Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE CHEMIN, LA VÉRITÉ, LA VIE

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Je suis le chemin, la vérité, la vie.
(Jean, XIV, 6.)


Mes Frères,

S
aint Augustin, dans ce style concis et pénétrant qui donne souvent tant de force à sa pensée ingénieuse et profonde, interprète ainsi cette parole de Jésus-Christ : Je suis le chemin. Per me venitur; c'est par moi que l'on vient. Je suis la vérité. Ad me venitur; c'est à moi que l'on vient. Je suis la vie. In me vivitur; c'est en moi que l'on vit. Il est impossible de mieux marquer la progression ascendante qui est au fond de la parole du Fils de Dieu. Je désire m'inspirer de ce commentaire, en faisant ressortir à vos yeux ces trois degrés dans la connaissance de Jésus-Christ, auxquels doit s'élever tout vrai croyant.

Je suis le chemin. De quelle voie s'agit-il ici ? Je réponds : de celle qui nous conduit à notre destinée éternelle.

Il y a des buts plus rapprochés de nous que l'homme livré à lui-même recherche avant toute chose ici-bas; ainsi, le plaisir, la fortune, le succès, la gloire, la science, la grandeur, la puissance. Voilà ce que les païens demandaient avec ardeur à leurs dieux, et les noms même qu'ils donnaient à ces divinités montrent quelles faveurs toutes terrestres réclamaient d'elles ceux qui les invoquaient. Ces dieux, produits des instincts de la nature et des passions humaines, accordaient à ces passions la satisfaction que toujours elles cherchent. Jamais, par une seule parole, Jésus-Christ n'a offert aux hommes de les combler de jouissances, de les rendre riches, savants ou puissants. C'est à un autre but qu'il les conduit, au but qui domine tous les autres, à l'accomplissement de leur vraie destinée, au salut, à la possession de la vie éternelle.
Oh! je sais que, quand nous parlons du but supérieur de la vie, les hommes de plaisir, les mondains qui se croient habiles, lèvent les épaules et sourient; je sais qu'une certaine école, très applaudie aujourd'hui, nous affirme gravement que nous ne pouvons ni 1 1 atteindre, ni même le connaître, et s'efforce de nous en désintéresser. Mais, quoi qu'elle fasse, elle n'y réussira jamais. J'ai besoin de savoir où je vais, et, si j'estime insensé l'homme qui se jetterait dans un train ou s'embarquerait sur un vaisseau sans se demander où la vapeur où le vent l'emmène, quel nom faudra-t-il donner à ceux qui acceptent d'être emportés dans le voyage de là vie en ignorant s'ils vont à la mort ou au réveil, à la nuit sans lendemain où à la lumière qui ne s'éteindra plus, au jugement d'une justice inexorable ou la possession d'un amour Infini? Je veux savoir où je vais. J'ai beau m'attacher à tous les buts secondaires, ils ne me suffisent pas.
A supposer même que je sois l'un des privilégiés de ce monde, que j'y puisse savourer les joies enivrantes des passions, les éblouissements de la fortune, les satisfactions de l'orgueil et les triomphes de la volonté toute-puissante, cette question se pose toujours devant moi : « Qu'y aura-t-il après tout cela ? » Et quand cette question se dresse devant une consciente que le remords obsède, devant un coeur que la douleur déchire, devant l'affreuse séparation de la mort, on ne l'étouffera pas en nous conseillant d'imiter l'insouciance de la brute qui marche d'un pas tranquille vers l'abattoir où le boucher l'attend.
« Mais, à supposer qu'une vie supérieure soit réservée à l'homme, dira le sceptique, comment la connaître? Il y a tant de chemins qui s'ouvrent devant nous! Comment s'orienter dans la forêt obscure de la vie? Comment croire qu'on puisse trouver une voie lumineuse et certaine qui conduise au but désiré? »

J'entends l'objection, et cependant, même quand je ne serais pas chrétien, elle ne me paraîtrait pas concluante, et le doute ne me semblerait pas, selon l'expression de Montaigne, un oreiller commode pour une tête bien faite, car enfin cette inévidence dont parle le sceptique n'est pas aussi grande qu'il veut bien le dire, et les cas sont nombreux où, entre toutes les voies à suivre, pour toute conscience droite l'hésitation n'est pas même possible.

E
ntre le plaisir et le devoir, entre l'iniquité et la justice, entre l'égoïsme et le dévouement, entre l'orgueil et le sacrifice, entre la pureté et la corruption, pour savoir quelle est la voie préférable, quelle est la meilleure et la plus vraie, il n'est besoin ni de science, ni de temps, ni de réflexion profonde. L'indécision même est coupable, l'hésitation criminelle. Un seul moment d'examen, un élan du coeur, un mouvement de la conscience suffisent au choix à faire, et les païens eux-mêmes ne s'y sont pas trompés; les païens ont connu le remords d'avoir suivi la fausse voie, et l'ont exprimé en termes souvent tragiques. Platon, le plus grand de tous, a parlé de douleurs éternelles qui attendent ceux qui ont péché contre la lumière. Mais combien la question devient plus simple, plus évidente et plus solennelle aussi depuis que le Christ a jeté dans le monde cette grande parole : « Je suis le chemin! » Pour savoir s'il dit vrai, je n'ai qu'à voir où il veut me conduire. Quel est donc le but que le Christ me propose? C'est le règne de Dieu.
C'est l'Être un, saint, juste et bon, régnant sur tous les êtres; c'est l'harmonie gouvernant le monde et chaque homme, c'est l'intelligence possédant la vérité, le coeur s'attachant à son vrai centre, la volonté soumise à la loi; c'est l'homme aimant l'homme; c'est la famille humaine devenant une réalité; c'est la destruction de l'orgueil, de l'égoïsme, de toutes les basses convoitises; c'est le pardon offert à qui se sent coupable, à qui croit et se repent; c'est Dieu tout en tous; c'est la perfection telle que la conscience humaine ne peut la contempler sans frémir d'un enthousiasme sublime. Eh bien! puisque c'est à, cela que le Christ veut me conduire, qu'ai-je besoin de raisonner davantage? Fussé-je le plus ignorant des hommes, je comprendrais d'instinct que la vérité est là, que c'est là qu'il faut tendre, que c'est par cette voie qu'il faut passer, Fussé-je le plus savant, que pourrai-je ajouter à cet idéal? quels rayons à cette lumière? quelles splendeurs à cette beauté? Et, puisque c'est par Jésus-Christ seul que l'humanité a trouvé cet idéal, que seul il le lui a révélé dans toute sa plénitude, puisque avant lui et en dehors de lui elle s'est toujours égarée loin de ce but, je dis à Jésus-Christ : « Je crois à ta parole; oui, tu es la voie, et si quelqu'un veut aller à Dieu, c'est par toi qu'il doit passer. »
Mais Jésus-Christ ne dit pas seulement Je suis le chemin », il ajoute : « Je suis la vérité », c'est-à-dire qu'après s'être proposé comme la voie à suivre, il se donne encore comme le but.

Voilà ce qui étonne beaucoup de ceux qui l'écoutent, voilà ce qui est pour eux un objet de doute et de scandale. Ils veulent bien du Christ comme instructeur des âmes, comme initiateur de la vie morale, comme prophète du vrai Dieu et de la vie éternelle, ils ne veulent pas aller au delà. Ainsi raisonnaient les Juifs qui, en écoutant certaines déclarations de Jésus, s'écriaient : « Il se fait égal à Dieu. » Ainsi pensent encore beaucoup de nos contemporains qui ne voudraient voir en lui que le plus sublime des maîtres, et lui appliquent avec un respect sincère ces paroles qui terminent un livre fameux : « Nul parmi les fils de l'homme n'a été plus grand que toi. »
Or, si Jésus-Christ n'avait été que cela, nous comprenons d'instinct qu'il aurait dû, après avoir conduit l'homme au Dieu vrai, s'effacer lui-même, et répéter à sa manière la parole du Précurseur : « Il faut que Dieu croisse et que pour moi je diminue. » Il le devait, s'il n'était qu'une créature, car, puisque c'est le culte de la créature qui obscurcit en l'homme et finit par éteindre la vision de Dieu, le sentiment de sa présence et de son action, il faut que la religion vraie remette directement en présence l'homme pardonné et Dieu retrouvé.
Mais Jésus-Christ ne s'efface point. Il ne dit pas: J'ai rendu témoignage à la vérité et je puis disparaître. D'autres et des plus grands parmi les bienfaiteurs de l'humanité ont dû le dire, et cela dans tous les domaines. Ils ont passé, mais ce qu'ils ont fait subsiste : Aristote, Copernic, Newton, Bacon, Descartes pourraient nous être inconnus, que cela n'ôterait rien à la valeur de leur oeuvre. Et, dans l'ordre religieux, quand nous ne saurions presque rien de Moïse, de David, ni de saint Paul même, nous ne serions pas moins en possession de la Genèse du monde, des hymnes les plus pénétrants qui aient jamais fait vibrer les cordes religieuses du coeur, et de cette grande doctrine de la grâce qui remplit toute l'Epître aux Romains. Ces hommes furent les témoins de la vérité. Ils furent, à un jour de l'histoire, une voix, comme le dit magnifiquement Ésaïe, la voix qui crie : « Préparez les chemins du Seigneur. » Jésus-Christ a été tout cela, il est venu au monde pour rendre témoignage à la vérité, il a été le témoin, la parole vivante du Père, mais il a été plus que cela, et voilà pourquoi il prononce ces mots qui seraient blasphématoires sur les lèvres de NI; dise, de David, de saint Paul et de toute créature - « Je suis la vérité. »

Cette prétention du Christ est tellement surhumaine, que ceux qui, tout en ne voyant en lui qu'un Fils de l'homme, veulent sauvegarder sa perfection morale, nous disent aujourd'hui que Jésus-Christ n'a jamais prononcé ces mois. C'est le quatrième Évangile qui lui attribue ce langage, et, d'après eux, cet Évangile n'est que l'oeuvre d'un philosophe alexandrin du second siècle, assignant au Christ un rôle métaphysique auquel l'humble Jésus de Nazareth n'aurait jamais prétendu.

C
e n'est pas ici le lieu, vous le comprenez, d'examiner cette dernière assertion; je me borne à rappeler en passant le témoignage unanime de l'antiquité chrétienne, laquelle a toujours vu dans le quatrième Évangile l'oeuvre de l'apôtre Jean, et le sentiment unanime aussi de l'Eglise chrétienne qui, pendant dix-huit siècles, a trouvé son Christ dans l'ensemble des récits évangéliques, sans y soupçonner l'existence de ces notes discordantes, de ces traits contradictoires, qu'une critique prévenue prétend y découvrir aujourd'hui. Je me renferme dans le sujet spécial qui nous occupe, et j'affirme que, s'il est évident que saint Jean nous a conservé, avec prédilection, les déclarations par lesquelles Jésus revendique son union avec le Père et son autorité souveraine sur les âmes, il ne lui fait rien dire qui ne soit confirmé par le témoignage de saint Paul ou des premiers évangélistes. Qui oserait soutenir, en effet, que le Jésus des trois premiers Évangiles ne se donne que comme un prophète, lorsqu'il se place devant les âmes comme le but suprême de leur foi et de leur amour, lorsqu'il s'écrie : « Venez à Moi, croyez en moi, aimez-moi par-dessus toutes choses » ; lorsqu'en les quittant il leur laisse cette parole resplendissante d'autorité divine: « Voici je suis tous les jours avec vous jusqu'à la fin du monde » ?
Qui oserait dire que le Christ auquel croyaient toutes les Eglises apostoliques du temps de saint Paul ne soit (pour employer les expressions de saint Paul écrivant à ces Eglises) Celui « en qui habite toute la plénitude de la divinité, par lesquels et pour lesquels toutes choses ont été faites, en qui l'on doit chercher chaque jour sa force et sa vie», Celui qui est étroitement associé au Père dans l'oeuvre du salut, comme il l'est dans la foi, dans l'amour et dans l'adoration de tous les croyants ? On n'arrachera pas à l'Eglise chrétienne les lettres de saint Paul, si originales, si vivantes, si manifestement authentiques, et la conscience des croyants jugera si le Christ, en qui saint Paul trouvait tous les trésors de la vérité, et dont il disait: « Christ est ma vie », est moins divin que celui qui nous dit par le témoignage de saint Jean: « Je suis la vérité et je suis la vie. Laissons la critique analyser et séparer tant qu'il lui plaira les éléments divers qui dans les Evangiles ou les Epîtres forment la figure du Christ, elle ne les empêchera pas de se rejoindre et de se fondre au foyer brûlant du coeur de l'Eglise, adorant à travers les siècles celui dans lequel elle a salué, dès le premier jour, le Fils de l'homme cf le Fils de Dieu.

Et maintenant, examinons de plus près cette expression : Je suis la vérité, qu'emploie ici Jésus-Christ, pour pénétrer, si possible, le sens profond qui y est Caché.
Qu'est-ce que là vérité? C'est le rapport exact entre deux choses. Ainsi, une parole est ivraie quand elle correspond parfaitement au fait ou à l'idée qu'elle exprime; une formule scientifique est vraie lorsqu'elle traduit fidèlement là loi qui régit tel ou tel phénomène ; un calcul arithmétique est vrai lorsqu'il me donne avec exactitude les résultats d'une relation entre deux quantités différentes. Toute vérité suppose donc une relation. Eh bien! la vérité en religion, ce sera la relation normale, définitive, harmonique, parfaite, entre l'homme et Dieu. Or, nous disons, nous chrétiens, que Jésus-Christ ne nous a pas seulement enseigné cette relation, Mais qu'il l'a réalisée en si personne. En lui l'homme et Dieu se sont rencontres, se sont pénétrés d'une manière unique et qui ne peut plus être dépassée.

Prenez garde à ceci : supposons que Jésus-Christ nous eût simplement montre ce qu'est Dieu, ce qu'est l'homme, et quel rapport doit exister entre Dieu et l'homme : il nous aurait ainsi donné, si je 'puis le dire, la théorie de la religion. Mais vous sentez bien qu'il a fait plus. En lui, c'est-à-dire dans son enseignement, dans ses oeuvres, dans sa personne, dans ses souffrances, savez-vous ce que je trouve à chaque heure, à chaque moment, dans chacune des vibrations de son être? C'est l'homme rejoignant Dieu et Dieu pénétrant l'homme. Oui, voilà bien la vérité religieuse, mais la vérité vivante, incarnée, agissante; vous voulez savoir ce qu'est Dieu, s'il est saint, s'il est juste, s'il connaît l'homme, s'il l'aime, s'il veut le sauver, et vous voulez savoir ce que doit être l'homme, s'il peut connaître Dieu, s'il peut venir à lui, le retrouver quand il l'a perdu; si, entre l'être pécheur et le Dieu saint, la réconciliation est possible. Demandez aux apôtres comment ils ont annoncé cela au monde. Ils vous répondront par la bouche de saint Paul : en prêchant Jésus-Christ.

Ce que des dissertations sans nombre, ce que des traités de philosophie, ce que des systèmes n'auraient jamais pu faire comprendre, la simple vue de Jésus-Christ l'accomplit. Vous demandez quelle est la religion vraie. Nous montrons Jésus-Christ et nous répondons : La Voilà... Ou il n'y aura plus de religion, ou la religion sera ce que nous la voyons en Jésus-Christ. La relation entre l'homme et Dieu ne peut plus être comprise d'une autre manière, nous sentons qu'en lui nous possédons la vérité vivante. Et j'admire ici ces théologiens qui ne voient dans les paroles de moi, texte qu'une expression métaphysique, quand au contraire, à la place d'une définition abstraite des rapports de l'homme avec Dieu, elle nous présente ce qu'il y a de plus concret au monde : un Être visible et vivant dont chacun peut s'approcher, que chacun peut contempler, tellement que les plus ignorants et les plus humbles sentent qu'en le trouvant, en le possédant, ils ont trouvé ce que désirait leur âme. N'est-ce pas là un fait attesté par une expérience de chaque jour? Cette conviction intime, profonde et paisible, qui, dans d'autres sphères, ravit notre être, quand, après un long et douloureux travail de l'intelligence, nous arrivons à l'intuition de l'évidence; cet enthousiasme qui arrachait à Archimède son Eurêka, j'ai trouvé; cette joie sublime que produit la rencontre entre l'esprit humain et la vérité : voilà la pâle image de ce qu'éprouvent dans tous les siècles les âmes qui, en cherchant Dieu, ont rencontré et saisi Jésus-Christ ; voilà ce qui justifie à jamais la parole du Maître : « Je suis la vérité. »
Et Jésus ajoute : « Je suis la vie. » C'est là la dernière affirmation qu'il nous reste à examiner.

L
à vie, qui est le phénomène le plus habituel et le plus vulgaire, est en même temps pour nous le plus impénétrable des mystères. Le matérialisme, qui triomphe aujourd'hui dans tant d'écoles, s'arrête devant ce problème comme devant une porte d'airain à jamais scellée. Quand il croit avoir expliqué lé monde inorganique par le mouvement fortuit des atomes produisant dans leurs combinaisons diverses les corps que nous connaissons, il n'a rien obtenu, car il voit surgir devant lui ce fait nouveau : l'apparition de la vie. Dire qu'à un moment donné, l'atome, par je ne sais quel mouvement inconscient, a pu se transformer en cellule vivante, imaginer cette création sans créateur, ce moins enfantant le plus, cette matière inerte qui se donne des organes, devient vivante et consciente, c'est Une pure hypothèse que pas un fait sérieusement constaté ne justifie: car la génération spontanée ne s'est jamais vue, pas même dans ce monde dés infiniment petits où l'on a cru si longtemps la trouver..
A ces explications misérables, l'Écriture oppose la définition sublime qu'elle nous donne de Dieu lorsqu'elle l'appelle l'Etre qui à la vie en lui-même, l'Eternel vivant, Jéhovah. L'Éternel, seul produit la vie en lui-même, sa gloire qu'il ne donne pas à Un autre. Oh! je sais la grande objection, l'objection terrible qui se dresse devant notre raison déconcertée. Si Dieu seul est l'auteur de toute vie, pourquoi le mal, hélas! si vivant, d'une vie si tenace, si multiple, et toujours renaissante? Pourquoi, dans le monde matériel, ces créations monstrueuses, et, dans le monde moral; ces germes Indestructibles d'égoïsme, de colère, de haines de basses convoitises? A cela, l'Évangile répond en nous disant que le monde n'est pas dans l'ordre, qu'il fallait que l'exercice de la liberté fût Possible; et que c'est le dérèglement de la liberté dans la créature qui a, dès l'origine, introduit le mal. Mais avez-vous remarqué par quelle étroite solidarité il unit l'idée du péché avec l'idée de la mort, réservant la promesse sublime de la vie, de la vie éternelle, à cela seul qui est conforme à la volonté de Dieu?
Et, Ici encore, ne dites pas que c'est là une conception particulière de saint Jean, car c'est au contraire le fond de l'enseignement des Écritures. Relisez le récit de l'apparition de la mort dans la Genèse et les déclarations si connues de saint Paul : « Par le péché, la mort est entrée dans le monde » le salaire du péché, c'est la mort ». Aussi, forts de notre foi, nous pouvons dire à toutes les puissances mauvaises, de quelque nom qu'elles s'appellent, sous quelque forme qu'elles se présentent : « Vous ne vivrez pas à toujours; bientôt, vous serez soumises et réduites à néant. Vous pouvez revêtir toutes les apparences de la vie, toutes ses séductions, tous ses enchantements; mais le germe de la mort est dans vos profondeurs cachées; la dissolution vous mine, la décomposition vous attend. L'Évangile est la doctrine de la vie; sur la terre a paru l'Être parfait, la véritable révélation de Dieu, et, selon sa propre parole: a Comme le Père a la vie en lui-même, il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même. » Mot profond, mot sublime, mot d'une immense consolation. Non, ni Satan, ni les intelligences qu'il égare, ni les systèmes qu'il enfante, ni la hideuse postérité qui le sert, n'ont la vie en eux-mêmes; ce qu'ils ont pour un temps, c'est une vie empruntée et misérable, toute pénétrée déjà de déchéance et de mort, exhalant les hideuses senteurs de la corruption. Le Fils de Dieu seul a la vie en lui-même. Voilà pourquoi il peut dire : « Je suis la vie. »

Je disais, il y a un instant : la vie est un mystère. N'êtes-vous pas frappés de ce fait ? Le grand effort de l'homme est de créer des oeuvres qui ne meurent point, de pouvoir dire avec le poète : « Non omnis moriar, je ne mourrai pas tout entier. » Il fait tout pour arracher sa mémoire aux étreintes du néant, et la mort renverse toutes ses oeuvres, et les monuments les plus gigantesques de son orgueil, les pyramides, nous rappellent qu'il meurt, puisqu'elles couvrent un tombeau; mais quand il plaît à Dieu de placer la vie dans un grain de blé ou dans des infusoires imperceptibles, les siècles. peuvent passer sur cette semence, une température torride peut dessécher ces animalcules,... rien de tout cela ne peut étouffer la vie : le blé regermera, les infusoires respireront, parce que la vie est là.
Or, tous ces phénomènes d'un ordre inférieur sont comme les paraboles de ce qui s'accomplit par l'oeuvre du Christ. Il nous a révélé la vie selon Dieu, la vie telle que Dieu l'a voulue, la vie dans la sainteté, dans la justice et dans l'amour, la vie qui tend à la gloire de Dieu et qui ne tend qu'à cela, et cette vie ne peut plus disparaître, car c'est pour la réaliser que le monde existe: « Dieu nous a donné la vie éternelle, et cette vie est dans son Fils. » (I Jean, V, 1 1)

Comme le Christ à là vie en lui-même, Il apporte la vie. La vie seule peut enfanter la vie. Le Christ a paru dans un monde littéralement desséché. « Il a grandi, raconte le prophète, comme une plante qui sort d'une terre aride, mais, à son avènement, les torrents ont jailli du désert, et l'espérance est née de nouveau sur la terre ; ce qu'il a fait en Judée, il l'a fait à Rome, Il l'a fait dans le monde barbare, il le fait aujourd'hui chez les races sauvages; et tandis que c'est pour ces dernières une loi fatale que la civilisation seule les tue, c'est un fait certain, éclatant, que la civilisation avec le Christ peut les transformer et les sauver. Les nations que le Christ a visitée ne peuvent plus absolument périr, tant qu'elles n'ont pas renié le Christ. Nous regardons vers l'Orient, nous y voyons des peuples entrés dans la mort et dans l'irrémédiable décadence. Là où le Christ agit, on sent agir la vie; oui, ici même dans cette France que tant d'hommes se proposent résolument de séparer à jamais de Dieu, dans cette ville que ses lâches adulateurs appellent là cité-lumière, la cité-soleil, comme les courtisans de Louis XI V l'appelaient le roi-soleil, dans cette ville dont les représentants déclarent à la majorité que la science qui émancipe doit être athée, ici même, dans ces oppositions, dans ses luttes ardentes, dans ses colères d'un nouveau fanatisme, je reconnais que le Christ est présent et qu'il est vivant: car ce ne serait pas un mort qui remuerait la société, les coeurs, les consciences dans leurs intimes profondeurs.

Mais si le christ apporte la vie aux peuples, c'est en la communiquant aux âmes individuelles. Il ne se borne pas à leur montrer le chemin, à leur révéler la vérité. Hélas! on peut voir la vérité et mourir; on peut contempler la pureté avec admiration, avec enthousiasme, et rester impur; on peut applaudir à un acte sublime de sacrifice et rester un misérable égoïste; on peut tout comprendre et être incapable d'agir, on peut, comme un des critiques les plus pénétrants de ce siècle, analyser les mouvements les plus secrets de l'oeuvre de la grâce, parler de l'amour de Dieu en termes qui font penser aux âmes saintes d'autrefois, et dire de soi ce qu'écrivait Sainte-Beuve: « Mon intelligence assiste à la mort de mon coeur; je ressemble à une lune morte éclairant un cimetière. » C'est l'erreur profonde de ce siècle de croire que la science seule suffit à régénérer, à transformer l'humanité; rien n'est plus faux, dans l'ordre moral, que le prétendu axiome: savoir c'est pouvoir, comme si la science ne pouvait pas se mettre au service du mal, comme si elle ne pouvait pas devenir un agent de mort et 'armer pour les luttes sociales cette force nouvelle qui menace nos sociétés et que nous sommes réduits à appeler la barbarie scientifique. Non, il faut autre chose a l'homme que la vérité elle-même, il lui faut une force qui agisse non seulement sur son intelligence, mais sur son coeur, sur les racines mêmes de sa vie intime et de soli être moral, sur ces profondeurs de l'être où se forment ses volontés, car c'est du coeur que jaillissent les sources de la vie; en un mot, il lui faut une vie nouvelle, sans cela il ira se dégradant et s'abaissant toujours plus. Eh bien ! la vie, voilà ce que lui apporte le Christ, et c'est ce qu'il exprimait dans son langage étrange lorsqu'il disait : « Si vous ne mangez ma chair, si vous ne buvez mon sang, vous mourrez. » Aussi la vie sortait de lui et pénétrait les âmes; celles-ci renaissaient à son contact.

Un cortège d'hommes le suivait, et ce cortège se recrutait le plus souvent parmi les êtres que le monde aurait crus à jamais perdus, parmi les parias de la société, parmi ces hommes et ces femmes dont les âmes semblaient mortes au devoir, à la pureté, à l'espérance, à l'honneur. Mais un souffle nouveau passait sur ces âmes, elles revivaient, et c'est par elles que la vie nouvelle se répandait sur les autres et qu'une famille spirituelle a grandi, l'Église chrétienne, qui doit préparer ici-bas le règne de Dieu. Et c'est parce que le Christ est la vie qu'il nous a commandé d'espérer, d'espérer encore, d'espérer contre toute espérance.
Oui, la vie peut renaître là même où elle paraîtrait à jamais éteinte. Lorsque, dans les longs jours d'hiver, la terre, sous son linceul de neige, dort d'un sommeil qui semble éternel, lorsqu'une couche de glace donne aux eaux dormantes la rigidité du cristal, lorsque les arbres dressent sur l'horizon sinistre leur squelette décharné, et que le vent secoue leurs branches noires et desséchées qui plient avec un craquement funèbre, si notre oreille pouvait percevoir ce qui se passe dans les profondeurs du sol, elle y surprendrait le sourd bruissement des sèves qui fermentent et qui montent et qui, dans quelques jours, vont faire épanouir au dehors l'éclat de leurs couleurs et l'odeur enivrante de leurs parfums. O vous qui pleurez sur des âmes qui vous semblent mortes, vous qui cherchez en vain dans le coeur d'un époux, d'un fils, d'un être plus cher que vous-mêmes, la foi, l'amour, l'honneur peut-être, ces biens que vous paieriez de tout votre or et de tous vos sacrifices, ne vous lassez pas d'espérer. Vous n'êtes pas seuls à agir. Dans les profondeurs vertigineuses de ces âmes perdues, vos prières ont déposé un principe de vie; il germera, il ne peut plus périr, et lors même que vos yeux éteints par la mort ne devraient plut saluer cette renaissance que vous attendiez sur la terre, vous la verrez un jour dans l'épanouissement magnifique et la gloire éternelle du royaume des cieux Amen !

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