Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'IMMUTABILITÉ DE JESUS-CHRIST

suite

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II

(Début)

J'ai dit en second lieu, l'immutabilité de Jésus-Christ considéré dans sa personne.

Jésus-Christ n'est pas seulement un maître et un révélateur, il est une révélation. Il n'a pas dit seulement : « Écoutez-moi », il a dit : « Regardez à moi. » Il n'a pas dit seulement: « Croyez en mes paroles », il a dit : « Croyez en moi. » Il s'est donné comme l'objet de la foi, et c'est bien ainsi que l'a compris immédiatement l'Église, car les Épîtres de saint Paul, qui ne reproduisent qu'une ou deux des paroles de Jésus, sont pleines de sa personne; c'est Jésus que Paul contemple et que Paul prie; c'est en Jésus qu'il trouve sa vie, et il résume, à cet égard, toutes ses expériences dans cette parole si caractéristique et si forte : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi. »

Dans la personne de Jésus, nous trouvons deux êtres : le Fils de Dieu et le Fils de l'homme; l'image visible du Dieu invisible et le type idéal de l'humanité. L'union de ces deux natures est un mystère, mais un mystère auquel nous devons nous attendre, car si l'homme a été créé à l'image de Dieu, il en résulte que l'image de Dieu, paraissant dans une vie humaine, sera du même coup l'affirmation de l'idéal auquel doit tendre l'humanité. Je n'ai, du reste, pas à sonder ici ce mystère; je me mets simplement aujourd'hui en présence de la personne de Jésus-Christ je salue en elle le type idéal de la perfection morale, et j'affirme que ce type est immuable et qu'à lui s'appliquent les paroles de mon texte : « Jésus-Christ est le même, hier, aujourd'hui, éternellement. »

Un idéal immuable. Avez-vous jamais réfléchi, mes frères, à ce qu'il y a d'étrangement hardi, je dirai même de présomptueux dans un tel mot? On l'a remarqué souvent : rien n'est plus difficile, pour l'imagination humaine, que de créer un idéal de perfection qui subsiste. Les plus grands génies ont échoué dans cette tâche. Le Dante, Milton (pour ne citer que ceux-là), qui ont dépeint avec tant de puissance les souffrances de l'enfer, ont été absolument incapables de dépeindre les harmonies du ciel. Des auteurs qui ont retracé avec une poignante vérité les angoisses du remords et les tortures de la passion coupable, n'ont pu réussir à créer un héros idéal; ils n'ont abouti qu'à des figures de convention, froides, ternes et sans vie.

Il y a eu, me direz-vous, des idéals qui ont ravi l'humanité; il y a eu des figures qui, comme celle du Christ, ont vu se courber devant elles des multitudes enivrées. Je ne le nie point : ce que j'affirme, c'est qu'il n'est pas une de ces figures qui ait résisté à l'influence du temps et aux efforts persistants de la critique. Ces statues, qui semblaient d'un marbre sans tache, se sont désagrégées sous l'action des siècles et des orages elles ont laissé voir leurs éléments composites et souvent le plâtre vil qui cachait leurs intimes laideurs. D'ailleurs, l'idéal d'une race n'est pas celui d'une autre ; essayez de rendre populaire en France la figure étrange du Bouddha, avec son type si profondément oriental; essayez de faire admirer à nos races occidentales, si actives, si industrieuses, si éprises de science et de progrès, le fanatisme grandiose mais implacable de Mahomet. L'idéal que salue une époque est souvent insulté par l'époque suivante et l'humanité se venge d'avoir été dupe en multipliant ses affronts aux idoles qu'elle encensait la veille. Hommes de ma génération, rappelez-vous vos souvenirs d'enfance, rappelez-vous comment la figure de Napoléon vous apparaissait resplendissante lorsqu'elle était évoquée par un historien de génie, ou lorsque son nom vibrait dans les strophes enflammées du plus grand de nos poètes. Auriez-vous pu prévoir de quelle sinistre auréole l'entoureraient les défaites de la France, et que ce nom serait livré aux malédictions de l'avenir? Ainsi vont les admirations humaines. Il n'est pas un homme, même parmi les plus grands, qui n'ait ses côtés vulnérables, pas un qui, par ses lacunes, par ses faiblesses ou par ses crimes, ne trahisse notre commune infirmité.

O
r, dans la personne du Christ, je constate un fait étrange. Voici un Être sorti de l'Orient; voici un fils de Sem qui a vu s'incliner devant lui les fils de Japhet; voici un représentant d'Israël, en qui des représentants de toutes les races de la terre ont adoré l'idéal moral absolu. Il a vu s'incliner devant lui les enfants de la Grèce, qui, sur sa croix ignominieuse, ont découvert une beauté que leurs artistes de génie n'avaient pas même entrevue. Il a vu se courber sous son sceptre de roseau les soldats et les chefs de la Rome impériale, qui ont subi l'ascendant d'une autorité qu'ils ne soupçonnaient pas. Et quand, dans l'effondrement de l'empire romain, les races jeunes et barbares accouraient des profondeurs de l'Orient, comme les flots fangeux d'un océan de peuples poussé par le souffle de la colère de Dieu, il a, de sa main souveraine, prosterné dans la poudre ces fronts superbes, domptés par une majesté douce et pure que jamais ils n'avaient rêvée.
Aux temps troublés du moyen âge, dans ces siècles de violence et de force brutale, il a arraché à l'âme humaine le suave hommage de la plus pure adoration; et lorsqu'aux jours de la Renaissance, l'antiquité retrouvée versait à tous les esprits généreux la liqueur enivrante des séductions païennes, il s'est emparé des esprits les plus puissants et les plus fermes, de Jean Calvin comme de Martin Luther, qui ont salué en lui le Roi des âmes et le libérateur de l'humanité; puis, quand s'est levé, avec le dix-septième siècle, l'âge des sciences positives, il a vu les maîtres de ces sciences, les Copernic, les Euler, les Newton, les Pascal, se faire une gloire de le servir et prosterner à ses pieds leur génie et leur foi; et aujourd'hui, après Voltaire, après Strauss, après qu'une impitoyable critique, scrutant chacune de ses paroles et chacun de ses actes, a disséqué sa vie pour en montrer les lacunes et les taches, dans ce siècle qui ne veut être dupe de rien et qui se vante d'avoir renversé tous les dieux, il se trouve que cette figure reste debout, aussi sainte, aussi sublime que jamais, dominant toutes nos fausses grandeurs et survivant à toutes nos idoles, n'offrant à l'oeil pénétrant de la haine, je ne dis pas une souillure, je dis pas une tache, pas une ridé, pas même un trait vulgaire; il se trouve que ce nom, livré à tous les orages, reste, de tous les noms, le plus grand; que, porté par des voix fidèles jusqu'aux extrémités du monde, annoncé dans toutes les langues des hommes, chez des races que tout sépare, moeurs, traditions, tempérament, génie, il rencontre partout des milliers d'adorateurs, dans les coeurs desquels le Christ prend la place la plus intime et la plus sacrée, et qui, pour exprimer l'enthousiasme qu'il leur inspire, lui disent, avec nous qui sommes ici et avec toute l'Église fidèle : « Mon Seigneur et mon Dieu! »

Et l'on ne voit pas qu'il y a là quelque chose qui dépasse les forces de la nature, et l'on voudrait nous faire admettre que cette figure a été inventée, que les divers traits qui la composent sont les produits de l'imagination populaire telle que l'interprétèrent les auteurs de nos quatre évangiles ! Ainsi, de ce milieu que nous connaissons bien, de cette nation alors livrée à tous les fanatismes, de cette religion pharisaïque jusqu'à la moelle, serait sorti, par un procédé naturel, un idéal dominant tous les temps et toutes les races humaines, et quelques ignorants, en rédigeant ces écrits fragmentaires, naïfs et sans apprêt que nous appelons nos évangiles, auraient rassemblé quelques traits qui, réunis, donnent l'idée de l'absolue perfection! Eh bien! laissez-moi le dire à l'esprit le plus sceptique qui puisse se trouver ici : Cela, vous ne le croyez pas, car vous savez bien que c'est impossible; le Christ est donc pour vous l'être inexplicable... vous ne voulez pas dire encore l'être divin. Peut-être le direz-vous plus tard... Oh! dites-le dès aujourd'hui, faites un effort suprême de volonté sincère, secouez les préjugés qui vous paralysent, soyez libres et soyez droits, et saluez avec nous, dans cet idéal immuable, le Christ qui est le même, hier, aujourd'hui, éternellement.


III

J'ai dit enfin l'immutabilité dans l'oeuvre qu'il exerce. Cette oeuvre, pendant trois ans, quelques enfants des hommes l'ont vue s'accomplir sur la terre; mais, par son Esprit, Jésus-Christ la continue à travers les siècles, et dans tous les temps vous la reconnaissez à ces trois traits : il sauve, il sanctifie, il console.
Il sauve. C'est pour cela qu'il est venu; il n'est rien s'il n'est pas Rédempteur; ni son enseignement, ni son exemple n'auraient été efficaces sans sa croix. Lui-même l'a dit : « Si le grain de froment ne tombe en terre et s'il ne meurt, il ne peut porter de fruit. »

Vous n'ignorez pas, mes frères, que le rationalisme contemporain nous enseigne autre chose : il n'accepte pas la rédemption par le sacrifice du Calvaire ; c'est là, selon lui, une idée toute judaïque que les apôtres auraient les premiers formulée. Le vrai Christ, d'après lui, aurait été simplement le prédicateur du sermon sur la montagne, le révélateur de la religion intérieure dont les seuls articles seraient la foi à la paternité divine et à la fraternité humaine, et c'est à cet Évangile vraiment primitif que l'on nous invite à revenir aujourd'hui.
Nous ne le pouvons; nous n'accepterons jamais un Christ mutilé; celui auquel nous croyons est celui que le Précurseur, dès le premier jour, désigna par ces mots: «Voici l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. » Sans doute, il y a eu dans son oeuvre la réalisation d'un plan progressif ; Jésus n'a pas annoncé publiquement sa mort dès le commencement de son ministère; il fallait qu'il expliquât d'abord ce qu'était le royaume de Dieu qu'il venait fonder avant d'annoncer comment il le fonderait, et les trois premiers évangiles nous ont conservé l'indication précise du. moment où il se mit à parler de la mort qu'il devait subir à Jérusalem. C'est immédiatement après que Pierre a confessé qu'il est le Messie et le Fils de Dieu; c'est au moment où on l'a reconnu comme Roi qu'il veut montrer quelle sera la nature de son règne. Mais comme on voit bien dès lors que sa mort est le point central de son ministère! Quand, dans la scène mystérieuse de la Transfiguration, Moïse et Elie lui apparaissent, de quoi parlent-ils, si ce n'est de la mort qu'il doit subir à Jérusalem, de cette mort qui seule peut satisfaire la loi dont Moïse est le représentant, et répondre aux aspirations de la prophétie dont Élie est l'interprète? C'est pour mourir que Jésus va à Jérusalem : « J'ai à être baptisé d'un baptême, et combien ne suis-je pas pressé jusqu'à ce qu'il s'accomplisse! » (Luc, XII, 50.) « Dirai-je à mon Père : Délivre-moi de cette heure? Mais c'est pour cette heure que je suis venu. »
Et c'est à cause de cela que, la veille de sa mort, il institue la sainte Cène. annonçant ainsi sa chair rompue et son sang répandu pour les péchés du monde (I). Voilà le Sauveur tel que l'annonçaient les Écritures; voilà ce qu'il veut être, voilà ce qu'il doit être à jamais, et quand les apôtres font de sa mort le centre de leur prédication, et de la folie de sa croix l'instrument de leurs conquêtes, ils prêchent le seul Évangile qui ait été donné aux hommes et par lequel les hommes puissent être sauvés. 0 vous auxquels suffit la morale de l'Évangile, à quelle race appartenez-vous? J'ignore ce que vous dit votre conscience; mais, pour moi, plus j'admire cette morale, plus elle me trouble; plus elle m'apparaît vraie et sainte, plus elle me condamne, plus elle met en évidence ma misère et ma honte. Si l'Évangile n'était que cela, l'Évangile m'accablerait. Il me faut la croix pour apaiser mon âme; il me faut « le Christ livré pour mes offenses, ressuscité pour ma justification ». Créez, si vous le pouvez, une humanité qui ne pèche plus, et vous lui donnerez un Évangile sans sacrifice expiatoire, mais tant que nous traînerons ici-bas nos souillures et nos crimes, nous invoquerons le Christ qui sauve, hier, aujourd'hui, éternellement.

Il sanctifie. Je veux dire, par là, qu'à travers les siècles, il communique à l'humanité une vie nouvelle, transformant les coeurs, changeant les volontés, accomplissant enfin dans les âmes une oeuvre analogue à celle qu'il a faite aux jours de sa chair quand il guérissait les lépreux, quand il délivrait les possédés, quand il ressuscitait les morts.

J
e sais bien ce que vous allez me répondre. Vous me montrerez ce qu'a été souvent l'Église, et vous me demanderez à quels signes on y reconnaît cette perpétuelle activité de Jésus-Christ. Où était-elle, cette action sanctifiante, au temps de Constantin et de Clovis, et plus tard lorsque, dans la Gaule devenue, chrétienne, nos Mérovingiens donnaient le hideux spectacle de toutes les infamies et de tous les forfaits? Où était-elle lorsque, dans l'empire de Byzance, on voyait une cour et un clergé dépravés partager leur temps entre les plaisirs les plus frivoles et des discussions aussi subtiles qu'acharnées sur la nature du Verbe incréé ? Où était-elle, au temps d'Alexandre VI, quand l'Europe chrétienne était conviée aux jubilés centenaires de Rome comme pour y contempler celui qu'on appelait le saint pontife dépassant les turpitudes des Césars ? Où était-elle, au temps de Philippe II, dont on a pu dire :

C'était Satan régnant au nom de Jésus-Christ?

Où était-elle plus tard, au sein des Églises protestantes ou catholiques, si souvent abaissées, mondanisées et devenues insipides comme le sel qui a perdu sa Saveur?

M
es frères, elle était là, mystérieuse et cachée dans des âmes fidèles que le monde ne connaissait point, et qui, mêlées à ceux dont le nom n'évoquait que le scandale, conservaient pieusement le trésor de la foi et de l'éternelle espérance; elle était chez ces proscrits, chez ces martyrs, souvent chez ces hérétiques sur lesquels les clergés officiels ont parfois laissé tomber tant de noms insultants; elle était dans l'étroite cellule d'un couvent et dans les cavernes de nos Cévennes, chez ces humbles, chez ces petits de la terre, qui ne fléchissaient pas le genou devant Baal, et c'est à cause de cela que l'Église a vécu ; c'est à cause de cela qu'elle subsiste encore, sauvée par son divin Chef, qui veillait sur elle et qui l'a défendue des crimes de ses défenseurs, plus dangereux pour elle que la haine de ses ennemis. Regardez-y de près : partout où le Christ est invoqué, il y a un principe de vie ; nous en avons aujourd'hui, à l'heure même, un exemple frappant. Il y a, en Orient, d'antiques Églises chrétiennes, celles de l'Arménie et celles de la Grèce, profondément abaissées et corrompues par une persécution séculaire et par l'influence immorale des vainqueurs qui les ont presque étouffées.
Et cependant lorsque, dans l'effondrement de cet islamisme, dont nos armées ont trop longtemps protégé le cadavre, on regarde pour savoir quels seront ses héritiers, à qui songe-t-on, si ce n'est à ces vieilles races dégénérées, seules capables de revivre, parce que quelque chose du christianisme est dans leurs traditions et dans leur sang? Cette action vivifiante du Christ immuable, elle s'étend plus loin que vous ne le soupçonnez, elle pénètre au milieu de nous, jusque dans l'âme des incrédules eux-mêmes qui, comme on l'a dit avec raison, en secouant le vieil arbre du christianisme, en font tomber des fruits que les chrétiens avaient oublié de cueillir. Oui, dans cet ardent intérêt pour les pauvres et pour les petits, qui est la meilleure gloire de la démocratie moderne, dans cette préoccupation incessante d'assurer à l'ouvrier une part de capital qui, pour lui, soit l'indépendance, et un foyer assez large pour sauver ses enfants de la promiscuité qui les souille; dans cette guerre à la servitude blanche, à la corruption qui étale sur nos boulevards ses marchés d'esclaves, je vois et je reconnais encore quelque chose de l'oeuvre de Jésus-Christ. Si ce sont des athées qui l'accomplissent, à qui la faute, si ce n'est aux chrétiens qui la désertent? Ah! cette oeuvre de relèvement que vous croyez finie, c'est à peine si elle a vraiment commencé ! Elle est le phare qui brille dans l'avenir aux yeux de tous les hommes de bonne volonté. Pour le salut de l'humanité, elle ne cessera jamais de luire, car Jésus-Christ est Celui qui sanctifie hier, aujourd'hui, éternellement.

J'ai dit enfin que Jésus-Christ console : C'est peut-être sous cet aspect que le caractère immuable de son action est le plus sensible aux hommes de notre temps. On comprend moins aujourd'hui qu'autrefois son rôle de Rédempteur, parce qu'on sent moins la puissance du péché. Sous l'influence des idées fatalistes si universellement répandues, la notion du mal S'est oblitérée, on se croit moins responsable, on a moins besoin de pardon. C'est un obscurcissement passager sans doute, mais réel et profond. Toutefois, si le sentiment du péché a fléchi, il n'en est pas de même de celui de la douleur. On souffre tout autant qu'on a jamais souffert, et je n'en citerai qu'une preuve, mais elle est décisive : c'est l'effrayante progression des suicides.
Malgré tous les progrès du luxe et tous les raffinements de jouissance dont notre siècle est si avide, malgré les distractions qui se multiplient, la joie est rare, elle n'est pas sincère, et il semble au contraire que la faculté de souffrir devienne plus délicate et plus intense. D'ailleurs, la science a beau préciser ses méthodes et soumettre à ses conquêtes un domaine toujours plus vaste, elle est aussi impuissante que jamais à supprimer et même à diminuer les souffrances du corps ou de l'âme, elle ne jette aucune lumière sur nos tristesses, sur nos déchirements, sur nos deuils; la mort qui est l'acte suprême du drame où nous jouons tous notre rôle reste toujours pour nous la plus poignante et la plus désespérante des énigmes. Telle est notre situation réelle, et je défie bien personne de la nier. Or en face de ce fait incontesté s'en dresse un autre aussi incontestable, c'est que Jésus-Christ console, et ce fait est attesté non parles heureux de ce monde (ce qui ne prouverait rien), mais par les plus affligés d'entre les hommes. Jésus-Christ console; il donne à la douleur un sens et un but qui la rendent acceptable ; il éclaire la mort d'une espérance éternelle, il fait pénétrer dans les coeurs la certitude d'une sympathie profonde, immense, infinie. Ce n'est pas là une hypothèse, c'est une réalité dont à chaque heure, à chaque minute, des milliers d'hommes font l'expérience.
On peut contester la valeur de cette consolation et dire qu'elle est illusoire. Les aveugles seuls pourront en nier les effets. Jésus-Christ console, et c'est pour cela que ses affirmations sont les seules que l'on porte au chevet des mourants et devant une fosse ouverte, Parcourez nos cimetières; cherchez-y une parole qui exprime une ferme espérance, vous ne la trouverez que sur la tombe d'un chrétien. Mais que cette parole est puissante en ce lieu-là! qu'elle y est grande, et comme on sent bien alors que l'espérance est à jamais solidaire de Jésus-Christ !
Dans le monde de la pensée on en peut voir aujourd'hui une preuve saisissante. Pendant que l'on nous montre le soleil du christianisme s'abaissant vers l'horizon pour s'éteindre à jamais, voici qu'à l'horizon opposé monte, des profondeurs de l'antique Orient, non pas une clarté, mais une ombre Immense, celle du pessimisme bouddhiste, qui va devenir, nous dit-on , le système définitif de la sagesse moderne, et ce système se résume en un seul mot : néant; le néant dans la tombe et la vie acceptée comme une épreuve douloureuse que ne doit suivre aucun lendemain. Voici qu'on nous convie à prendre pour la devise de l'avenir ces mots que saint Paul écrivait sur le seuil du paganisme antique : « Sans Dieu, sans espérance. » Il est bon peut-être qu'il en soit ainsi pour que tous les yeux s'ouvrent et pour que nous sachions enfin qui nous voulons suivre et servir. Quant à moi, j'ai foi dans le témoignage des pauvres, des malades, des opprimés et des affligés de ce monde. Ils ont été les premiers à saluer le Christ aux jours de sa chair; ils sont encore les premiers à confesser sa puissance. Sachant bien que, pour leur détresse, le monde n'a pas de remède, ils appelleront de leurs voeux et de leurs prières le Christ qui console, hier, aujourd'hui, éternellement.

Puis donc que le Christ est immuable, nous tirerons, en terminant, de cette pensée, une grande force pour notre foi, une grande consolation pour nos coeurs, un grand encouragement pour notre activité chrétienne.
Une grande force pour notre foi. Nous sommes dans un siècle de crise et d'ébranlement profond, dans le siècle de ce qu'on a appelé les destructions nécessaires. Bien des choses s'écroulent qui nous semblaient éternelles; bien des systèmes, bien des appuis extérieurs sur lesquels l'Église a peut-être trop compté. Or, quand, en face de ce fait, le trouble et l'angoisse viennent envahir nos âmes, rappelons-nous qu'au-dessus de ce qui passe, il y a Celui qui demeure ; que si, sans lui, nous n'avons rien, avec lui, tout nous reste, et cela, d'autant plus que nous ne compterons que sur lui.

Une grande consolation pour nos coeurs. Nous avançons dans la vie, et les séparations se multiplient. Il en est plusieurs parmi nous dont le foyer a été profondément dévasté; il en est plusieurs qui s'avancent dans une vie désormais solitaire, et ce n'est pas seulement la mort qui fait le vide, hélas! ce sont les mésintelligences, les trahisons domestiques, la rupture tragique et poignante des amitiés d'autrefois. Or, voici pour nos coeurs cette réalité la plus divine et la plus humaine de toutes : le Christ est toujours le même, avec ses trésors de tendresse et de sympathie ; il était là hier, il sera là demain, il sera là dans tous les abandons possibles, il sera là jusqu'à la fin, dans les défaillances suprêmes et jusqu'au dernier souffle de l'agonie.

Un grand encouragement pour notre activité. Si rien n'est désespérant comme le sentiment affreux d'avoir travaillé pour le néant ; si rien n'est amer comme d'avoir à se dire, sur les ruines de tout ce qu'on a édifié: « Vanité des vanités, tout est vanité! » rien ne vaut la pensée que l'on sert une cause immuable et que l'on apporte sa pierre à un édifice qui traversera les siècles. Telle est, mes frères, la ferme conviction du chrétien.

Quand Charlemagne eut, de sa main puissante, reconstruit l'oeuvre des Césars ; quand il eut rassemblé sous son sceptre victorieux l'Allemagne et l'Helvétie, l'Italie et les Gaules, le monde étonné contempla cet empire qui s'étendait des rives de la. Baltique jusqu'aux Pyrénées, et des Alpes jusqu'à l'Océan. Or, un jour on vit le vieil empereur, rassasié de gloire, assis à sa fenêtre dans son palais sur les bords de la Seine, et ses yeux se remplissaient de larmes. Et comme on l'interrogeait sur la cause de cette tristesse, il montra les champs et les vignes que les pirates normands avaient incendiés en remontant le fleuve. « Si de mon vivant, dit-il, ces barbares ont fait ces choses, que sera-ce donc après moi? »

Que sera-ce après moi ? Voilà le dernier mot des puissants de la terre, qu'ils s'appellent Alexandre ou César, Charlemagne ou Napoléon, et voilà le dernier mot des maîtres de la pensée, qu'ils s'appellent Platon ou Spinosa, Leibnitz ou Hegel. Toujours le changement comme une menace incessante, toujours un héritier qui peut être un destructeur. Mais nous servons un maître immuable. Il a plu à Dieu, dit le prophète, que l'empire éternel reposât sur son épaule; cette épaule ne fléchira pas, et cet empire subsiste à jamais. Aussi, dans la communion de l'Église universelle, nous lui dirons avec le vieux Te Deum des chrétiens : « Tu es le Roi de gloire, ô Christ ! » et nous ajouterons avec l'Écriture : « Les cieux périront, mais tu subsistes toujours ; ils s'useront comme un vêtement vieilli, et ils seront changés ; mais toi, tu es toujours le même, et tes années ne finiront point; le même, ô Christ, hier, aujourd'hui, éternellement. » Amen !

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(1) Pour le noter en passant, s'il y a dans la vie du Christ un fait hors de toute contestation critique, un fait absolument établi par les témoignages des synoptiques et par le témoignage si ancien et si défaillé de saint Paul (I Cor. XI), c'est l'institution de la Sainte Cène, avec le sens que lui donne Jésus-Christ. C'est l'Évangile, dans l'Évangile même, et cet Évangile se résume dans ce mot: Rédemption. 

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