une royauté qui n'est ni de l'ordre. temporel, ni de l'ordre intellectuel; il faut, comme le dit Pascal dans une page sublime, nous élever à une sphère plus haute que celle des Alexandre et des Archimède, il faut nous placer sur le terrain moral et religieux. C'est là que Jésus-Christ m'apparaît comme un roi.

Il l'est dans la manière dont il enseigne les intelligences, dont il juge les consciences, dont il se pose en maître des coeurs 1 il l'est enfin dans l'exercice du pouvoir surnaturel qu'il prétend posséder. C'est sous ces quatre aspects que nous allons l'étudier.


I

Écoutez-le tout d'abord quand il enseigne. Comparez son attitude à celle des philosophes, des plus grands de tous, de Socrate par exemple. On connaît le fameux parallèle de Socrate et de Jésus-Christ qu'a tracé Jean-Jacques Rousseau.

Sur un point, ce parallèle est erroné : la mort de Jésus n'a pas été plus calme que celle du sage d'Athènes; ce n'est pas de sérénité qu'on peut parler devant la croix du Calvaire sur laquelle a retenti l'Eli sabachtani qui échappe au Rédempteur expirant. Ayons le courage de le dire : la mort de Jésus a été une mort pleine d'angoisse; mais c'est cette angoisse même qui en fait pour, tous les croyants une source éternelle d'ineffable, paix. À cet égard donc, la comparaison faite par Rousseau est impossible. Mais, entre l'enseignement de Socrate et celui de Jésus-Christ, combien elle reste saisissante! Socrate est un homme qui a mesuré son ignorance, et qui, avec la candeur d'une conscience droite et d'un bon sens élevé jusqu'au génie, essaie de découvrir la loi de sa destinée. Pour cela, que fait-il? Il observe, il analyse les actions humaines et les mobiles qui les inspirent. Sous les raisonnements des sophistes, il cherche les vraies lois morales, il réunit ces matériaux sur lesquels la synthèse puissante de son disciple Platon va élever une philosophie admirable, mais pleine d'hypothèses subtiles, de conjectures ingénieuses, de fantaisies bizarres, et qui n'est après tout que le plus sublime effort de la curiosité humaine cherchant à sonder l'infini. Après Socrate, écoutez Jésus-Christ. Où est chez lui l'effort de la raison qui cherche? À quel signe reconnaissez-vous, dans son langage, le travail de l'intelligence arrivant à saisir la vérité ?
Où sont les hésitations, les conjectures, les angoisses, les doutes qui accompagnent chez tout homme l'enfantement des convictions profondes et qui apparaissent en raison même de l'intensité de ces convictions ? Dès ses premiers mots, Jésus affirme ; jamais sa parole ne monte de la terre comme l'élaboration suprême d'une âme sainte en travail; toujours elle descend d'en haut avec l'autorité d'une révélation. C'est cet accent d'autorité qui frappa la foule sur la montagne des béatitudes et qui reste à travers les siècles son caractère distinctif et souverain. Qu'il s'agisse de Dieu, de sa nature, de sa sainteté, de sa miséricorde, du vrai culte qui doit lui être rendu, qu'il s'agisse de l'homme, de la valeur éternelle de chaque âme, de l'obéissance intérieure et spirituelle, de la loi de justice et de charité qui doit relier entre eux tous les êtres, qu'il s'agisse de notre destinée immortelle, de la vie à venir et du jugement suprême, Jésus parle en maître, et sur chacun de ces sujets il dit le mot vrai et définitif qui va réveiller un écho au fond de la conscience humaine dans tous les temps, chez toutes les races et sur tous les points de la terre.

On nous répondra sans doute que sur les lèvres d'un fils d'Israël cet accent d'autorité n'a rien d'étrange et qu'à cette race formée par la loi et par les prophètes, il ne faut pas demander le langage de la philosophie ni les procédés de la dialectique qu'elle n'a jamais connus. Admettons ce que cette remarque a de légitime et comparons Jésus, quand il enseigne, non pas au plus grand des Grecs, mais à un autre fils d'Israël, que nous tenons, nous, chrétiens, pour inspiré, et qui a cru avec une énergie sans pareille à sa propre inspiration, à ce disciple de la loi et des prophètes qui s'appelait Saul de Tarse. Si jamais homme a été convaincu de sa mission divine, si jamais homme a. mis au service de sa foi une âme ardente et sincère, c'est bien celui-là; son action a été telle qu'on a prétendu aujourd'hui lui donner cette gloire qui, à ses yeux, eût été un blasphème, d'avoir été le vrai fondateur du christianisme. Eh bien! c'est quand on le compare à son Maître, que l'on mesure toute la distance qui sépare Celui qui a possédé la vérité au point de dire ' « Je suis la vérité », de celui qui a été possédé par elle au point d'en devenir le plus ardent apôtre.
Oui, c'est chez Paul que nous pouvons étudier ce travail intérieur, ces angoisses, ce drame spirituel, que je cherche vainement chez Jésus; lisez ces lettres dont le style, si original, si personnel et si vivant, garantit à jamais l'authenticité. Sous ce style heurté. frémissant, parfois incorrect, sous ces phrases tourmentées, sous ce langage qui éclate comme un vase impuissant à contenir un vin nouveau qui bouillonne et déborde, je sens une âme inspirée, mais une âme d'homme après tout, qui s'efforce de raconter dans sa langue les choses magnifiques de Dieu. Certes, je m'incline devant l'apôtre, je reconnais dans ses paroles le message d'un témoin fidèle de l'Évangile ; mais avec l'apôtre lui-même je m'incline devant Celui que Paul appelle son Seigneur et son Maître; devant Celui qui oppose à la loi ancienne son autorité souveraine, qui parle du ciel comme un Fils parlerait de la maison de son Père, qui dit : « Nul ne connaît le Père que le Fils », qui affirme que les cieux et la terre passeront, mais que ses paroles ne passeront point; devant Celui enfin qui, dans l'ordre de la révélation religieuse, parle toujours et agit en roi.


II

Cette royauté qui me frappe en Jésus-Christ lorsqu'il révèle la vérité religieuse, je la retrouve, en second lieu, dans l'attitude qu'il prend vis-à-vis des consciences dont il se proclame partout le Maître et le Juge,
Considérez un moment à ce point de vue la thèse que je combats. On nous dit que Jésus, simple fils de la Galilée, a, par ses expériences et ses luttes, conquis peu à peu la possession de la paix intérieure et de la vérité religieuse dont il a été l'initiateur, le témoin et le martyr; on nous dit que c'est en l'envisageant ainsi, en dehors de toute préoccupation surnaturelle, qu'on peut le mieux le comprendre et l'aimer. Ici encore, interrogeons Jésus-Christ, et voyons quelle est l'impression vraie qu'il produit sur nos âmes.

Nous sommes tous d'accord sur un point, c'est que la loi morale prêchée par lui est la plus spirituelle et la plus sainte que le monde eût encore entendue. Elle ne juge pas seulement les paroles ou les actes, elle atteint le sentiment même dans ses intimes profondeurs; c'est une lumière inexorable qui pénètre dans les derniers replis des coeurs; elle voit le meurtre non pas seulement dans l'acte, mais dans la haine, que dis-je? dans l'égoïsme qui laisse mourir celui que l'on pourrait sauver; elle découvre l'adultère dans un regard impur, elle ordonne une sainteté et une justice dont Dieu puisse être le témoin secret. Elle ne commande pas seulement l'abstention du mal, mais l'accomplissement du bien, non pas son accomplissement extérieur seulement, mais la consécration complète de l'être intérieur, l'obéissance absolue à ces deux commandements: « Tu aimeras Dieu de toutes les puissances de ton être, tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Elle dit aux hommes : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »

Or, je supplie ceux qui m'écoutent de faire ici deux choses : un effort suprême de sincérité et un retour sur eux-mêmes. Vous croyez, n'est-ce pas? que cette loi que le Christ prêche est la vraie; votre conscience en la contemplant frémit d'un assentiment sublime; vous comprenez que, si Dieu a révélé aux hommes la loi de leur destinée, c'est ainsi qu'il a dû leur parler. Si, du haut de cette chaire, j'allais diminuer cette loi pour la mettre à votre portée; si je vous disais que Dieu se contente d'une demi-pureté, d'une honnêteté selon les formules du code, d'un amour et d'un dévouement mesurés sur les exigences de notre égoïsme; si je vous disais qu'on peut le satisfaire avec cette morale mondaine, avec ces vertus d'apparat, espèce de fausse monnaie courante que nous échangeons tous sans avoir d'illusion sur sa valeur, vous jugeriez sans doute que de telles déclarations peuvent procurer à un prédicateur une popularité facile, mais vous les accueilleriez avec un secret mépris, et les plus vicieux, d'accord sur ce point avec vous, diraient que je trahis mon mandat. Ainsi, pas d'hésitation! À notre conscience il ne faut pas moins que la loi spirituelle et sainte que le Christ proclame. Et, cependant, cette loi, qui de nous l'a accomplie? Qui de nous peut l'accomplir? Quel est l'homme dans cette assemblée qui sait resté pur, je ne dis pas seulement dans ses actes, je dis dans les pensées de son coeur ? Et nos actes eux-mêmes, quel est celui d'entre nous qui voudrait qu'ils apparussent tous au grand jour?
Quel est l'homme qui n'a été épouvanté parfois en voyant ce qu'un coeur peut abriter de souillures, de petites perfidies, d'orgueil, de haine, de lâcheté? Ah ! pharisiens que nous sommes, qui marchons le front haut devant nos semblables et qui recueillons souvent leurs éloges, nous sommes-nous demandé ce que nous deviendrions si notre vis cachée apparaissait dans une inexorable lumière aux yeux de nos semblables, et si ceux-ci nous jugeaient d'après les maximes que nous professons tous les jours? Voilà ce que confessent avec angoisse tous les hommes qui ne veulent ni s'aveugler sur eux-mêmes, ni renier la loi de perfection; Et ce sont les meilleurs qui le diront dans cet auditoire. Tandis que les âmes mondaines, frivoles ou engagées dans la servitude d'une passion coupable, sortiront d'ici en disant que nous exagérons, que nous calomnions la nature humaine, celles-là s'accuseront les premières qui accomplissent dans le silence les oeuvres de la sanctification cachée et de la charité. Toujours il en a été ainsi. Si vous voulez recueillir les aveux les plus poignants, la confession la plus émue et la plus douloureuse de la misère humaine, c'est aux âmes d'élite qu'il faut les demander; le même regard qui leur fait entrevoit les cimes immaculées de la perfection morale, leur révèle la profondeur de l'abîme qui les en sépare encore : témoin, entre mille autres, ce saint Paul que je citais tout à l'heure, l'une des âmes à coup sûr les plus vaillantes, les plus saintes, les plus aimantes que le monde ait jamais connues, et qui, dans la description saisissante qu'il fait de ses luttes intérieures entre la loi de l'esprit et là loi du péché, laisse échapper ce cri d'angoisse : « Misérable que je suis! Qui me délivrera de ce cadavre? »

Maintenant, examinez le phénomène en face duquel nous sommes placés. Voici devant nous un Être qui, sans une hésitation, sans une recherche, sans un doute, annonce aux hommes cette loi de la perfection, qui, depuis sa venue, ne peut plus être reniée par la conscience humaine. Cet homme, en la prêchant, a le sentiment absolu de l'avoir toujours accomplie. Lui qui arrache à l'humanité l'aveu de sa misère et qui trouble les consciences jusque-là les plus paisibles, il n'a jamais confessé ses péchés, il n'a jamais laissé échapper un remords, un cri de repentir, ou l'aveu d'un regret. Pas une ride, même la plus légère, n'a effleuré la surface de sa propre conscience. Il s'est cru saint, absolument saint, et ses disciples, témoins de sa vie intime, l'ont appelé le Saint et le Juste. Dans les récits qu'ils nous ont laissés de son ministère, récits dont le style simple, naïf et sans apprêt, montre assez qu'ils n'ont pas obéi, en les écrivant, à un plan préconçu, il se trouve qu'ils ont retracé une vie dans laquelle l'oeil pénétrant de la critique n'a pu découvrir, je ne dis pas aucun crime, je dis aucune faute, aucune défaillance, aucune faiblesse, aucun trait vulgaire. Tous les actes, toutes les pensées, tous les sentiments de cet homme ont été la réalisation constante de la loi idéale d'amour et de sainteté. Non seulement cet Être affirme sa perfection, mais, dès qu'il paraît, il s'érige en Maître absolu les consciences; il lie et il délie, il renvoie les pécheurs absous par une sentence souveraine, il sauve ou il condamne; c'est devant son tribunal que toutes les âmes devront comparaître un jour, et il suffira qu'il leur dise : « Je ne vous ai jamais connues », pour que ce mot décide de leur avenir éternel.
Voilà bien, n'est-ce pas? le vrai Christ, non pas seulement celui de Paul et de Jean, mais celui des trois premiers évangiles, des documents les plus authentiques et les plus incontestés. Eh bien! que devient devant cette figure la théorie du jeune Galiléen arrivant, par un lent travail intérieur, à posséder la paix, le pardon, le sentiment de l'adoption et de la filiation divine? S'il n'est qu'un homme, qu'on me dise comment il a conquis la paix morale, qu'on me montre les traces de ces luttes intérieures qui ont dû accompagner chez lui l'enfantement douloureux de la parfaite sainteté! Qu'on m'explique ce rôle de Juge et de Maître, prononçant sur tous les hommes une sentence suprême dont l'éternité verra l'accomplissement! Mes frères, depuis dix-huit siècles, la conscience chrétienne a résolu cette question, et l'on ne réformera plus son verdict. Elle a senti qu'il y avait là une sainteté et une autorité qui ne venaient pas de la terre, elle a salué dans le Christ son prophète et son roi.


III

Cette royauté de Jésus-Christ qui nous à frappés dans la manière dont il révèle la vérité, et dont il juge les consciences, m'apparaît en troisième lieu et avec plus de force encore quand je vois la Place qu'il revendique dans l'amour et la vie de ceux qui viennent à lui. Il faut donner à ce fait toute sa portée. Sans doute Il est naturel que Celui qui a dit aux hommes : « Aimez-vous les uns les autres », ait dû vouloir être aimé. Mais qu'on y prenne garde! Nous apprenons à l'école de Jésus-Christ deux choses : l'amour de l'homme et ce qu'on a appelé dans la langue religieuse le détachement de la créature. Comment concilier ces deux devoirs? Mes frères, la contradiction entre eux n'est qu'apparente. Le christianisme à voulu établir la hiérarchie dans les affections; des le monde du coeur, comme Partout, il a fondé le règne de la loi. Il a rendu à Dieu sa place et il a remis l'homme à la sienne. Oui, c'est l'amour qui doit relier toutes les créatures, mais en les reliant toutes ensemble à Dieu. Dieu, voilà l'Être unique qui peut posséder notre amour dans sa plénitude. Aux êtres créés, nous ne devons le donner qu'en partie, et si l'un d'eux l'absorbait tout entier; ce serait le désordre et l'idolâtrie, aussi, plus la créature est sainte, plus elle est élevée: dans l'échelle morale des êtres, plus elle craint d'attirer l'hommage qui n'est dû qu'à Dieu seul; elle s'humilie, elle s'efface elle s'écrie : « Non par à moi, non pas à moi, Seigneur, mais à ton nom donne gloire. » Ainsi se réalise cette hiérarchie des êtres qu'entrevoyait le vieux Pythagore, lorsqu'il disait que l'harmonie était la loi du monde. te dette Vision passagère du génie, Jésus-Christ à fait la religion de l'humanité.

Eh bien ! dans cette hiérarchie dès êtres, quelle est la Plate que revendiqué Jésus-Christ lui-même ? Que prétend-il être au milieu des hommes J'interroge les Évangiles et ils me répondent Jésus-Christ ne prétend à rien moins qu'a être le but suprême de tout amour et la source profonde de toute vie. Dès ses premières paroles publiques, il déclare que c'est pour l'amour de lui que ses disciples seront persécutés. Peu à peu il leur révèle toute là grandeur de son rôle et de sa personne. Par cette lente méthode éducatrice qui est la sienne, et qui ne consiste point à imposer la vérité par des formules, mais à en faire naître dans les coeurs le sentiment et l'intelligence, il les prépare à comprendre ce qu'il est. Ce n'est qu'après un an et demi d'enseignement qu'il leur pose cette question décisive: « Qui dites-vous que je suis? » et qu'il déclare que son Église reposera sur la confession que Pierre en lui répondant a faite de sa divinité. Il dirige sur sa propre personne les regards, l'attention, la foi de ses disciples; c'est à lui qu'il faut venir, c'est en lui qu'il faut croire, c'est lui qu'il faut aimer. Toutes les affections doivent se subordonner à cette affection dominante, tous les liens de la chair et du sang doivent être rompus s'ils s'y opposent, et, comme pour faire entrer de vive force cette vérité dans les coeurs, Jésus ne recule pas devant le plus formidable des paradoxes: « Quiconque ne hait pas son père et sa mère, quiconque ne hait pas sa propre vie, ne peut pas être mon disciple. » Ici encore, veuillez le remarquer, je ne cite que les témoignages des trois premiers évangiles. Que serait-ce si j'en appelais à saint Jean, qui a pénétré plus que tous les autres dans les profondeurs de l'âme de son Maître? Que serait-ce si j'avais le temps de vous montrer saint Paul donnant au Christ toutes les énergies, tous les élans, toutes les adorations de son coeur?

Et, de même que Jésus réclame tout amour, il se révèle comme la source de toute vie. De sa personne en effet va découler désormais une source intarissable de vie et de sainteté. Songez à ce qu'il y a dans ces simples mots : « Venez à moi! » adressés à tous les affligés de la terre, et dans cette promesse aussi magnifique que surhumaine : « Vous trouverez le repos de vos âmes. » C'est dans la même pensée qu'il fonde la sainte Cène, conviant ainsi tous les croyants de l'avenir à contempler sa chair rompue et son sang versé pour les péchés du monde, et faisant de son sacrifice l'éternel objet de leur foi; c'est dans la même pensée enfin que, lorsqu'il va quitter ses disciples, en ce moment suprême, où, ayant achevé son oeuvre, il devait, s'il n'avait été que le plus grand des prophètes, s'effacer et diriger leurs regards vers Dieu seul, il leur adresse ces mots qui vont, à travers les siècles, soutenir tous les croyants de l'avenir: « Voici, je suis tous les jours avec vous jusqu'à la fin du monde. »

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