Je suis le
chemin, la
vérité, la vie.
(Jean,
XIV,
6.)
Mes Frères,
Saint
Augustin, dans ce
style concis et pénétrant qui donne
souvent tant de force à sa pensée
ingénieuse et profonde, interprète
ainsi cette parole de Jésus-Christ : Je suis
le chemin. Per me venitur; c'est par moi que l'on
vient. Je suis la vérité. Ad me
venitur; c'est à moi que l'on vient. Je suis
la vie. In me vivitur; c'est en moi que l'on vit.
Il est impossible de mieux marquer la progression
ascendante qui est au fond de la parole du Fils de
Dieu. Je désire m'inspirer de ce
commentaire, en faisant ressortir à vos yeux
ces trois degrés dans la connaissance de
Jésus-Christ, auxquels doit s'élever
tout vrai croyant.
Je suis le chemin. De quelle voie
s'agit-il ici ? Je réponds : de celle qui
nous conduit à notre destinée
éternelle.
Il y a des buts plus rapprochés
de nous que l'homme livré à
lui-même recherche avant toute chose ici-bas;
ainsi, le plaisir, la fortune, le succès, la
gloire, la science, la grandeur, la puissance.
Voilà ce que les païens demandaient
avec ardeur à leurs dieux, et les noms
même qu'ils donnaient à ces
divinités montrent quelles faveurs toutes
terrestres réclamaient d'elles ceux qui les
invoquaient. Ces dieux, produits des instincts de
la nature et des passions humaines, accordaient
à ces passions la satisfaction que toujours
elles cherchent. Jamais, par une seule parole,
Jésus-Christ n'a offert aux hommes de les
combler de jouissances, de les rendre riches,
savants ou puissants. C'est à un autre but
qu'il les conduit, au but qui domine tous les
autres, à l'accomplissement de leur vraie
destinée, au salut, à la possession
de la vie éternelle.
Oh! je sais que, quand nous parlons du
but supérieur de la vie, les hommes de
plaisir, les mondains qui se croient habiles,
lèvent les épaules et sourient; je
sais qu'une certaine école, très
applaudie aujourd'hui, nous affirme gravement que
nous ne pouvons ni 1 1 atteindre, ni même le
connaître, et s'efforce de nous en
désintéresser. Mais, quoi qu'elle
fasse, elle n'y réussira jamais. J'ai besoin
de savoir où je vais, et, si j'estime
insensé l'homme qui se jetterait dans un
train ou s'embarquerait sur un vaisseau sans se
demander où la vapeur où le vent
l'emmène, quel nom faudra-t-il donner
à ceux qui acceptent d'être
emportés dans le voyage de là vie en
ignorant s'ils vont à la mort ou au
réveil, à la nuit sans lendemain
où à la lumière qui ne
s'éteindra plus, au jugement d'une justice
inexorable ou la possession d'un amour Infini? Je
veux savoir où je vais. J'ai beau m'attacher
à tous les buts secondaires, ils ne me
suffisent pas.
A supposer même que je sois l'un
des privilégiés de ce monde, que j'y
puisse savourer les joies enivrantes des passions,
les éblouissements de la fortune, les
satisfactions de l'orgueil et les triomphes de la
volonté toute-puissante, cette question se
pose toujours devant moi : « Qu'y aura-t-il
après tout cela ? » Et quand cette
question se dresse devant une consciente que le
remords obsède, devant un coeur que la
douleur déchire, devant l'affreuse
séparation de la mort, on ne
l'étouffera pas en nous conseillant d'imiter
l'insouciance de la brute qui marche d'un pas
tranquille vers l'abattoir où le boucher
l'attend.
« Mais, à supposer qu'une
vie supérieure soit réservée
à l'homme, dira le sceptique, comment la
connaître? Il y a tant de chemins qui
s'ouvrent devant nous! Comment s'orienter dans la
forêt obscure de la vie? Comment croire qu'on
puisse trouver une voie lumineuse et certaine qui
conduise au but désiré?
»
J'entends l'objection, et cependant,
même quand je ne serais pas chrétien,
elle ne me paraîtrait pas concluante, et le
doute ne me semblerait pas, selon l'expression de
Montaigne, un oreiller commode pour une tête
bien faite, car enfin cette inévidence dont
parle le sceptique n'est pas aussi grande qu'il
veut bien le dire, et les cas sont nombreux
où, entre toutes les voies à suivre,
pour toute conscience droite l'hésitation
n'est pas même possible.
Entre
le plaisir et le
devoir, entre l'iniquité et la justice,
entre l'égoïsme et le
dévouement, entre l'orgueil et le sacrifice,
entre la pureté et la corruption, pour
savoir quelle est la voie préférable,
quelle est la meilleure et la plus vraie, il n'est
besoin ni de science, ni de temps, ni de
réflexion profonde. L'indécision
même est coupable, l'hésitation
criminelle. Un seul moment d'examen, un élan
du coeur, un mouvement de la conscience suffisent
au choix à faire, et les païens
eux-mêmes ne s'y sont pas trompés; les
païens ont connu le remords d'avoir suivi la
fausse voie, et l'ont exprimé en termes
souvent tragiques. Platon, le plus grand de tous, a
parlé de douleurs éternelles qui
attendent ceux qui ont péché contre
la lumière. Mais combien la question devient
plus simple, plus évidente et plus
solennelle aussi depuis que le Christ a jeté
dans le monde cette grande parole : « Je suis
le chemin! » Pour savoir s'il dit vrai, je
n'ai qu'à voir où il veut me
conduire. Quel est donc le but que le Christ me
propose? C'est le règne de Dieu.
C'est l'Être un, saint, juste et
bon, régnant sur tous les êtres; c'est
l'harmonie gouvernant le monde et chaque homme,
c'est l'intelligence possédant la
vérité, le coeur s'attachant à
son vrai centre, la volonté soumise à
la loi; c'est l'homme aimant l'homme; c'est la
famille humaine devenant une réalité;
c'est la destruction de l'orgueil, de
l'égoïsme, de toutes les basses
convoitises; c'est le pardon offert à qui se
sent coupable, à qui croit et se repent;
c'est Dieu tout en tous; c'est la perfection telle
que la conscience humaine ne peut la contempler
sans frémir d'un enthousiasme sublime. Eh
bien! puisque c'est à, cela que le Christ
veut me conduire, qu'ai-je besoin de raisonner
davantage? Fussé-je le plus ignorant des
hommes, je comprendrais d'instinct que la
vérité est là, que c'est
là qu'il faut tendre, que c'est par cette
voie qu'il faut passer, Fussé-je le plus
savant, que pourrai-je ajouter à cet
idéal? quels rayons à cette
lumière? quelles splendeurs à cette
beauté? Et, puisque c'est par
Jésus-Christ seul que l'humanité a
trouvé cet idéal, que seul il le lui
a révélé dans toute sa
plénitude, puisque avant lui et en dehors de
lui elle s'est toujours égarée loin
de ce but, je dis à Jésus-Christ :
« Je crois à ta parole; oui, tu es la
voie, et si quelqu'un veut aller à Dieu,
c'est par toi qu'il doit passer. »
Mais Jésus-Christ ne dit pas
seulement Je suis le chemin », il ajoute :
« Je suis la vérité »,
c'est-à-dire qu'après s'être
proposé comme la voie à suivre, il se
donne encore comme le but.
Voilà ce qui étonne
beaucoup de ceux qui l'écoutent,
voilà ce qui est pour eux un objet de doute
et de scandale. Ils veulent bien du Christ comme
instructeur des âmes, comme initiateur de la
vie morale, comme prophète du vrai Dieu et
de la vie éternelle, ils ne veulent pas
aller au delà. Ainsi raisonnaient les Juifs
qui, en écoutant certaines
déclarations de Jésus,
s'écriaient : « Il se fait égal
à Dieu. » Ainsi pensent encore beaucoup
de nos contemporains qui ne voudraient voir en lui
que le plus sublime des maîtres, et lui
appliquent avec un respect sincère ces
paroles qui terminent un livre fameux : « Nul
parmi les fils de l'homme n'a été
plus grand que toi. »
Or, si Jésus-Christ n'avait
été que cela, nous comprenons
d'instinct qu'il aurait dû, après
avoir conduit l'homme au Dieu vrai, s'effacer
lui-même, et répéter à
sa manière la parole du Précurseur :
« Il faut que Dieu croisse et que pour moi je
diminue. » Il le devait, s'il n'était
qu'une créature, car, puisque c'est le culte
de la créature qui obscurcit en l'homme et
finit par éteindre la vision de Dieu, le
sentiment de sa présence et de son action,
il faut que la religion vraie remette directement
en présence l'homme pardonné et Dieu
retrouvé.
Mais Jésus-Christ ne s'efface
point. Il ne dit pas: J'ai rendu témoignage
à la vérité et je puis
disparaître. D'autres et des plus grands
parmi les bienfaiteurs de l'humanité ont
dû le dire, et cela dans tous les domaines.
Ils ont passé, mais ce qu'ils ont fait
subsiste : Aristote, Copernic, Newton, Bacon,
Descartes pourraient nous être inconnus, que
cela n'ôterait rien à la valeur de
leur oeuvre. Et, dans l'ordre religieux, quand nous
ne saurions presque rien de Moïse, de David,
ni de saint Paul même, nous ne serions pas
moins en possession de la Genèse du monde,
des hymnes les plus pénétrants qui
aient jamais fait vibrer les cordes religieuses du
coeur, et de cette grande doctrine de la
grâce qui remplit toute l'Epître aux
Romains. Ces hommes furent les témoins de la
vérité. Ils furent, à un jour
de l'histoire, une voix, comme le dit
magnifiquement Ésaïe, la voix qui crie
: « Préparez les chemins du Seigneur.
» Jésus-Christ a été tout
cela, il est venu au monde pour rendre
témoignage à la vérité,
il a été le témoin, la parole
vivante du Père, mais il a été
plus que cela, et voilà pourquoi il prononce
ces mots qui seraient blasphématoires sur
les lèvres de NI; dise, de David, de saint
Paul et de toute créature - « Je suis
la vérité. »
Cette prétention du Christ est
tellement surhumaine, que ceux qui, tout en ne
voyant en lui qu'un Fils de l'homme, veulent
sauvegarder sa perfection morale, nous disent
aujourd'hui que Jésus-Christ n'a jamais
prononcé ces mois. C'est le quatrième
Évangile qui lui attribue ce langage, et,
d'après eux, cet Évangile n'est que
l'oeuvre d'un philosophe alexandrin du second
siècle, assignant au Christ un rôle
métaphysique auquel l'humble Jésus de
Nazareth n'aurait jamais prétendu.
Ce
n'est pas ici le
lieu, vous le comprenez, d'examiner cette
dernière assertion; je me borne à
rappeler en passant le témoignage unanime de
l'antiquité chrétienne, laquelle a
toujours vu dans le quatrième
Évangile l'oeuvre de l'apôtre Jean, et
le sentiment unanime aussi de l'Eglise
chrétienne qui, pendant dix-huit
siècles, a trouvé son Christ dans
l'ensemble des récits
évangéliques, sans y
soupçonner l'existence de ces notes
discordantes, de ces traits contradictoires, qu'une
critique prévenue prétend y
découvrir aujourd'hui. Je me renferme dans
le sujet spécial qui nous occupe, et
j'affirme que, s'il est évident que saint
Jean nous a conservé, avec
prédilection, les déclarations par
lesquelles Jésus revendique son union avec
le Père et son autorité souveraine
sur les âmes, il ne lui fait rien dire qui ne
soit confirmé par le témoignage de
saint Paul ou des premiers
évangélistes. Qui oserait soutenir,
en effet, que le Jésus des trois premiers
Évangiles ne se donne que comme un
prophète, lorsqu'il se place devant les
âmes comme le but suprême de leur foi
et de leur amour, lorsqu'il s'écrie : «
Venez à Moi, croyez en moi, aimez-moi
par-dessus toutes choses » ; lorsqu'en les
quittant il leur laisse cette parole
resplendissante d'autorité divine: «
Voici je suis tous les jours avec vous
jusqu'à la fin du monde » ?
Qui oserait dire que le Christ auquel
croyaient toutes les Eglises apostoliques du temps
de saint Paul ne soit (pour employer les
expressions de saint Paul écrivant à
ces Eglises) Celui « en qui habite toute la
plénitude de la divinité, par
lesquels et pour lesquels toutes choses ont
été faites, en qui l'on doit chercher
chaque jour sa force et sa vie», Celui qui est
étroitement associé au Père
dans l'oeuvre du salut, comme il l'est dans la foi,
dans l'amour et dans l'adoration de tous les
croyants ? On n'arrachera pas à l'Eglise
chrétienne les lettres de saint Paul, si
originales, si vivantes, si manifestement
authentiques, et la conscience des croyants jugera
si le Christ, en qui saint Paul trouvait tous les
trésors de la vérité, et dont
il disait: « Christ est ma vie », est
moins divin que celui qui nous dit par le
témoignage de saint Jean: « Je suis la
vérité et je suis la vie. Laissons la
critique analyser et séparer tant qu'il lui
plaira les éléments divers qui dans
les Evangiles ou les Epîtres forment la
figure du Christ, elle ne les empêchera pas
de se rejoindre et de se fondre au foyer
brûlant du coeur de l'Eglise, adorant
à travers les siècles celui dans
lequel elle a salué, dès le premier
jour, le Fils de l'homme cf le Fils de
Dieu.
Et maintenant, examinons de plus
près cette expression : Je suis la
vérité, qu'emploie ici
Jésus-Christ, pour pénétrer,
si possible, le sens profond qui y est
Caché.
Qu'est-ce que là
vérité? C'est le rapport exact entre
deux choses. Ainsi, une parole est ivraie quand
elle correspond parfaitement au fait ou à
l'idée qu'elle exprime; une formule
scientifique est vraie lorsqu'elle traduit
fidèlement là loi qui régit
tel ou tel phénomène ; un calcul
arithmétique est vrai lorsqu'il me donne
avec exactitude les résultats d'une relation
entre deux quantités différentes.
Toute vérité suppose donc une
relation. Eh bien! la vérité en
religion, ce sera la relation normale,
définitive, harmonique, parfaite, entre
l'homme et Dieu. Or, nous disons, nous
chrétiens, que Jésus-Christ ne nous a
pas seulement enseigné cette relation, Mais
qu'il l'a réalisée en si personne. En
lui l'homme et Dieu se sont rencontres, se sont
pénétrés d'une manière
unique et qui ne peut plus être
dépassée.
Prenez garde à ceci : supposons
que Jésus-Christ nous eût simplement
montre ce qu'est Dieu, ce qu'est l'homme, et quel
rapport doit exister entre Dieu et l'homme : il
nous aurait ainsi donné, si je 'puis le
dire, la théorie de la religion. Mais vous
sentez bien qu'il a fait plus. En lui,
c'est-à-dire dans son enseignement, dans ses
oeuvres, dans sa personne, dans ses souffrances,
savez-vous ce que je trouve à chaque heure,
à chaque moment, dans chacune des vibrations
de son être? C'est l'homme rejoignant Dieu et
Dieu pénétrant l'homme. Oui,
voilà bien la vérité
religieuse, mais la vérité vivante,
incarnée, agissante; vous voulez savoir ce
qu'est Dieu, s'il est saint, s'il est juste, s'il
connaît l'homme, s'il l'aime, s'il veut le
sauver, et vous voulez savoir ce que doit
être l'homme, s'il peut connaître Dieu,
s'il peut venir à lui, le retrouver quand il
l'a perdu; si, entre l'être pécheur et
le Dieu saint, la réconciliation est
possible. Demandez aux apôtres comment ils
ont annoncé cela au monde. Ils vous
répondront par la bouche de saint Paul : en
prêchant Jésus-Christ.
Ce que des dissertations sans nombre, ce
que des traités de philosophie, ce que des
systèmes n'auraient jamais pu faire
comprendre, la simple vue de Jésus-Christ
l'accomplit. Vous demandez quelle est la religion
vraie. Nous montrons Jésus-Christ et nous
répondons : La Voilà... Ou il n'y
aura plus de religion, ou la religion sera ce que
nous la voyons en Jésus-Christ. La relation
entre l'homme et Dieu ne peut plus être
comprise d'une autre manière, nous sentons
qu'en lui nous possédons la
vérité vivante. Et j'admire ici ces
théologiens qui ne voient dans les paroles
de moi, texte qu'une expression
métaphysique, quand au contraire, à
la place d'une définition abstraite des
rapports de l'homme avec Dieu, elle nous
présente ce qu'il y a de plus concret au
monde : un Être visible et vivant dont chacun
peut s'approcher, que chacun peut contempler,
tellement que les plus ignorants et les plus
humbles sentent qu'en le trouvant, en le
possédant, ils ont trouvé ce que
désirait leur âme. N'est-ce pas
là un fait attesté par une
expérience de chaque jour? Cette conviction
intime, profonde et paisible, qui, dans d'autres
sphères, ravit notre être, quand,
après un long et douloureux travail de
l'intelligence, nous arrivons à l'intuition
de l'évidence; cet enthousiasme qui
arrachait à Archimède son
Eurêka, j'ai trouvé; cette joie
sublime que produit la rencontre entre l'esprit
humain et la vérité : voilà la
pâle image de ce qu'éprouvent dans
tous les siècles les âmes qui, en
cherchant Dieu, ont rencontré et saisi
Jésus-Christ ; voilà ce qui justifie
à jamais la parole du Maître : «
Je suis la vérité. »
Et Jésus ajoute : « Je suis
la vie. » C'est là la dernière
affirmation qu'il nous reste à
examiner.
Là
vie, qui est
le phénomène le plus habituel et le
plus vulgaire, est en même temps pour nous le
plus impénétrable des
mystères. Le matérialisme, qui
triomphe aujourd'hui dans tant d'écoles,
s'arrête devant ce problème comme
devant une porte d'airain à jamais
scellée. Quand il croit avoir
expliqué lé monde inorganique par le
mouvement fortuit des atomes produisant dans leurs
combinaisons diverses les corps que nous
connaissons, il n'a rien obtenu, car il voit surgir
devant lui ce fait nouveau : l'apparition de la
vie. Dire qu'à un moment donné,
l'atome, par je ne sais quel mouvement inconscient,
a pu se transformer en cellule vivante, imaginer
cette création sans créateur, ce
moins enfantant le plus, cette matière
inerte qui se donne des organes, devient vivante et
consciente, c'est Une pure hypothèse que pas
un fait sérieusement constaté ne
justifie: car la génération
spontanée ne s'est jamais vue, pas
même dans ce monde dés infiniment
petits où l'on a cru si longtemps la
trouver..
A ces explications misérables,
l'Écriture oppose la définition
sublime qu'elle nous donne de Dieu lorsqu'elle
l'appelle l'Etre qui à la vie en
lui-même, l'Eternel vivant, Jéhovah.
L'Éternel, seul produit la vie en
lui-même, sa gloire qu'il ne donne pas
à Un autre. Oh! je sais la grande objection,
l'objection terrible qui se dresse devant notre
raison déconcertée. Si Dieu seul est
l'auteur de toute vie, pourquoi le mal,
hélas! si vivant, d'une vie si tenace, si
multiple, et toujours renaissante? Pourquoi, dans
le monde matériel, ces créations
monstrueuses, et, dans le monde moral; ces germes
Indestructibles d'égoïsme, de
colère, de haines de basses convoitises? A
cela, l'Évangile répond en nous
disant que le monde n'est pas dans l'ordre, qu'il
fallait que l'exercice de la liberté
fût Possible; et que c'est le
dérèglement de la liberté dans
la créature qui a, dès l'origine,
introduit le mal. Mais avez-vous remarqué
par quelle étroite solidarité il unit
l'idée du péché avec
l'idée de la mort, réservant la
promesse sublime de la vie, de la vie
éternelle, à cela seul qui est
conforme à la volonté de Dieu?
Et, Ici encore, ne dites pas que c'est
là une conception particulière de
saint Jean, car c'est au contraire le fond de
l'enseignement des Écritures. Relisez le
récit de l'apparition de la mort dans la
Genèse et les déclarations si connues
de saint Paul : « Par le péché,
la mort est entrée dans le monde » le
salaire du péché, c'est la mort
». Aussi, forts de notre foi, nous pouvons
dire à toutes les puissances mauvaises, de
quelque nom qu'elles s'appellent, sous quelque
forme qu'elles se présentent : « Vous
ne vivrez pas à toujours; bientôt,
vous serez soumises et réduites à
néant. Vous pouvez revêtir toutes les
apparences de la vie, toutes ses séductions,
tous ses enchantements; mais le germe de la mort
est dans vos profondeurs cachées; la
dissolution vous mine, la décomposition vous
attend. L'Évangile est la doctrine de la
vie; sur la terre a paru l'Être parfait, la
véritable révélation de Dieu,
et, selon sa propre parole: a Comme le Père
a la vie en lui-même, il a donné au
Fils d'avoir la vie en lui-même. » Mot
profond, mot sublime, mot d'une immense
consolation. Non, ni Satan, ni les intelligences
qu'il égare, ni les systèmes qu'il
enfante, ni la hideuse postérité qui
le sert, n'ont la vie en eux-mêmes; ce qu'ils
ont pour un temps, c'est une vie empruntée
et misérable, toute
pénétrée déjà de
déchéance et de mort, exhalant les
hideuses senteurs de la corruption. Le Fils de Dieu
seul a la vie en lui-même. Voilà
pourquoi il peut dire : « Je suis la vie.
»
Je disais, il y a un instant : la vie
est un mystère. N'êtes-vous pas
frappés de ce fait ? Le grand effort de
l'homme est de créer des oeuvres qui ne
meurent point, de pouvoir dire avec le poète
: « Non omnis moriar, je ne mourrai pas tout
entier. » Il fait tout pour arracher sa
mémoire aux étreintes du
néant, et la mort renverse toutes ses
oeuvres, et les monuments les plus gigantesques de
son orgueil, les pyramides, nous rappellent qu'il
meurt, puisqu'elles couvrent un tombeau; mais quand
il plaît à Dieu de placer la vie dans
un grain de blé ou dans des infusoires
imperceptibles, les siècles. peuvent passer
sur cette semence, une température torride
peut dessécher ces animalcules,... rien de
tout cela ne peut étouffer la vie : le
blé regermera, les infusoires respireront,
parce que la vie est là.
Or, tous ces phénomènes
d'un ordre inférieur sont comme les
paraboles de ce qui s'accomplit par l'oeuvre du
Christ. Il nous a révélé la
vie selon Dieu, la vie telle que Dieu l'a voulue,
la vie dans la sainteté, dans la justice et
dans l'amour, la vie qui tend à la gloire de
Dieu et qui ne tend qu'à cela, et cette vie
ne peut plus disparaître, car c'est pour la
réaliser que le monde existe: « Dieu
nous a donné la vie éternelle, et
cette vie est dans son Fils. »
(I
Jean, V, 1 1)
Comme le Christ à là vie
en lui-même, Il apporte la vie. La vie seule
peut enfanter la vie. Le Christ a paru dans un
monde littéralement desséché.
« Il a grandi, raconte le prophète,
comme une plante qui sort d'une terre aride, mais,
à son avènement, les torrents ont
jailli du désert, et l'espérance est
née de nouveau sur la terre ; ce qu'il a
fait en Judée, il l'a fait à Rome, Il
l'a fait dans le monde barbare, il le fait
aujourd'hui chez les races sauvages; et tandis que
c'est pour ces dernières une loi fatale que
la civilisation seule les tue, c'est un fait
certain, éclatant, que la civilisation avec
le Christ peut les transformer et les sauver. Les
nations que le Christ a visitée ne peuvent
plus absolument périr, tant qu'elles n'ont
pas renié le Christ. Nous regardons vers
l'Orient, nous y voyons des peuples entrés
dans la mort et dans l'irrémédiable
décadence. Là où le Christ
agit, on sent agir la vie; oui, ici même dans
cette France que tant d'hommes se proposent
résolument de séparer à jamais
de Dieu, dans cette ville que ses lâches
adulateurs appellent là
cité-lumière, la cité-soleil,
comme les courtisans de Louis XI V l'appelaient le
roi-soleil, dans cette ville dont les
représentants déclarent à la
majorité que la science qui émancipe
doit être athée, ici même, dans
ces oppositions, dans ses luttes ardentes, dans ses
colères d'un nouveau fanatisme, je reconnais
que le Christ est présent et qu'il est
vivant: car ce ne serait pas un mort qui remuerait
la société, les coeurs, les
consciences dans leurs intimes profondeurs.
Mais si le christ apporte la vie aux
peuples, c'est en la communiquant aux âmes
individuelles. Il ne se borne pas à leur
montrer le chemin, à leur
révéler la vérité.
Hélas! on peut voir la vérité
et mourir; on peut contempler la pureté avec
admiration, avec enthousiasme, et rester impur; on
peut applaudir à un acte sublime de
sacrifice et rester un misérable
égoïste; on peut tout comprendre et
être incapable d'agir, on peut, comme un des
critiques les plus pénétrants de ce
siècle, analyser les mouvements les plus
secrets de l'oeuvre de la grâce, parler de
l'amour de Dieu en termes qui font penser aux
âmes saintes d'autrefois, et dire de soi ce
qu'écrivait Sainte-Beuve: « Mon
intelligence assiste à la mort de mon coeur;
je ressemble à une lune morte
éclairant un cimetière. » C'est
l'erreur profonde de ce siècle de croire que
la science seule suffit à
régénérer, à
transformer l'humanité; rien n'est plus
faux, dans l'ordre moral, que le prétendu
axiome: savoir c'est pouvoir, comme si la science
ne pouvait pas se mettre au service du mal, comme
si elle ne pouvait pas devenir un agent de mort et
'armer pour les luttes sociales cette force
nouvelle qui menace nos sociétés et
que nous sommes réduits à appeler la
barbarie scientifique. Non, il faut autre chose a
l'homme que la vérité
elle-même, il lui faut une force qui agisse
non seulement sur son intelligence, mais sur son
coeur, sur les racines mêmes de sa vie intime
et de soli être moral, sur ces profondeurs de
l'être où se forment ses
volontés, car c'est du coeur que jaillissent
les sources de la vie; en un mot, il lui faut une
vie nouvelle, sans cela il ira se dégradant
et s'abaissant toujours plus. Eh bien ! la vie,
voilà ce que lui apporte le Christ, et c'est
ce qu'il exprimait dans son langage étrange
lorsqu'il disait : « Si vous ne mangez ma
chair, si vous ne buvez mon sang, vous mourrez.
» Aussi la vie sortait de lui et
pénétrait les âmes; celles-ci
renaissaient à son contact.
Un cortège d'hommes le suivait,
et ce cortège se recrutait le plus souvent
parmi les êtres que le monde aurait crus
à jamais perdus, parmi les parias de la
société, parmi ces hommes et ces
femmes dont les âmes semblaient mortes au
devoir, à la pureté, à
l'espérance, à l'honneur. Mais un
souffle nouveau passait sur ces âmes, elles
revivaient, et c'est par elles que la vie nouvelle
se répandait sur les autres et qu'une
famille spirituelle a grandi, l'Église
chrétienne, qui doit préparer ici-bas
le règne de Dieu. Et c'est parce que le
Christ est la vie qu'il nous a commandé
d'espérer, d'espérer encore,
d'espérer contre toute
espérance.
Oui, la vie peut renaître
là même où elle
paraîtrait à jamais éteinte.
Lorsque, dans les longs jours d'hiver, la terre,
sous son linceul de neige, dort d'un sommeil qui
semble éternel, lorsqu'une couche de glace
donne aux eaux dormantes la rigidité du
cristal, lorsque les arbres dressent sur l'horizon
sinistre leur squelette décharné, et
que le vent secoue leurs branches noires et
desséchées qui plient avec un
craquement funèbre, si notre oreille pouvait
percevoir ce qui se passe dans les profondeurs du
sol, elle y surprendrait le sourd bruissement des
sèves qui fermentent et qui montent et qui,
dans quelques jours, vont faire épanouir au
dehors l'éclat de leurs couleurs et l'odeur
enivrante de leurs parfums. O vous qui pleurez sur
des âmes qui vous semblent mortes, vous qui
cherchez en vain dans le coeur d'un époux,
d'un fils, d'un être plus cher que
vous-mêmes, la foi, l'amour, l'honneur
peut-être, ces biens que vous paieriez de
tout votre or et de tous vos sacrifices, ne vous
lassez pas d'espérer. Vous n'êtes pas
seuls à agir. Dans les profondeurs
vertigineuses de ces âmes perdues, vos
prières ont déposé un principe
de vie; il germera, il ne peut plus périr,
et lors même que vos yeux éteints par
la mort ne devraient plut saluer cette renaissance
que vous attendiez sur la terre, vous la verrez un
jour dans l'épanouissement magnifique et la
gloire éternelle du royaume des cieux Amen !
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |