Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'IMMUTABILITÉ DE JESUS-CHRIST

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Jésus-Christ est le même, hier, aujourd'hui, éternellement.
(Hébr. XIII, 8.)


Mes Frères,

L
'auteur de l'Épître aux Hébreux venait de rappeler le souvenir des premiers apôtres de l'Évangile. Beaucoup d'entre eux étaient morts. Ceux qui avaient vu le Christ et qui l'avaient écouté devenaient chaque jour moins nombreux. Le temps avait fait son oeuvre ordinaire de destruction que la persécution avait rendue plus effrayante encore. Les grands chefs, les vaillants lutteurs étaient tombés l'un après l'autre, et, à côté de ceux qui avaient ainsi succombé, il y avait eu les défections des apostats et des lâches. Plus d'une âme était ébranlée et découragée. Il fallait donc rappeler à tous que, si les hommes passent, la cause du Christ est immortelle, et l'écrivain sacré exprime cette pensée dans ces mots triomphants : « Jésus-Christ est le même, hier, aujourd'hui, éternellement. »

Nul ne pourra jamais dire combien de fois cette parole a consolé l'Église. Ce qui s'est passé au premier siècle de son histoire se renouvelle 4 toutes les époques. C'est par une lutte Incessante, acharnée, que le royaume de Dieu se maintient et s'étend sur la terre.

Dans cette guerre sainte, Il y a, pour les croyants, des heures sombres; ici, ce sont des reculs imprévus, des défaites partielles et parfois des déroutes; là, ce sont des inactions prolongées, ce sont des périodes sans élan, sans enthousiasme, où les âmes se traînent sous le poids d'une lourde atonie; on a peine à croire qu'une cause divine sait vraiment en jeu. Puis, quand elle se relève, quand l'espérance rentre dans les coeurs, quand la victoire paraît prochaine voici ses représentants les plus grands, ses défenseurs les plus nécessaires qui sont frappés comme au hasard et par un coup vulgaire. En les voyant disparaître, on serait tenté de croire que l'Évangile qu'ils servent est à jamais compromis et que sa défaite est certaine; mais cette parole retentit comme le son joyeux du clairon de la victoire : « Jésus-Christ est le même, hier, aujourd'hui, éternellement. »

N
ous allons, mes frères, méditer aujourd'hui cette grande parole. Nous allons étudier ensemble l'immutabilité de Jésus-Christ.
Être immuable, être immortel, c'est le plus grand but que puissent se proposer les hommes, c'est le rêve suprême de leur orgueil. Dans tous les temps, ils l'ont formé. Sur cette terre ou rien ne reste debout, où l'homme lui-même est emporté par l'incessant tourbillon des choses, où les molécules qui composent son corps se renouvellent avec une rapidité dont la science n'a pas encore déterminé la formule, où les générations se succèdent rapides et éphémères comme les feuilles de nos forêts que balaie le vent d'automne, l'homme ne consent jamais à passer tout entier. Il veut laisser de lui quelque chose qui demeure, qu'en ce ne serait qu'un tombeau. Pourquoi les constructions gigantesques de la Babylonie et de l'ancienne Égypte? Pour porter aux âges futurs la gloire d'un homme dont elles devaient abriter le sépulcre.
Et quand, aujourd'hui, l'oeil pénétrant de l'archéologue est parvenu à déchiffrer son nom, tout ce qui s'y rattache, en définitive, c'est le souvenir de la prodigieuse vanité d'un petit monarque inconnu, qui occupa tel chiffre dans l'interminable série de ces dynasties dont quelques savants tout au plus ont retenu l'ordre et la désignation. En vain, ces exemples de l'inanité de la gloire humaine se multiplient. Ils n'empêchent jamais les générations qui grandissent de s'éprendre du même rêve et de poursuivre ardemment le même mirage qui les séduit. Quel est l'homme, parmi ceux-là du moins que l'éducation arrache à l'ignorance, qui n'ait désiré. passionnément laisser après lui un nom qui lui survive? On rêve la gloire littéraire; pas un écrivain, pas un poète qui, dans une heure d'enivrement, n'ait répété l'orgueilleuse affirmation d'Horace : Exegi monumentum aere perennius. On rêve la gloire militaire; pour la gagner, on affronte joyeusement la mitraille. Eh bien! parmi tous ceux que la gloire attire, combien y en a-t-il qu'elle couronne? Parmi tous ces appelés, combien d'élus?
Vous pouvez les compter. Il est infime, le nombre de ceux qui laissent après eux un souvenir immuable, une réputation que l'on ne conteste pas. Les uns, par quelque acte extraordinaire, par leurs extravagances peut-être ou par leurs crimes, ont réussi à jeter sur leur nom un éclat qui s'impose à l'attention de la postérité, car le mal et la folie confèrent, eux aussi, l'immortalité, et les noms de Tibère, de Judas et de Néron ne seront jamais oubliés; d'autres ont fait une oeuvre de génie : c'est un marbre splendide, c'est une peinture immortelle, c'est une tragédie ou un poème dans lesquels ils ont donné à la pensée ou aux passions humaines une expression si vraie, si authentique et si poignante, qu'en lisant leurs écrits, après des siècles, nous sommes remués dans les profondeurs de notre être et nous sentons que le génie est vraiment immortel; d'autres ont attaché leurs noms à la découverte d'une vérité scientifique désormais irréfutable, et l'on dira les lois de Newton et d'Euler aussi longtemps que l'on étudiera la gravitation des mondes; d'autres ont servi avec éclat leur patrie sur les champs de bataille ou dans les parlements; d'autres, par leurs patients labeurs, ont ouvert à la civilisation des voies nouvelles et conquis une renommée plus pure que celle des armes; d'autres ont été les interprètes de la conscience et les instructeurs de l'humanité.
Tels sont les titres à l'immortalité que le monde confère aux grands hommes qu'il connaît (oubliant, hélas! la foule des martyrs dont les souffrances et la mort cachées l'ont sauvé tant de fois). Il est certain qu'il y a, dans l'histoire, des renommées que l'on peut appeler immuables, et contre lesquelles le temps et les retours offensifs de la fortune ne pourront jamais rien.

O
r, est-ce une idée semblable qu'expriment les paroles de mon texte, lorsqu'elles affirment que le Christ est le même, hier, aujourd'hui, éternellement? S'agit-il simplement d'affirmer que, parmi les fils des hommes, aucun n'a marqué sur la terre une plus profonde trace et n'a laissé un plus indestructible souvenir? Ce serait déjà pour lui une gloire incomparable; mais, vous le savez bien, l'Écriture veut exprimer ici autre chose : elle affirme ce qu'a toujours cru, ce que croit encore sous tous les cieux l'Église fidèle : c'est que le Christ est vivant et qu'il règne à jamais; les autres, les hommes de génie dont j'ai parlé, laissent après eux l'immortalité de leur souvenir; on les cherche parmi les morts et on parle d'eux au passé; le Christ est au milieu de nous par une présence éternelle; les autres-ont l'immortalité de leur oeuvre, immortalité d'autant plus Immuable que cette oeuvre a été plus vraie, plus utile ou plus éclatante; le Christ agit aujourd'hui comme il agissait hier, comme Il agira demain.
Nous croyons, avec l'Église fidèle, que sa vie, dont un petit nombre d'hommes ont été pendant trois ans les témoins il y a dix-huit siècles, -sur un coin de la terre, n'a été que la manifestation visible et le prélude d'une vie et d'une action qui s'accomplissent dès lors dans tous les temps et sur tous les points du monde où l'Évangile est prêché; nous croyons que les trois ans de son ministère historique n'ont été que la parabole courte et sublime d'un ministère qui ne finira plus; que ces pauvres, ces misérables, ces lépreux qu'il guérissait sur sa route, en les touchant de ses mains, n'ont été que les prémices de ces multitudes qu'il sauve, qu'il sanctifie et qu'il console à travers les siècles; nous croyons qu'aujourd'hui, et malgré l'indifférence apparente de ce siècle positif, il fait sentir son action par d'irrécusables marques; nous croyons qu'on la reconnaît d'abord à l'opposition et aux colères que son nom soulève, et qui sont l'hommage magnifique et terrible que toutes les passions mauvaises, tous les égoïsmes et toutes les hypocrisies rendent en frémissant à sa sainteté, et qu'on la reconnaît ensuite à l'enthousiasme, à l'amour, à la joie dont son nom remplit les coeurs de ceux qui l'adorent; en un mot, nous croyons qu'étant le Fils de Dieu et le Roi éternel des âmes, il tient la promesse qu'il a laissée à ses disciples : « Voici, je suis toujours avec vous jusqu'à la fin du monde », tellement que, si ce drame mystérieux qui s'appelle l'histoire devait se prolonger encore vingt, cinquante ou cent siècles, cette parole retentirait au sein des générations à venir : « Jésus-Christ est le même, hier, aujourd'hui, éternellement. »

Mais, pour mieux comprendre cette immutabilité, nous ne devons pas nous en tenir à cette impression d'ensemble qui risquerait d'éblouir notre imagination sans éclairer notre esprit. Il nous faut étudier de plus près ce grand sujet, et envisager cette immutabilité d'abord dans l'enseignement de Jésus-Christ, en second lieu dans sa personne, enfin dans l'oeuvre qu'il accomplit à travers les âges, Tel sera, mes frères, l'ordre de nos réflexions.


I

Et d'abord l'immutabilité de son enseignement. Jésus-Christ lui-même l'avait clairement prédite. Un jour, en face du temple, dont il annonçait la ruine prochaine, il avait dit à ses disciples: « Les cieux et la terre passeront, mes paroles ne passeront point! » Et ce qui doit vous frapper, c'est que, lorsqu'il prononça ces mots, pas une de ses paroles n'était écrite; elles allaient être confiées à la mémoire de quelques pauvres ignorants, qui les comprenaient encore à peine, Or, songez-y, dans les sanctuaires de Thèbes, de Ninive ou de Delphes, la pensée religieuse de millions d'adorateurs a été gravée sur le marbre et sur l'airain; ils ont voulu léguer aux générations à venir les noms et les exploits de leurs dieux; et, de tout cela, que reste-t-il? De vagues traditions, des fragments incohérents d'une mythologie que l'on parvient à peine à reconstruire, des noms de divinités dont le rôle échappe aux recherches de nos savants, et ne sera jamais tout au plus qu'une curieuse question d'archéologie; tous ces monuments de ces religions orgueilleuses der, maîtres du monde, tous ces souvenirs qui devaient être impérissables, ont disparu dans les sombres profondeurs du vaste océan de l'oubli, et, comme autrefois l'arche sainte flottant sur les eaux du déluge, la parole du Christ. conservée dans quatre petits écrits, est devenue l'héritage, la propriété, le trésor, je ne dis pas seulement de toutes les générations successives et de toutes les races supérieures de ce globe, je dis des plus humbles parmi les enfants des hommes, des plus pauvres, des plus déshérités, je dis du dernier des paysans et du plus obscur des manoeuvres Essayez de la faire disparaître. Quand vous pourriez, selon le rêve insensé de Dioclétien, brûler toutes les bibles chrétiennes, demain les pages des Évangiles seraient de nouveau écrites, dictées par les coeurs reconnaissants des millions de croyants qui y trouvent chaque jour leur lumière et leur force, et qui les retiennent d'une mémoire aussi sûre que les noms de leurs enfants et leurs souvenirs les plus chers et les plus sacrés.

On me dira sans doute que, dans cette durée perpétuelle de l'enseignement de Jésus-Christ, il n'y a pas, à proprement parler, un fait extraordinaire et qui n'appartienne qu'à lui seul. On me dira que d'autres paroles que les siennes ont traversé les siècles, on me citera les oeuvres des penseurs ou, des poètes de génie qui, depuis Homère et Platon, ont laissé tant de pages sublimes ou charmantes, et dont les enseignements font partie du patrimoine de l'humanité. Nous n'avons garde de le contester, et nous le rappelions nous-mêmes il y a un instant : oui, d'autres paroles que celles du Christ ont pu exciter l'émotion, l'admiration, l'enthousiasme; d'autres paroles seront sauvées de l'oubli par le souvenir reconnaissant de la postérité : c'est le propre du génie de marquer tout ce qu'il crée d'un caractère permanent de grandeur et de vérité qui survit aux admirations d'une époque ou d'une école. Mais il y a dans l'enseignement de Jésus-Christ autre chose : il est immuable non seulement dans sa durée, mais dans la nature de l'autorité qu'il exerce. Voici une parole qui, dans tous les temps, chez toutes les nations où elle pénètre, subjugue et rend captive la conscience humaine, je ne dis pas la conscience d'un peuple ou d'une race (car alors elle vaudrait 14 parole do Mahomet, qui se soumet les Arabes, et la parole du Bouddha, qui gouverne les nations de l'extrême Orient), je dis la conscience sémitique et japhétique, slave, saxonne, germaine ou latine, tellement que, dans chacune de ces races, il y a des milliers d'âmes qui, en écoutant le Christ, disent ce que, vous avez si souvent dit vous-mêmes : « Jamais homme n'a parlé comme cet homme »; il y a des milliers d'âmes qui subissent cette autorité extraordinaire que sentirent les multitudes quand elles écoutèrent le Christ pour la première fois. Or, d'où vient que cette autorité est immuable ? Si vous y prenez garde, de ceci : que la parole de Jésus-Christ est la plus religieuse qui fut jamais. Expliquons ce que nous entendons par là.

La religion vraie a pour objet d'établir le double rapport qui doit exister entre l'homme et Dieu et entre l'homme et l'homme; eh bien! quel est le fond de tout l'enseignement de Jésus-Christ, si ce n'est cela? À quoi tend tout cet enseignement, si ce n'est à montrer ce que ce rapport doit être, comment il a été rompu par le péché, comment il doit être rétabli par le pardon du côté de Dieu et la foi du côté de l'homme, comment enfin il doit se réaliser dans la vie par la justice et la charité ? C'est là la substance de tous les discours de Jésus-Christ, à commencer par le sermon sur la montagne; c'est le fond de ses merveilleuses paraboles, de ses maximes si brèves et si fécondes, de ses entretiens intimes avec ceux qui viennent à lui.
Or, j'affirme que tout cela est immuable comme la vérité. Qu'est-ce donc, hommes de mon temps, que vous y trouverez à changer? Sera-ce l'idée que Jésus-Christ nous donne de Dieu? Ah! je sais qu'aujourd'hui, dans ce quart du dix-neuvième siècle, on se plaît à nier Dieu; je sais que l'athéisme est aujourd'hui populaire et qu'il confère à ceux qui le professent un brevet de supériorité d'esprit; je sais qu'au nom de la science on nous présente une' genèse nouvelle (c'était pourtant celle d'Épicure), qui doit mettre à néant toutes nos vieilles idées sur l'origine du monde et de l'humanité. Au commencement, nous dit-on, il y avait les atomes et les, atomes étaient emportés par un mouvement éternel, et le mouvement devint mathématique, et, après des milliards de siècles, la matière devint ordonnée, et, après des milliards de siècles, la matière, dans ses combinaisons infinies, enfanta la vie, et cette vie, d'abord végétative, se donna un jour à elle-même le mouvement spontané, et (les siècles toujours aidant) la vie devint tout à coup consciente d'elle-même, et la conscience enfanta l'intelligence, et l'intelligence enfanta la moralité, de sorte que, de la molécule inerte jusqu'à la sainteté parfaite telle que le Christ la révèle, il n'y a que la simple progression de la matière ascendante. Adopte qui voudra cette genèse étrange contre laquelle tout en moi proteste, à commencer par la loi de causalité.
Comprenne qui pourra que le moins a enfanté le plus, que la matière s'est donné à elle-même l'ordre le plus admirable, que le chaos a produit la loi, que le néant a produit la vie, et que le devoir, dans son expression la plus sublime, n'est en définitive que le résultat suprême d'une fortuite combinaison d'atomes! Quand l'homme, laissant là ces sophismes, en reviendra à expliquer le monde par les mêmes procédés intellectuels qu'il applique à toute chose; quand il affirmera que jamais le néant n'a enfanté la vie, que jamais le moins n'a produit le plus, parce que tout ce qui est dans les effets doit se trouver dans la cause; quand l'homme, trouvant, dans cet effet qui s'appelle le monde, la puissance et la sagesse, en conclura, par une induction légitimé, à une cause puissante et sage; quand l'homme, trouvant en lui-même la conscience et la volonté, s'élèvera par la même induction à un Créateur qui veut et qui ordonne; quand l'homme, en un mot, trouvera Dieu, pourra-t-il jamais concevoir un Dieu plus grand, meilleur, plus juste, plus saint, plus aimant que le Dieu de Jésus-Christ ?
Qu'est-ce donc qui a vieilli dans l'enseignement de Jésus-Christ ? Qu'est-ce qui a été dépassé? Est-ce la morale de l'Évangile? Est-ce le sermon sur la montagne ? Sont-ce ses sublimes paraboles ? Est-ce l'idée qu'il nous donne de la dignité de l'homme et de l'enfant, de la valeur de l'âme immortelle ? Est-ce la compassion qu'il veut nous faire éprouver pour les derniers des hommes? Est-ce son Idéal de justice et de fraternité ? Oh ! je vous entends, il faut autre chose à notre peuple... Mettez donc au concours les sujets de la morale éternelle. Formez vos jurys et attendez, pour les couronner, des traités nouveaux du devoir qui enseignent, mieux que ne le fait l'Évangile, la grandeur de la vie humaine, la responsabilité de chaque homme, le prix du temps qui nous est assigné; composez des apologues plus vrais, plus saisissants, plus populaires, que l'histoire du créancier impitoyable, du bon samaritain ou de l'enfant prodigue; trouvez des accents plus solennels, plus pathétiques et qui parlent mieux à la conscience universelle.
Après avoir ôté Dieu de la morale, ôtez-en, par une conséquence nécessaire, le sentiment de l'obligation; au nom du positivisme supprimez la liberté, apprenez aux générations qui grandissent que la morale n'est que l'expression dernière de l'intérêt bien entendu, et quand, sous un ciel abaissé et sans horizon infini, vous aurez formé une race de petits hommes positifs et séniles qui souriront aux mots sacrés de foi, de repentir, de pardon et de vie éternelle; quand vous aurez peuplé la France de ces Chinois de l'Occident, alors l'Evangile éternel, désertant vos rivages, ira porter à quelques races inconnues, avec les secrets de l'avenir, l'idéal moral le plus élevé, le plus saint, le meilleur qui ait jamais jusqu'ici éclairé l'humanité.

Je fais un pas de plus et je remarque qu'au point de vue de l'immutabilité qui nous occupe, l'enseignement de Jésus-Christ est aussi remarquable par ce qu'il ne dit pas que par ce qu'il affirme; sa sobriété extraordinaire est la meilleure preuve qu'il n'est pas l'effort suprême de l'esprit humain aspirant vers l'infini (car la curiosité humaine aurait demandé autre chose), mais qu'il est bien la révélation d'un Dieu qui dit à l'homme tout ce qui lui est nécessaire pour arriver à la vie éternelle, et rien de plus. Cette sobriété toute divine est aussi l'une des garanties les plus frappantes de sa durée immuable. Supposons, en effet, qu'au lieu d'être purement et simplement religieux, il eût, comme toutes les autres religions sans exception, glissé sur le terrain de la politique ou des institutions sociales; supposons qu'il eût prononcé des jugements sur des questions relevant de l'ordre scientifique; supposons que, dans les pages de l'Évangile, nous trouvions un système de castes comme dans le brahmanisme, un code de prescriptions légales comme dans le mahométisme, ou même une philosophie religieuse comme dans les hommes théologiques de Thomas d'Aquin et des penseurs du moyen âge : n'est-il pas évident que, par tous ces côtés, cet enseignement prêterait le flanc aux attaques de la pensée en progrès?
En épousant les idées, la science ou les passions d'une époque, il aurait dû, sans doute, à cet alliage un succès plus rapide, mais il y aurait en même temps trouvé le principe de sa décadence.

C
ent fois on a voulu compromettre l'enseignement du Christ en l'engageant dans le domaine du relatif, à commencer par ces hommes dont parle saint Luc, qui vinrent lui demander un jour de traiter une question de loi civile et d'héritage, ou par ces rédacteurs des évangiles apocryphes, qui ne manquent pas de placer sur les lèvres de Jésus-Christ des leçons d'astronomie, de médecine ou de métaphysique, pour finir par ces incrédules contemporains, qui disent que l'Évangile n'est plus de notre temps parce qu'il a ignoré le problème de la relation du travail, du capital et de l'épargne, lui faisant un reproche de ce qui est précisément l'un de ses titres de gloire; car l'enseignement de Jésus-Christ, sachons-le bien, n'est solidaire d'aucune politique, d'aucune théorie sociale, d'aucune institution, d'aucune science progressive, d'aucun système humain, si logique, si vrai que vous le puissiez supposer. Il n'en doit partager ni la fortune heureuse, mais certainement éphémère, ni la caducité. Supposez l'enseignement du Christ engagé dans une solidarité étroite avec une conception du monde ou de la société depuis longtemps dépassée; le voilà immobilisé, arrêtant dans leur libre essor tous les esprits qui lui resteront fidèles, condamnant la pensée moderne, au risque d'être à son tour condamné par elle, et plaçant ses sectateurs dans la cruelle alternative de maudire la science au nom de leur foi, ou de dédaigner leur foi au nom de la science. La religion ainsi comprise sera immuable, si vous le voulez, mais immuable comme les constructions d'un autre âge, immuable comme les momies, immuable comme le tombeau.
Or, ce n'est pas cette immutabilité-là que je revendique pour l'Évangile du Christ. Il ne l'a pas, il ne peut pas l'avoir. Ces paroles, cent fois on a voulu les enfermer dans une seule formule, toujours elles l'ont brisée. Essayez de les y assujettir à votre tour, vous verrez qu'elles feront éclater tous vos cadres. Ces maximes étranges, d'un tour si original et si nouveau, ces paradoxes sublimes défient tout notre esprit de systématisation; Savez-vous ce que nous y trouvons ? Cette chose merveilleuse, indéfinissable, qui s'appelle là vie là vie, cette puissance que l'homme ne peut pas communiquer à ses oeuvres, si grandes qu'elles soient, et que Dieu met dans une semence imperceptible qui, dans la main desséchée d'une momie égyptienne, va traverser les siècles pour devenir de nouveau féconde, ou dans ces Infusoires microscopiques qui, soumit à la température torride de nos creusets, en ressortent animés et mouvants. Ainsi, dans les paroles du Christ, la vie reparaît toujours, immuable dans son essence, infiniment diverse dans ses applications. Voilà pourquoi ces paroles ne peuvent pas vieillir.

Vivantes, jeunes, toujours actuelles, elles stimulent les consciences, elles réchauffent les coeurs, elles inquiètent l'égoïsme dans sa sécurité trompeuse, elles apportent aux esprits troublés une ineffable paix. Après avoir soutenu dans le passé tant d'âmes héroïques et saintes, elles inspirent dans nôtre siècle les Wilberforce, les Lincoln, les Livingstone; elles pénètrent dans lé coeur d'une foule d'hommes qui se vantent d'être incrédules, et leur font accomplir des oeuvres souvent supérieures à celles des chrétiens de nom; elles frappent comme une cognée acérée les troncs vieillis dés iniquités séculaires; elles dressent devant nos yeux un idéal de justice toujours grandissant; elles plaident avec une incomparable puissance la cause des faibles, des petits, des déshérités. Elles sont immuables comme la justice, fécondes comme l'amour, éternelles comme la vérité. « Les cieux et la terre passeront, ces paroles ne passeront point. »

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