Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE PREMIER ET LE DERNIER

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Ainsi a parlé l'Éternel, le roi d'Israël et son Rédempteur, l'Éternel des armées: Je suis le premier et je suis le dernier, et hors de moi il n'y a pas de Dieu.
(Esaïe, XLIV, 6.)


Mes Frères,

L
e prophète auquel j'emprunte ces paroles a la douleur amère de voir son peuple se détourner de Jéhovah. Israël a été éclairé des plus pures lumières. Seul, entre toutes les nations de l'ancien monde, il connaît le Dieu unique, le Dieu vivant, le Dieu saint; les moindres de ses enfants peuvent lire ces admirables Psaumes dont l'Évangile même n'a pas dépassé la sublimité; ils savent que Dieu est compatissant, lent à la. colère, ému, envers ceux qui le servent, d'une pitié dont les plus tendres affections humaines ne sont que le pâle reflet; ils savent ce qu'ignorent les nations les plus puissantes et les plus civilisées; ils peuvent boire à la source où l'humanité tout entière doit un jour étancher sa soif.

Et cependant, ces vérités, ils les oublient ; ces privilèges, ils les repoussent; ce Dieu, ils le renient. N'écoutant que les inspirations idolâtres des races sémitiques dont le sang vicié circule dans leurs veines, ils vont vers Moloch, vers Baal, vers Astarté; les mères, les mères elles mêmes dont le Dieu des miséricordes a rendu l'union féconde, apportent leur fils, leur premier-né, leur unique, qu'elles déposent comme une oblation expiatoire sur les bras d'airain rougis au feu de ces épouvantables idoles « Cieux, soyez étonnés et frémissez d'horreur, a dit Jéhovah, car mon peuple à fait deux maux - ils m'ont abandonné, moi, la source des eaux vives, pour se creuser des citernes, des citernes crevassées qui ne peuvent Pas contenir d'eau. » Alors le prophète plaide, lutte, s'indigne, maudit ou supplie;' il montre l'inanité de cette idolâtrie et l'infamie de ces cultes hideux; il rappelle à Israël la grandeur de ses origines et de ses destinées; il évoque devant lui la sainte figure de Jéhovah, il adresse au peuple cette parole que Dieu lui-même a mise sur ses lèvres: « Ainsi a parlé l'Éternel, le roi d'Israël et son rédempteur, l'Éternel des armées :
Je suis le premier et je suis le dernier, et hors de moi il n'y a pas de Dieu. »

M
es frères, cette histoire est la nôtre. Une lumière plus grande que celle qui éclairait Israël s'est levée sur les peuples chrétiens. Au-dessus du monde visible, l'Évangile nous a ouvert les horizons sans fin du monde spirituel; au-dessus de la fatalité des causes secondes, il nous a montré la cause première intelligente et libre; au-dessus des iniquités présentes, il a affirmé la justice invincible; par delà les solitudes immenses des espaces silencieux il nous a fait entendre les palpitations du coeur divin, source inépuisable des miséricordes infinies; par delà les perspectives glacées de la mort, il a annoncé la résurrection et la vie éternelle.
Or, qu'a-t-on fait de tout cela et où vont les générations qui grandissent? Que verra ce vingtième siècle dont nous approchons à grands pas? Ah 1 sans doute, les idoles de pierre et de bois ne peuvent plus être redressées. Mais, n'est-ce pas une idole aussi que cette fatalité sombre devant laquelle on veut que nous inclinions notre raison? N'exige-t-elle pas, elle aussi, des immolations cruelles?

Est-ce peu de chose que de lui sacrifier, comme on nous le demande, le sentiment de notre liberté morale, la foi en la direction providentielle du monde et la certitude du revoir au delà de la mort? Ne nous y trompons pas ! C'est bien là le but que l'on poursuit. Il ne s'agit plus ici des dogmes qui divisent les Églises, ni des subtilités de la théologie. C'est au centre même que pénètre l'attaque, c'est l'idée de Dieu qui est menacée, et cette vieille parole d'Ésaïe que je vous apporte doit être aujourd'hui répétée avec énergie : « Je suis le premier et je suis le dernier, et hors de moi il n'y a pas de Dieu. » C'est sous l'impression de ces sérieuses pensées que nous allons essayer de recueillir les enseignements qu'elle contient.

Je suis le premier. Il y a là pour nous, tout d'abord, l'affirmation de la doctrine fondamentale d'un Dieu créateur souverain. La Genèse biblique s'ouvre par ces mots : « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre », puis en une seule page elle déroule devant nous l'apparition successive des choses, depuis la matière chaotique encore informe jusqu'à la venue d'un être tiré de la poussière de la terre, mais qui est fait à l'image de Dieu. Ce n'est pas que nous prétendions qu'il faille chercher dans la Bible une cosmogonie systématique, au nom de laquelle on viendrait arrêter les libres investigations de la science, et (pour dire ici toute notre pensée) rien ne nous paraît plus imprudent que ces tentatives de faire concorder, à tout prix, le texte des Écritures avec les dernières théories de la géologie, car il n'est que trop évident que ces théories se renouvellent sans cesse, et que l'harmonie factice d'aujourd'hui serait le désaccord de demain.
La Bible est avant tout le document d'une révélation religieuse, l'histoire du salut de l'humanité. Il faut lui demander ce qu'est Dieu pour nous, ce que l'homme doit être et quelles relations doivent exister entre l'homme et Dieu, et c'est parce que la Bible répond essentiellement à ces questions-là, c'est parce que sa sobriété contraste d'une manière si frappante avec les élucubrations cosmogoniques des religions orientales, que nous voyons dans ce livre, non pas l'effort de la curiosité humaine essayant d'expliquer l'infini, mais la révélation de Dieu disant à l'homme ce qu'il a besoin de savoir pour être sauvé. Voilà ce que nous enseigne l'Écriture, mais, dans sa sobriété même, quelle richesse!
Dans ces premières pages de la Genèse, quels rayons de lumière projetés sur notre destinée! C'est l'existence de Dieu, c'est son unité se dressant en face du matérialisme athée et du polythéisme; c'est la liberté souveraine du Dieu créateur réfutant d'avance le panthéisme qui confond Dieu avec l'univers ; c'est la bonté originelle de l'oeuvre divine proclamée en opposition à toutes les philosophies antiques qui attribuent le mal à la matière; c'est le caractère moral et libre de l'homme primitif affirmé contrairement aux théories qui ne veulent voir en lui qu'un animal parvenu; c'est l'entrée de la douleur et de la mort dans l'humanité expliquée par une révolte de la liberté humaine; c'est l'assurance enfin qu'un jour le mal doit être vaincu. Grandes et précieuses lumières qui, seules, ont pu dissiper l'ombre épaisse, lourde et malsaine du fatalisme antique, et conduire la marche des croyants de l'ancienne alliance jusqu'au jour où s'est levé sur l'humanité le soleil de justice qui porte la santé dans ses rayons !

A
ujourd'hui, vous le savez, on prétend nous enseigner une autre Genèse du monde; on reprend les vieilles doctrines d'Epicures; on nous parle d'une matière éternelles de milliards d'atomes qui, en tourbillonnant dans l'espace, se sont donné d'une manière inconsciente et spontanée un mouvement conforme aux lois mathématiques qu'ils ont eux-mêmes engendrées. On nous dit que d'une combinaison mécanique est sortie tout à coup une cellule vivante, et qu'avec le concours de milliards d'années, cette vie est devenue végétative, puis animale, puis, consciente, puis intellectuelle, puis morale enfin; on nous invite à saluer cette progression ascendante de la matière, d'abord molécule inerte, puis protoplasme doué de sensation, puis plante qui un jour se meut, s'avance et devient l'animal hideux, rampant dans la fange des marais primitifs, pour se dresser enfin dans sa majesté conquise eu s'appeler Platon, Aristote, Jésus-Christ. Et après avoir expliqué ainsi la formation des choses, on prend en pitié ceux qui recourent encore à l'intervention d'un Dieu créateur, on pense de lui ce que disait le savant Laplace à Napoléon 1er : « Sire, je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse », et on reconduit Dieu à la frontière du monde, en le remerciant des services provisoires qu'il a pu rendre à la science, jusqu'à ce que celle-ci ait appris à se passer de lui.
Eh bien! je le dirai simplement : devant cette Genèse que l'on appelle scientifique, ce n'est pas seulement ma foi qui se révolte, c'est ma raison qui répète, avec l'enthousiasme d'une conviction plus ferme que jamais, la première affirmation du vieux symbole des chrétiens: « je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », car s'il y a dans ma raison un principe inébranlable, c'est bien celui-ci : qu'aucun effet n'existe sans Cause, que tout ce qui est dans les effets doit se trouver dans la cause, que jamais, par conséquent, la matière brute n'a pu produire l'intelligence, ni le chaos enfanter l'harmonie, parce que jamais le moins n'a pu enfanter le plus. Détruisez cet axiome, et il n'y a plus de science, que dis-je? il n'y a plus même de raisonnement possible. Ainsi l'a compris la raison humaine par ses représentants les plus grands et les plus authentiques, car l'athéisme systématique n'est qu'une monstrueuse exception dans l'histoire. Devant cet effet qui s'appelle le monde, la raison a toujours conclu à une cause du monde, de quelque nom qu'elle ait pu l'appeler; c'est le premier mot de toutes les religions; et, quand la pensée, de religieuse, est devenue philosophique, elle n'a jamais renié cette loi; Aristote a vu le mouvement, et il en a conclu à un premier moteur.
Platon a vu l'ordre et l'harmonie et il en a conclu à un ordonnateur suprême. Moïse (à ne le considérer, si vous le voulez, que comme un homme de génie, bien qu'à nos yeux son inspiration soit plus haute) a vu la loi morale, et il en a conclu à un législateur souverain.
Et nous, éclairés par Jésus-Christ, et voyant dans le monde et dans l'homme, non pas seulement le mouvement, non pas seulement l'ordre, non pas seulement la loi, mais le sentiment de la justice, de la sainteté, de l'amour infini, nous remontons avec l'adoration ardente de nos coeurs reconnaissants jusqu'à Celui qui en est le suprême auteur, jusqu'au Dieu souverain qui, seul, peut dire : « Je suis le premier. » Le confesser, c'est la joie de notre âme, et c'est le plus magnifique usage de notre raison.

Je suis le premier. Cela nous rappelle encore, mes frères, que, comme Dieu est la cause suprême, il doit être le but suprême de tout ce qui existe, l'objet vers lequel doivent se porter les pensées et les affections de tous ceux qu'il a créés. Toutes choses, dit saint Paul, sont par lui et pour lui. Chaque être a une destination, et la destination supérieure de tous les êtres, c'est ce que l'Écriture appelle la gloire de Dieu. Comme la gloire de l'ouvrier se réfléchit dans son oeuvre comme la fresque du Parthénon raconte la gloire des statuaires de la Grèce antique, comme la basilique de Saint-Pierre de Rome raconte la gloire de Bramante et de Michel-Ange, de même les magnificences de la terre et des cieux racontent la gloire du Dieu fort, ou plutôt, car il n'y a pas en elles de langage, elles la montrent à l'homme, afin qu'il puisse lès raconter pour elles.
Et ce qui est vrai de l'ensemble des êtres doit s'appliquer aussi à chaque être individuel. Chacun, s'il comprend sa destination, sert à la gloire divine : savant, homme d'État, magistrat, commerçant, ouvrier, paysan, manoeuvre, tous sont appelés à servir Dieu dans la personne de leurs frères, et l'infortuné que la maladie cloue à son lit de douleurs où il doit attendre longuement la mort, est appelé, lui aussi, le glorifier Dieu par sa Patience. Telle est la destination simple et magnifique que l'Écriture assigne à tout ce qui existé : seule, elle Peut satisfaire la raison, parce que, seule, elle nous donne notre place véritable dans la hiérarchie des êtres; seule, elle peut créer l'harmonie, parce que l'harmonie est irréalisable Sans un centré commun ; en vain vous rêverez la fraternité sur la terre, Si vous ne maintenez Pas la paternité dans le' ciel. Voilà l'idéal sublime que l'Evangile nous propose et qu'il appelle le règne de Dieu.

Vous savez ce qu'est devenu cet idéal, et ce que le péché en a fait. Partout Dieu méconnu, ici gravement ou cyniquement, par l'athéisme, là pratiquement par l'indifférence du mondain qui vit comme si Dieu n'était pas, donnant la dernière place, dans ses Pensées et dans ses actes, à Celui qui a dit :
Je suis le premier. Partout aussi, le désordre, car l'âme, n'allant plus à son centre, est emportée comme un astre errant par toutes les passions qui la sollicitent; partout l'égoïsme, égoïsme international qui fait d'un peuple l'ennemi d'un autre peuple et qui, dans ce siècle de progrès, a répandu sur les champs de bataille plus de torrents de sang que dans aucun autre siècle des temps modernes; égoïsme social, qui fait affluer, comme vers deux Pôles contraires, ici les richesses et les jouissances jusqu'à la satiété, là les privations et la misère jusqu'à la souffrance aiguë; égoïsme se manifestant tour à tour dans l'explosion sauvage de l'orgueil et de la passion sensuelle, ou dans la lâche torpeur d'une vie frivole, inutile et perdue.
Écoutez l'histoire de l'humanité: c'est une longue plainte qui s'en exhale; écoutez ce que pensent du coeur de l'homme ceux qui l'ont le mieux connu; la Bible elle-même n'a pas, pour le juger, de paroles plus énergiques et plus accablantes; écoutez votre conscience, elle vous dira ce que vous devriez être et ce que vous n'êtes pas. Et le mai est partout, dans ces îles lointaines et fortunées où les déistes du dix-huitième siècle plaçaient des races innocentes, et où nos missionnaires ont rencontré le cannibalisme et les cultes infâmes; dans nos grandes cités dont les dehors brillants cachent tant de. souillures et de souffrances, et où, chaque soir, la nuit, en révélant dans les profondeurs des cieux les splendeurs du firmament étoilé, semble faire sortir de ses repaires la débauche qui rampe dans nos rues. Et lorsque, fuyant nos villes, nous cherchons dans les campagnes une atmosphère morale plus saine et plus fortifiante, nos regards, en s'arrêtant sur le visage de l'homme, y rencontrent, comme ailleurs, les traces de la douleur, du souci dévorant, des deuils qui ne s'oublient plus et, parfois, le stigmate honteux du vice, marquant une face humaine du sceau de la dégradation.

Et c'est en présence de ces faits que l'on nous convie à glorifier l'homme et à remplacer, dans nos sanctuaires, le culte de Dieu par celui de l'humanité, comme si la famille humaine pouvait se reconstituer autour d'un pareil centre! Ah! laissez aux époques de décadence les apothéoses humaines. Pour nous, nous avons hérité de nos pères une horreur invincible pour ces glorifications de la créature. C'est plus haut que nous portons nos hommages. Notre raison n'est satisfaite, notre coeur n'est apaisé, notre conscience ne trouve sa loi que lorsque nous nous sommes inclinés devant l'Être des êtres, devant la sainteté parfaite et l'amour infini, devant Celui qui nous dit : « Je suis le premier. En dehors de moi, il n'y a pas de Dieu. »

Je suis le premier. Cela veut dire encore que Dieu est à l'origine de tout ce qui se fait pour relever et sauver l'humanité, pour la ramener à la vraie vie qu'elle a perdue en se séparant de lui. Dieu est à l'oeuvre dans l'humanité; c'est la grandeur des nations qui l'ont une fois connu, qu'elles ne peuvent jamais renoncer à un certain idéal, et qu'un irrésistible besoin de lumière, de liberté, de progrès, les tourmente et ne leur laisse pas de repos. Même lorsqu'elles semblent avoir abandonné la foi religieuse, elles demeurent inquiètes, cherchant comme à tâtons le bien qu'elles ont perdu. Il arrive souvent au milieu d'elles que, lorsque les chrétiens de nom ont renié l'Évangile dans son esprit même et ne professent plus qu'une orthodoxie morte et servile, incapable de rien enfanter de grand, des incrédules, des athées même se mettent à leur place et font leur oeuvre, comme ces déistes du dernier siècle, qui combattirent là torture, l'esclavage et toute§ les tyrannies, et déployèrent devant le monde étonné, lé drapeau de là fraternité chrétienne qu'une Église persécutrice avait laissé tomber dans le sang des dragonnades et dans la fange de la Régence, où lé cardinal Dubois traînait la robe illustre de son prédécesseur Fénelon.

O
r, d'où vient, mes frères, cette aspiration supérieure qui nous agite? D'où vient que nous résistons à ces lâches résignations, à ce fatalisme qui, en Turquie, comme aux Indes, comme dans les vastes régions de l'extrême Orient, Courbe lés peuples dans un abaissement séculaire? D'où vient que nous luttons pour tous les droits, pour toutes les dignités de l'homme pour tous lés faibles que l'on opprime, pour tous les déshérités que l'oh exploite? D'où vient que toujours nous opposons à la réalité présente un idéal supérieur D'où vient que noire conscience est sans cesse avertie stimulée blessée par un invisible aiguillon qui l'empêche de céder à là torpeur morale que produisent les doctrines fatalistes, ou à l'enivrement des jouissances et de la vie sensuelle qui partout déborde aujourd'hui?
Dira-t-on que nous obéissons à ce qu'on appelle la loi naturelle du progrès? Mais, comment attribuer à une force que l'on dit inconsciente cette recherche intelligente et passionnée de la justice et du bonheur de tous? D'ailleurs, cette prétendue loi du progrès, qui devrait être continue si elle était vraiment une loi, quels lamentables échecs, quels avortements n'a-t-elle pas subis pendant des siècles et dans l'histoire de nations entières qui descendent lentement vers la servitude et la mort?
Dira-t-on que ce qui nous inspire et nous sauve, c'est la science, la science dont on veut faire, aujourd'hui, la rédemptrice de l'humanité? Ah! certes, la science est une puissance admirable, et les chrétiens auxquels l'Evangile donne le nom magnifique de fils de la lumière ne peuvent qu'applaudir à ses progrès. Qu'elle vienne donc, qu'elle ouvre devant nous les profondeurs des cieux et les entrailles de la terre! qu'elle unisse les nations par des voies nouvelles, qu'elle dompte les forces brutales de la nature, pour en faire les esclaves de l'intelligence! qu'elle lance la pensée humaine, portée par un fil mystérieux, à travers les sombres abîmes de l'Océan, jusqu'aux extrémités du monde 1 Mais n'attendez pas d'elle ce qu'elle ne pourra jamais vous donner. Mes frères, il y a trois faits, les plus universels et les plus actuels, le péché, la douleur et la mort, sur lesquels la science n'a jamais projeté de lumière, et devant lesquels elle doit s'arrêter, aussi muette, aussi impuissante aujourd'hui que jamais.
Quand votre conscience est torturée par le remords, quand le souvenir de vos fautes vous accable, quand votre coeur est ulcéré par les tristesses, par les déceptions de la vie, par l'amertume des affections rompues, quand vous êtes en présence d'un lit où agonise un être qui vous est plus cher que vous-même, et que la question du néant ou d'un revoir éternel vient étreindre votre âme, quand vous avez faim et soif de consolations, d'amour et de sympathie, est-ce un livre de science que vous ouvrirez, est-ce à la porte d'un savant que vous irez frapper? La question serait cruelle, si elle n'était pas dérisoire, car combien y a-t-il, dans cet auditoire, d'esprits capables de comprendre la science, et que faudrait-il penser de cette prédestination d'un nouveau genre qui, au lieu de s'adresser, comme le fait l'Évangile, aux pauvres et aux petits de la terre, réserverait ses lumières et ses consolations à l'aristocratie intellectuelle de l'humanité?
Soyez tranquilles, du reste, la question ne se posera pas de la sorte, car les savants souffrent comme nous des troubles de la conscience, des déchirements du coeur et des cruelles séparations de la mort, et j'en ai vu, parmi les plus grands, brisés par la douleur, venir chercher la consolation à une source où la trouvaient, avec eux, les plus humbles et les plus ignorants de la terre. Non, la science seule ne pourra jamais convertir, régénérer un peuple, ni sauver ou consoler une âme; la science n'est qu'un instrument qui peut servir parfois d'étranges causes. Supposez la science sans la conscience, supposez la science aux mains d'un peuple impie, supposez l'instruction universelle apportant à chaque foyer un livre corrupteur, supposez des engins de guerre perfectionnés mis à la portée de chaque enfant du peuple, supposez le pétrole et la dynamite maniés par des mains bien dressées, puis, qu'un souffle de folie descende sur ces générations ainsi préparées, et vous verrez... Hélas! il faut dire : vous avez vu ces scènes inoubliables et sanglantes dont nous voudrions effacer à jamais le souvenir, si elles ne trouvaient aujourd'hui des apologistes et des admirateurs!

Ainsi donc, c'est plus haut que la science qu'il faut aller chercher les sources cachées du fleuve de vie qui apporte au monde la régénération, la consolation, l'espérance éternelle. D'où viennent-elles donc? Nous, chrétiens nous le savons; elles sont sorties des profondeurs de la révélation religieuse que le Dieu que nous servons a donnée à l'humanité. Le Dieu créateur est aussi le Dieu rédempteur, et, dans l'ordre de la grâce comme dans l'ordre de la nature, il peut dire : « Je suis le premier.» C'est lui qui, des les temps de l'ancienne Alliance, a, par la voix de ses prophètes, soutenu la conscience humaine, jusqu'aux jours où, dans la personne de son Fils, il a accompli l'oeuvre de salut qu'il avait annoncée. il y a eu un jour dans l'histoire où il a réellement parlé à l'humanité, un jour où le royaume des cieux a été proclamé sur la montagne des, béatitudes, un jour où la rédemption a été scellée sur la cime de Golgotha.
En ce temps, vraiment, le ciel a visité la terre, et l'âme de l'homme a frémi sous cet embrassement divin. Il y a eu un jour où l'homme s'est rapproché de l'homme, et où la fraternité a germé ici-bas aux chauds rayons de la paternité divine pour la première fois comprise, Il y a eu un jour où, devant un sépulcre ouvert, les larmes de ceux qui pleuraient ont été taries, parce que Celui qu'ils avaient vu mort leur est apparu vivant. Et c'est parce que l'Église chrétienne. a senti qu'avec Jésus-Christ toutes choses ont été faites nouvelles, qu'elle a placé sur les lèvres du Fils de Dieu les paroles mêmes de Mon texte : « je suis le premier et je suis le dernier, » Vous siffla, en effet, que, par trois fois, dans l'Apocalypse ces mots sont attribués à Jésus-Christ: « Je suis l'alpha et l'oméga, dit-il, le premier et le dernier, le commencement et la fin » (Apoc, XXII, 13). Et les premiers croyants se sont plu à exprimer partout cette pensée. Dans les catacombes de Rome, sur les sarcophages chrétiens retrouvés dans, l'Italie ou dans les Gaules, et sur les murailles des anciennes basiliques rien n'est plus beau que de rencontrer l'alpha et l'omega qui entourent le Monogramme de Jésus-Christ Par. ces deux lettres symboliques les premiers chrétiens aimaient figurer la fermeté de leur foi, fondée. sur l'éternité du Fils de Dieu, Et nous, sachant tout ce que nous devons au Christ, sachant qu'avec lui, s'est levée sur l'humanité l'ère de la rédemption, de la justice et de l'espérance, nous associons, dans le culte que nous rendons à Dieu le Père, Celui qui a pu dire : « Je suis l'alpha, je suis le premier ! »

M
es frères, ce qui s'est accompli dans le monde doit s'accomplir dans chaque être individuel, et la rédemption de l'humanité n'est rien mi elle ne s'opère pas au plus profond de l'âme de ceux qui doivent en recueillir les fruits. Or, je le demande à tous ceux qui, dans cet auditoire, croient à la réalité de leur salut. En est-il un seul qui ne soit prêt à reconnaître que Dieu en est la source et le premier auteur? Qui dit grâce dit une faveur non payée, une faveur que l'on ne peut pas payer. Vouloir mériter le ciel par son honnêteté, par ses oeuvres ou par ses souffrances, est une prétention qui n'entrera jamais dans l'âme d'un racheté de Jésus-Christ. Avec quelle joie au contraire il redit après saint Jean : « En ceci l'amour de Dieu a été manifesté, c'est que ce n'est pas nous qui l'avons aimé les premiers, mais c'est lui qui nous a aimés! » Avec quelle reconnaissance il répète la parole du Psalmiste : « Non pas à nous, non pas à nous, Seigneur, mais à ton nom donne gloire! » Il regarde en arrière et partout il y retrouve les traces de cette divine miséricorde par laquelle Dieu l'a prévenu.
Il les voit dans ses plus lointains souvenirs d'enfance, dans la bénédiction que sa mère prononçait sur son berceau, dans le sourire d'un aïeul dont la tête blanchie se penchait sur la Bible de famille, dans les derniers adieux d'un mourant dont le regard semblait pénétrer au delà des horizons terrestres, dans les premiers élans de l'âme que le monde ne pouvait satisfaire, dans l'éveil de sa conscience troublée parla loi divine, dans les ravissements du pardon possédé, dans ces délivrances, ces consolations, ces épreuves par lesquelles Dieu lui a révélé tour à tour sa justice et sa miséricorde, et. surtout dans cette divine patience qui, après tant d'infidélités et de révoltes, ne s'est jamais lassée et lui permet aujourd'hui encore de se réjouir en possédant l'assurance bienheureuse de la communion de son Dieu. 0 sainte et divine histoire, que plusieurs ici pourraient raconter! 0 pures clartés de l'aurore de la grâce annonçant le lever du jour de la vie éternelle! Non, la lueur matinale éclairant de ses rayons d'or les hautes cimes des Alpes dans l'azur profond des cieux n'a pas pour nos regards plus de ravissement et de charme, que n'en a pour l'âme chrétienne la première certitude assurée de l'amour qui ne doit plus finir. Aussi, rassemblant tous les bienfaits de son Dieu, cette âme en fait hommage à l'auteur de toute grâce, à Celui qui, dans l'oeuvre du salut de chacune de ses créatures, comme dans l'oeuvre du salut du monde, peut seul dire : « Je suis le premier. »
Et le Dieu des Écritures ajoute : « Je suis le dernier. »

Par là, nous devons d'abord entendre, mes frères, que Dieu n'abdique jamais et qu'il reste le Maître suprême, quand les maîtres d'un jour auront passé après avoir fait un peu de bruit sur la terre. Il plaît à Dieu de laisser les hommes lui disputer là place, c'est le mystère de la liberté qu'il ne veut pas étouffer, même lorsqu'elle va jusqu'à la révolte et jusqu'au blasphème. Il est patient, car Il est éternel. Voilà ce que chantaient les premiers chrétiens sous les Néron et les Dioclétien, Voilà ce que répétaient nos pères sous Louis XIV ; voilà ce que nous redirons devant ces démagogies athées qui rêvent d'établir une irréligion d'État, qui empruntent à l'intolérance ses armes rouillées, ayant domine l'Eglise qu'elles combattent, leurs grands pontifes, leurs calendriers et leurs saints, leurs excommunications et leurs anathèmes, et jusqu'à leurs congrégations de l'index excluant, si elles le pouvaient, dès écoles primaires tout livre qui renferme la simple notion de Dieu. Pauvres insensés qui passeront demain, et que nous ne maudirons point, puisque c'est pour eux que descend du Calvaire la prière éternelle : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ! »

Je suis le dernier. Cela veut dire encore que Dieu reste le souverain juge, et qu'en conséquence l'heure de la justice finira par sonner. Et ici, remarquez la contradiction flagrante de tant d'incrédules contemporains. D'un côté, ils affirment la justice, ils la veulent, ils la servent avec un dévouement qui peut nous humilier; de l'autre, ils nient la vie future et Dieu. Or que devient la justice s'il n'y a pas tout à la fois un oeil toujours ouvert, un témoin infaillible de tout ce qui se passe au fond des coeurs et un justicier suprême des actions commises ? Que faudra-t-il penser de tant d'hypocrites heureux qui se sont endormis dans leur succès et de tant de justes indignement sacrifiés ? Si la vie actuelle est le seul théâtre où puisse triompher le bon droit, alors il faut travestir la parole du Christ, il faut dire : « Malheur à ceux qui ont faim et soit de justice, car ils ne seront jamais rassasiés! » Ah! je sais bien et je rappelais il y a un instant que le jour de cette justice est lent à venir. Nous sommes ici-bas à l'heure du désordre, où le spectacle des choses humaines semble donner à Dieu un insolent démenti; parfois des ombres épaisses nous enveloppent et font pénétrer dans nos âmes un mortel frisson.
La révolte nous tente au moment où nous devrions dire : « Gloire à Dieu! » Aussi tout l'effort de l'esprit du mal tend-il à nous faire douter de sa justice et de sa bonté. Il faut faire ici une remarque frappante. Dans son symbolisme profond, l'Écriture appelle le roi des révoltés Satan, c'est-à-dire le calomniateur. Elle pourrait l'appeler le menteur, le tentateur, le meurtrier des âmes ; ce sont là les noms qu'il faut lui donner si l'on considère avant tout son action sur les hommes; mais l'Écriture, parlant au point de vue de Dieu, l'appelle le calomniateur : car son oeuvre dans les siècles, c'est de diffamer cette gloire divine que tous les êtres devraient raconter. Il nous dit : « A quoi bon l'adoration ? à quoi bon l'amour? Dieu, s'il existe, c'est le despote éternel. Regardez de près ces oeuvres qui vous enchantent. Partout vous y verrez la souffrance. Ce monde n'est qu'un sépulcre immense, ces rocs mêmes qui forment les assises de notre sol sont faits de milliards de corps amoncelés et durcis ; partout du haut en bas de l'échelle animale, c'est l'extermination, c'est l'être se nourrissant de l'être, c'est l'entre-tuerie universelle, et cela, sans un moment de relâche. Regardez l'humanité même; écoutez ses gémissements. Que viennent faire ces générations qui grandissent dans la misère et dans la souillure ? que signifient ces milliers d'existences auxquelles il est impossible d'assigner un grand but ? Où est l'action providentielle dans la destinée de ces nations depuis longtemps disparues, de ces multitudes innombrables qu'une épidémie balaie ou que chaque année la mortalité moissonne comme le vent d'automne les feuilles de nos bois? Où est-elle dans la vie de cet être chétif, perdu dans l'immensité de l'univers et qui a cru, pauvre naïf, que sa prière était entendue, et qu'il pouvait modifier l'inexorable fatalité des lois inflexibles qui vont ici anéantir sa récolte, et là frapper de mort son enfant unique et bien-aimé? »

Ainsi montent vers le ciel les malédictions de la terre, et un pamphlétaire fameux leur a donné leur expression logique quand il s'est écrié Dieu, c'est le mal. »

Ils te maudissent, ô grand Dieu, et voilà pourquoi nous te bénissons. Ah! sans doute, ton oeuvre nous apparaît pleine de mystère et d'effrayants problèmes, mais du moins nous en savons la fin; or, cette fin, c'est toi, et tu es la justice, tu es la beauté suprême, tu es l'amour, tu es la miséricorde infinie, et cela nous suffit pour attendre, pour adorer, pour espérer, pour bénir. « Je suis le dernier, dit l'Éternel, je suis la fin. »

Il est le Juge suprême. Songez y, vous qui m'écoutez. Etes-vous bien sûrs d'aimer la justice, et n'y a-t-il pas en vous des intérêts inavoués et des passions coupables qui là nient et qui vous portent à croire que le Jour du jugement ne se lèvera jamais? Dans l'illusion de l'orgueil, dans l'enivrement des plaisirs sensuels qui étouffent la voix de la consciente, nous ne croyons pas à cette rencontre dernière. Nous ne voyons alors devant nous que les voies détournées, que les routes sinueuses et charmantes où nous appelle la passion qui nous enchante; l'air est tiède, la joie enfle notre âme. Si parfois un remords vient troubler notre conscience, avec quelle secrète colère nous l'étouffons pour n'écouter que les sophismes de nos compagnons de plaisirs! Comment croire alors à la possibilité du jugement? ... Hélas! que faut-il pour que la réalité apparaisse, pour que nous découvrions que même en ce monde on ne peut pas longtemps éviter l'heure de là justice ? Peu de chose ! Un revers de fortune, une atteinte légère de la maladie, un scandale enfin qui mette en évidence le mal longtemps caché. Tout à coup, les brumes de l'ivresse se dissipent, l'horizon s'étend au loin morne et livide; le chemin devient solitaire; les compagnons de fête ont disparu, et devant nous voici la colline de la vie qu'il faut descendre, sous le poids le souvenir accablant des années à jamais perdues, dans le sombre tête-à-tête avec une conscience coupable et sous les regards moqueurs du monde devenu impitoyable à l'heure du revers pour ceux auxquels hier il semblait sourire. 0 jeunes frères qui m'écoutez, puisse cet avertissement retentir dans les profondeurs de vos âmes 1 Puissiez-vous comprendre que l'heure de l'expiation finit par sonner dans toute vie humaine, et que tout chemin, si détourné qu'il soit, nous ramène au juste Juge, à Celui qui nous dit: « Je suis le dernier, je suis la fin. »

Je suis le dernier. Cela nous rappelle encore que Dieu est le refuge suprême de toute âme qui l'invoque, le seul qui subsiste quand tous les autres ont disparu.

Comprenez-le, vous dont le coeur a été déçu après s'être attaché aux promesses de la vie. De tous vos rêves passés, lesquels ont été satisfaits ? On l'a dit avec raison, la vie est un voyage du midi vers le nord, du printemps vers l'hiver. Dès les premiers pas, Dieu vient à notre rencontre, nous offrant son amour, qui seul peut ôter à nos joies tout égoïsme et à nos douleurs toute amertume. Mais combien y en a-t-il qui l'écoutent ? A combien ne pourrait-il pas dire : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne m'as pas connu 1 » Les joies comme les épreuves nous le cachent, et nous allons demander au monde ce que le monde ne pourra jamais nous donner. 0 mystère de patience! Dieu ne se lasse pas, et aujourd'hui encore il vous appelle. Hélas! qu'avez-vous à lui apporter? Un corps usé, un coeur fatigué peut-être, une vie dont le monde a eu tous les élans et tous les enthousiasmes; pour vous Dieu est le dernier des refuges, et pourtant ce refuge vous est ouvert. « Je suis le dernier. »

Il est le dernier. Comprenez-le, vous qui sentez que la mort s'approche et qu'elle menace, soit de donner le dernier coup à vos forces épuisées, soit de vous ravir un être auquel votre coeur est étroitement uni. La mort, pour le mondain, c'est l'acte au delà duquel il n'y a rien, c'est l'entrée dans le néant ou dans le redoutable inconnu. Grands ou petits, riches ou pauvres, nous aurons nos six pieds de terre, et ce sera notre seule propriété assurée ici-bas; c'est là qu'il en faut venir, et devant cette hideuse décomposition du corps qui retourne à la poudre, devant cet épilogue navrant de toutes nos espérances, notre raison s'arrête sombre et déconcertée; ici, c'est bien la fin !

Non, nous répond Celui qui a les promesses de la vie éternelle, je suis la fin, je suis le dernier; et, au delà du sombre passage, nous apercevons le Vainqueur de la mort; dans l'horizon se dessinent la terre nouvelle où la justice habite, la cité sainte où règne la lumière éternelle, où il n'y aura plus de séparation ni de mal, la maison du Père, où sont ceux que Dieu nous a repris. Ainsi, quand nous marcherons dans la vallée de l'ombre de la mort, quand nos yeux seront obscurcis par les ténèbres de l'heure suprême, quand notre âme devra livrer le combat de l'agonie, quand ceux qui nous soutenaient jusque-là ne pourront plus marcher avec nous et devront s'arrêter sur le seuil éternel, nous nous confierons à toi, car mourir avec toi, c'est vivre; il n'y aura plus de fin pour celui auquel tu dis : « Je suis la fin. » Amen!

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